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Dissuasion cyber, défense et riposte

Allez, pour reprendre, un petit billet sur la dissuasion dans le cyber. Voici donc quelques idées, parmi d'autres, et pas forcément originales.

source

Comme nous l’avons remarqué, la fonction défensive dans le cyberespace apparaît comme première. Elle peut être imparfaite et facilement transperçable, mais elle existe toujours. La question de la riposte est en revanche beaucoup plus délicate, car elle suppose plusieurs éléments : la prise de conscience qu’on a été attaqué ; la mesure de l’intensité de l’attaque et des dégâts causés ; l’identification de l’agresseur (attribution et imputabilité) ; l’éventuelle atteinte des moyens de riposte ; la décision et l’exécution de la riposte.

Remarquons tout d’abord que nous parlons d’un agresseur unique : or, une des difficultés du cyber tient à la multitude des acteurs en jeu : la dissuasion suppose un dialogue stratégique qui individualise l’autre, ce qui paraît très difficile dans le cas du cyberespace .

Or, l’attaque première sera, sauf cas extrêmes, rarement visible au premier coup d’œil, ce qui constitue une différence fondamentale avec le système classique, où soit l’attaque était conventionnelle (mais visible) soit nucléaire (et encore plus visible). Dans tous les cas, les trois premières étapes étaient assez facilement assurées, et dans un temps très bref. La dernière (mise en œuvre de la riposte) pouvait donc être rapidement mise en œuvre de façon légitime. Or, la légitime défense suppose d’une part une certaine proportionnalité de la riposte à l’attaque, mais également une concomitance des deux actions. En cyber, la concomitance de la riposte paraît inatteignable.

Il existe toutefois une possibilité : celle où l’agresseur déclare son agression.

Réf :

  • Libicki, bien sûr, ici
  • Gruselle, Esterle et Tertrais, pour la FRS, en français : ici
  • ici
  • dossé et HUbac, les doctrines de cyberdissuasion ici

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 20 août 2012, 21:40 par Bertrand

Bonsoir M. Kempf,
le passage "rarement visible au premier coup d’œil, ce qui constitue une différence fondamentale avec le système classique" a suscité en moi une réflexion toute bête... Je me suis mis à penser à une taupe et par extension aux formidables - et finalement assez courantes- opérations d' intoxication/espionnage/contre-espionnage qui ont toujours "animé" en sous-main les relations entre les Etats, et continuent de le faire.
En effet, la complexité de ces opérations "humaines" (en tout cas pour ce que l'on puisse en connaitre et c' est bien là la question) rend souvent impossible l'identification formelle (ou légale) d' un attaquant. Nous avons aussi les mêmes délais de latence (à moins de prendre des décisions arbitraire et spontanées) que dans le cyber, car les mêmes incertitudes que celles dues au très épais BROUILLARD DE LA cyberGUERRE.

Partant (pour essayer de "bien diviser") :
- soit je considère le milieu et les stratégies cyber comme une extension, un simple outil de continuation d' une relation purement humaine (avec les faux-semblants, mensonge, ruse, agents-doubles, retournements, etc. qui vont avec)
- soit je considère le cyber comme une "entité" dont les caractéristiques physiques (complexité des interconnexions, volatilité, intemporalité) sont telles qu'elles structurent nécessairement de nouvelles relations humaines, les hommes étant en quelque sorte dépassés par leur "créature" et cherchant les moyens de se la ré-approprier (à leur profit donc)...

En fait je pense qu'il y a un peu des 2.

Ainsi, même si un "agresseur" venait à "avouer" une attaque, cela ferait-il de lui un coupable - au sens juridique du terme ? Car en l' absence de preuves formelles (ou de maîtrise de la "bête"), la déclaration de l' agresseur doit-elle suffire à le condamner ou ne serait-ce pas encore une "fourberie" (ou une "bourde"), manoeuvrée en sous-main ???

Lorsque je pense à la complexité de certaines affaires de contre-espionnage "analogiques" du temps de la 2eme GM ou de la guerre froide, où les acteurs étaient déjà largement paranoiaques, quid d' affaires contemporaines avec une couche cyber... Bon, je vais dormir là-dessus...

