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Les Américains ont-ils déjà gagné une fois ?

A la suite du retrait américain d'Irak, et après avoir lu cet article, un correspondant (PLL, merci à lui) m'envoie une interrogation, et je devine déjà qu'elle suscitera l'enthousiasme de Jean Phi Immarigeon et les rétorques de Laurent Henninger : Au fond, les Américains ont-ils réellement gagné une victoire dans l'histoire militaire ?

O. Kempf

source (la bataille de Tippecanoe, 1812)

PLL :

Ce qui m’amène à me poser une question: est-ce que les Américains ont gagné une seule fois depuis 1945?

Et de là, j'arrive à une autre question qui trouve son écho dans le livre de Liddel Hart "Les généraux Allemands parlent" (fiche de lecture): est-ce que sont les Américains qui ont gagnés 1945 où les Allemands qui ont perdus?

En gestion qualité, on dit souvent que le pire n'est pas de rater. Le pire c'est de réussir sans savoir pourquoi. Car là, on est "super contents", et on va "mettre le paquet" pour en fin de compte échouer lamentablement...

Débarquement le 6 juin 1944. Libération de Rennes le 4 aout 1944. Arromanche -> Rennes? 200km....

La machine de guerre Américaine, avec ses milliers d'hommes, d'avions, de chars, de matériel en tout genre a mis 2 mois pour faire 200km alors qu'en face le Mur de l'Atlantique n'est pas fini, que les réserves de Panzer sont à des centaines de kilomètres et que les délires d'Hitler enlise une grande partie de l'armée sur le front l'Est.

Le résultat ne serait-il pas une simple illusion? En fait, les Américains ont-ils gagné par la puissance matériel ou ont-ils gagnés parce que les Allemands n'y croyaient plus? Or, à croire que l'on a gagné d'une certaine manière, on va en arriver à penser que c'est LA solution. On en arrive à penser qu'il va suffir de tapisser le Vietnam avec du napalm et le tour sera joué. Idem pour l’Afghanistan et l'Irak.

Je note aussi que dans son livre "La discorde chez l'ennemi", De Gaulle prend plus de recul sur Moltke que le Général Desportes dans "Décider dans l'incertitude". L'avis du Général Desportes, c'est que Moltke est un grand chef qui a commandé "par objectif" contre les Autrichiens (1866) puis contre les Français (1870) et que "ça marche". Le Général Desportes semblent considérer l'échec de Von Kluck (1914) comme une simple erreur. A l'inverse, De Gaulle me semble plus lucide: Moltke sait, au fond de lui même, qu'il faut laisser de l'initiative. Mais il ne sait pas comment l'expliquer car ses généraux n'ont pas été formés dans cet esprit. L'état major Allemand confond donc le commandement par objectif avec "faites comme vous voulez".

La réussite de l'attaque contre les Autrichiens en 1866, fait croire que "ça marche". Et Moltke poursuit dans cet esprit en 1870 contre les Français. A nouveau, cela semble fonctionner. Mais il me semble que nous sommes dans le pire cas: ça marche, mais dans le fond, on ne sait pas trop pourquoi. Ce que fait Von Kluck en 1914 n'est pas de la désobéissance. Il ne fait que reproduire la même chose qu'en 1866 et 1870. Sauf qu'il reproduit une recette qui n'a fonctionné que par chance. Et en 1914, la malchance de Kluck se nomme Joffre. Mais Joffre aurait été là en 1866, la "méthode Moltke" aurait échouée. En tout cas, c'est mon avis.

Je pense donc que nous ne sommes pas là face à un problème de mode d'action, mais face à un problème de compréhension.

Le commandement par objectif, cela fonctionne. Mais à condition de former le personnel dans ce sens.

PL L

Commentaires

1. Le mardi 20 décembre 2011, 19:58 par Midship

il n'empêche que la guerre, ça ne se laboratoirise que peu. Le terrain commande, le brouillard, tout ça tout ça. Donc ce qui est valable en assurance qualité ne l'est pas forcément en guerre. La reproduction des schémas n'est pas toujours pertinente, partant il est utile de se concentrer sur l'évènement ponctuel d'une guerre, et donc il vaut parfois mieux gagner sans savoir pourquoi. N'avais-je pas lu ici il y a peu "seule la victoire est belle ?". Au fond, peut-on jamais expliquer une victoire ou une défaite ?

