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Havel, Kim et le rôle de l'individu

Le décès simultané de deux "personnalités politiques", le Tchèque Vaclav Havel et le nord-Coréen Kim Jong-Il, amènent à interroger le rôle géopolitique de l'individu : En ce sens, la superposition médiatique des deux événements suggère une analogie qui est trompeuse.

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1/ Ils étaient ou ont été tous deux des chefs d’État, et pendant de longues années. La différence entre eux ne tient pas à ce que l'un dirigeait un régime démocratique, et l'autre une dictature. Du moins, pas exactement.

2/ Vaclav Havel est un individu, devenu par hasard et par les circonstances un homme politique, et un homme d'Etat. Sa démarche individuelle réussit à agréger autour de lui une forme politique, qui finalement est portée au pouvoir. Lui qui a longtemps disserté, en intellectuel, sur la dépossession du pouvoir, le reçoit sans l'avoir voulu. Lui a fait l'histoire.

3/ D'une certaine façon, Kim Jong-Il aussi a reçu le pouvoir sans l'avoir voulu. Mais lui, ce ne fut pas par hasard, ce fut par héritage. Mais même cette formule est maladroite car elle suppose une vision patrimoniale du pouvoir, qui fait référence à notre histoire monarchique. En cela, il est inapproprié de parler de "dynastie" à propos du cas nord-coréen. En effet, on a le sentiment que l'individu qui symbolise le pouvoir n'est rien, qu'il n'est que la balle de ping-pong qui danse au sommet du jet d'eau (c'est un peu la même chose s'agissant de Bachar Assad). La réalité du pouvoir est ailleurs, initialement dans un parti révolutionnaire, depuis dans une oligarchie militaire qui met en scène cette transmission du pouvoir. Kim a subi l'histoire.

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4/ La notion de mise en scène est une autre coïncidence : a-t-on remarqué que Havel était un homme de théâtre, quand Kim était un cinéaste ? Je ne fais pas allusion au culte de la personnalité, mais à l'adaptation de celui-ci aux spécificités coréennes, collectives et baignées d'une religiosité immanente.

5/ Ainsi, Havel dirigeait sans le vouloir, quand Kim ne dirigeait pas. J'étais frappé ce soir par les commentaires à propos du fils de Kim, Jong-un : les uns et les autres affirmaient qu'il lui faudrait du temps pour installer son pouvoir, suggérant là une vision monarchique de celui-ci, vision qui me semble décalée et obsolète. En revanche, en tant que symbole, il prendra du poids et gagnera en influence dans le système collectif de régulation politique. Mais on est là bien loin de l'individualisme tchèque, qui est furieusement occidental.

6/ Ce sont donc deux symboles qui sont, effectivement, disparus. L'un représentait le triomphe de la libération de l'individu, l'autre la suprématie de la régulation collective.

Par leurs différences, ils partagent bien plus de point communs que la simple date de leur décès. Et illustrent la part, relative et contingente, de l'individu : ici un facteur essentiel de la géopolitique, là un artifice qu'on aurait pu remplacer par un autre. Ici sujet, là objet. Mais jamais totalement neutre. L'individu est un "facteur" de la géopolitique.

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 19 décembre 2011, 21:39 par yves cadiou

Votre coup de projecteur sur deux personnages significatifs et votre interrogation sur le rôle de l’individu conduisent à se poser la question que l’on entend en ce moment sur les écrans qui bougent et qui parlent : quel(le) est l’homme / la femme de l’année 2011 ? La réponse est souvent très pipol mais ici on peut tenter une réponse géopolitique. Ma proposition sera le cas échéant contestée ou complétée.

La femme de l’année 2011 c’est, collectivement, la Tunisienne. Bien que je n’en connaisse aucune personnellement et que l’on manque du recul du temps pour en juger, j’ai la conviction que sans elle le Printemps arabe n’aurait pas eu lieu et aurait mal tourné d’abord en Tunisie où il a débuté. Dans certains pays le Printemps a mal tourné avec des excès, voire de la cruauté, du côté des rebelles ou de la répression. Dans ces pays excessifs, les femmes avaient beaucoup moins parlé qu’en Tunisie.
Le mérite de la Tunisienne, c’est d’avoir montré que l’Islam est compatible avec l’égalité des droits homme-femme, notamment l’égalité politique. Peut-être la démonstration avait-elle déjà été faite dans d'autres pays musulmans, mais de façon moins visible. C’est une démonstration qui nous intéresse non seulement à titre de principe général mais aussi pour notre propre paix civile en France.

L’homme de l’année 2011 se situe dans un tout autre registre : c’est l’Empereur du Japon. Il a superbement incarné la Nation japonaise en s’inclinant, sans falbalas ni tapage, devant une famille de victimes de Fukushima. C’était certes une mise en scène mais d’une sobriété impressionnante pour un geste hautement symbolique.

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