2. Le lundi 20 août 2012, 21:40 par yves cadiou

Dans ce que je lis au sujet de ce qu’on appelle « la cyberdéfense » et abusivement « la cyberguerre », il manque toujours le même élément (sans doute se trouve-t-il dans ce que je n’ai pas lu) : on oublie de se demander à quoi servirait une attaque.
Il n’en est pas de même lorsqu’on aborde la cybercriminalité (qu’elle soit à motif crapuleux et à but directement lucratif, qu’elle constitue toute autre infraction pénale de droit commun, ou qu’elle soit à motif politique) où les mobiles des contrevenants sont plus clairs. Mais dans tous ces cyber- que l’on affuble d’un suffixe volé à la polémologie, au contraire on ne trouve nulle mention des motifs de l’attaquant ni du résultat qu’il cherche à obtenir.

Ce n’est pas moi qui comblerai cette lacune, à la fois parce que c’est un domaine où je me sens totalement incompétent et parce que je ne suis pas attiré par une réflexion qui me semble (et je précise poliment que je peux me tromper) essentiellement caractérisée par l’abus de langage.

3. Le lundi 20 août 2012, 21:40 par bertrand

@ yves cadiou :
1- Je pense comprendre votre désarrois et je le partage en partie. Je pense que le milieu cyber n'est justement qu'un milieu, une couche qui vient s'ajouter aux relations humaines déjà existantes. Le cyber appelle donc des tactiques propres, mais pas réellement une conception nouvelle en matière stratégique (pourvu que nous prenions conscience que le "cloud" nous a déjà en partie dépassé, cf. ci-dessous en -2).
C'est aussi pour cela je pense que vous ne trouvez pas bcp de développements sur les motifs et les cibles possibles des attaques cyber, car ceux-ci seraient tout simplement les mêmes que toujours.
C'est ce que j'essayais de dire dans ce parallèle avec le "monde" des opérations clandestines "historique". La différence serait par exemple que pour couler un "Rainbow Warrior" il ne serait plus nécessaire d'envoyer des plongeurs mais peut-être de compromettre un système de navigation...

2- Je trouve cependant votre avis général sur les "débats cyber" un peu extrême : ceux-ci sont certainement et souvent le sujet d'abus de langage mais participent d'une démarche légitime, dans l'acception (évoquée plus haut)où je pense que nous assistons tout simplement à la prise de conscience que le milieu du cyber nous a peut-être dépassé. D'où une multitude de questions existentielles, qui outre les aspects psychologiques ("ce que je ne cerne/contrôle pas me fait peur")permettent à tout le moins de mieux comprendre les risques et les modes opératoires possibles.

3- Pour conclure ce post, je doute de la révolution stratégique immédiate qui serait apportée par le milieu cyber. Ce dernier ne se prête que trop bien aux actions clandestines, et ce encore pour de longues années à mon avis. Pour cette raison, nous n'aurons jamais je pense une dialectique du type nucléaire, ouvrant sur une stratégie totalisante. Au mieux, il faudra peut-être se contenter d'admettre que la dissuasion du faible au fort existe bien dans le milieu cyber, et que le cloud est finalement devenu un bien commun (cf. les "global commons" sauce anglo-saxonne) qu'on ne peut atteindre sans se nuire réciproquement.
Juste mon très humble - et probablement partiel - avis.

cdlt

egea : d'accord avec l'ensemble du propos. Peut-être surestimez vous l'importance du "cloud" qui n'est qu'un aspect du cyber.

4. Le lundi 20 août 2012, 21:40 par Colin L'hermet

Bonsoir à tous,

Messieurs, veuillez me permettre de vous emboîter le pas (élancé du héron ?) :
L'abus de langage semble résider dans l'incaractérisation, quand on écrit en 2 pages, du lieu de la bataille.

Le champ de l'action, le champ de la bataille si l'on veut, est peut-être cyber ; en tous cas, il nécessitera, à chaque évocation, d'être soigneusement défini.

Ensuite, il convient de rappeler que l'on forge une arme pour obtenir un effet.
On projette sa volonté-but dans cette conception. L'anneau unique.
Les effets sans volonté derrière sont des accidents.

Donc l'outil peut être cyber, mais alors, il faut de nouveau définir en quoi il serait cyber, et ce qu'il vise à produire.

c) Tant que tout sera cyber, on n'avancera pas.
Un petit coup d'oeil sur l'agrégation des posts de O.K. atteste de ce qu'il essaye de sérier chacune de ces étapes, dans un nécessaire et double souci de sémantique et d'opérationalité.

d) Il faudrait voir à admettre que le cyber, c'est le moyen de poursuivre la maskirovska ET de détruire une centaine de centrifugeuses P2 ET d'indisponibiliser la fourniture électrique d'un quartier ET de récupérer le plan d'orientation stratégique de Rosoboronexport ET de savoir combien le premier ministre de France compte vendre les Rafales afin de pouvoir sous-enchérir.