2. Le mardi 20 décembre 2011, 19:58 par Jean-Pierre Gambotti

Pourtant la conclusion de PL L est selon moi dans le droit-fil de la pensée de Moltke l’Ancien citée par Desportes, à la guerre un objectif et une « communauté de culture militaire et de doctrine d’emploi » sont nécessaires ». Et je ne vois pas, d’ailleurs, la moindre distorsion avec l’Auftragtaktic, génétiquement moltkienne me semble-t-il, preuve que la stratégie doit être longuement méditée avant d’être critiquée, mais je ne suis pas expert.
Cette remarque me remet à l’esprit mon échange électronique avec Nicolas B. sur la validité du concept de centre de gravité clausewitzien. Personnellement je crois que dans l’esprit de l’école prussienne, l’objectif, le foyer vers lequel doivent se concentrer toutes les forces amies malgré et à cause aussi du brouillard de la guerre, n’est ni le Ziel, ni même le Zweck, mais le Schwerpunkt, ce centre de gravité à présent contesté dans nos nouveaux états-majors. Pour faire dans l’uchronie, moi aussi, je dirais que si Von Kluck avait eu connaissance de l’idée de manœuvre de Schlieffen non retoquée par Moltke le Jeune, la face de la guerre en eut été changée car il n’aurait peut-être pas négligé la capacité manœuvrière de l’armée française….
Je reviendrais aussi sur le titre de l’ouvrage de Desportes " Décider dans l’incertitude" qu’Olivier Kempf avait trouvé redondant dans un de ses billets. Je trouve également plus que tautologique cette formule qui laisse supposer "a contrario" que la décision pour l’action de guerre pourrait être prise parfois dans la certitude. Pour faire dans la démarche orwellienne et la novlangue, je dirais que pour ce titre "Décider" suffirait…
Pour terminer je ferais un vœu : voir "Introduction à la pensée complexe" d’Edgard Morin dans le corpus des ouvrages proposés à la lecture des candidats au concours du CID. Car le complexe est notre métier, le système notre domaine et le linéaire incontestablement l’exception. Très immodestement je rappellerais que dans un billet déjà ancien, je rapprochais Bertalanffy et Clausewitz, et je suis stupéfait que l’on bafouille encore le cartésien, alors qu’à la première approche de la théorie du système général et eu égard aux expériences afghanes et irakiennes, on comprend immédiatement que c’est de notre univers dont il s'agit, "ce lieu de l'incertain et de l'aléa, du jeu multiple des interactions et des rétroactions".
Pour revenir à Edgard Morin cette seule pensée citée par Desportes dans "Décider dans l’incertitude" nécessiterait que le candidat stratège ait notre sociologue et philosophe dans sa besace : « Si l’ignorance de l’incertitude conduit à l’erreur, la certitude de l’incertitude conduit à la stratégie » et ce faisant à la systémique !
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

égéa : Bon, on a qq petits trucs en commun, vous et moi. Plus sérieusement, il me reste à déterminer (entre autres) :

- si Morin c'est du Bertalanffy plus, et si, au fond, cybernétique, systémique et pensée complexe sont la même chose ou des approches différentes et en quoi.

- De quelle œuvre de Morin est la citation de Desportes, car je ne l'ai pas trouvée dans l'introduction

- si le Schwerpunkt ressemble à l'effet majeur, et si l'EM est complexo-compatible. Autrement dit, quelle aide réelle à la décision, et pas seulement la décision dans la guerre (ou du moins, dans la guerre traditionnelle qui est le seul cadre de Desportes).

3. Le mardi 20 décembre 2011, 19:58 par

Et bien la réponse, je l'ai effectivement, mais elle ne vient pas de moi, puisque comme chacun sait, lorsqu'il s'agit de casser du sucre sur le dos des Américains, nous sommes de petits joueurs au regard de nos amis Britanniques.

Or donc il y a fort longtemps de cela, je discutais dans un café de Berkeley avec un professeur Made in Oxford de l'intervention française dans la guerre d'Indépendance, et comme je l'ai un jour mis dans mon blog, il s'amusait que les Français aient fait alors une grosse bêtise, me disant en substance : vous nous en avez fait baver pendant 3 ans, mais vous, les Américains vous en font baver depuis deux siècles et dans deux siècles d'ici ils vont en voudront encore de leur liberté et surtout d'avoir gagné leur guerre qu'ils étaient totalement incapables de gagner seuls.

