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Cyber et arctique

Pascal TH nous envoie ce billet qui évoque la pose de câbles pour l'industrie bancaire : mais alors qu'il insiste (à raison) sur l'Arctique, je vois en sus des enseignements sur le cyberespace.

source

« Il y a une éternité, en mars 2011, je vous avais parlé du « High Frequency Trading », ces programmes automatiques, appelés également «bots» ou «algos», qui surveillent les transactions boursières en cours, détectent la bonne affaire et l’exécutent en quelques millisecondes. Les marges réalisées sont certes minuscules, parfois seulement quelques centimes par opération, mais elles s’additionnent avec le risque de créer un Flash-Crash comme le 6 mai 2010.

Le HFT est rendu possible par l’augmentation du nombre d’opérations à virgule flottante que peut réaliser les ordinateurs, nombre se chiffrant en Pétaflops. Toutefois pour engranger des bénéfices, il faut aller plus vite que les autres. L’une des méthodes pour y parvenir est de mettre les ordinateurs à proximité de la Bourse, car il faut conserver à l’esprit que 100 km est parcouru en 1 milliseconde par un paquet de données. Mais une banque ne peut pas se contenter ou avoir la possibilité de louer, ou d’entretenir des serveurs dans chaque capitale boursière avec les risques d’intrusions que cela comportent. L’autre alternative est de se rapprocher physiquement des centres financiers importants, de raccourcir les distances et, grâce au réchauffement de la planète, voilà qui est du domaine du possible. En effet, il existe beaucoup de projet de câbles optiques qui passeraient par l’Arctique dont Artic Fibre qui doit permettre de fournir le temps de latence le plus faible entre la Chine du Nord, la Corée, le Japon et le Royaume-Uni et l’Europe du Nord ainsi que des routes concurrentielles vers le Nord des États-Unis. (« Provide the lowest latency route from Northern China, Korea and Japan to the UK and Northern Europe and competitive routes to the US Northeast. »). Le gain de temps espéré est de 5 millisecondes soit des millions d’euros par journée boursière…

Donc, grâce au réchauffement de la planète, il devient plus aisé de poser des câbles dans cet océan glacial et, surtout, de les maintenir en condition. Mais le réchauffement va, également, permettre d’exploiter les gisements de pétroles, de terres rares et autres minerais utiles ce qui explique tous les mouvements de mentons que je signale depuis quelques temps (souvenez-vous en mai 2011 je vous parlais de la tentative danoise de déclarer le Pôle Nord danois ou encore de la création des brigades arctiques russes…)

Je vous le répète, nous n’avons pas fini de parler de l’Arctique dans les années à venir. » PTH

J'ajouterai quelques commentaires :

  • le rapport entre le temps et la distance : en effet, à force de dire que le cyber "va à la vitesse de la lumière" on ne s'aperçoit pas que même cette vitesse là est finie. Et que même sur une petite terre, cela peut avoir de l'effet. Ceci est un des exemples servant à relativiser la célérité du cyberespace : le rapport au temps est plus compliqué qu'il n'y paraît.
  • le rapport à l'économie : ce sont des motivations financières qui provoquent un projet économique, celui de la pose de câbles au fond de l’Arctique.
  • dès lors, cela illustre à quel point le cyberespace possède une dimension géographique, physique. Il a donc (et c'est ce que nous dit PTH) des conséquences géopotiliques. Le cyberespace est un espace.

O. Kempf

Commentaires

1. Le samedi 28 juillet 2012, 23:14 par BQ

Le joli surnom sur le marché des changes du GBP/USD est le Cable. Historiquement, le premier câble sous-marin transatlantique servait en effet à échanger ces devises.

L'unité de mesure du temps se précise, mais son Mur est "loin" de tomber.

2. Le samedi 28 juillet 2012, 23:14 par yves cadiou

Pétaflops ! Voilà un juron qu’il faut ajouter à la liste du Capitaine Haddock.

Wikipedia nous rassure, certainement conscient de l’angoisse qui étreint ses lecteurs au sujet des pétaflops : en 2019 ils devraient être supplantés par les exaflops puis plus tard par les zettaflops et les yottaflops, confirmant périodiquement que les scienteux ont le sens de l’humour quand-même. A moins que ce soit involontaire de leur part.

En examinant cette tribu de néologismes, on comprend qu’ils sont générés par des virgules flottantes : ah ben v’là aut’chose, des virgules flottantes maintenant ! La virgule, comme tout ce qui flotte, subit certainement la poussée d’Archimède qui s’applique du bas vers le haut à son centre de carène. Par conséquent la carte qui accompagne le billet s’explique mieux : c’est sans doute à cause des virgules flottantes que l’on fait passer les câbles entre les îles au lieu de prendre au plus court en coupant par le Groenland et autres îles désertiques où ils ne dérangeraient personne. Si on est pressé (à cause des fameux pétaflops), mieux vaut éviter de faire des détours.


Mais si les virgules flottantes n’y sont pour rien, alors pourquoi passe-t-on par le détroit de Béring ? Non seulement ça allonge le trajet mais ça fait ensuite passer par la fosse du Japon ou la fosse des Kouriles qui sont des fonds difficilement franchissables.

Pétaflops ou pas, les tracés choisis (passage du nord-ouest pour le projet américain ou passage du nord-est pour le projet russe, l’un et l’autre par le détroit de Béring et par la fosse du Japon ou la fosse des Kouriles) ne sont pas les plus courts ni les plus faciles pour aller de Londres à Tokyo : le plus court (orthodromique, 9500km) est majoritairement continental par la Sibérie. Or faire passer un câble en sous-sol sur des kilomètres sans creuser de tranchée, on sait faire ça depuis longtemps.