Donc nihil novi sub sole Austerlitzii.

Le champ de l'activité guerrière ne rencontrerait qu'un nouvel outil. La guerre de l'information également. La communication civile également. Les opérateurs économiques tout autant.

La poursuite de la stasis ou de la polemos dans le cyber n'engagerait que de la tactique, pas de la stratégie.
La stratégie devrait finir par résider dans le fait que la tranversalité de l'outil cybertechnologique le prédestine à faire fusionner plusieurs activités humaines que l'on menait ou théorisait de manière cloisonnée : IE d'une part, PsyOps de l'autre, mesures actives ailleurs, engagement conventionnel, etc...

Je sais que ce type de discours ressemble à la théorie générale et généralisante : les forces électriques, les liens électroniques faibles, la gravitation et le magnétisme, le bloc cybernétiquement intégré avion-DCA-servant-oeil-radar, la carpe et le lapin, DSK et la gauche...
Mais il faut admettre que pour certaines ça a marché.

Oups !
Je viens de me rendre compte de mon erreur : pour les carpes et les lapins, ça n'a pas marché. Merci Cuvier et Leclerc de Buffon !

Bref, une théorie générale de l'activité polémologique pourrait aider.
Cela pourrait ressembler à la thermodynamique, qui traite déjà, via ses 3 principes, des différences de potentiel et des "échanges" que cela entraîne, de la conservation globale des énergies, et de la dégradation entropique des systèmes.
Mais il faut reconnaître que ce serait a) un trop gros morceau b) qui prendrait à contresens les catégorisations et disciplines que nous avons forgées toutes ces années.

Bien à vous,
Cl'H

5. Le lundi 20 août 2012, 21:40 par Colin L'hermet

Re-bonsoir,

Navré, je rédigeais au moment ou Bertrand postait.
(illusion de simultanéité puisque a) le blog est dématérialisation atemporelle et b) O.K. est le dieu caché de toute cette mécanique).

I) Toujours est-il que cela m'aurait évité de paraphraser Bertrand.
Car j'ai le sentiment que nous exprimons la même idée centrale.

II) Maintenant, question (car il faut toujours une question, sinon ce n'est pas de jeu) : assistons-nous "tout simplement à la prise de conscience que le milieu du cyber nous a peut-être dépassé" ?
"prise de conscience" ou crise de conscience ?

Au-delà du mauvais jeu de mot et des manifestes impacts de cet objet sur nos cadres et modes de vie, toutes nos constructions pseudo-guerrières sur le sujet ne sont-elles pas dictées par ce profond malaise ?

III) Guns don't kill people, people kill people.

Cet outil ne reste qu'un outil.
A nous justement de veiller qu'il le reste. Maintenant, ce que les gens font de cet outil, et la représentation qu'il s'en font, ne sera jamais maîtrisable.

A moins de connecter Skynet au WWW, Joshuah-the-WOPR au NORAD ou Big Brother aux caméras de "vidéo-protection" comme dans les films-qui-font-peur, nous n'avons qu'un maillage d'objets qui communiquent et qui échangent du sens.

a) Et j'entends souvent (trop à mon goût) les gens parler de la cyber-guerre comme d'une menace à part entière.
Comme d'une nouvelle puissance permettant une dissuasion.
J'ai juste l'impression de vivre les interrogations des physiciens du Manhattan Pjt s'inquiétant du possible embrasement de la couche atmosphérique si on créait une bombe à fusion de noyau d'hydrogène...
Or la bombe H a été créée et a détonné, l'atmosphère n'a pas brûlé. Et les essais de la Tsar Bomba ont même fait la preuve de la large marge qu'il y avait avant ce danger d'embrasement planétaire (nonobstant les risques, avérés eux, de retombées radioactives très très très loin en raison des courants atmosphériques).

b) Donc n'en déplaise aux vendeurs de sensation forte, le cyberarmement se cantonne aujourd'hui au rôle de supplétif du conventionnel, en appui synchronisé des opérations.
Il tient un pan beaucoup plus vaste dans la trousse à outils du PsyOp, de la ComOp et autres AgitProp, ainsi que dans le RIM ou l'IE.
Il est aussi répandu que le téléphone, la BàL morte et les micropoints dans le CT et le CE.

Des outils, de simples outils.
La stratégie globale, véritable De bello, reste à réécrire... sous OpenOffice ?

Cl'H

6. Le lundi 20 août 2012, 21:40 par yves cadiou

En reprenant deux des points évoqués par Bertrand ci-dessus, je vais peut-être un peu sortir du sujet. Mais peut-être pas.
1 La dissuasion nucléaire ; 2 le Rainbow Warrior.

