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Nucléaire : le débat budgétaire qui monte

A quatre jours d'intervalle, le Monde publie deux articles posant la question du nucléaire militaire : l'un d'une journaliste maison, Nathalie Guibert, l'autre du Général de corps aérien (2S) Norlain, qui avait déjà signé une tribune prônant la fin du nucléaire il y a deux ans, et qui réitère cette fois-ci. Cela va à l'appui des discours de Louis Gautier, qui interviendra prochainement sur le sujet dans un colloque dont je vous reparlerai. Cette concomitance est le fait du hasard, certainement. Mais la question mérite examen.

Source (article sur le laser mégajoule)

Que disent les critiques ? que le nucléaire coûte cher, et que sa part relative doit être interrogée. Certes, les choix ne sont pas pour aujourd'hui, puisque "c'est en 2015 que doivent être prises des décisions importantes pour préparer la prochaine génération de missiles et de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, à l'horizon 2030" (N. Guibert).

Mais plusieurs arguments poussent à soulever la question plus précocement :

  • d'une part, la nécessité de poursuivre les efforts d'équipement pour les autres composantes, notamment terre, air et mer, sans même parler du spatial, dans une situation budgétaire que chacun sait tendue
  • d'autre part que la Défense antimissile risque de demander des fonds qu'il faudra bien chercher quelque part (effet d'éviction que j'ai souvent signalé, justifiant mon scepticisme envers cette DAMB)
  • ensuite que le discours de Prague en 2010 par le président Obama à relancé le mouvement global zero
  • que le dernier sommet allié de Lisbonne a été l'occasion d'une dispute franco-allemande sur cette question nucléaire, et que le sujet reviendra à l'ordre du jour du prochain sommet de Chicago, début mai 2012, soit au beau milieu de l'élection présidentielle
  • que Fukushima pose la question du nucléaire civil, et indirectement celle du nucléaire militaire
  • que le traité franco-britannique de Lancaster House a pour objet, entre autres choses, de mutualiser les installations de simulation
  • que la crise financière pose la question budgétaire : c'est d’ailleurs probablement cette raison qui suscite le moment d'une telle campagne médiatique

Sur le fond, un fidèle lecteur d'égéa, JDF, pose les questions suivantes, je le cite: : Le général pense-t-il :

  1. Que de se séparer de l'arme nucléaire améliorera les conditions d'emploi de nos troupes, par transfert des budgets ?
  2. Que la situation stratégique générale mondiale n'évoluera pas si vite (l'Europe reste une île stratégique) que nous pourrons retrouver très vite des moyens d'action classiques et/ou nucléaires en cas de besoin (notre lecteur a en tête la dernière livraison du colonel Goya sur la difficulté à monter en puissance) ?
  3. Qu'il est une bonne chose que la France abandonne unilatéralement ses capacités nucléaires ou les réduise encore, sans négociation avec les autres puissances nucléaires ?
  4. Enfin, en affirmant que nous sommes passé d'une dissuasion du faible au fort à une dissuasion du fort au fou et au faible, veut-il juste finir sa tribune avec esthétisme ou croit-il vraiment à cet argument, malgré sa faiblesse interne ?

En tout cas, le débat est ouvert : il ne s'agit pas de renoncer à la dissuasion, sur laquelle la France a investi depuis presque soixante ans, et qui est le premier gage de la paix européenne, plus que la construction européenne ;mais peut-être de poser la question de l'enveloppe de celle-ci. Une question stratégique avant d'être financière. Une décision qui appartiendra au futur président.

Références :

O. Kempf

Commentaires

1. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par

Bonjour.
Plutôt qu'une disparition pure et simple de la dissuasion nucléaire française, le démantèlement de la composante air de celle-ci pour redéployer les crédits correspondant vers l'équipement des différentes armées ma parait une solution relativement bonne. La disparition de la composante air me parait stratégiquement meilleure car plus facile à détruire que l'ensemble des SNLE. Mais si quelqu'un prouve le contraire...

2. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par starshiy

Bonjour
le général Norlain défend sa maison ... On le comprend.
Mais il ne faut pas rêver. La suppression de la dissuasion ne verra AUCUNE redistribution du budget vers les autres composantes. Le politique se fera un plaisir évident en ces temps de crise pour réduire d’autant le budget de la Défense.
En plus, cette suppression aura des répercussions très importantes dans le domaine de la recherche. Rien que pour les sous-marins, l'ampleur des recherches menées (discrétion acoustique pour ne citer que celle-là!) est incroyable et trouve des débouchés dans des domaines souvent très éloignés et ignorés.
Les études vibratoires qui ont conduit à la mise au point de matériaux absorbants se retrouvent dans tous les domaines touchant au transport par exemple.
Alors, mon Général, avant de vous en prendre à la dissuasion, expliquez nous pourquoi de si nombreux pays émergents cherchent à en obtenir la maîtrise ...

3. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par panou

Je trouve navrant que la journaliste du Monde considére que le plateau d'Albion était mis en oeuvre par l'Armée de terre.Il n'existe donc plus de spécialiste défense au sein de la rédaction du soit disant journal de référence français.Jacques Isnard n'a pas formé de successeur.
Quant au général Norlain sa position est plus extrême comparée à celle que développait sa tribune de 2009 dans le Monde.Avec le temps notre général verdit et dans le champ politique national il doit avoir des sympathies pour Eva Joly qui est sur un registre proche.
A noter que la tribune de 2009 qui était moins maximaliste était cosignée par Alain Juppé,Michel Rocard et Alain Richard.
Depuis il est normal qu'Alain Juppé ministre régalien à la Défense puis aux A.E ne l'ait pas suivi.Quant à Michel Rocard dont on sait le complexe oedipien vis à vis de son géniteur qui fut un des péres de la bombe atomique il n'est pas sorti de l' igloo de fonction que lui vaut son poste d'ambassadeur en Arctique.
Enfin je comprends qu'Alain Richard n'est pu être intéressé par cette nouvelle tribune tant son travail d'enquête pour le PS sur l'affaire marseillaise de J-P Guérini a été prenant avec le succés que l'on sait.
Navré du ton sarcastique mais quand on déteste la langue de bois........

4. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par yves cadiou

Ouvrir, ou rouvrir, un débat sur le nucléaire est certainement une excellente chose, ne serait-ce qu’au regard de l’extrême insécurité qu’engendrent généralement les doctrines militaires figées ou secrètement discutées par des gens trop anciens (les militaires blanchis sous le harnais) ou trop incompétents (les politiciens sélectionnés par les partis) pour que le débat soit fructueux. Le secret permet trop souvent, dans les débats stratégiques, de préserver la tranquillité des décideurs plus que de protéger les informations sensibles. On aurait certainement fait l’économie du remplacement, coûteux et inutile, du missile M45 par le missile M51 si les véritables décideurs avaient écouté des gens qualifiés comme le Général Copel. Les véritables décideurs sont les élus qui votent le budget et qui, le cas échéant, refusent le budget : la décision finale, la responsabilité, voire la culpabilité, appartient à ceux qui proposent les lois de finances et à ceux qui les votent (vote nominatif), quoi qu’en dise Olivier Kempf dans sa conclusion.

Donc le débat sur le nucléaire est ouvert : c’est très bien. C’est très bien à la condition qu’on cesse de dire que la décision appartient au président : parmi les candidats qui ont des chances d'être élus, actuellement déclarés ou non, si vous en voyez un qui vous semble qualifié sur cette question à la fois par sa culture stratégique, par son ouverture aux idées nouvelles et par sa vision à long terme du rôle de la France dans le destin du monde, merci de me le dire dans le tuyau de l’oreille, ça me rassurera.

« panou » (commentaire n°3) a raison de disqualifier d’emblée, au regard de leur CV, les gens qui lancent ce débat. Mais au moins on doit leur savoir gré de le lancer. Ensuite rien n’oblige le citoyen à leur laisser le monopole de la parole.

Comme l’observe JDF « fidèle lecteur d'égéa », c’est une question qui présente de multiples aspects. L’on doit donc craindre que le débat, parce qu’il est un peu complexe, se simplifie à l’extrême en se fixant sur des positions idéologiques opposées mais également simplettes (« le nucléaire, c’est mal », « le pacifisme, c’est bête », « le nucléaire, c’est trop cher », « d’ailleurs, il faut supprimer l’armée française »), positions qui écartent la réflexion en réutilisant les arguments que l’on entend depuis la bombinette des années soixante. Encore aujourd’hui beaucoup n’ont pas complètement compris, même parmi les tenants du nucléaire, la véritable signification de « la dissuasion du faible au fort » ni celle de « la dissuasion tous azimuts ».

Donc on en reparlera, sans doute avec des arguments nouveaux ou rénovés. C’est positif.

5. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par Nono

"si les véritables décideurs avaient écouté des gens qualifiés comme le Général Copel"

Mouais, sans vouloir être méchant, j'ai lu une tribune du même général dans "La Revue" à propos du budget militaire grec qui ne volait pas bien haut au-dessus des pâquerettes...

Alors c'est vrai qu'il faut se poser la question de la dissuasion nucléaire, s'il faut la conserver ou pas, et si oui, sous quel format et quel niveau de financement.

Et je ne suis pas sûr malheureusement que le débat se fasse avec tant de nouveaux arguments que ça.. :-(

égéa : pour les nouveaux arguments, attendez un peu. ça viendra.

6. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par OfdM

Bonjour monsieur Kempf

Quelques commentaires et points supplémentaires sur le sujet, plus techniques que stratégiques veuillez m'en excuser:

- le coût de la DAMB sera exorbitant mais la deuxième difficulté est qu'en faisant de la DAMB la dissuasion devient moins crédible techniquement (à cause des essais réalisés) sauf quand on a les moyens de faire des systèmes cibles différentes des missiles en service (imaginez l'impact si on réussissait à détruire lors d'essais ABM un M45 ou un ASMP)
- toujours sur la DAMB, le différentiel franco-allemand n'est pas que stratégique, il est industriel. En effet nos amis d'outre-rhin étaient dans le projet américain pour l'Europe constructeurs des missiles (dérivé THAAD)
- sur ce dernier sujet les enjeux sont industriels également en France avec deux constructeurs ASTRIUM et MBDA qui développent deux visions: bas-exo atmosphérique pour le premier et haut-endo pour l'autre
- dernier point, la France ne part pas de zéro, en développant ses missiles elle a également pensé à les protéger contre les ABM présents...Et futurs! Il reste certes la question du kill-vehicle mais une bonne partie du reste a déjà été "cherché", difficile alors de le partager avec nos amis européens gratuitement et se faire une fois de plus "enfumer" comme pour airbus et ariane espace

- concernant le discours de Prague d'Obama...les 2000 têtes à supprimer sont obsolètes, ils font un coup double en les supprimant et en arguant du fait que c'est pour le désarmement (c'est comme si lorsqu'on nous avons démantelé les TN70 et maintenant les TN81 avions dit que c'était pour le global zéro)...les américains quoi qu'on en dise restructurent leur filière nucléaire militaire: diminution des usines de production, des lieux de stockage et programme de simulation proche du notre

