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Parti pirate : un sens géopolitique ?

La percée du parti pirate en Allemagne témoigne-t-elle d’un mouvement géopolitique plus profond ? Constatons d'emblée que le mouvement est principalement européen, et pour tout dire nord-européen. Mais encore ?

source

1/ Et tout d'abord, que sont ces partis pirates ? Le premier fut lancé en Suède en 2006, à partir d'un projet qui se veut proche des valeurs d'Internet : au départ, une blague : "puisque les politiciens ne cessent de nous traiter de pirates parce qu'on ne respecte pas les codes officiels de la culture, et bien soit, créons le parti pirate". Une page internet, un lien envoyé aux copains, une bonne soirée, et l'affaire aurait pu en rester là. Mais nous sommes au 21ème siècle, et l'ère 2.0 fait que ladite blague rencontre de l'écho : par centaines de milliers de visites. Ce n'est plus une blague, et le parti d'en rire devient parti poliitque. Aux élections européennes de 2009, le PP suédois obtient 9% des voix, et deux députés.

2/ En France, le débat autour des lois de protection électronique des droits d'auteur (DADVSI puis HADOPI) lance un parti pirate français (oui, ça fait PPF, ce qui n'est pas du meilleur goût : d’ailleurs, l'étiquette n'est que PP). Derrière la défense de libre-accès à la culture, le parti défend la libre circulation des savoirs scientifiques et culturels, la neutralité du Net et la protection des libertés individuelles. Il y a également une critique des grands groupes industriels accusés de s'approprier "inéquitablement" des revenus tirés de brevets de toute sorte. Enfin, la protection de la liberté du citoyen est à l'origine de revendications contre toute mesure qui, sous couvert de "sécurité", menacerait la vie privée de l'individu (droit à la vie privée, au secret des communications, à l’anonymat, à la liberté d’expression). Le PP ne se prononce pas sur tous les sujets de société, et refuse de prendre parti sur le clivage droite-gauche.

3/ Ce ne pourrait être qu'un de ces mouvements neutralistes qui émergent régulièrement sur notre "scène politique". Il y a pourtant un peu plus que cela.

4/ Constatons tout d'abord que ce mouvement apparaît avec une certaine technologie, celle d'Internet. Il ne faut pas s'y tromper : au-delà d'Internet, l’avènement du cyberespace bouleverse en profondeur nos régulations sociales et il est finalement assez logique que des formes d’expressions politiques en témoignent. Je ne suis pas sûr que le parti pirate soit d’ailleurs la bonne réponse, mais à tout le moins il est révélateur d'un bouleversement : Celui de la planétisation qui n'est pas seulement un mouvement universel, mais qui touche aussi la vie de chacun : une sorte d'individualisation maximale et reliée.

5/ L'intérêt technologique est donc premier, mais aussi la défense de ce que cette technologie permet : une multiplication des liens personnels dans un espace privé/public à la frontière floue : on a assez remarqué dans les médias la sorte d'impudeur de la génération Y. Pourtant, c'est cette même génération Y qui invente le parti pirate défendant la vie privée sur cette nouvelle agora qu'est le cyberespace. Car même s'il est impudique, l'utilisateur du 2.0 demeure un individu, un ultra-individu. En ce sens, il est archi occidental ou, plus exactement, archi-européen.

6/ Car voici la deuxième caractéristique majeure du piratisme : son caractère principalement européen. L'Europe, on l'a dit maintes fois, a inventé une nouvelle forme de puissance, un "empire par la norme". Norme interne ( l'UE Produit d'abord du droit et de la régulation) mais aussi norme extérieure : les normes s’imposent à autrui, dans une sorte de soft power adapté à ce nouveau siècle. Bien sûr, il y a des partis pirates ailleurs, et notamment dans les Amériques. En regardant la carte, vous noterez d'ailleurs que les partis pirates sont implantés là où se trouve l'occident ...

7/ Mais c'est surtout en Europe que ce piratisme rencontre ses succès, et notamment ses succès électoraux : Suède, Tchéquie, mais surtout Allemagne (voir liste des partis pirates avec leurs résultats électoraux). Le PP allemand a réussi un certain nombre de succès locaux, au point de réunir aujourd'hui 163 conseillers municipaux. Dans un récent sondage, au niveau national pour les législatives, ils sont crédités de 13% des voix, devant les Verts et Die Linke ! (ici). Au point qu'on lit des commentaires politiques savants au sujet de leur prochaine entrée dans le Bundestag (ici).