1 Entre la dissuasion nucléaire et son équivalent (s’il existe) dans le cyber, la comparaison est difficile parce que l’on trouvera peu de gens capables d’appréhender correctement les deux.
Dans les années soixante l’attention des ados (ma génération) était attirée, s’ils étaient un peu curieux, par les brocards sur « la bombinette » (l’AN 11 transportée par Mirage IV). L’époque était favorable aux raisonnements loufoques chez les ados : succès de la BD de Frankin avec le personnage de Gaston, magazine Hara-Kiri « journal bête et méchant », même les Pieds Nickelés étaient trop ringards. Par conséquent nous comprenions assez bien « la bombinette » alors qu’elle dépassait l’entendement de nos parents, de la plupart des journalistes et de beaucoup d’élus. « La bombinette » dépassait aussi l’entendement des matheux acnéiques qui préféraient les certitudes du carré de l’hypoténuse et dépassait l’entendement de tous ceux qui, par idéologie, ne voulaient pas comprendre.

Mais cette génération (où tous n’étaient pourtant pas des imbéciles) était composée d'hommes préhistoriques au regard du cyber : le téléphone était rare, analogique, aléatoire (le 22 Asnières) et la télévision, encore plus rare, était une seule chaîne en noir-et-blanc, peu attractive, qui fonctionnait quelques heures par jour.
Je crois par conséquent que l’on peut difficilement être compétent à la fois sur la dissuasion nucléaire (qui reste cependant valable, tant pis pour ceux qui n'ont pas compris quand ils avaient l'âge de comprendre) et sur le cyber. Donc comparaison difficile.

En revanche on trouvera facilement des gens qui, ayant par idéologie ou par conformisme loupé le raisonnement de la dissuasion nucléaire quand ils étaient jeunes, sont désormais trop vieux pour assimiler et la dissuasion nucléaire et le cyber.


2 Rainbow Warrior. La comparaison est opportune parce que, précisément, ça n’a probablement rien à voir : je suis incompétent dans le cyber et par conséquent je vous laisse juge.

Si l’on avait voulu que le Rainbow Warrior disparût corps et biens en le coulant par des fonds de 4000m, introuvable et irrécupérable, c’était facile. Mais on voulait qu’une épave photogénique restât visible dans ce port de Nouvelle-Zélande et que l’attentat fût signé « France » (d’où la présence à terre d’une équipe manquant volontairement de discrétion, dont deux membres ont été arrêtés et identifiés comme officiers français).

A cette époque dans la Gauche française, qui était au pouvoir, bien peu avaient compris la dissuasion nucléaire ni d’ailleurs quoi que ce soit aux questions de défense nationale. Mais notre Président et notre ministre de la Défense étaient parmi les rares qui avaient compris. L’on doit à Charles Hernu d’avoir limité les dégâts quand la Gauche est arrivée au pouvoir en 1981.

En 1985 l’affaire du Rainbow Warrior était un message adressé, bien sûr à Greenpeace, mais principalement à nos alliés : « nous sommes prêts à faire n’importe quoi pour conserver et perfectionner nos armes nucléaires ». L’avertissement était dans la droite ligne de la dissuasion gaullienne qui consistait à menacer nos alliés pour qu’ils viennent à notre secours sans tarder quand une guerre en Europe mettrait en jeu la survie de la France. Malheureusement parmi l’équipage du RW, il y a eu un mort par accident. Je suppose que les militants basiques de Greenpeace sont plutôt des rêveurs : ceux-là n’avaient probablement pas conscience de la gravité de leurs actes et n’ont pas pensé être l’objet d’une attaque.

A cause de cet accident, plusieurs de nos politiciens se sont dégonflés au lieu d’assumer. Notamment le Premier ministre « responsable de la défense nationale » aux termes de la Constitution, au lieu de prendre la position courageuse que j’expose dans le paragraphe précédent, a préféré esquiver. D’où l’impression (fausse) de fiasco qui a été répandue par la presse grand public.

Il reste que le message est passé auprès de ceux à qui il était adressé : « pas touche à la dissuasion nucléaire française !»
Je ne sais pas s’il y a, ou s’il pourrait y avoir, la même chose dans le cyber.