- l'abandon du nucléaire civil c'est l'abandon du militaire à court et moyen terme (bien que le conseiller défense de M Aubry, M Lamy, pense le contraire). En effet, pour ce qui est de la propulsion nucléaire un certain nombre d'usines sont communes (marcoule, tricastin...)...d'où si plus de combustible, plus de SNLE. Pour les armes c'est également vrai pour la production de certains éléments. Enfin, au titre de l'"œuvre commune" (cf le père de M Rocard), toutes les recherches et retour d'expérience du nucléaire civil doivent profiter au militaire, c'est toujours ça de moins sur le budget de la défense. Maintenant Fukushima a changé la donne et impose y compris aux militaires des revues de sûreté strictes.

- la double composante: essentielle à mes yeux, plutôt que de se payer le meilleur SNLE ou le meilleur couple avion/missile, mieux vaut avoir les deux. En effet qui peut dire quelles seront les menaces dans 50 ans et que sera devenue l'invulnérabilité d'aujourd'hui de nos armes. De plus il est bien que la dissuasion ne soit pas l'apanage d'une seule armée et devienne sa chasse gardée. Certes l'armée de l'air a peu de têtes en comparaison avec la MN mais elle très présente dans les structures de commandement nuc (emploi, ciblage...). On voit aujourd'hui chez nos camarades terriens qu'ils sont étrangers à ce monde et à ses contraintes.

- @Yves Cadiou, le général Copel n'est pas et ne sera jamais un spécialiste des missiles balistiques. Sa démonstration est fallacieuse. Sans tout redémontrer, le M45 est à remplacer car il sera obsolète à terme: poudre non ops, composants vieillis et non produits, systèmes de calcul encore très performants mais ayant été conçus dans les années 70/80 (Sintra pour ceux qui ont entendu parler de cette entreprise devenue filiale de Thomson/Thalès). Je pourrais encore dire que le M51 est dérivé d'Ariane 5, qu'il n'a fallu que 4 tirs expérimentaux pur qu'il soit opérationnel, qu'il nécessite moins de maintenances que le M45, que la TNO n'a rien à voir avec la TN 75 puisque cette dernière sera également obsolète un jour. Bref on ne pouvait continuer la dissuasion océanique sans faire le M51 mais ça notre général n'a pas l'air de le comprendre.

- intéressant ces généraux en retraite...pour peu on pourrait y voir les descendants de Bollardière et Sanguinetti qui devinrent des proches de Green peace...mais peut-être le général (CR) Norlain sera le prochain CEMP de Mme Joly!

COrdialement

égéa : merci de ces commentaires précis. Pour la DAMB, je crois en avoir parlé dans un autre billet quand j'essayais de comprendre de quoi il en retournait. J'ai du mal à comprendre, d’ailleurs, l'option haut endo par rapport à l'exo.... Mais je ne suis pas physicien. Je rappelle la lecture nécessaire, sur ce sujet très précis, du rapport du Sénat du début de l'été.  Pou rle débat nucléaire, il y a bien sûr des choses à dire, mais pas dans les termes où le débat s'engage. J’essaierai d'y revenir un de ces jours.

7. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par yves cadiou

@Nono et OfdM (officier de Marine, je suppose ?) : peut-être fais-je erreur concernant les arguments du Général Copel, je suis en tout cas prêt à admettre mon incompétence. Parlant de débat qui monte, notre échange est en plein dedans et caractéristique au moins pour l'un de ses aspects : d’un côté un citoyen qui n’y connaît rien mais qui cherche à comprendre (moi) et de l’autre côté d’autres citoyens mais spécialistes qualifiés (vous) qui lui expliquent. Le seul petit problème dans cet échange est celui de l’anonymat qui permettrait à un faussaire de se glisser dans le débat sans que le citoyen-qui-n’y-connaît-rien-mais-qui-cherche-à-comprendre puisse voir que c’est un faussaire. C’est aussi pour ça que j’ai apprécié la position du Général Copel, prise à visage découvert.

La question reste celle-ci : pour que la dissuasion soit efficace, faut-il du matériel dernier cri ? Avec des missiles dont la moitié seulement fonctionnerait, on reste crédible et c’est ce qui importe : si la moitié des missiles d’un SNLE retombe inerte à la mer à côté du sous-marin, ça fait quand-même huit missiles qui partent et par conséquent quarante charges qui arrivent, dont au moins une passera et détruira l’objectif. Cette perspective est suffisante pour dissuader, ainsi qu’en atteste l’émotion soulevée par Tchernobyl et Fukushima, qui ne sont pourtant que des pets de lapin en comparaison d’une bombe. Qu’une seule bombe de 120 kt ait une petite chance de passer et c’est dissuasif. Dans les années soixante, on savait très bien (les pilotes eux-mêmes le savaient, ce sont eux qui me l’ont dit) que chaque Mirage IV transportant l’AN11 n’avait que 60% de chances d’atteindre l’objectif, mais c’était suffisant. Le point-clé de la dissuasion, c’est la crédibilité. De ce fait l’on n’a pas besoin de disposer d’un coûteux haut de gamme technologique mais seulement de quelque chose qui représente pour l’attaquant un risque et un pari impossible. L’on n’imagine pas un attaquant disant « pff, le M45 ridicule des Fromages-qui-puent, ça ne marchera jamais : allons-y ».