Et la discussion est alors partie sur ta question : les Américains ont-ils jamais gagné seuls une guerre ? On a fait le tour, on n'a rien trouvé : quand ils sont seuls, sans alliés, et quand ils ne s'agit pas de raser des villages indiens ou de violer quelques mexicaines ou irakiennes, ils se prennent une raclée ou, au mieux, finissent sur un match nul.

Et brusquement je vois mon British sourire, son regard briller : ah si, il y a une guerre qu'ils ont gagné seuls comme des grands ! J'attends la vacherie, elle arrive au bout de quelques secondes :

Leur guerre de sécession (civil war) !

A toi, Laurent...

4. Le mardi 20 décembre 2011, 19:58 par Laurent

Bien sûr !! Les USA n'ont jamais rien gagné. D'ailleurs, c'est bien connu : ils ne sont jamais qu'une nation de quinzième ordre, quelque part entre le Malawi et le Honduras.
Soyons sérieux. Ce débat a quelque chose de ridicule. Il me rappelle les inepties écrites par John Keegan dans la préface à l'une des éditions de son "Anatomie de la bataille". Il écrivait ainsi que la France était un pays qui avait toujours perdu ses guerres et ses batailles. Outre le "jingoisme" ignominieusement raciste du propos, cette affirmation était tout simplement grotesque : si la France était une telle nation de "losers", comment donc existe-t-elle encore ??? On peut appliquer le même raisonnement au présent débat.
Je trouve ainsi pathétique et assez minable cette tendance française à mépriser la puissance américaine. Dieu sait que je suis un contempteur de leur impérialisme et de leur projet universel de civilisation, mais force est bien de reconnaître que 1. ils sont bel et bien une puissance, et 2. ils ont un projet de civilisation, même dégueulasse, alors que l'Europe n'est plus, comme le dit Philippe Forget, qu'une "ruine herméneutique"...
Quand aux propos de Midship, désolé, mais cet anti-intellectualisme poujadiste n'est que la marque d'un refus de toute pensée. Bravo pour cette régression infantile qui nous fait revenir au Moyen Age ! C'était bien la peine que l'Occident passe cinq siècles à bâtir un corpus philosophique et théorique.

5. Le mardi 20 décembre 2011, 19:58 par

Hello. Je ne peux que soutenir les propos de Laurent, tant les arguments précédents relèvent d'une mauvaise foi, d'une vision raciste et d'un réflexe franchouillard méprisables. La simple question "Les US ont-ils déjà gagné une guerre seuls ?" me fait penser à ces concours de taille de pénis entre gros bras décérébrés dans certains vestiaires et en dit long sur les complexes et la jalousie maladive de certains apprentis stratèges français.
En ce qui concerne les épouvantables exactions commises par les GI's ici et là, il ne s'agit pas de les nier (au contraire), mais il s'agit aussi de se souvenir de ce que nos propres troupes firent à Madagascar, en Afrique du Nord, voire en Allemagne. Fils d'un vieux colonial et lecteur privilégié des archives de nos commandos de chasse, je crois pouvoir affirmer que viols et pillages n'ont pas été l'apanage des seules troupes US. Il y a une quinzaine d'années, certaines unités de l'armée allemande qui s'apprêtaient à partir dans les Balkans avaient même été filmées lors d'entraînements au viol...Et je ne parle pas de la glorieuse armée russe, dont il faut saluer l'exemplaire fair play à l'égard des populations civiles.
Il y a quelques mois, j'ai osé évoquer (et je persiste, évidemment), l'apport des USA à nos propres victoires au 20e siècle. (bon, quand je dis victoires, je me comprends, je ne vois que 1918, 45 relevant de l'escroquerie et du mythe gaulliste). Posons la question autrement : depuis deux siècles, voire trois, la France a-t-elle gagné une seule guerre seule ? Je ne remets en cause ni le courage ni le sacrifice ni la justesse des causes, je pose la question en épicier : combien de victoires seule ? D'ailleurs, depuis le début de ce que nos universitaires appellent le monde contemporain, quel pays a gagné une victoire seul ? Les remarques ironiques de tel professeur britanniques cachent mal la blessure d'un pays qui, plus vite que la France, a compris que son heure était passée et qui ne se lamente pas tant que ça.
A quoi servent donc ces débats ? A observer avec ravissements des joutes inutiles dans lesquelles s'affrontent posture idéologiques et études froides ? A rendre visible notre dépit ? nos complexes ? Que de temps perdu, et que de bas instincts flattés.