8/ Je constate que le phénomène est pour l'instant concentré autour de l'Europe du Nord et centrale. Là où il y a des partis verts et où, notez le, il n'y a pas de partis ou populistes puissants et influents. Formulons une hypothèse : Comme s'il y avait un déplacement identitaire, l'identité collective passant d'une grammaire ancienne, très 19° siècle, à une grammaire contemporaine se concentrant sur de nouveaux territoires. A chaque fois, des réponses frustres, se concentrant sur des thèmes limités (libre accès à l'Internet, protection de la vie privée dans le cas du piratisme) mais qui ont des résonances politiques certaines. Avec à la fois des aspects gauchistes (ouh! le capital) et droitistes (ouh! les élites).

Autant dire que ce parti pirate n'est pas à négliger comme une vulgaire lubie d'adolescent mal vieilli, ou une anecdote de potache qui dure un peu plus longtemps. Le piratisme témoigne de quelque chose de plus profond, même si les thèmes politiques ne paraissent pas très convaincants pour l'instant. Ils évolueront sans doute. Voyons surtout l'émergence d'une innovation politique, européenne et 2.0.

Si on osait : Une avant-garde. Mais le mot est politiquement connoté depuis un certain Karl...

Réf :

O. Kempf

NB : Ces propos n'engagent que moi et aucune des organisations pour lesquelles je travaille.

Commentaires

1. Le lundi 16 avril 2012, 21:17 par

Super article, une belle analyse politique et sociale de ce que peut être le mouvement pirate ! Merci pour cette vulgarisation de leurs idées ! :D

2. Le lundi 16 avril 2012, 21:17 par citoyen

Monsieur kempf j'attire votre attention sur le fait que le parti pirate vient d'obtenir l'autorisation en tunisie en tant que parti politique et que les blogueurs les plus brillants ainsi que les personnages les plus éminents de la jeunesse tunisiennes l'ont déjà rejoint le mouvement prend donc de l'ampleur et pourrait dépasser les seuls frontières européennes je pense que nous assistons a un phénomène bien plus important que anonymous et wikileaks ,

égéa : oui, j'ai vu qu'il y avait un PP en Tunisie et au Maroc : signes de leur occidentalisation ? signe du nouveau monde 2.0 ?

3. Le lundi 16 avril 2012, 21:17 par oodbae

C'est le seul parti politique offrant des perspectives exaltantes de lutte contre le système, puisque s'appuyant sur des revendications et des technologies modernes et promises à un avenir.
On peut comparer leur progression en tant que parti à celle des partis écologistes, qui ont gagné en visibilité à mesure que les dommages de l'industrie et de l'organisation de la société sur la nature et que les nuisances rétroactives sur les hommes de ces dommages sont devenus connus du plus grand nombre. De même, les enjeux de protection des données personnelles sont devenus parlants depuis les affaire de vols de données bancaires de millions d'utilisateurs sur Internet, les écoutes téléphoniques par des tabloids (le fameux tampax de la Lady de Prince Charles, révélé par The Sun), la révélation en Europe des poursuites d'opposants politiques communiquant par le biais de Facebook en Iran, la loi Hadopi qui révèle que l'état/les FAI peuvent facilement retrouver l'identité du possesseur d'un ordinateur téléchargeant des films avec EDonkey alors qu'on a pris goût au divertissement culturel quasi-gratuit, les volets Internet des campagnes politiques à tous les niveaux auquels la campagne d'Obama en 2008(2008?) a donné une réalité historique, le mythe des blogueurs qui auraient provoqué les mal-nommées révolutions arabes, le combat de Max Schrems contre la conservation infinie des données des utilisateurs et même des visiteurs de Facebook (http://www.20minutes.fr/high-tech/9...), le suivi de nos itinéraires à cause d'une faille (d'un spyware?) dans les iphones (http://www.branchez-vous.com/techno...), le programme Echelon dont on affirme qu'il détecte toutes les conversations téléphoniques où apparaîssent les mots "amérique" ,"fuq Bush", etc.. la liste est longue

Or, il est à parier que leur progression cessera dès qu'une mouvance politique parviendra à se les arrimer, à l'instar du PS-Front de gauche francais qui a pris officiellement le rôle de socle idéologique de EE-LV en tout point que l'écologie politique ne couvrirait pas. (cf par exemple http://www.20minutes.fr/presidentie...).

Enfin, il ne faut pas s'y tromper, si les pirates convainquent 13% de sondés ,ca en laisse 87 % qui ne le sont pas, convaincus, même pas dans les sondages. Et pour cause, les apparitions de leurs représentants dans les émissions de télévision mettent en évidence le néant total de leur projet politique. C'est en fait un lobby qui se prend pour un parti politique. Ceux qui les soutiennent sont ceux qui, ou bien se rebellent contre le système et l'ordre en général, ou bien sont décus par tous les partis et voient donc dans l'absence de projet politique concret, pour ne pas dire l'amateurisme, un point positif. A défaut de les séduire, le parti pirate ne décoit pas et on peut faire tout dire au silence.

pour les germanophones, deux articles assez réservés à propos des pirates:
http://www.tagesspiegel.de/politik/...
http://www.wiwo.de/politik/deutschl...