Peut-être est-ce à cause de la question de la crédibilité que le débat sur la dissuasion nucléaire est continuellement esquivé : depuis 1969, un tel débat pose nécessairement la question de la crédibilité du Président de la République, c’est-à-dire des candidats que les partis politiques présentent à nos suffrages. Ce débat pose des questions en cascade, finalement : pour que les partis politiques présentent des candidats crédibles, il faudrait en finir avec l’interdiction qui est faite aux militaires de les fréquenter. C’est par conséquent un débat salutaire parce qu’il implique de secouer beaucoup de paresse intellectuelle.

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Tout autre chose @ OfdM : vous nous dites que nous nous sommes fait "enfumer" pour airbus et ariane espace. C’est possible, je ne sais pas et j’aimerais en savoir plus. Si ariane5 a servi à mettre au point les missiles M51, c’est déjà un résultat à moins de considérer que depuis cinquante ans on se fait « enfumer », comme vous dites, par nos voisins qui profitent de notre dissuasion sans la payer. Sans aucun préjugé à ce sujet, j’aimerais comprendre comment airbus et ariane espace ont été de mauvaises affaires pour nous.

8. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par Ofdm

Bonsoir monsieur Kempf

- concernant la DAMB, si le rapport du sénat est excellent, je me permets de vous conseiller la lecture du Bulletin d'Etudes de la Marine consacré à ce sujet (http://www.cesm.marine.defense.gouv...)...pour une version papier il y en avoir encore je pense à l'école militaire au CESM). Ce bulletin est remarquable car il définit parfaitement tous les termes consacrés à ce sujet (endo exo entre autre), plutôt que de mal le citer je préfère en donner la source. Dans cette publication on peut remarquer entre autre avec le sourire, les contributions de deux de nos amiraux ayant une 2ème carrière civile et s'y opposant...c'est la lutte MBDA vs Astrium ou le haut-endo contre le bas-exo.

- pour M. Cadiou, je vous prie de m'excuser de l'anonymat et du sigle trivial, dans certains domaine comme celui de la dissuasion, petit monde, cela reste plus simple. Je conviens que mes propos sont de facto moins crédibles mais la notion même d'obsolescence est est assez simple à démontrer dans le cas des missiles, il suffit de comparer avec les fusées: fait-on encore décoller des fusées ariane 3 et 4 aujourd'hui...non et croyez-moi ou non, les exigences "commerciales" du spatial sont aussi exigeantes que celles de la dissuasion. On pourrait citer en contre-exemple les fusées soyouz mais à ma connaissance (je ne suis pas spécialiste) si ces fusées restent rustiques elles ont été modernisées tout au long de leur vie (moteurs, commandes...).
- vous invoquez la notion de crédibilité. Je pense qu'on pourrait rajouter un C majuscule à ce mot tellement le concept est large. Faute d'essais nucléaires elle repose plus sur le vecteur (missile) et sur le porteur (SNLE/aéronef)...d'où des tirs de missiles "réguliers" (et médiatisés) et la démonstration régulière de la fiabilité des porteurs (1 SNLE en permanence à la mer, x aéronefs d'alerte...). Mais la crédibilité est également scientifique: moyens de recherche et de simulation, publications dans des revues scientifiques, formation d'ingénieurs et de scientifiques de haut niveau dans le domaine (difficile d'attirer des hauts potentiels si on ne crée rien de nouveau). La crédibilité est également politique, la chaîne de commandement en France est parfaitement claire et connue, elle l'est beaucoup moins dans d'autres pays (RU par exemple).
Plus généralement le domaine de la dissuasion est large et très cloisonné et rares (voire très rares) sont ceux qui connaissent très bien toutes les facettes de ces systèmes. Ainsi les spécialistes de la tête et du missile ne sont pas les mêmes, ni ceux qui font de l'emploi. Pour ce qui est de la stratégie de dissuasion ou les concepts généraux et c'est là un avis personnel les plus brillants que j'ai pu rencontrer ces dernières années sont des civils, universitaires...et là aussi plus on écrit plus c'est crédible je pense.

Cordialement

égéa : j'avais lu, en son temps, le BEM : je m'en suis servi, à l'époque de mes explorations, pour écrire un article sur la DAMB et l'OTAN : c'est dire. Toutefois, le rapport du sénat me paraît rédigé d'un seul tenant, avec en plus des préoccupations stratégiques et la volonté d'examiner les options politiques, ce que ne propose pas le BEM, qui est un dossier collectif (fort bon) mais où les points de vue se juxtaposent : c'est au fond au lecteur de faire la synthèse, pour élaborer sa version.

9. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par yves cadiou

@ OfdM. Je vous remercie d’avoir porté attention à mes arguments. Crédibilité mérite une majuscule parce que c’est le point central et non pas tellement parce que le concept est large. Au contraire je le trouve assez nettement défini, à moins que je n’aie pas tout compris (ça m’arrive parfois). Pour que la dissuasion fonctionne, c’est-à-dire pour qu’elle « persuade de ne pas » menacer la survie de la France, il n’est pas indispensable que l’ennemi ait la certitude de recevoir sur la tête (et surtout dans les bronches, car c’est polluant) la totalité de nos bombes. Il faut et il suffit que l’ennemi n’ait pas la certitude qu’aucune de nos bombes n’arrivera à destination, ce qui n’est pas exactement la même chose. C’est pourquoi il est superflu, alors qu’on parle de budget, d’imposer à nos missiles armés les exigences "commerciales" du spatial : alors qu’un seul ratage d’une fusée Ariane est un sérieux revers (perte d’image, perte de clientèle), on peut se permettre un taux relativement élevé de longs feux dans nos missiles nucléaires. Le perfectionnisme n’est pas utile dans ce domaine, il est coûteux et il n’apporte rien à la Crédibilité.