6. Le mardi 20 décembre 2011, 19:58 par

Oui vrai débat et débat passionnant, et je rejoins Laurent. Il est parfois pathétique de croire en notre supériorité culturelle face aux américains qui ne seraient que des incultes grossiers.. Nous avons une propension à poser d’abord les grands principes en regardant les autres agir..

A question iconoclaste réponse iconoclaste. Est-il utile de gagner une guerre pour en être le vainqueur? A bien regarder les grands perdants de la seconde, le Japon et L’Allemagne, ne furent-ils pas durant des décennies les premières nations économiques au monde ? Quant aux américains ils en ont gagné des guerres ! La seconde guerre mondiale a égalité avec l’URSS,
( J’avoue que savoir s’ils l’ont gagné à cause des allemands qui l’auraient perdu me laisse en cette veille de Noël sans voix) et d’ailleurs on peut gagner des guerres sans les faire, par exemple la crise de Cuba et … La guerre froide. Quant à savoir si les Américains ont gagné la guerre en Irak, il paraît difficile de gagner une guerre sans l’adhésion des populations à la fois sujets et victimes des conflits. Et cette guerre là, il ne fallait pas la faire.

7. Le mardi 20 décembre 2011, 19:58 par Laurent

Une petite précision sur la question de la théorie.

Il est bien évident que l'art de la guerre et la stratégie nécessitent une très forte part d'improvisation, de feeling, de "pif", de chance aussi. Et c'est d'ailleurs pourquoi on parle d'art, et non pas de science. Mais il y a aussi une part importante de science et de théorie. A fortiori aux niveaux opératif et stratégique. C'est surtout aux niveaux tactique et même sub-tactique que ces parts d'improvisation et de pragmatisme sont les plus importantes (et doivent le rester). Mais n'appliquons pas à toutes les disciplines de la guerre (et non pas les niveaux, merci à Benoist Bihan de me l'avoir bien fait comprendre) les mêmes principes. C'est un peu comme en physique : des lois vraies en physique quantique (le niveau de l'infiniment petit) ne sont plus vraies au niveau de la physique einsteinienne (infiniment grand), et vice versa, etc. Ce qui ne signifie pas qu'elles sont fausses "dans l'absolu"....

L'intérêt de la théorisation, pour la guerre comme pour tous les domaines, c'est de pouvoir mettre en perspective, et surtout être capable de réitérer quelque chose dans des circonstances différentes.

Soyons clairs : je m'insurge contre les pourfendeurs de la théorie et de "l'intellectualisation", qui, du coup, me prennent pour un intello chiant et imbuvable ; mais je m'insurge tout autant contre les "intellos" qui se montrent incapables de comprendre (ou méprisent) les aspects pragmatiques et "terrain" de la guerre. Tout le monde a tort et raison A LA FOIS !! Cessons donc une querelle aussi stérile, dépassons-la et passons à la vitesse supérieure. Pensée ET action.

égéa : pour le coup, tu es einsteino-quantique, simultanément deux choses à la fois !

