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Espace lacunaire et global commons

Hier, au colloque, il y a eu pas mal de débat autour de la notion de milieu : quelle était la référence adéquate pour permettre de penser le milieu cyber ? Et inévitablement, un intervenant a évoqué les "global commons", ces "espaces communs" (mer, air, aérospatial, cyberespace) selon la catégorisation venant des États-Unis et, tout particulièrement, d'ACT.

source

Joseph Henrotin a de même évoqué la notion d'espace lisse : celui-ci est issu d'une catégorisation proposée, en son temps, par le philosophe français Deleuze (voir éléments de définition ici), qui opposait des espaces lisses aux espaces striés. Et par esprit d'escalier, je me suis interrogé sur ces notions et leur application à la stratégie.

1/ En effet, un espace lisse n'est pas un espace "strié", c'est-à-dire rempli d'obstacles et de frictions. L'exemple le plus abouti d'espace strié est l'espace terrestre, ce qui explique la "complexité" et l'imprédictibilité de la manœuvre stratégique en son sein, surtout si on y ajoute la couche humaine, celle des populations/habitations/représentations, perçue de façon plus nette depuis la prise de conscience de la guerre asymétrique.

2/ A l'inverse, des espaces lisses permettraient des manœuvres beaucoup plus fluides à cause justement de l'absence de ces résistances. C'est discutable, probablement, mais je ne m'attarderai pas là-dessus.

3/ Il m’intéresse en effet de revenir sur l’assimilation des espaces striés à l'espace terrestre : souvenez-vous, la grande innovation conceptuelle des années 1990 avait été celle d'espace lacunaire. Là encore, une notion tirée de la physique théorique (l'essentiel de l'espace est "rempli" de vide, avec donc peu de matière), et transposée au débat stratégique. Cela signifiait la disparition de la structure de "fronts" qui avait été l'essentiel de la bataille, au cours des générations. Désormais, la discontinuité des dispositifs était structurelle, et seuls quelques éléments discontinus permettaient d'agir localement, en fonction de la mission ou de l'effet recherché (une approche sur les effets avant l'heure), ce qu'on avait aussi appelé "manœuvre vectorielle".

4/ Or, j'ai le sentiment que cette "lacunarité" de l'espace est une donnée partagée par les global commons avec le milieu terrestre. Les premiers ne seraient donc pas si différents du second, du moins tel qu'on le pratique aujourd'hui.

Et du coup, la comparaison obligée du cyber avec l'espace maritime n'irait plus autant de soi.

Quelques idées émises, sans assurance.....

Réf : on se reportera bien évidemment au billet de Stent sur les espaces lacunaires stratégiques.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mercredi 30 novembre 2011, 19:39 par

Je comprends rapidement la notion d'espace strié et d'espace lisse. Je ne reviens pas sur l'espace strié.

L'espace maritime serait lisse puisque insusceptible de propriété, permettant la liberté de manoeuvre. Les différentes normes juridiques qui régissent les mouvements dans cet espace sont plutôt d'ordre psychologique. Les vraies limites de cet espace, ce sont les côtes.

Quid du cyberespace ? Je n'ai pas encore eu le temps de me pencher sur les notions d'espaces lacunaires et de global communs (la même chose). Mais il me semble que le cyberespace transcende les milieux puisqu'il en est devenu le liant commun. Pourtant, comme dans l'espace maritime, il a ses détroits, ses goulots d'étranglements qui sont les espaces qu'il faut contrôler (ou pas).

L'espace maritime me semble bien trop réducteur : le cyberespace n'a pas de frontières terrestres puisqu'il va partout. Pis, l'espace maritime est un milieu particulier, autour d'un milieu particulier : la terre. Le cyberespace, je me répète, relie tout les milieux. Il a donc la faculté de s'affranchir des obstacles physiques.

Peut-on surveiller un goulot d'étranglement dans le cyberespace comme on surveille un détroit à la mer ? Non, le trafic est trop immense. Les dommages trop grand si l'on coupe la communication (en mer, c'est envisageable).

2. Le mercredi 30 novembre 2011, 19:39 par Christophe Richard

Bonjour, ce qui est compliqué dans cette notion de "milieu", c'est qu'elle mèle des éléments matériels et des éléments immatériels.