La Crédibilité se trouve renforcée si l’on multiplie les moyens de livraison de nos armes. C’est l’intérêt d’avoir des moyens complémentaires et diversifiés (actuellement les SNLE de la Marine, les ASMP de l’AdlA). On pourrait, pour un coût limité, les diversifier encore : rendre possible le montage de l’ASMP sous les Rafales-Marine et équiper le porte-avions d’une soute pour armes nucléaires comme en avaient, je crois, le Cleme et le Foch. On pourrait aussi rendre possible l’adaptation de l’ASMP sous les hélicos de l’ALAT et équiper les BPC de la soute à munitions qui convient. Ainsi notre menace serait réellement « tous azimuts ». Certes la dispersion de nos armes poserait des problèmes de sécurité (notamment contre le vol, sans jeu de mot) mais des problèmes qui ne seraient pas insolubles.

Si la question de la dissuasion nucléaire est budgétaire (et elle l’est), elle doit tourner autour de la notion de Crédibilité en négligeant toute autre considération comme le perfectionnisme des ingénieurs ou les susceptibilités de boutons. Si elle est idéologique comme semblent le vouloir les initiateurs du débat « qui monte » actuellement, alors c’est autre chose, c’est mal parti et il faut rectifier la trajectoire.

Mais nous sommes à peu près d’accord : la Crédibilité de la dissuasion est politique. Vous dites « également politique », je dis « fondamentalement politique ».

égéa : mais il y a des Rafale Marine qui sont nucléaires, me semble-t-il, Yves..... Pour le montage d'ASMP sur des hélico, je ne sais si la capacité d’emport le permet, et si les conditions de tir ne déstabiliseraient pas l'hélico en vol, enfin poser la question de la portée : car indubitablement, on est à la limite du tactique, quand la dissuasion, jusqu'à présent, est stratégique.

10. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par yves cadiou

L’arme nucléaire, jusqu’au jour hypothétique et improbable où elle deviendrait une arme du champ de bataille non polluante, est toujours une arme stratégique parce qu’elle signifie « à partir de maintenant le conflit devient nucléaire et par conséquent toute la planète est concernée par les retombées ». L’on ne pensait pas beaucoup aux retombées à l’époque de la Guerre Froide et des essais atmosphériques, mais de nos jours tout le monde (i.e. le monde entier) y est devenu beaucoup plus attentif. Toute arme nucléaire est stratégique.

Certes notre arsenal a intégré pendant un moment une arme nucléaire dite « tactique », le missile Pluton : il fut conçu avec l’accord de Charles de Gaulle en fin de règne parce que celui-ci n’avait pas une grande considération pour ses successeurs éventuels : « après moi, ce sera un Pompidou quelconque ». Il savait que ses successeurs ne seraient pas crédibles (on revient à la crédibilité qui est le point central) lorsqu’ils menaceraient de déclencher la fin du monde. Avec l’arme dite tactique, on abaissait le seuil de nucléarisation d’un conflit et l’on revenait ainsi à une menace crédible car un futur Président, même de mièvre personnalité et de faible caractère, trouverait peut-être le courage de nucléariser un conflit avec le nucléaire dit « tactique », à effets limités.

Les commentateurs et théoriciens patentés se sont trouvés fort embarrassés pour expliquer cette arme dont l’existence avait été admise par Charles de Gaulle alors qu’elle était si peu gaullienne. Au lieu d’expliquer les choses impoliment par la mollesse des politiciens comme je viens de le faire, les analystes s’en sont tirés en inventant la notion de « dernier avertissement ». Notion peut-être pratique pour une explication superficielle mais qui ne résiste pas à l'examen : le « dernier avertissement », aussi longtemps qu’il n’est pas tiré, dit à l’ennemi « vous pouvez continuer sans risquer la destruction totale de votre pays et de ses dirigeants, allez-y ».

Aujourd’hui nous n’avons plus de missiles Pluton, les notions incohérentes de nucléaire tactique et de dernier avertissement sont heureusement abandonnées. Même si l'ASMP permet une montée progressive sans aller aussitôt à l'extrême on ne parle plus, à ma connaissance, de dernier avertissement et il faudra être attentif sur ce point au débat qui monte. Notre dernier avertissement consistera à passer en Article 16 « après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel »… si l’on trouve du personnel politique qui en est capable. Le Président devra prendre ses responsabilités de Chef des Armées devant l’Histoire. Il ne pourra pas passer par une espèce de stade intermédiaire, le nucléaire dit « tactique ». Celui-ci était en fait un nucléaire stratégique cachant son nom pour ne pas faire peur au décideur pusillanime.

C’est pourquoi il est utile d’en parler, d’y insister, de poser la question aux candidats à la Présidentielle et de regarder ce qu’ils en disent sur leur blog, car je ne suis pas sûr que tous les candidats à la Présidence de la République jusqu’à présent, ni tous les Présidents du Sénat chargés le cas échéant d’assurer l’intérim, ont été complètement conscients des devoirs de la charge qu’ils briguaient et de l’écrasante responsabilité qu’elle pouvait amener sur leurs épaules.

égéa : j'adore votre explication du Pluton, que je ne connaissais pas. Tut ça est tellement vrai !

11. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par Nono

Il n'est pas besoin d'avoir des arguments d'autorité (être un expert reconnu du domaine) pour se rendre compte que certains généraux ont une vision assez biaisée (et plus généralement, certains politiques ou autres. Comme Greenpeace, au hasard).

Pour la dissuasion nucléaire, je suis d'accord avec Yves Cadiou et Ofdm pour dire que la Crédibilité est primordiale. Mais je pense que pour ça, il faut le travailler et le valider régulièrement. Je ne suis pas d'accord pour dire que même avec un taux d'échec de 50%, ça reste crédible. Au contraire, ça veut dire que si vous voulez balancer un pruneau, vous êtes obligés d'en envoyer plus, et de faire de l'overkill. C'était la méthode russe contre les vols d'U2: on balance une palanquée de SAM, et on espère qu'un touchera au but. D'ailleurs, on a un cas pratique: le Bulava russe, qui a échec sur échec. Et je ne crois pas que les russes considère cette arme comme ops avec un tel taux d'échec, même compte-tenu de leur appétence pour le "ratiboisage" à grande échelle. Donc une arme dont les essais montrent qu'elle se plante lamentablement un coup sur 2 n'est pas crédible.

Par contre, d'accord sur l'importance du politique et de la responsabilité: c'est vrai que je doute que certains se rendent bien compte de ce qu'est gouverner, et le poids de la charge peut aider (ou pas.)

Pour ce qui est de l'ASMP, il est sous le Rafale Marine (vu que les Rafale B, C et M emportent les mêmes armements), emporté si nécessaire dans le CdG. Quand à l'usage sous hélico, j'ai des doutes sur le tir d'un engin aussi gros, sachant qu'on n'a plus d'hélico tirant de l'Exocet. Et il ne faut pas oublier qu'une arme, c'est bien, mais le système pour la tirer, c'est mieux, et on n'a pas d'hélico pour ça, sans même parler du concept d'emploi (quel intérêt??). Déjà, je trouve l'ASMP un peu inutile pour la dissuasion, le seul intérêt est que c'est visible, pas comme un SNLE: un peu de gesticulation peut parfois rendre service (ex: il y a un an ou deux, exercice de M2000N avec des ravitailleurs qui sont allés à Djibouti d'une traite: évidemment, s'ils peuvent faire ça, l'Iran doit être grosso modo accessible..)

12. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par yves cadiou

Pour apporter un début de réponse à votre interrogation sur la faisabilité : l’ASMP, qui pèse 840kg, est certainement adaptable sous hélico. Le choc de départ est probablement supportable : les Argentins dans les années 80 avaient adapté le missile exocet sous hélico. On peut toujours étudier le système. Autre idée : on peut certainement mettre une tête nucléaire dans le missile barracuda. L’idée de base de la dissuasion, c’est qu’un conflit qui menacerait la survie de la France deviendrait à coup sûr nucléaire et concernerait tout le monde de ce fait.

L’expression « dissuasion du faible au fort » a longtemps obscurci le débat et il l’obscurcit encore aujourd’hui en laissant entendre qu’il s’agit seulement d’un dialogue : d’un côté un petit (nous) qui tient une grenade dégoupillée à la main, de l’autre un grand méchant qui veut tuer ou asservir le petit ; le petit dit « si tu me tues ou me chatouilles, je lâche la grenade et nous mourons tous les deux ». En fait, ce n’est pas si simple : le petit et le grand ne sont pas au milieu d’un désert mais dans une pièce fermée qui est la planète. Autour d’eux, il y a d’autres grands ou d’autres plus ou moins grands qui entendent le dialogue, qui ont peur de mourir aussi et qui disent au grand méchant « maintenant tu arrêtes sinon on va s’occuper de ton cas ». La dissuasion à la française est faite non seulement pour dissuader l’agresseur mais aussi (et surtout) pour persuader nos alliés d’intervenir à notre profit.

13. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par yves cadiou

@ Nono (commentaire n°11) L’overkill, comme vous dites, est un fondement de la dissuasion à la française, c’est-à-dire gaullienne : « si la France est menacée de mort, alors elle déclenche la fin du monde parce que la Civilisation n’a plus de raison d’être si la France n’est plus ».
C’est de l’overkill absolu.

Mais ce qui est intéressant et productif, c’est le corolaire : « par conséquent, tous ceux qui ne veulent pas être victimes de la fin du monde ont intérêt à sauver la France ».
Compte tenu de ce raisonnement, dont on perd trop facilement de vue l’originalité et l’efficacité, une arme dont les essais montrent qu'elle se plante lamentablement un coup sur 2 est crédible si on en balance une palanquée.

14. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par

@ Yves Cadiou

Les exocets n'ont pas plutôt été montés sur des Learjets pour les Malouines ? C'est du moins ce qu'affirme P. Clostermann dans ses mémoires. J'ai pas souvenirs que des exocets aient été livrés après les Malouines parce que déjà avant la France avait bloqué l’exécution du contrat avec l'Argentine.

Le Pluton était-il vraiment pensé comme un missile atomique ou plus comme une grosse bombe avec un bel effet sur 4/5 km de rayon (avec des vrais morceaux de désorganisation) où les concentrations de blindés seraient spécialement visés ?

15. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par yves cadiou

@ Spurinna (commentaire n°14) : pour les exocets argentins, je ne sais plus exactement (ce n’était pas du tout ma spécialité). J’ai seulement retenu que l’on pouvait faire des assemblages plutôt inattendus.