Donc, même si je suis d'accord avec l'analyse de M.Kempf à propos de l'européité des pirates et de l'alternative qu'ils proposent à la lecture classique "prolétariat contre réussite individuelle" des enjeux politiques, je crois qu'ils en sont justement au stade où on se demande: avant-garde ou la grenouille qui se veut faire aussi grosse que le boeuf?

L'article suivant, qui parle de 30% de soutien parmi les sondés au 14.04.2012, semble favoriser la première option: http://www.bild.de/politik/inland/p... , je veux bien le concéder toutefois.

Personnellement, je crois qu'ils sont amateurs et même coupables d'amateurisme, des opportunistes promis à se faire avaler par une formation mieux organisée comme "Die Linke"(front de gauche allemand) ou le "FDP" (libéraux allemands), car on ne les a pas entendu à propos d'un thème qu'ils pourraient faire leur: la cybersécurité, la cyberstratégie, la cyber-toutcequevousvoulez. Et je suppose que c'est l'individualisme, pour ne pas dire l'égocentrisme, motivant leurs fans, qui conduit à cette impasse sur un thème qui concerne la société dans son ensemble, à l'échelle de l'état, et met au même niveau ceux de l'autre bord politique.

cordialement

4. Le lundi 16 avril 2012, 21:17 par

La percée du parti du pirate apparaît à bien des égards comme la compensation d'une vacuité actuelle: celle du politique dans le cyberespace.

Aujourd'hui l'univers du cyberespace est méprisé par la plus grande partie de la classe politique: simple mass-média pour certains, danger pour d'autres (HADOPI, ACTA ...).

Or, le cyberespace est devenu pour les moins de quarante ans un nouveau territoire indispensable. En France, les moins de 25 ans, passent plus de temps sur leur ordinateur que devant la télévision. C'est donc une tendance lourde des comportements à venir.

Nous sommes résolument dans une phase de transition où des générations au pouvoir, tentent de s’approprier un univers qui leur est globalement étranger. Leurs actions, loin d'en libérer le potentiel, est perçue par ceux qui le maîtrise comme une maladroite ingérence.

Dans ce contexte, seul le "pirate informatique", globalement sympathique et admiré par la communauté apparaît comme un acteur allié de la population: faisant sauter les contraintes, mettant à disposition de tous les contenus.

Je suis sûr qu'un sondage dont les termes seraient: "selon vous, quel acteur est à même d'assurer la liberté sur internet ?" recevrait une majorité de réponse "les pirates et hackers" au sein de la population jeune.

Cette situation démontre que le pirate n'est pas perçu comme un criminel, bien au contraire, il épouse complètement l'image du gentil pirate véhiculé par la culture occidentale (Pirate des Caraïbes, Monkey Island...).

Il est donc certain que les années à venir verront l'émergence de ces partis, nés de l'incubation d’idées sur les forums, réseaux sociaux, blogs et autres...

Capables de mobilier une fraction sans cesse grandissante de la population, bénéficiant d'une immense sympathie, dans un monde transformé, le parti pirate doit se voir en miroir de celui écologique. Comme lui il s'appuie sur une génération particulière et comme lui il n'entend pas répondre à l'ensemble des problématiques de la société.

Comme lui il constituera une force politique d'alliance avec laquelle les partis majeurs devront composer.

5. Le lundi 16 avril 2012, 21:17 par Fab

Très intéressant!

Il serait aussi possible de faire le parallèle avec l'autre "mode politique" de l'année: le mouvement des Indignés.

Ces 2 mouvements peuvent se rejoindre sur pas mal de points: anticapitalisme, internet comme média... Mais d'un côté on a un Parti, de l'autre un mouvement ultradécentralisé qui refuse toute hiérarchie.

L'alliance avec les verts paraît évidente mais il faudra qu'un jour les écolos s'intéressent sérieusement au bilan carbone des serveurs internet, sans lesquels le "tout internet" est impossible. (C'était juste pour rappeler ce sinistre problème et être un peu mauvaise langue...)

