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Enjeux du sommet de Chicago (1/3)

On commence à y voir plus clair dans la préparation du sommet de Chicago : le sommet de Lisbonne a été digéré, les premières décisions de réforme prises, Ben Laden a été abattu ce qui accélère le retrait d’Afghanistan, l’opération en Libye a été conduite avec succès, la crise économique frappe l’Europe de langueur, l’Amérique a rendu publique sa nouvelle politique de défense, la ministérielle défense vient de se tenir à Bruxelles et la conférence de sécurité à Munich. Les pièces du puzzle sont en place. On peut donc discerner cinq thèmes qui animeront les débats, de façon publique ou privée.

ChicagoAtNight2.jpg source

1/ La question d’Afghanistan

La question n’est plus celle du retrait mais de son rythme. En effet, dès février 2011, le président Karzaï annonçait sa volonté d’accélérer le retrait de la FIAS. Ce qui était à l’origine considéré comme une posture politique a acquis une réalité opérationnelle à partir de la mort de Ben Laden. Surtout, cette question est revenue au centre du débat au cours de l’hiver, à la suite de la mort de quatre soldats français tués par un soldat de l’armée afghane : outre la question de la date du retrait (fin 2013 selon le président de la République, fin 2012 selon la proposition formulée par le candidat de l’opposition), c’est incidemment la pertinence de la stratégie d’afghanisation, décidée à Lisbonne, qui est interrogée.

On ne discutera pas ici de la meilleure date à choisir ou des contraintes logistiques qu’elles entraînent (l’auteur de ce blog est fort heureux de voir les meilleurs esprits expliquer enfin que la logistique est une dimension essentielle de la guerre actuelle), ni même des différentes positions nationales (les États-Unis qui déclarent qu’ils ne mèneront plus d’opérations de combat à partir de fin 2013, le Royaume-Uni qui reste dans l’expectative, l’Allemagne qui affirme qu’elle demeure présente conformément au plan). S’agissant de l’afghanisation, sa poursuite paraît cependant un impératif, ne serait-ce que pour continuer le travail commencé et accompagner l'armée afghane qui sera aux responsabilités. Il y a là une sorte d’honneur et de cohérence à poursuivre les efforts entrepris. Autrement dit, il y aura des soldats français en Afghanistan après 2014.

2/ Défense antimissile et questions nucléaires

Le principe d’une défense antimissile balistique (DAMB, BMD en anglais) a été adopté à Lisbonne. Les progrès sont assez mesurés. C’est pourquoi le Secrétaire général pousse à ce qu’on déclare une « capacité opérationnelle intérimaire » à Chicago. Si l’on avait bien traduit le mot « interim », il aurait fallu dire « capacité opérationnelle préparatoire » : alors, chacun eût compris ce dont il s’agissait : de quelque chose qui a lieu AVANT la capacité opérationnelle initiale (IOC) bien connue des praticiens de l’Alliance. Dès lors, cette capacité « intérimaire » a pour objet de manifester que le processus de construction de la DAMB a progressé au cours des dix-huit mois passés. En effet, des accords ont été conclus avec la Pologne, l’Espagne, la Roumanie et la Turquie pour que ces pays accueillent des éléments clefs du système. Je ne suis pas au fait des dossiers pour savoir si cela correspond à un vrai enjeu, et donc à une vraie décision.

J’ai toutefois le sentiment d’une réticence européenne, même si elle ne s’exprime pas ouvertement : en effet, pour l’instant la plupart des moyens semblent être américains, le projet allié ne s’occupant semble-t-il que d’un système de commandement, pour lequel des budgets dédiés sont nécessaires, ce qui n’est pas follement populaire en ces temps de restrictions. La question de l'effet d'éviction que j'ai déjà signalé par ailleurs revient au devant de la scène, même si ça à bas bruit. Par ailleurs, on n’a pas le sentiment que ce dossier de la DAMB permette le développement de relations très cordiales avec la Russie.

Outre la DAMB, Chicago risque de voir revenir la question nucléaire au devant des débats. Certes, le concept avait repris la déclaration du compromis d’Ottawa. L’alliance restera donc une alliance nucléaire, et qui admet la complémentarité de forces nucléaires nationales (France et Royaume-Uni). On peut craindre toutefois que certains, emmenés par l’Allemagne, reprennent leur position sur le sujet et déclarent qu’à cause de la DAMB, il n’est point besoin de continuer d’avoir des bombes nucléaires alliées, et notamment collectivement. La France persistera à expliquer que les deux questions sont disjointes et ne se recouvrent pas, puisque DAMB et dissuasion ne répondent pas à la même menace. Quant aux Américains, soutenus par les Turcs, les Italiens et les Britanniques, ils devraient persister à maintenir le caractère nucléaire de l’Alliance. Et comme le sommet se tiendra chez eux, cela ne devrait finalement pas poser trop de problèmes.