8. Le mardi 20 décembre 2011, 19:58 par Jean-Pierre Gambotti

Comme vous j’ai cherché vainement l’origine de la citation de Desportes, peut-être est-elle extraite d’un ouvrage d’Edgar Morin non webisé ou a-t-elle été prise à la volée au cours d’une conférence, la réponse est chez Desportes. Quoiqu’il en soit cette recherche m’a permis de lire "Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur" d’Edgar Morin, publié par l’UNESCO – unesdoc.unesco.com
- et je vous suggère la lecture du chapitre 5 "Affronter les incertitudes" duquel cette citation pourrait extraite tant le texte semble en être une exégèse.
J’ai beaucoup apprécié la notion « d’écologie de l’action », qui nous rappelle que l’homme en l’occurrence est apprenti sorcier, à peine entreprise dans un univers de la complexité que l’action échappe à ses intentions. Et Edgar Morin nous propose trois principes qui pourraient participer d’une méthodologie de l’action dans la complexité :
-le principe d’incertitude issu de la double nécessité du risque et de précaution, qui pose le problème de gestion de cette contradiction,
-le principe d’incertitude de la fin et des moyens lesquels inter-rétro-réagissent les uns sur les autres jusqu’à la substitution des moyens aux fins,
-le principe d’incertitude de l’action et du contexte, le jeu des inter-rétro-actions du milieu dans lequel l’action intervient jusqu’au détournement possible du sens initial de l’action.
Et puis cette mise en garde qui résonne comme une néo-exhortation fochienne à penser la guerre : « La stratégie doit prévaloir sur le programme. Le programme établit une séquence d’actions (…) La stratégie élabore un scénario d’action en examinant les certitudes et incertitudes de la situation, les probabilités, les improbabilités(…) C’est dans la stratégie que se pose toujours de façon singulière, en fonction du contexte et en vertu de son propre développement, le problème de la dialogique(1) entre fins et moyens. » Ainsi le programme est-il le choix de la linéarité sur la complexité et je crains que nos guerres contemporaines n’aient été menées en usant de cet abaque sommaire, du moins dans leurs prémisses, certains phasages-types ou lignes d’opérations dites génériques prônés en l’occurrence par nos états-majors comme éléments d’une nouvelle doctrine, sont, me semble-t-il, des scories de cette démarche caduque.
Je ne prétends pas donner les bonnes réponses à vos interrogations, mais je crois pouvoir me risquer sur le Schwerpunkt et l’effet majeur, en plaidant pour la compatibilité et même pour la complémentarité de ces deux concepts pourtant d’écoles différentes. Pour faire simple et en appeler à la méthode, il faut, pour annihiler le centre de gravité adverse agir sur ses vulnérabilités, c'est-à-dire qu’il faut produire sur ces constituants du centre de gravité que sont les vulnérabilités un effet robuste résultant de la chaîne des effets élémentaires qui organisent la manœuvre amie. Puisque nous sommes dans un univers complexe, ces effets sont d’ordre multiple, disons PEMSSI, et les documents de planification interarmées américains montrent que la méthode est bien adaptée à cette complexité, c'est-à-dire que les lignes d’opérations, les points décisifs, les objectifs (…) sont des concepts qui acceptent l’hybridation PEMSSI. Mais la difficulté est en amont, c'est-à-dire, pour revenir à la pensée et la terminologie d’Edgard Morin, qu’il faut travailler sur les boucles : risque-précaution, fins-moyens et action-contexte, travail qui devrait avoir pour objet d’explorer les zones de genèse de cette incertitude et déterminer les lieux et la nature des inter-rétro-actions. Puis les analyser et construire les "véhicules" nécessaires à la modification de notre méthodologie de l’action, faire de l’écologie de l’action en quelque sorte, incitation d’Edgar Morin à rapprocher de l’appel à la praxéologie du général Beaufre. D’évidence notre méthode actuelle présente les limites que Neumann fixait à la théorie des jeux et rappelées par Edgar Morin, « au-delà d’un duel entre deux acteurs rationnels, on ne peut décider de façon certaine de la meilleure stratégie ». Ainsi le nombre d’acteurs dans nos conflits contemporains et leur degré de rationalité doivent-ils nous inciter à adapter notre méthodologie de l’action à la complexité.
Et pour ne pas répondre à votre première interrogation, je refuse d’imaginer qu’après les mégajoules que nos états-majors ont dépensés en travaillant sur les retours d’expérience des conflits récents, nos officiers, souvent ingénieurs, n’aient pas envisagé l’utilisation de l’approche système et des théories de la pensée complexe pour réviser notre méthodologie de l’action stratégique. Je n’ai pas les compétences pour traiter de la cybernétique, de la systémique ou de la pensée morinienne, mais ce que je sais d’expérience c’est qu’à peine donné, un ordre nous échappe et qu’une planification peut être déjà caduque dès la première phase. Et j’imagine que ce phénomène n’est pas étranger à notre inclination fautive à décider linéaire dans un univers complexe. La stratégie que nous devons ambitionner de produire n’est pas une manœuvre dans la certitude, mais une « navigation » maitrisée dans l’incertitude. Cette maîtrise sera permise en « corrigeant » l’aléatoire, car dans ce duel qu’est la guerre, l’aléa n’est pas que le produit du fatum, il est aussi le produit de l’action de l’autre duelliste ; il faut apprendre aussi à faire dans l’holistique, c’est-à-dire à raisonner « le tout et la partie » pour traquer les inter-rétro-actions et les canaliser, les utiliser à notre bénéfice.
En relisant ce commentaire je m’aperçois que j’ai sacrifié à la rédaction à la 6X4X2, loin des canons de la Revue verte et de la rue Saint-Guillaume…J’espère quand même être compris !
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

égéa : quelque chose me frappe : le passage du duel (clausewitzien) au multi-acteur.... Du coup, l'incertitude est renforcée... Enfin, je retiens les trois boucles de Morin : si vous avez le lien internet, je suis preneur....