6. Le lundi 16 avril 2012, 21:17 par oodbae

MoB: d'accord avec vous. "La percée du parti du pirate apparaît à bien des égards comme la compensation d'une vacuité actuelle: celle du politique dans le cyberespace". Mais je crois que cela est flagrant lorsque l'on regarde de plus près les programmes politiques du parti pirate: il n'y en a pas! Je dis "les" parce que ses représentants ont tous leur propre version selon qu'on les interviewe le matin ou au goûter. Des apprentis danseurs de madison, comme dirait notre sous-ministre de l'économie, faisant un pas devant, un pas derrière, un demi-pas de coté...
Il y a dans le cyberespace un champ libre, que dis-je une plaine fertile, pour les politiques qui est inexploitée ou tout au moins inoccupée, de sorte que le premier venu(e) peut s'en réclamer et personne ne peut s'y opposer, puisque les partis traditionnels européens ou tout du moins francais ne se sont presque pas adaptés au cyberespace (et réagissent en conséquence, tentant de museler la liberté dont on y jouit).
D'ailleurs, l'écart des budgets de cyberdéfense est significatif: 850 millions de $ aux USA, 85 millions $ en Allemagne, encore moins en France (chiffres de mémoire). En politique de défense, qui concerne la politique en matière de défense comme dirait Lapalisse, on néglige le cyberespace. Et on lisait encore il y a peu de temps que la France aurait 20 ans de retard en matière de sécurité informatique vis-à-vis de l'Allemagne, notamment en ce qui concerne la circulation de l'information en entreprise (http://www.esiea.fr/cyberguerre,-le...). L'état y jouerait un rôle du fait de la faiblesse des lois se rapportant au cyberespace. Il y a eu une révolution technologique dont la portée dépasse de loin la diffusion des téléviseurs et des radios au début du siècle, notamment du fait de sa rapidité (les CD AOL avec 50h gratuites à 56kBits/sec distribués en masse, c'était il y a 15 ans). Or, cette révolution technologique avait déjà constitué une révolution politique de l'ordre social. Dans "histoire de l'Europe" de Tony Judt, j'avais lu que l'unité nationale de l'Italie avait seulement pris une forme autre qu'administrative avec la diffusion de la télévision après la guerre, lorsque les italiens du sud ont entendu l'accent de ceux du Nord, lorsque ceux du Sud ont visualisé les mêmes programmes télévisés que les italiens du Nord. Et encore plus tôt, on se rappelle que l'invention de l'imprimerie par Guttenberg a permis la diffusion de la bible en allemand ,et non en latin, favorisant le schisme "protestant" d'avec l'église catholique, soit encore un exemple de révolution technologique provoquant des révolutions politiques. Que se serait il passé si l'église catholique avait choisi à temps de diffuser la bible en francais, en espagnol, en allemand, en néerlandais?

Cependant, je crois qu'il est faux d'affirmer que les pirates sont bien vus dans la société. La loi Hadopi est bien passée et tous les possesseurs d'un ordinateur qui constatent le ralentissement progressif de leur machine pour cause de virus se mettent à maudire les pirates, hackers et autres informaticiens. Il ne faut pas négliger cet aspect dans l'étude "sociologique" du phénomène.

Cordialement

7. Le lundi 16 avril 2012, 21:17 par

@oodbae: lien intéressant. Retard français certes, mais culturellement les pays scandinaves et l’Allemagne ont toujours été en avance dans le domaine du Hacking: les plus grandes "coding party" (The Gathering, ou la mythique Assembly pour ne citer que les plus connues) ont lieu là-bas.

L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information tente d'entretenir les compétences et échanges en France, mais avec un succès très modeste (lire ce billet par exemple:http://news0ft.blogspot.fr/2012/03/...). Reste quelques événements d'un bon niveau comme la "Hack in Paris" (http://www.hackinparis.com/home) ...

Il est certain que le nombre et le niveau des hackers d'un pays est représentatif de sa "cyber-puissance" si je puis dire; la France avec une son excellence en mathématique est en théorie bien placée; reste à promouvoir l'image des hackers ("White Hat", bien sûr http://fr.wikipedia.org/wiki/Hacker... ).

Bien cordialement.

8. Le lundi 16 avril 2012, 21:17 par

En Allemagne, il est adressé deux critiques au parti Pirate :

1) La prééminence forcenée accordée à la libre expression couplée à une organisation sans direction forte fait que des candidats au discours antisémite ne sont pas désavoués par le parti (tout le contraire avec G. Grass). Cela fait un peu désordre ...

2) Au delà du cyber et de la liberté d'expression (et contre la propriété intellectuelle), il n'y a rien ou pas grand chose. Toujours la même réponse : on en cause encore, une réponde bientôt.

Il y a aussi un déficit de charisme qui risque d'être un frein à la progression du Parti Pirate en Allemagne.

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