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Grèce : une Nation avant un Etat

La Grèce, la plus petite des péninsules méditerranéennes, partage avec les autres un relief tourmenté et une structure familiale quasi clanique. Ceci explique une partie de son dispositif géopolitique, que j'avais déjà évoqué ici. Ce billet donne un peu plus d'aperçus.

source

1/ La Grèce vit donc sur un sentiment national qui s'abreuve à plusieurs sources :

  • le souvenir de la Grèce antique et de cette domination universelle qui fit d'elle la mère des civilisations
  • le souvenir de Byzance, cet autre empire romain, qui traduit la capacité à absorber le dominateur
  • le souvenir du joug ottoman, à partir du XIV° siècle, jusqu'à la première libération, lors de la guerre d'indépendance, au XIX° siècle
  • Cette indépendance, chantée par lord Byron, est le prélude au "printemps des peuples", à cette ère nationale lancée au XIX° siècle et qui durera longtemps.

2/ Une autre source majeure réside dans la religion orthodoxe (même si les Grecs n'utilisent pas l'alphabet cyrillique), avec deux églises orthodoxes monocéphales (patriarche de Constantinople et archidiocèse d’Athènes), et la république monastique du mont Athos (voir billet). Il n'y a pas de séparation de l’Église et de l’État en Grèce.

3/ La lutte contre les Turcs entre le traité de Sèvres et le traité de Lausanne (1922) qui provoque "la grande catastrophe", c'est-à-dire la perte de la Grèce Ionienne (sur les rivages de l'Anatolie) et les grands échanges de population : Grecs d'Anatolie rejoignant la Grèce, Turcs du continent rejoignant la Turquie.

4/ La résistance à l'Allemagne hitlérienne, autour de l'ELAS (Armée populaire de libération nationale, Εθνικός Λαϊκός Απελευθερωτικός Στρατός, ΕΛΑΣ en grec), qui permit à la Grèce de se libérer sans troupes extérieures (mais avec l'aide britannique). Toutefois, en 1944, pour éviter que la Grèce ne bascule dans le communisme, Churchill fait débarquer une brigade au Pirée. Il s'ensuit une guerre civile, et la Grèce fut la première application de la doctrine Trumann visant à endiguer la poussée communiste (1947). Surtout, le leader communiste Markos perdait le soutien de Tito puis de Staline. Il était défait en 1949.

5/ Une série de pouvoirs faibles, dominés par de grandes familles politiques (Caramanlis, Papandréou), aboutissent à un coup d’État des colonels qui prennent le pouvoir en 1967. Le roi s'exile, mais la crise chypriote en 1973 conduit la dictature à chuter. Le retour de la démocratie en 1974 incite les Européens à accueillir la Grèce dans la Communauté économique européenne en 1981. Alors, le critère qui compte est un critère politique, celui de la "démocratie".

6/ Cela suffit-il à faire un État ? non, en fait. L’État n'est pas à l'origine du pays, ce n'est pas lui qui organise la Nation, et la Nation ne s'organise pas autour de lui. L’État, malgré le mythe de "la Grèce, patrie de la démocratie", est compris comme un intrus. L'impôt n'est pas à la source de la démocratie, comme dans les pays occidentaux, mais il est le signe de l'oppression de l'occupant, qu'il soit ottoman ou italien ou allemand... Il n'y a pas de séparation de l’Église et de l’État. Il n'y a pas d’État grec.

7/ C'est pourquoi ce qui arrive en ce moment révèle une incompréhension fondamentale, conjuguée à une diachronie.

  • L'incompréhension tient à la volonté des Européens de "remettre de l'ordre", ce qui passe par des prêts et l'envoi d'une troïka qui sonne comme une occupation.
  • La diachronie tient à la volonté de construite en Grèce un État alors que l’État westphalien arrive, ailleurs dans le monde, en fin de course. Le modèle est épuisé et l'on voudrait l'imposer aux Grecs.

8/ En revanche, la Nation grecque existe, sans hésitation. Et elle vit au travers de ses différends avec ses voisins :

  • au nord, avec les Macédoniens, souvenir d'Alexandre mais aussi des guerres balkaniques au début du siècle, voire de la quasi sécession de Markos pendant la guerre civile
  • à l'ouest, avec le turc, autrefois oppresseur et occupant, hier impérialiste et cause de la "grande catastrophe" et de la sortie des Grecs d'Asie mineur et d'Anatolie pontique.... Aujourd’hui, la dispute porte sur quelques îles de la mer Egée...
  • au sud-ouest, avec la question chypriote facteur du désagrément entre UE et OTAN...

La Grèce est toujours balkanique.

O. Kempf

Commentaires

1. Le samedi 23 juin 2012, 19:31 par

Merci pour ce billet sur la Grèce. Tu as raison au fond la Grèce (une nation sans Etat) c'est un peu l'anti-Italie (un Etat sans nation), et je ne résiste pas au fait de partager le discours de Malraux en 59 au Parthénon: http://www.culture.gouv.fr/culture/... (celui dont je me suis servi au colloque "Se révolter").

J'attire ton attention sur la question byzantine en Grèce (qui recouvre aussi la question de l'Athos). Il faut être conscient que sous l'Empire byzantin le centre important de la Grèce c'est Thessalonique (2e ville de l'Empire) et non Athènes (qui à cette époque est une ville tout à fait mineure et désertée) ce qui a créé une sorte de régionalisme Nord-Sud (auquel il faut aussi rajouter le particularisme péloponésien sur lequel on pourrait écrire sans fin...) et qui se voit bien dans la question religieuse. En effet les moines de l'Athos ne répondent pas au patriarche d'Athènes (qu'ils détestent) mais à celui de Constantinople ce qui ne manque pas de créer des tensions au sein de l'Eglise orthodoxe grecque (pour çà je te renvoie au roman de V. Alexakis "Ap J-C").

Dernière chose et non des moindres, la Guerre d'Indépendance grecque est, à ma connaissance, la première irruption de "l'opinion publique internationale" et donc de "l'ingérence" d'autres puissances (hors demande expresse de celle-ci bien entendu comme dans le cas de l'Espagne en 1823) dans ce qui est alors une affaire interne de la Turquie. Je pense que cette question des "médias" dans l'indépendance grecque mériterait une bonne thèse universitaire. Des volontaires ?

égéa : je ne sais plus quel roman policier, qui se passait à Istanbul, met en scène un ancien des combats de 1821. Avait-il vu lord Byron ? Et déjà, l'orient mélangé posait la question des étrangers et des grandes puissances. Mais oui, tu as raison sur la question de l'ingérence. Toutefois, on peut la remonter aux croisades....

2. Le samedi 23 juin 2012, 19:31 par AGERON Pierre

Voir les travaux de G. Prévélakis notamment Géopolitique de la Grece chez Complexe où il raconte comment la Grèce fut inventée par les Européenns (premier souverain : un bavarois Othon Ier) et la tension entre les tenants d'une Megali Idea (Grande grece centrée sur Constantinople selon la volonté de la diaspora) et une Grece resserée sur Péloponèse plus conforme à l'image antique qu'en avaient les Occidentaux...

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