Pour ce qui concerne le Pluton, c’était l’ambiguïté même : considéré officiellement comme une arme de champ de bataille pour interdire à l’ennemi de concentrer ses blindés (le « rouleau compresseur russe »), le Pluton avait en fait une signification stratégique tacite. A l’époque nous avons vraiment fait comme si nous nous apprêtions à utiliser le Pluton en appui de nos troupes : un tir (évidemment fictif) était programmé dans tous les exercices sur le terrain et dans tous les exercices en salle. Il reste que c’est dans les années soixante que la décision de construire le Pluton avait été prise par Charles de Gaulle, en apparente incohérence avec l’ensemble de la doctrine de dissuasion jusque là en vigueur : en léguant à ses successeurs une arme dite « de théâtre » (appellation très anodine, n’est-ce pas), Charles de Gaulle facilitait la nucléarisation d’un conflit qui menacerait l’existence de la France. De ce fait un conflit en Europe concernerait toute la planète et nos alliés ne pourraient pas rester à l’écart. Le Pluton rendait improbable en Europe un « mid intensity conflict » ruinant la puissance économique que le Vieux Continent devenait de plus en plus depuis 1957.

16. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par Jean-Pierre Gambotti

L’apparente simplicité de notre concept de dissuasion nucléaire laisse croire au quidam à la tête bien faite qu’il peut s’en emparer, mais je crains que débattre de la dissuasion en « honnête homme » ne conduise à une impasse dialectique, car la synthèse, quand les arguments sont plus proches de la passion que de la logique, est un exercice impossible. En effet la dissuasion nucléaire est une problématique qui pousse l’individu peu averti dans une approche intuitive et binaire, je veux dire de l’ordre du crédo : croire ou ne pas croire à l’interdiction de l’agression par la menace d’une destruction mutuelle assurée, pour se mettre dans le schéma paroxystique. Mais croire n’est pas penser, et puisque sans synthèse il n’y pas ce mouvement vers la vérité qui fonde justement cet art de la dialectique, beaucoup de débats sont vains.
Après ces quelques mots je ne me lancerai surement pas dans le débat, mais je ferai deux remarques de portée très inégale.
La première concerne précisément notre concept de dissuasion nucléaire et je ne fais pas dans le dithyrambe en disant que c’est dans ce domaine que nous avons eu nos penseurs militaires les plus brillants de l’après-guerre, ceux-là même qui ont construit un concept adapté aux besoins strictement français de la défense de nos intérêts vitaux, mais s’intégrant parfaitement, selon l’occurrence, à un engagement allié en Centre-Europe avec emploi ou sans emploi du feu nucléaire. J’invite tous les fervents d’egea à la lecture des ouvrages de nos « généraux nucléaires » mais aussi à la lecture des publications de l’époque de la guerre froide sur le sujet - la RDN notamment, je crois très sincèrement que la pensée stratégique française n’a jamais été aussi éblouissante qu’au cours de cette période. Quant à la documentation doctrinale, par son intelligence stratégique, son pragmatisme, son exhaustivité et sa qualité rédactionnelle elle est pour moi l’archétype de ce qu’est capable de produire l’état-major français dans son meilleur.
Ma deuxième remarque est pour répondre sur le nucléaire pré-stratégique français, et cette formule est déjà une réponse ! A ce niveau du nucléaire aussi il faut se garder du simplisme, de l’approximation ou de connaissances un peu érodées par le temps. D’abord rappelons qu’avant le système d’armes Pluton des unités terrestres françaises servaient une arme nucléaire d’origine américaine de portée …30 kilomètres( !), dans un environnement totalement nucléarisé, à l’ouest et à l’est et je ne rappellerai pas, pour éviter toute terreur rétrospective, le nombre d’armes de toutes puissances concentrées sur ce bout du bout de l’Europe. Contrairement aux uchronistes et aux contempteurs du Pluton, je pense que c’est l’avènement de ce système d’armes qui a permis d’optimiser notre concept stratégique de dissuasion nucléaire national crédibilisé justement par l’existence sur le théâtre d’une arme qui permettait de résoudre l’alternative décrédibilisante « du tout ou rien ». Je terminerai en insistant sur le découplage absolu qu’il existait entre la manœuvre du corps de bataille et l’engagement des feux nucléaires Pluton et Jaguar, pour faire court, l’arme nucléaire pré-stratégique étant une arme de nature politique dont l’emploi était confiné strictement et absolument dans une logique politico-stratégique. L’art du tacticien étant, en l’occurrence, d’anticiper des géométries de frappes adaptées à la manœuvre qui pourraient avoir aussi une efficacité tactique.
« Ultima ratio regum », cette formule qui semble avoir été inventée pour la dissuasion nucléaire et qui fut traduite excellemment « la dissuasion, c’est moi !» , par le président Mitterrand, montre que l’on peut adopter les systèmes d’armes nucléaires les plus extravagants, à condition que le « contrôle politique » puisse se faire jusqu’à l’ultime.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

égéa : le nucléaire comme arme fondamentalement politique, et fondamentalement pas militaire ! Et pour revenir à Beauffre (que je relis en ce moment), on est dans la stratégie générale et non dans la stratégie militaire, même s'il est probable que seuls des stratégistes (souvent militaires, mais pas uniquement) s'en préoccupent.

17. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par Christophe Richard

Bonjour, je n'ai pas connu la période que mentionne Jean-Pierre Gambotti, puisque à cette époque, je faisait mes classes... maternelles.
Néanmoins, j'ai lu entre autres choses "l'essai sur la non bataille" et "notre défense dans un monde en crise" (général Forget).
Il me semble que cette période a connue des débats sur l'idée d'un nucléaire tactique, envisagé au moins jusqu'aux années 70 comme une arme à la fois liée à la bataille aéroterrestre, et de signification ultime. C'est d'ailleurs la confusion que dénonce Brossolet dans son livre.
Peut-être pourrez-vous m'éclairer sur cette période et les nuances de ce débat?
Bien cordialement

18. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par yves cadiou

Jean-Pierre Gambotti nous dit « qu’avant le système d’armes Pluton des unités terrestres françaises servaient une arme nucléaire d’origine américaine ». Sans aucun doute nous servions ces armes américaines sans disposer de l’initiative de leur emploi.

Le Pluton était une arme tactique dont nous détenions seuls la clé à l’exception de la détection des objectifs parce que nous manquions de moyens d’observation. Le manque de moyens pour détecter les objectifs était un problème essentiel tactiquement mais non essentiel stratégiquement.
Le Pluton changeait tout dans le domaine stratégique parce qu’alors la France acquérait le pouvoir de transformer un conflit infra-nucléaire (mid intensity conflict), très destructeur pour l’Europe comme l’avait été la II°GM, en conflit nucléaire par lequel nos alliés ne seraient plus seulement concernés mais dans lequel ils seraient impliqués. On peut traduire l’expression américaine « mid intensity conflict » par « conflit extrêmement destructeur mais qui ne touche pas le territoire des Etats-Unis ».

Si aujourd’hui ou demain il y a en France des débats sur le nucléaire, il ne faudra pas oublier que l’arme nucléaire sert aussi à ça : impliquer dans un conflit tous ceux qui voudraient rester à l’écart en comptant les points.
Grâce à l’arme nucléaire, il n’y a plus de troisième larron.

égéa : plus de roi de Prusse ?

19. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par Jean-Pierre Gambotti

Dans mon précédent commentaire je voulais souligner qu’un débat sur le nucléaire français, au risque de se perdre, devait prendre en considération les pionniers, concepteurs et stratèges de « l’atome » : Ailleret, Beaufre, Gallois, Poirier. Mais l’abondante et excellente littérature produite sur le sujet pendant la guerre froide- je constate que l’intérêt sur la dissuasion s’est bien estompé depuis la dissolution du Pacte- fait partie du corpus. Ma remarque à propos du système Pluton avait pour objet de rappeler que le concept français ne se divise pas, et que dans le domaine de la dissuasion où les mots portent la pensée et que « la pensée est action », selon les mots du général Gallois, nous avons failli dans la sémantique et la communication. Ainsi parler du Pluton comme une arme du champ de bataille était une erreur et les nombreux changements de dénomination de cette arme, d’ANT – arme nucléaire tactique, à ANP- arme nucléaire préstratégique, en passant par AUA- arme d’ultime avertissement, montrent bien la nécessité pour le politique de signifier clairement à l’agresseur potentiel l’existence du couplage entre les armes nucléaires de théâtre et les armes nucléaires stratégiques. Mais pour être très clair ce concept de couplage ne signifie pas une automaticité dans le déclenchement des feux nucléaires stratégiques. Dans le dialogue nucléaire entrepris entre les deux parties, la partie vive de la dissuasion, l’emploi du préstratégique doit faire comprendre à l’agresseur que le combat a changé de nature et que s’il n’arrête pas son offensive, le stade suivant est d’ordre apocalyptique. Le préstratégique joue dans cette occurrence le rôle d’une arme de restauration de la dissuasion. Comme on peut le constater, les systèmes d’armes nucléaires sol-sol et air-sol n’ont pas pour mission d’appuyer la manœuvre du corps de bataille, ils sont un outil et un argument dans « la dialectique des volontés » pour interdire le conflit, ou, s’il est engagé, pour l’interrompre et revenir à la situation ante.
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

20. Le samedi 29 octobre 2011, 21:34 par yves cadiou

Tout à fait d’accord avec Jean-Pierre Gambotti, je me permets d’ajouter à son commentaire n°16 que le raisonnement qui fonda solidement notre dissuasion est encore plus valable aujourd’hui qu’autrefois à cause d’un élément nouveau : le public, partout dans le monde, est devenu beaucoup plus sensible au danger nucléaire.

Dans les années cinquante et soixante, les deux « grands » faisaient à qui mieux-mieux des expérimentations extrêmement polluantes sans que le public s’en émeuve. Aujourd’hui au contraire, des accidents nucléaires successifs (Three Mile Island 1979, Tchernobyl 1986, Fukushima 2011) ont créé beaucoup d’émotion et d’inquiétude alors qu’ils étaient beaucoup moins polluants que les essais d’autrefois.

Par conséquent la menace de nucléariser un conflit devient d’autant plus efficace de nos jours parce que, si elle est brandie, le public des pays qui ne sont pas partie au conflit se considérera comme menacé lui aussi et exigera de son gouvernement qu’il intervienne pour mettre fin au risque d’un échange nucléaire.

C’est probablement cette efficacité renouvelée qui incite une petite poignée de personnes en fin de potentiel à plaider, tardivement, pour la diminution voire l’abandon de l’armement nucléaire français. C’est pour le même motif, l’efficacité accrue de la menace, que nous ne devons en aucun cas abandonner cet armement. De plus il faudrait bien réfléchir à la méthode et au discours avant d’opérer une diminution de capacité qui serait interprétée comme une promesse et un premier pas vers une dénucléarisation complète de notre arsenal.

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