7. Le lundi 20 août 2012, 21:40 par oodbae

Bonsoir,

comme je n'ai toujours pas fait l'effort delire les cahiers géostrategiques sur la cyberstratégie et autres bouquins recommandés par egea, je me dispense d'une longue théorie, même si j'ai lu les autres commentaires. Néanmoins, je commenterai en réponse aux autres commentateurs que le cyber est légèrement plus complexe et compliqué que l'usage d'une arme à feu. Je me rappelle encore le débat sur l'avenir de l'aviation militaire en considération des progrès des drônes et l'évidente surestimation des capacités humaines par ces mêmes humains par rapport aux possibilités qu'offrent les robots et autres systèmes informatiques. Le Cyber n'est pas un "simple" outil. Est-ce qu'un ferry est un "simple" outil? si oui, prenez la barre, je vous en prie. Est-ce qu'un moteur de Peugeot 107 est un "simple" outil? Si oui, montez en un sur mon caddie de supermarché, je vous en prie. Est-ce que le cyber est un simple outil? Si oui, montez un botnet pour la semaine prochaine et rapportez la liste des courriers envoyés la semaine dernière en vous appuyant sur les fichiers de données que le suivi informatique des lettres a du produire sur les serveurs de la Poste, je vous en prie, comme "simple" exercice.

Si l'on veut se figurer la cyberguerre, ou la cyberstratégie, ou autre cybertruc, ce n'est pas au moyen de comparaisons avec la bombe atomique ou le nombre de chars Leclerc ou même le degré de compétence des force paramilitaires d'un groupe armé qu'on peut arriver à un résultat concluant. Il faut plutôt penser à des changements environnementaux, tels l'inondation de la Hollande lors de l'invasion par louis XIV, seule à même de neutraliser les forces d'invasion, ou bien l'empoisonnement de la rivière traversant Carcassonne au Moyen-Age lors de son siège qui a permis de forcer les assiégés, ou bien l'empoisonnement des puits sahariens au cours des siècles. A la limite, pensons aux épidémies de peste ou même la contamination volontaire par le choléra et la grippe des indiens d'Amérique lors de la colonisation qui a permis de vaincre les tribus les plus fortes.

La cyberdéfense ressemble donc à l'érection de digues pouvant être détruites, à la production de vaccins contre des maladies rares, à la mise en réserve de grandes quantités d'eau en prévision de sécheresse et d'empoisonnement des canalisations publiques. Quid de la cyberattaque et de la cyberguerre?

cordialement

oodbae

8. Le lundi 20 août 2012, 21:40 par Colin L'hermet

Bonsoir,

@Oodbae,
Let's agree to disagree, sir !
Je maintiens : un simple outil.
Pas parce qu'il serait simple, ou aisé à manier, mais "simple outil" en ce qu'il n'a rien de magique. Il est plus fantasmé qu'étudié, et les vagues médiatiques de Stux Flame et autres Duqu n'arrangent rien.
Et toujours cette idée que l'arme ultime pourrait y détoner un jour, détruisant par contagion l'ensemble de nos réalisations techniques, nous renvoyant à un âge antérieur à l'actuel âge de silice.

Je dirais que vous avez souhaité opposer la complexité au terme de "simple" que j'avais employé.

Vous citez donc des exemples bel et bien complexes mais triviaux : la nécessité de finesse dans la direction d'un ferry, la nécessité d'équilibrage poids/poussée dans la conception d'une motorisation, la nécessité d'agréger et synchroniser des micro-forces d'attaque pour abattre les défenses d'un serveur et entrer dans ses datas.
Complexe, certainement.
Nécessitant connaissances et savoir-faire, certes.
Mais "simples" opérations, triviales, en ce qu'elles se résument ou s'exposent justement "simplement".

Je souhaitais opposer l'idée d'un "simple outil" cyber, dont l'usage est véritablement codifié, à l'effroi indicible, quand ce n'est pas la fascination passionnée, que le milieu cyber semble provoquer chez nos contemporains.

Ce cybermachin, déployé à toutes les sauces, il n'est pas un concept, ni une idée.
Ses nombreuses facettes sont d'ores et =déjà des réalités=, dont les usages sont codifiés, je le répète. Aussi chacune de ces facettes se résume-t-elle "simplement", comme le prouve le fait que nous ayons su les sérier et les catégoriser.

En revanche, étape suivante autrement plus complexe, et donc pas simple : réussir à réunifier chacune de ces facettes/acceptions afin de faire apparaître qu'elles forment un seul et même ensemble, en l'occurrence un espace informationnel que nous avons synthétisé et sur lequel nous connectons nos objets.

Maintenant, je vais vous dire le fond de ma pensée.
Nous sommes relativement nombreux, dont vous je pense, à nourrir l'intuition que le champ du cyber pourrait bien être l'occasion d'une révolution de la pensée humaine.
Je crois également pouvoir prêter à certains l'idée que la centralité croissante de ce champ dans nos modes de vie et de pensée le prédestinerait à connaître un alignement avec les autres milieux où se sont exprimées, et s'expriment toujours, la conflictualité humaine et les stratégies liées.