(1) à comprendre, comme une relation à la fois antagoniste, concurrente et complémentaire (E.Morin)

9. Le mardi 20 décembre 2011, 19:58 par Jean-Pierre Gambotti

unesdoc.unesco.com

10. Le mardi 20 décembre 2011, 19:58 par

En fait, il me semble qu’il y confusion entre les différents niveaux de stratégie qui mêlent allègrement le niveau politico-militaire, le niveau opérationnel et le niveau tactique. Les militaires ont plutôt tendance de ne s’intéresser qu’aux deux derniers niveaux l’opérationnel et le tactique. Et le métier consiste justement à lever au maximum les incertitudes afin d’obtenir une vision la plus claire possible d’une situation forcément complexe pour concevoir une manœuvre, la mettre en place et la conduire, avec les contraintes qui sont celles de tous les concepteurs que ceux-ci soient civils ou militaires. Qui me fait face ? Quels sont ses objectifs ? Quels sont ses moyens ? Quels sont mes objectifs ? Mes moyens ? Où sont les faiblesses de mon adversaire ? Pardon de m’exprimer simplement avec des mots simples.
Si j’ai compris (un peu) que finalement le but d’une stratégie (laquelle) était justement de faire en sorte « qu’une planification ne puisse être déjà caduque dès la première phase » alors, je retiens la phrase de Jean-Pierre Gambotti que je lis toujours avec beaucoup d’attention et d’humilité « La stratégie que nous devons ambitionner de produire n’est pas une manœuvre dans la certitude, mais une « navigation » maîtrisée dans l’incertitude »

N’y a t il pas une certaine tendance à rendre désormais l’action impossible par l’hypertrophie des principes d’incertitudes jusqu’à en oublier le pourquoi de l’action. Selon Grégory Bateson on peut distinguer deux types de comportement. Celui du tireur au fusil qui se fie au dispositif de visée pour tirer et le comportement du tireur à l’arc qui ajuste son tir par rétroaction. Le premier exécute un programme, le second réfléchit et corrige dans sa conduite de l’action. A vouloir par principe de précaution trop gérer l’incertitude ce qui est par définition un non-sens, on risque d’avoir une méthodologie de l’idée en oubliant celle de l’action.. En toute humilité..

égéa : pour répondre à votre dernière question, savoir que la décision n'existe que dans l'incertitude devrai au contraire permettre l'action : le tout est de savoir qu'on ne peut jamais réduire totalement incertitude, ce qui est une acceptation du "hasard" qui fait horreur aujourd'hui.

11. Le mardi 20 décembre 2011, 19:58 par oodbae

@Pietrini (10): la maxime pour conclure votre commentaire : "choisir, c'est renoncer" ?