(à suivre)

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 13 février 2012, 20:19 par

Sur la lutte aérienne étendue, ou la défense anti-missile :
- il me semble que l'OTAN ait choisi la voie de la défense anti-missile balistique de territoire (alors que nous étions engagées sur la défense anti-missile balistique (DAMB) de théâtre : ce n'est ni les mêmes défis, ni les mêmes coûts).
- La France est capable de construire une alternative, crédible, au système américain, ce qui semble gêner. Si la France est engagée dans la DAMB de théâtre, il faut aussi relever que le "théâtre" défendu par le SAMP/T, par exemple, peut recouvrir la taille d'un Etat du Moyen-Orient, comme autre exemple. De sorte que les capacités françaises peuvent être très crédibles.
- Il y a concurrence entre le second porte-avions (2,5 milliards d'euros) et une "amélioration" de la DAMB de théâtre française.
- Les allemands trouvent un paradigme fantastique pour eux dans la DAMB de territoire : ce serait le substitut à une dissuasion, à la manière de la stratégie japonaise. Historiquement, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l'Allemagne n'a de cesse de vouloir l'égalité des droits, la souveraineté, avec la France. Elle n'aurait pas la "stricte interdiction" de produire des armes nucléaires en dehors de son sol. Ce serait difficile de justifier une telle acquisition, quoi qu'il en soit, vis-à-vis de sa population. Donc, vive la DAMB, ou presque. Mais comment atteindre la parité des droits avec la France ? La bombe française n'était pas dérangeante quand elle était utile et que la position de l'Allemagne dans la stratégie nucléaire américaine n'était pas désirable (puisque éventuel champ de bataille nucléaire) : d'où l'intérêt de la bombe française. Mais depuis la chute d'un certain mur (on ne s'en lasse pas en Europe), la bombe française n'est plus utile à l'Allemagne ! Il est donc nécessaire, pour la parité des droits, de négocier la disparition de celle-ci. La réforme des armées allemandes (professionnalisation, frégates F125) tendraient à montrer les nouvelles ambitions militaires allemandes sur la scène internationale.
Sur les remarques sur l'Allemagne, la lecture des ouvrages de George Henri Soutoux, dont "L'Alliance incertaine – Les rapports politico-stratégiques franco-allemands (1954-1996), Fayard, Paris, 1996".

égéa : Maintenant, quand on dit DAMB, non parle de DAMB de territoire. C'est la grande innovation du sommet de Lisbonne. L’Alliance avait engagé un processus de défense antimissile de théâtre depuis le début des années 2000 (ALTBMD), je crois d'ailleurs avoir expliqué ça sur égéa.

Pour l'Allemagne, c'est très curieux, car dans le même temps, ils refusent le leadership en Europe, mettent plein de caveats en Afgha, et refusent d'opérer en Libye. J'ai du mal à voir déceler un sursaut de puissance cachée, à la mode y penser toujours n'en parler jamais.

2. Le lundi 13 février 2012, 20:19 par panou

Tout à fait d'accord avec vous sur les contraintes logistiques d'un retrait d'Afghanistan.L'éventuel président Hollande sera mis au pied du mur s'il veut place nette fin 2012.
En revanche le maintien sur place de coopérants militaires peut être discuté.Les OMLT ont payé un dur tribut déjà et il n'est pas exclu que les combats se durcissent aprés le retrait OTAN.Ne serait-il pas plus judicieux de former cadres et spécialistes chez nous:moindre coût,présence d'instructeurs français connaissant le terrain et les mentalités.Une telle instruction auprés d'Afghans "dépaysés" permet aussi de nouer des liens plus étroits si on le veut bien en faisant découvrir aux stagiaires un autre monde car à mon avis bien peu connaissent l'Occident.Si ensuite un suivi est opéré par l'attaché militaire un bénéfice est envisageable.N'oublions pas qu'au PS l'affaire du Rwanda a laissé de mauvais souvenirs avec la mission floue des DAMI,OMLT de l'époque,lors de la guerre civile.
Se pose la question de savoir s'il faut une doctrine commune des partenaires de l'OTAN sur la localisation de cette assistance.Les Américains ont certainement une certaine souplesse en ce cas car ils peuvent fort bien sous traîter la poursuite de l'afghanisation à des sociétés privées.

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