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Afghanistan : conséquences d'un assassinat

L'assassinat, par un soldat afghan, de quatre soldats (seize autres ont été blessés, dont huit gravement) amène tout d'abord à manifester notre solidarité et soutien à nos soldats et à présenter nos condoléances les plus vives aux familles des défunts. Ils sont morts en mission, au service de la France, et c'est d'abord ce qu'il faut souligner.

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Après le temps de latence, pour se recueillir mais aussi pour méditer, cet acte mérite quelques commentaires. Je distingue deux lignes : une sur l'action psychologique, une sur la conduite opérationnelle.

1/ On lira tout d'abord trois billets intéressants :

  • celui de Florent de Saint-Victor qui dans son blog Marsattaque (cross publié sur AGS), examine quelques idées reçues.
  • celui de Romain Mielcark qui dans son blog Actudéfense rend compte de la suspension du soutien à l'armée afghane
  • enfin, celui de Jean Guisnel (N. Sarkozy dans le piège afhan) qui met en perspective les effectifs et interroge la décision politique.

2/ Dans tout conflit, les planificateurs tentent de déterminer le centre de gravité de l'ennemi (CDG). Mais une "cellule rouge" effectue le même travail pour les adversaires, de façon à déterminer son propre CDG. Très souvent, ces CDG consistent en "le soutien de la population au leader politique" : vrai aussi bien pour les bleus que pour les rouges. On retrouve, logiquement, deux des trois pôles de la remarquable trinité clausewitzienne.

3/ Le planificateur détermine également des lignes d'opérations : l'une d'elle est quasiment toujours celle de ce qu'on appelait autrefois la guerre psychologique, c'est-à-dire la volonté de façonner les esprits de l'autre.

4/ Dans le cas présent, il reste des doutes sur la motivation du tireur : on ne sait pas encore s'il s'agit d'une initiative isolée ou d'un plan manigancé par les talibans. Ceux-ci revendiquent ce matin l'attentat, quand hier ils parlaient de l'action "d'un consciencieux soldat afghan" : méfions nous de la récupération..... Les premiers retours suggèrent la première solution, sous réserve de confirmation. Il n'en reste pas moins que cela contribue à la propagande talibane, qui cherche à atteindre la détermination des Occidentaux.

5/ Or, on peut constater deux choses :

  • en ces temps surmédiatisés, l'émotion est le plus souvent fugace. Il est probable que dans l'opinion publique, le drame sera bientôt enseveli sous les vagues incessantes de l'actualité. Ce qui relativise, d’une manière générale ces opérations d'influence fondées sur des coups médiatiques.
  • mais un deuxième élément vient affecter ce cas général : il s'agit de la campagne électorale. C'est dans la perspective de cet événement que l'événement subit un coefficient multiplicateur, qui peut affecter la décision politique. Ainsi s'expliquent la décision de suspension des actions de soutien à l'ANA, ou les propositions d'accélération du retrait pour tel candidat, ou d'un retrait effectif fin 2012 pour tel autre.

Ce qui pose la question du rapport au temps d'une décision stratégique : souvent de long terme, elle peut parfois être brusquement modifiée.

6/ Un des derniers domaines où le politique peut vraiment "prendre des décisions" reste celui de l'engagement des forces armées. Chacun sent bien qu'en matière de politique économique, d'organisation de l’État, de coopération européenne, il y aura des nuances, mais pas de changement radical : les intrications sont aujourd'hui trop complexes pour envisager des changements radicaux. En matière opérationnelle en revanche, le pouvoir peut "décider" : un surge ou un retrait, une intervention aérienne ou une évacuation de ressortissants.

7/ La plupart du temps, ces décisions s'inscrivent dans la durée, et les dirigeants savent résister à une émotion collective. J'y reviendrai bientôt avec la fiche de lecture du livre que je lis en ce moment, (Introduction à l'histoire des relations internationales, de P. Renouvin et JB Duroselle, qui s'interroge notamment sur l'action de l'homme d’État). Constatons qu'en temps de campagne électorale, cette constance paraît plus difficile. C'est un constat, et non pas une critique.

8/ Toutefois, le principal effet, beaucoup moins médiatique, touche à l'action sur le terrain. En effet, depuis plusieurs mois la ligne stratégique de la FIAS consistait à parier sur l’afghanisation, et sur le transfert à une ANA en construction de pans successifs de responsabilité. Il fallait former cette ANA (opération Épidote) puis l'entraîner et l'amener à ces coopérations opérationnelles, de façon à la mettre progressivement en première ligne avant d'assurer le transfert. C'est d’ailleurs la longueur du processus qui justifie que l'OTAN annonce la date de 2014 pour le retrait.