12. Le mardi 20 décembre 2011, 19:58 par Jean-Pierre Gambotti

Roland Pietrini a raison de s’interroger sur la part déterminante que nous donnons à l’incertitude dans nos débats sur la guerre, mais comme l’ont démontré avec talent beaucoup de nos officiers-stratèges dans leurs différents ouvrages, nous avons changé de paradigme. Pour faire simple, nous sommes passés d’un phénomène maitrisable par l’approche déterministe, à un méta-phénomène qui nous oblige à prendre en considération toute sa complexité pour espérer le maitriser. Prenons l’exemple des derniers conflits orientaux : la guerre mécaniste, celle qui permet d’annihiler l’incertitude par la suprématie énergétique a été gagnée, la guerre anthropique celle dans laquelle la présence et le jeu de la population maximisent l’incertitude, n’a pas été… perdue. Dans l’une on a réduit la complexité en anéantissant l’incertitude par le canon parce que nous le pouvions, dans l’autre on s’épuise dans les entrelacs de la complexité en se laissant balloter dans cet « océan d’incertitudes », univers dans lequel la coercition n’est plus qu’une partie de la solution, elle nous est même comptée eu égard à ses effets collatéraux.
Je ne pense pas que nous voulions « hypertrophier les principes d’incertitude » dans un souci de précaution au détriment de l’action, à mon sens l’incertitude s’impose plus pesamment à nous parce que ces guerres, elles-mêmes de précaution, nous placent irréductiblement dans la complexité.
Nous ne sommes pas extérieurs au système, nous sommes partie. Aussi nous-est il difficile de raisonner cartésien pour « lever au maximum les incertitudes afin d’obtenir une vision la plus claire possible d’une situation forcément complexe», car la boite à outils du « Discours de la Méthode pour bien conduire sa raison (…) », n’est plus appropriée. Nous sommes acteurs dans un système dynamique, nous agissons sur le milieu et les autres acteurs, le milieu et les autres acteurs agissent sur nous par de constantes inter-rétro-actions et dans ce lieu de la synergie et de l’émergence, l’aléa et l’incertitude ne sont pas constants, mais essentiellement versatiles et proliférants.
Notre combat, n’est pas à mon sens de maîtriser l’incertitude, rêve de type prométhéen, mais, selon la formule d’Edgar Morin, de tenter « de corriger l’aléatoire ». C'est-à-dire aller explorer les zones grises des inter-rétro-actions, chercher des invariants, trouver des chemins d’incertitude minimale, tracer l’ébauche d’une méthodologie de l’action en environnement complexe, en quelque sorte….
Pour terminer, je proposerais une courte lecture à ceux qui voudraient se colleter plus avant avec la problématique de l’incertitude. En fouillant le net pour me documenter sur la théorie des conditions initiales et sur le Chaos, qui pourraient permettre des avancées sur notre sujet d’ailleurs, j’ai trouvé une pépite nommée « La fourmi de Langton (1)». Ou comment après des prémisses chaotiques un système aux règles simplifiées met en évidence un exemple de comportement émergent. En l’occurrence la construction d’une route. Pourquoi pas ce chemin d’incertitude minimale pour corriger l’aléatoire que j’évoquais plus haut ?
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

(1) http://sciencetonnante.wordpress.co...

13. Le mardi 20 décembre 2011, 19:58 par

Bonnes réflexion de JPG. Je suis en train de rédiger un petit ouvrage sur la tactique "incendie" (mon domaine). J'attaque le problème en 2 temps: définir le hasard, l’incertitude, le brouillard et la friction. Ensuite chercher, pour chacun, à en diminuer l'effet. Mais je constate que trop souvent, il y a effort pour "supprimer l'incertitude" alors que cela est impossible.
La difficulté (à mon sens) ne réside pas dans la difficulté de diminution, mais dans le fait qu'on ne sait pas trop quand arrêter cet effort de diminution. Lorsque je vide une bouteille, je le fais et je constate. Mais là, avec cet objet mental, ce n'est jamais fini. On risque donc de tomber dans un piège abscon. Plus je cherche à diminuer l'incertitude, plus j'en découvre, donc plus je cherche à la diminuer, dans un combat sans fin dont je ne pourrais que sortir perdant.
Il me faut donc chercher des limites car "Le parfait est l'ennemi du bien". Nos amis Belges ont une expression pour cela: "Tu vas faire pire que mieux".

égéa : vous avez dit en peu de mots la difficulté actuelle face à la complexité.

14. Le mardi 20 décembre 2011, 19:58 par

Mon cher PLL (n°13) dans le « petit ouvrage sur la tactique "incendie" » que vous rédigez, je vous prie de considérer que le mot « tactique » est impropre : ce mot peut s’employer seulement lorsqu’il y a affrontement de volontés dont il résulte (ou pourrait résulter) des morts, des blessures, des destructions infligées intentionnellement.
Je le souligne parce qu’en abusant du langage militaire dans toutes sortes d’activités, l’on déconsidère le métier de soldat, ce qui n’est certainement pas votre projet. Le combat est une activité qui n’est comparable à aucune autre. Merci de le comprendre ou de l’admettre.

Je reviens au sujet initial : je dirais que les Américains ont gagné la guerre de Corée. Bien sûr, c’est une victoire limitée et c’est, formellement, une victoire de l’ONU. Mais l’idée générale qui est restée est celle d’une victoire américaine.


15. Le mardi 20 décembre 2011, 19:58 par tim

Ne pas oublier la victoire des américains et de leurs alliés à Grenade en 1983,
première victoire américaine après le Vietnam ; ce ne fut pas qu'une partie de plaisir sous les palmiers au bord de la mer des Caraïbes.

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