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Rejoindre le Groupe des Plans Nucléaires (GPN) : une ineptie

Encore une fois, on me passe un texte où un esprit, "libre" et délié et innovant, balance l'idée géniale : rejoignons le Groupe des Plans Nucléaires à l'OTAN. Ce qui n'est d'une erreur, me semble-t-il. Et puisque c'est une idée "innovante", discutons-la : pas de thèse valable sans une bonne antithèse.

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L'idée de réintégrer le GPN de l'Otan est régulièrement agitée par les "brillants" esprits généralistes qui ne connaissent pas grand chose à l'Otan. Chaque année, un brillant plein d'avenir jette l'idée dans tel rapport plus ou moins confidentiel. Mais je subodore que ce doit être également écrit dans des copies de l'école de guerre et autres lieux où on dit aux gars : vous devez terminer par des propositions. Et comme les gars ne connaissent pas grand chose, ils s'attachent aux organigrammes, voient qu'on n'a pas rejoint le GPN, et hop!, passez muscade, v'là que jte l'propose, le vorace y sera content, ça au moins c'est original et brillant.

De même, on voit pas mal d'universitaires qui ne connaissent l'Alliance que de l'extérieur et qui se précipitent sur un organigramme et croient qu'en modifiant une position dans le dit organigramme, tout va changer, y compris politiquement : quiconque a pratiqué n'importe laquelle grande organisation sait que les organigrammes sont beaux, mais que ce ne sont pas eux qui font marcher un système (voir billet ici). Et bizarrement, c'est la même chose dans cette grande machine politique et "intergouvernementale" qu'est l'OTAN. Ou, dans ce cas précis, l'Alliance puisque, faut-il le préciser, le GPN appartient au dispositif de l'alliance (le côté politique) et non au dispositif militaire, l'organisation proprement dite.

Ainsi donc, et à moins qu'il y ait eu un brusque changement de position validé à la fois par le quai d'Orsay, l'EMA et l'EMP, mais qui alors n'a pas été rendu public et s'inscrirait en total porte-à-faux avec la doctrine et la constante pratique française, réaffirmée notamment à Strasbourg Kehl et à Lisbonne, cette proposition n'est pas valide aujourd’hui pour cinq raisons.

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En effet, une telle proposition, c'est :

1/ ne rien connaître à l'Otan (et donc ne pas savoir que le GPN ne sert pas à grand chose). En effet, il fut créé en 1966 après notre départ tout d'abord pour qu'il y ait un lieu "politique" où discuter à 15 (sans donc les Français) ; et qu'ensuite il s'inscrivait dans une grande dispute transatlantique portant sur le couplage nucléaire, précisément sur la question de la riposte graduée, et qu'il s'agissait pour les Américains de montrer aux alliés qu'ils avaient leur mot à dire en matière nucléaire, contrairement à ce que racontaient ces idiots de Français et que bien sûr, bien sûr, avant d'engager leurs bombes nucléaires en Europe, ils consulteraient les alliés. Les choses ont, le sait-on, un peu changé depuis 1966 : un tout petit peu ... ! Et si l'Alliance demeure une alliance "nucléaire", c'est d'abord grâce aux armes américaines, les fameuses B 61 qui constituent, pour le coup, un enjeu réel de Chicago. Et d'ailleurs la source d'une certaine dissension américano-allemande.

  • Accessoirement, il est fort utile qu'il y ait un cercle où nous ne sommes pas : lors de la crise irakienne, en 2003, pour contourner l'opposition franco-allemande, l'Alliance s'était réunie au Comité des Plans de Défense (auquel nous ne participions pas, alors) pour réussir à adopter une position commune, ce qui était une façon diplomatique et agréée par tout le monde pour contourner le problème... Bref, l'exception française, même marginale, c'est encore un attribut de puissance.