En dépit de ma curiosité intellectuelle pour le sujet, je tiens l'accès au champ informationnel et les éléments technologiques dont nous nous sommes entourés pour les pires plaies dès lors que l'on érige cette technicité comme un mode de pensée.
Il nous faut retrouver et admettre la notion de "simplicité" dans le regard que nous portons sur nos outils, sans quoi nous ne cesserons jamais de sombrer dans la fascination pour nous-mêmes.
C'est avec un regard décillé sur ce qui est manufacturé que nous pourrons aller plus loin dans la compréhension de ce qui sa trouve au-delà, de ce qu'est l'information, depuis l'oralité préhistorique jusqu'au cyber, en passant par l'imprimerie et la codification génétique.

Bon, je vais fermer cet ordi d'la mort
et aller bouquiner un peu.

Bien à vous,
Cl'H

9. Le lundi 20 août 2012, 21:40 par oodbae

@ L'Hermet

Merci de me répondre.

Of course I disagree. On that, we'll agree

Vous avez bien compris que j'oppose complexité et simplicité. Pardonnez s'il vous plaît ce que vous prendrez peut-être pour de l'arrogance, mais votre message laisse transparaître la suffisance typique des grands esprits de ce pays passées par de grandes écoles et des classes préparatoires où l'on se convainc que saisir le sens global d'un problème, c'est l'avoir déjà résolu, et où l'on néglige de s'attaquer aux travail rébarbatif de la résolution elle-même. En général, ces grands esprits prennent cette mauvaise habitude avant la fin de leurs études parce qu'on les convainc qu'ils sont l'élite, occuperont des postes à responsabilités et pourront donc charger des subordonnés d'effectuer les petits travaux techniques. Car ce qui compte, n'est-ce pas, c'est de voir au delà de la colline, d'avoir une vue d'ensemble.

Cette position que vous prenez en parlant du cyber comme d'un simple outil est typique du comportement sus-décrit. En effet, vous me semblez croire qu'en nomment le cyber "simple outil", vous en faîtes un simple outil, comme si la parole ou la pensée pouvaient mouvoir la matière. Il suffirait de nommer le cyber "baguette de pain", pour qu'il émane de votre ordinateur cette odeur de farine cuite qui allèche tout un chacun qui passe devant une boulangerie? Cela me rappelle le déba sur les drônes, où je constatai que de nombreuses personnes s'imaginent qu'il suffit de répéter assez fort, comme un "Abracadabra", que les drônes ne possèderont jamais la capacité d'improvisation et d'imagination propres à l'homme pour le dépasser et le remplacer, pour que cela soit vrai.

Bien sûr qu'il faut déciller le regard porté sur les produits manufacturés et tout le tralala. Je me souviens de ce professeur qui appelait son ordinateur: "ma machine", et cette distanciation m'apparut plus tard comme juste, car l'ordinateur n'est qu'une machine, et il est important de ne pas le vénérer comme le veau d'or de Moise.
Cependant, le cyber ne se réduit pas à un ordinateur ou à plusieurs ordinateurs. Aujourd'hui le cyber est un environnement de nos sociétés. Vivre sans ordinateur, télé, téléphone, GPS, radio, appareils télécommandés, ainsi qu'egea en parle parfois avec mélancolie, nécessite un apprentissage et n'est plus naturel. Mais même lorsque vous partez en vacances vous isoler dans la montagne, pensez que les magasins où vous vous réapprovisionnez utilisent des systèmes informatiques pour se gérer, ainsi que leurs fournisseurs, que les pompiers qui surveillent la zone où vous marchez utilisent des systèmes informatiques couplés à des satellite d'observation, etc, bref, même quand vous croyez être affranchi du cyber, vous ne l'êtes pas complètement. Comment le comprendre? Parce que c'est un système complexe.
Vous pouvez par exemple songer à ce vol de câbles téléphoniques qui a eu lieu dans les Vosges (http://www.ouest-france.fr/ofdernmi...). Dans un autre article plus détaillé sur ce vol, on lisait que lors d'un premier vol sur cette même ligne il y a deux mois, un homme de 80 ans était décédé car ayant appelé les pompiers suite à un accident (vasculaire probablement), ceux-ci n'avaient pu être prévenus du fait de l'interruption des communications. De plus, les commercants avaient du jeter 2 tonnes de poivrons car les clients ne pouvant plus les joindre, ni par téléphone, ni par fax, ils s'étaient fournis ailleurs.