En définitive il y a quelque chose de pas clair dans cette histoire. Pascal TH saura peut-être nous dire ce que les sociétés Kodiak-Kenai Cable, Artic Fibre et Polarnet Project tentent de nous cacher : quel est le vrai motif de passer par l’Arctique et ensuite par des fosses à 9000 mètres ?


Parlons aussi des logiciels boursicoteurs : je ne suis pas sûr qu’ils ont beaucoup d’avenir car ce sont des parasites. Donnant des ordres d’achat au moindre signe de hausse et des ordres de vente au moindre signe de baisse, ils amplifient le yoyo boursier sans utilité collective. Je ne serais pas étonné qu’ils subissent une interdiction d’accéder aux places boursières avant que les exaflops apparaissent. Dans ce cas les projets de fibres arctiques deviendraient moins rentables.


En attendant d’être interdits d’accès aux bourses, les logiciels boursicoteurs amplifient le perpétuel sentiment de crise économique qui traîne dans notre inconscient collectif et dans les discours politico-médiatiques depuis les années soixante-dix. On oublie trop facilement que la bourse n’est pas un indicateur économique ni un indicateur financier : c’est seulement la bourse, ce n’est même pas du commerce (qui est un échange gagnant-gagnant), c’est un échange gagnant-perdant (de l’acheteur et du vendeur, l’un des deux prend une décision erronée).


Les crises. Elles semblent chroniques mais ne le sont pas, une crise étant aiguë par définition. Ce qui est chronique c’est le sentiment de crise. Depuis quarante ans j’entends continuellement parler de crise économique : il est pourtant évident que nous sommes collectivement beaucoup plus riches qu’il y a quarante ans. (Quant au pessimisme concernant la surpopulation, c’est un autre sujet mais je le mentionne parce qu’il fait partie du même pessimisme continuel depuis Malthus il y a deux siècles). Depuis quarante ans j’entends aussi parler de crise écologique imminente et irréversible : dans les années quatre-vingt, on entendait dire que ce qui nous menaçait était le refroidissement planétaire parce que le bétonnage que nous faisions partout augmentait l’albédo de la planète. Les pluies acides dues à la pollution industrielle allaient faire disparaître les forêts, aggravant encore l'augmentation de l'albedo.


L‘article de Pascal TH rompt avec les habitudes : il est rare de lire que la fonte de la glace arctique présente des avantages. Elle en présente pourtant, notamment pour les transports maritimes comme on en a déjà discuté sur ce blog. Pour les câbles, je comprends moins : les trajets par l’Arctique s’expliquent mal pour des câbles joignant des points qui ne sont pas exactement symétriques par rapport au pôle, à moins que la vitesse du signal ne soit pas aussi essentielle qu'on le dit. J’aimerais en savoir plus sur le choix de cet itinéraire.

3. Le samedi 28 juillet 2012, 23:14 par Pascal TRAN-HUU

Techniquement, Yves CADIOU a raison en ce qui concerne l'orthodromie qui devrait prévaloir dans ce genre de projet toutefois c'est oublier quelques principes dans la pose de ce type de matériel qui font que la ligne droite n'est pas, obligatoirement, la route la plus courte. Tout d'abord,il faut conserver en mémoire que l'on utilise deux types de câbles en fonction de la profondeur du parcours, l'un plus gros pour les zones peu profondes, l'autre nettement plus petit pour les eaux profondes. Le navire câblier déroule le câble et l'enfouit, sur les haut-fonds (soit par soc enfouisseur soit avec des scaphandriers) pour éviter le crochetage par les bateaux de pêche, ou le laisse couler avec pour seuls lest les boitiers répéteurs (qui permettent de redonner de la vigueur au signal). Les câbles sont posés à des profondeurs pouvant atteindre 2000 m. L'étude préalable à la pose du câble permet de fixer l'itinéraire le plus simple en regard des contraintes de pose ce qui fait éviter les zones difficiles (sujet à des risques sismiques par exemple), le passage de fosse du type des Kouriles n'est pas vraiment un problème puisque le câble "flottera"...
Une des autres contraintes, qui font que la ligne droite n'est pas le plus court chemin, est qu'il faut bien vendre la bande passante et donc avoir des points d'atterrissement (le terme des câblier) pour connecter les pays tiers! (Voir à ce sujet le site de Greg (http://www.cablemap.info/) donc l’intérêt de faire passer un câble à travers la Sibérie est relatif, sans compter les risques de coupure du câble par malveillance...
A titre indicatif, je suggère aux personnes intéressées de consulter le rapport d'impact environnemental du projet "Main One". Vous aurez ainsi une idée des considérations qui président à la pose de ce type de câble. (Il s'agit d'un résumé analytique de 29 pages donc non chronophage :http://www.afdb.org/fileadmin/uploa...)
Les trajets choisis obéissent plus à une logique financière qu'à des considérations plus ou moins fantasques.
L'interdiction du "HFT voulue par nombre de personnes ou institutions comme le MEDEF (http://www.humanite.fr/social-eco/l...)s'est fait jour après le Flash-Crash du 6 mai 2010 sans que cela est beaucoup avancé (http://www.lenouveleconomiste.fr/le...)
Du reste, on se pose plus de questions sur le Flash-Trading que sur le HFT...
Reste que le point faible du réseau est la possibilité d'intrusions ou de surveillances actives et passives d'icelui. On doit, nécessairement se poser la question de savoir comment est assuré la sécurité des sites d’atterrissement des câbles sous-marins...! Prenez la carte sur le site de Greg et cherchez le câble SEA-ME-WE-4, si les sites mentionnés ne sont pas dans l'arc de crise... A tout prendre les projets arctiques sont aussi plus sûrs.

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