9/ L'assassinat de vendredi ne va pas remettre en cause cette ligne directrice, mais certainement l'affecter : en effet, il y aura désormais forcément une certaine méfiance envers ces unités afghanes, ce qui ne concourt pas à l’efficacité opérationnelle d'ensemble. Autrement dit, il y a un ralentissement de l'action bleue. Conformément à la ligne talibane : pas d'action directe où elle est sûre de tomber, mais une action indirecte de freinage et de harcèlement.

Pour conclure :

  • tristesse et solidarité avec nos soldats
  • retenue et prudence quant aux commentaires sur l'action.

Quant à nos quatre tués : qu'ils reposent en paix.

O. Kempf

Commentaires

1. Le samedi 21 janvier 2012, 13:37 par

Oui l’émotion est forte, puisqu’il s’agit d’un acte ressenti comme un assassinat. Et pourtant la dénomination est inexacte. Cet acte barbare n’est pas plus assassin qu’une pose de bombe dans un marché ou une explosion d’IED. Pour l’ennemi c’est un acte de guerre comme un autre.
Il faut donc rester méfiant pour caractériser la propagande talibane. Je parlerais plutôt d’action psychologique parfaitement calculée de leur part et dirigée à l’encontre des étrangers sur un sol islamique.. En s’attaquant aux soldats occidentaux dans leur propre forteresse sur le lieu même où ils se trouvent, ils signent un coup de maître, portant l’insécurité urbi et orbi.. En signifiant que l’ALN représente un pôle d’insécurité, (peu importe d’ailleurs de savoir s’il s’agit d’un vrai soldat ou d’un taliban déguisé et infiltré), ils valident leur tactique et jouent avec nos déficiences culturelles. Désolidariser les alliés, accélérer leur retrait, démontrer qu’ils peuvent frapper partout, jouer sur le principe de précaution des occidentaux qui les poussera à abandonner leur politique de formation envers l’ANA et la population, et accessoirement jouer les élections présidentielles françaises et les surenchères évidentes des différents candidats en cette période..

Bref, « ils » peuvent vivre au moyen-âge mais reconnaissons qu’ils possèdent une qualité certaine d’analyse et de connaissance de nos faiblesses. Je serais presque tenter de les applaudir. Or ces faiblesses proviennent de notre incapacité à adapter la bonne tactique et à agir sur leurs propres faiblesses ; Encore conviendrait-il de les chercher ces faiblesses !… Ce n’est pas en éliminant ici ou là quelques barbus que l’on fera basculer un pays du moyen-âge à l’ère moderne. Notre responsabilité est entière sur notre échec.

Nous savons, nous mesurons que le problème se situe ailleurs, au Pakistan par exemple, en Arabie Saoudite, en Iran, mais qui osera s’en préoccuper ? Nous appréhendons parfaitement que l’ANA disparaîtra, se liquéfiera, se perdra dans des luttes intestines d’influence tribale et de pouvoir, à l’instant même où nous aurons quitté le sol afghan, 25% d’absentéisme dans les rangs, 10% de désertion souvent avec arme et bagage. Un rapport parlementaire le confirme : Extrait des échanges à la Commission de la défense nationale et des forces armées du mercredi 10 février 2010, Françoise Hostalier s’interrogeait sur les désertions. - Sont-elles encore importantes ? Nous formons des combattants, mais n’y a-t-il pas un risque qu’ils se retournent finalement contre nous en rejoignant les insurgés ? – Le colonel Jean-François Martini répondait : extrait : - Sur les désertions, je crois qu’il faut bien distinguer absences et désertions. Dans la 1re et la 3e brigade, le taux d’absences atteignait ainsi 25 %, incluant les malades, les blessés, les personnels en formation… Seuls 10 % d’entre eux étaient de réels déserteurs. -

Il y a des soldats qui passent à la rébellion, mais j’observe que les déserteurs rejoignent assez peu les insurgés ne serait-ce que parce que les gens se connaissent et que les cadres militaires exercent une forte surveillance sur leurs troupes. On ne saurait être aussi langue de bois, dans un scénario d’échec annoncé. Mais comme d’habitude, on fait semblant de suivre une stratégie réfléchie tout en ayant conscience de son inefficacité et de son inutilité.. Il y a le langage consensuel apparent et le langage de vérité réservé aux dîners en ville…Bref rien de bien nouveau depuis tant de guerres perdues.. Indochine, Vietnam, Algérie, perdues à cause nos faiblesses, structurelles et culturelles et certainement pas à cause de nos soldats.. Nous vivons une fois de plus l’exemple d’une stratégie inadaptée à une situation géopolitique complexe, dans laquelle nous nous sommes totalement fourvoyés.

Alors partir d’Afghanistan oui, le sujet n’est pas de savoir quand, mais comment..

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