On voit ici que l'importance du cyber dépasse le simple individu et ses choix, sa vision du monde, son rapport à l'ordinateur. Il s'agit d'un environnement. Je vous accorde que vous pouvez en faire un outil, de même qu'on utilise le cycle de l'eau pour produire de l'électricité en construisant un barrage sur une rivière. Mais le cyber en lui-même reste infiniment plus complexe que tout outil dont vous lui feriez prendre la forme. Ne pas accepter cela, c'est le sous-estimer.

Hors, il ne faut jamais sous-estimer son adversaire, ni ses outils. Qu'on pense à la mitrailleuse qui a fait des ravages, ou plutôt devrais-je dire avec un regard décillé sur les produits manufacturés, qui a fait faire des ravages à ses servants depuis les guerres indiennes aux USA jusqu'à la 1gm avant d'être prise au sérieux. Quoiqu'elle l'était déjà, à en croire "guerre et histoire" qui parle des canons Reffye (premières mitrailleuses) comme d'un arme valorisée par l'armée francaise en 70 mais mal utilisée et mal protégée, et l'erreur a été en 1914 de croire que l'élan de la charge compenserait la puissance destructrice des mitraileuses. Quand on dit que l'esprit chevaleresque est mort sur la Marne... (et sur la Somme pour les anglais) car certains croyaient encore à la charge finale, visiblement! Ils auraient du s'inspirer des romains et de leur pillum! Mais je m'égare.

J'ai relu vos commenaires et suis d'accord avec nombre de vos idées, à propos de la maiskiroivska, de la révolution de la pensée humaine. De plus, je trouve amusants vos parallèles avec la thermodynamique et la theorie générale de la physique, car je suis moi aussi de formation scientifique. Peut-être que je ne vois que le verre à moitié vide dans vos propos.

Cependant, je crois finalement que vous sous-estimez le milieu cybernétique tout simplement, et que vous vous méprenez sur le sens de la complexité. Je vous suggère d'apprendre un langage de programmation si ce n'est pas déjà fait et de produire un programme ou une page web. Rien ne vaut l'expérience du terrain pour se former dans un domaine.

respectueusement

oodbae

PS: je crois que vous vous méprenez sur le sens de complexité au lu de votre réponse sur le ferry, le moteur, etc. C'est vrai que manier un ferry est une suite d'opérations "simples", presque "triviales". Pourtant, le naufrage du Costa Condordia montre que des accidents mortels sont toujours possibles, même avec un commandant expérimenté à la barre d'un navire moderne. Donc la suite d'opérations simples n'est pas si simple que cela.
Le costa concordia représente aujourd'hui plus qu'un ferry, c'est une menace environnementale, c'est une perte financière pour le groupe "Costa Croisières", c'est un sujet de blagues, c'est une affaire judiciaire, ce sont des familles en deuil, c'est un village italien soudé derrière l'un des leurs (le commandant). On voit ainsi que la suite d'opérations simples pour conduire un ferry est liée à des enjeux qui dépassent l'équipage du bateau.
Mais qu'est-ce que la complexité si ce n'est la combinaison d'opérations simples et élémentaires? Le tirage du loto est aussi une suite de tirages simples de boules badines. La prévision du prochain tirage n'en est pas moins complexe et même impossible. Décomposer un système complexe en éléments "simples" ne rend pas cette complexité simple!
Je vous suggère de lire "L'Existentialisme est il un humanisme", de Sartre. Il y expose une discussion intéressante sur la question: "l'essence précède t elle l'existence?" en basant son raisonnement sur un casse-noisettes, un simple outil, j'en conviens volontiers cette fois.

10. Le lundi 20 août 2012, 21:40 par Colin L'hermet

Bonsoir à tous,

Bonsoir Oodbae,

Mais justement ! Saisir le sens global d’un problème, c’est une étape prérequise pour le résoudre ! Surtout quand on observe le nombre de "grands esprits de ce pays passées par de grandes écoles et des classes préparatoires" qui sont infichus de mener cette démarche salutaire et qui "résolvent" bille en tête et donc ne résolvent rien.
Mais, certes vous avez raison, c’est un prérequis, ce n’est pas "nécessaire et suffisant".