De l'intérêt de synthétiser ces approches autour de l'idée de système et d'effet, et par conséquent de la nécessité d'un niveau de synthèse de mise en œuvre (opératif) pour intégrer l'action des composantes chargées de contribuer à produire ces effets.
Ainsi, l'action dans le cyberespace peut relever du ciblage, ou des opérations d'information.
Mais je crois que les difficultés actuelles de ce domaine tiennent surtout à l'organisation technique et humaine d'une nouvelle capacité qui se militarise à une époque où la puissance politique souffre d'un complexe dans l'usage de la force.
Pour Deleuze appliqué à la stratégie, il est prudent de ne pas chercher à sortir du champ de la philosophie politique. Les tentatives notamment israéliennes d'investir le tactique avec une interprétation des théories postmodernes posent plus de questions qu'elles n'apportent de solutions convaincantes.
Donc, mieux vaut s'en tenir aux rapports entre la machine de guerre et l'Etat.

Bien cordialement

3. Le mercredi 30 novembre 2011, 19:39 par Daniel BESSON

Bonjour ,
Je reviens encore une fois sur votre illustration de l' " espace lacunaire " dans la mesure ou elle traduit bien le caractère " flou " des discontinuités que vous évoquez .
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ensemb...
http://fr.wikipedia.org/wiki/Logiqu...
Les " fronts " disparaissent , amaha , non pas de manière brutale( discontinue ) mais continue .
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichie...
Il existe ainsi des situations , des domaines , des espaces géographiques physiques ou c'est " ni la guerre , ni la paix " et qui peuvent avoir une influence sur les régles d'engagement .

Cordialement
Daniel BESSON

égéa : oui, c'est exactement celà : j'en viens à énoncer la notion d'espace stratégiques fluides, qui me semble à la racine de l'explication de notre monde.

4. Le mercredi 30 novembre 2011, 19:39 par Jean-Pierre Gambotti

L’interdisciplinarité est une approche très féconde pour les idées et peut-être que d’en appeler à Deleuze pour « achever » (i.e. parfaire), Clausewitz permettra à certains d’avancer dans la problématique de la cyberstratégie ou de la cyberguerre. Pour ma part j’ai lu avec beaucoup d’intérêt les définitions "d’espace lisse" et "d’espace strié" sur Caute@lautre.net , mais je m’interroge sur mon aptitude à mieux comprendre la guerre après cette incursion dans la philosophie !
Je me permettrai néanmoins une remarque d’autant plus péremptoire que le domaine m’est intellectuellement incertain : si l’on accepte ce concept du "lisse" et du "strié", l’espace de la guerre, quelle que soit sa forme, est nécessairement "strié", ou plutôt le passage de la paix à la guerre, par la nécessaire polarisation qu’il impose, transforme l’espace "lisse" en espace "strié" qui est l’univers naturel et unique de la guerre. Le "strié" est, ce faisant, un produit étroit et limité du "lisse" et je crois ne pas trahir la pensée de Deleuze. Mais à mon sens nous ne devons nous laisser abuser par la terminologie, le "lisse" n’a rien à voir avec l’absence de rugosité et "l’espace" ne s’inscrit pas que dans des repères cartésiens, je crains en effet que Deleuze ne soit pas un mécanicien.

Ainsi la friction à la guerre n’est pas que dans le frottement mécanique, elle est aussi dans l’immatériel, pour user du vocabulaire opérationnel. Prenons, pour faire court, la problématique du respect de l’intention du chef jusqu’à l’échelon le plus élémentaire : il s’agit d’un produit du "noos" qui doit être compris et répercuté par le "noos" aux différents échelons, d’évidence la première friction à la guerre est bien dans la détérioration de la qualité de ce message fondamental destiné à l’action.
Beaucoup de disciplines peuvent concourir à faire progresser la stratégie, mais je crois improductif de manipuler des concepts isolés.
Très cordialement
Jean-Pierre Gambotti

5. Le mercredi 30 novembre 2011, 19:39 par

Une simple remarque, Olivier, sur les "Global Commons" : j'aime beaucoup la définition de l'OCDE dont la traduction française la plus proche du concept est "Bien Public mondial" (voir travaux de l'IRSEM sur le sujet).

Ce bien ("Asset") peut être matériel comme le milieu marin (tiens tiens :) l'air ou l'eau ou immatériel. Dans ce dernier cas, la notion de "patrimoine immatériel" (= information), coreligionnaire au cyberespace, permet d'adresser ce domaine incertain (dans ses frontières) comme partie du patrimoine commun de l'humanité (infrastructures de transport des données = neutralité, personne ne s'y attaque pourrait être une règle intangible) et, évidemment, comme espace stratégique.

égéa : Oui, je comprends. Mais en fait, tu introduis là une autre dimension, car avec "bien commun de l'humanité", on renvoie implicitement à la biosphère. Or, elle n'est pas pensée géopolitiquement ou stratégiquement, jusqu'à présent. Je en suis pas hostile à creuser, mais on arrive alors à autre chose.... me semble-t-il. J'avoue avoir une opinion très peu formée sur la question, à part quelques intuitions...

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