2/ c'est ne rien connaître non plus à la réalité allemande : allez dire à un Allemand de partager le nucléaire, essayez seulement ! cela fait vingt ans qu'on leur propose, qu'ils refusent, et au dernier sommet de Lisbonne, M. Westerwelle en a fait un objet de dissension franco-allemand, provoquant une crise diplomatique qui a raidi les Français comme des puces bretonnes en manque de chouchen et obligé Mme Merkel de venir calmer les choses. Ne pas en douter, ils risquent de remettre le couvert à Chicago, car pour eux, grâce à la sainte DAMB, plus besoin de cette arme horrible et sale et pas morale. Et ce serait le moment de rejoindre le GPN et de partager notre arme avec les autres Européens ? avec les Allemands ??

3/ c'est ne rien comprendre à ce que veulent les Américains, qui seront trop contents de nous retirer ce qu'ils considèrent comme une prolifération indue des années 60 et qui y verrons une belle revanche posthume sur De Gaulle. Habile !

4/ c'est ne pas avoir compris la logique profonde du traité FR-UK qui est d'abord nucléaire, ne l'oublions pas.

5/ c'est enfin ne pas avoir le premier centime d'ancien franc de sens politique et ne pas comprendre que le nucléaire, ça ne se partage pas et que c'est absolument essentiel à la géopolitique de la France : l'arme grâce à laquelle on ne revivra pas juin 1940 et la saignée de 14-18. Mais là, il ne s'agit pas de notre place dans l'alliance, il s'agit de la place du nucléaire dans notre stratégie nationale.

Bref, le nucléaire, avant d'être un dogme, est quelque chose qu'il faut "penser". Et si on pensait un peu, avant de faire des propositions farcies sur le nucléaire ?

O. Kempf

Commentaires

1. Le mercredi 22 février 2012, 20:47 par starshiy

Ce GPN m'a permis de moucher un officier danois très critique envers notre arsenal nucléaire et les essais que nous avions repris dans les années 90. Pour lui,, nous étions le mal... jusqu'à ce que je le mette devant sa propre contradiction: la participation de son pays au GPN qui "planifiait" l'emploi de l'arme, dans certains cas jusqu'au niveau tactique.
Le sujet n'a plus jamais été abordé!

égéa : exactement ! Le GPN fait de l'Alliance une alliance nucléaire, et des atlantistes des nucléaristes. Au fond, si on voulait plaire aux Allemands, il faudrait promouvoir la disparition du GPN : mais du coup, les Italiens, les Brits et les Turcs seraient contre....

2. Le mercredi 22 février 2012, 20:47 par SG

J’ai lu avec intérêt ton blog . Tout à fait d’accord avec toi, le nucléaire ne se partage pas et d’autre part, maintenir une « exception » française permet de peser beaucoup plus que d’être assailli au sein d’une entité dominée par les anglosaxons. Et pour ceux qui craignent que de rester au dehors risque de fragiliser l’efficacité de notre veto, si l’OTAN passe outre un Veto français, poursuivront-ils si on se retire de l’action envisagée ? quel désaveu politique ce serait.

3. Le mercredi 22 février 2012, 20:47 par Frédéric

Bonsoir, l'arsenal nucléaire en Europe est devenue ''symbolique'' en ces années 2010. Moins de 200 bombes gravitationnels largués par avion. La carte de l'article est ''obsoléte'' et date des années 90, il n'y a officiellement plus de B61 en Gréce et au Royaume Uni.

Face au potentiel nucléaire russe, il ne vaut pas grand chose. Et oseriont nous lancer un avion équipé d'arme nucléaire sur Téhéran alors que le risque qu'il soit intercepté par la défense iranienne n'est pas nul ?

Il y a désormait un immense fossé entre des forces stratégiques US équipés de Trident II à capacité décimétique et des forces ''tactiques'' qui ne reposent plus que sur des bombes ''classiques''. Il manque à l'USAF un ASMP-A pour étre crédible à ce niveau.

égéa : merci de corriger pour la carte : je l'ôte ! Pour le reste, le caractère symbolique.... je partage votre avis, même si c'est un symbolique qui pèse quelques kilotonnes quand même : il n'est pas immatériel.

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