Par ailleurs, O.Kempf l’a relevé lors de divers billets sur le mécanisme qui se met en œuvre dans la prise de décision : il faut admettre deux strates dans la décision. L’une pellette les données et les "petits travaux techniques", l’autre se charge d’agréger plusieurs canaux de remontée pour prendre une décision dans un laps de temps selon les données disponibles sur un contexte censément appréhendé. En cela la première strate est bel et bien subordonnée à la strate suivante ou supérieure : on ne verra jamais en France un DG d’un organisme d’analyse rattaché à un ministère régalien prendre une décision gouvernementale. Il est là pour réduire l’incertitude, l’autre pour endosser la responsabilité pour laquelle il recueille les conseils.

Le problème ne vient pas de la structuration, qui est vertueuse, mais a) de l’absence possible de prise de conseil par le décideur qui croirait déjà savoir et b) de l’échelon de conseil qui finit par clamer avec "arrogance" qu’on ne l’écoute pas assez.

Pour conclure, j’ai assez (en temps et en quantité) pissé de code et traîné dans l’automatisation à monter des boucles complexes de feedback pour savoir que l’on peut toujours employer une dérivée de Laplace pour remplacer des pans complets par une boîte noire input-transformation-output. Une segmentation demeure entre le gars qui traite de l’input-output (stratège-chef.proj) et le gars qui se charge de maintenir les effets de transformation (tacticien-technicien). Vouloir passer du second au premier sans respecter le cloisonnement nécessite un brin de génie, vouloir passer du premier au second confine au micromanagement.

Point supplémentaire.
La question des boîtes noires peut infiniment se généraliser/étendre. A la manière des matriochki qui contiennent une matriochka qui contient une matriochka. Ou à la manière des fractales.
Ainsi le cyber est ramenable par analogie, dans le but de l’étudier à la louche, à une boîte noire. On pourrait alors étudier, en deux mouvements distincts mais non exclusifs, les input-output qui le concernent, ainsi que la transformation qui se déroule en son sein.

Ceci étant dit, j’abonde dans votre sens : nommer la chose ne suffit pas à la transformer.
On apprivoise seulement ses peurs avec de tels comportements.
Mais là, tout comme vous dans les positionnements que vous adoptez, c’est parce que je souhaiterais prendre le contrepied de l’air du temps. Nous ne somme que trop fascinés par nos réalisations, le plus souvent manufacturées. Le surgissement du concept d’Homo faber résume totalement cette vision technico-anthropocentrée.
D’où mon emploi de la provocation : un simple outil.
Mon ordinateur est une machine. Le cyberespace est un assemblage d’interconnexions d’objets dont l’acception, elle, est autrement plus complexe puisqu’elle produit du sens.

C’est cette dimension (O.Kempf évoque 3 couches pour le Cybertruc, dont la dernière serait sémantique) que vous décrivez avec justesse comme "un environnement" par son intrusion intersticielle dans nos modes de vie.
Intersticielle : ces usages se déploient sur des niches vides (purement de nouveaux usages) ou en fin de vie (usages modernisés).
Je devrais doter mon enfant de 9 ans d’un portable, pour des raisons évidentes de sécurité. En cas de prédateur qui l’enlève, il m’appellera depuis le coffre. Et me dira qu’il ne sait pas où il se trouve. Ou demandera au pédophile de l’excuser, il doit m’appeler.
Et puis j’installerai le contrôle parental sur un ordinateur, comme ça mon enfant sera contrôlé et protégé pendant que je serai dans la pièce d’à côté à ne pas savoir ce qu’il consulte.
Vivre sans moyens modernes ne nécessite pas réellement d’"apprentissage", c’est une simple démarche personnelle qui ne se commande pas, comme préférer Fauré interprété sous la direction de Gardiner ou passer ses WE sur la Côte des Poulains. C’est une affaire de goût.
Et si le poids social vient compliquer ("Papa, tout le monde se moque de moi, ils ont tous [mettre le produit à la mode] et nous on a que [mettre le produit concurrent et/ou obsolète], c’est nul") il ne saurait réduire les volontés des gens.
Ou alors c’est à désespérer.
Tiens, à la réflexion, c’est vrai. C’est à désespérer.
Je vais désespérer.

Que mon monde intègre et emploie les systèmes techniques ne me gêne pas.
J’aimerais juste rencontrer plus souvent des regards lucides et critiques sur (et à travers) la fumée dont nous nous entourons.
Je ne prône pas un âge antésilicium, je plaide pour une approche responsable des usages de la technique.
Il ne serait donc pas question de "s’affranchir du cyber" mais bien de comprendre chacun de ses segments pour mieux appréhender le "système complexe" qu’il finit par tisser.
Du HFT bancaire aux communications des services de secours, du MCO de l’ISIS à l’intrusion sur un intranet sensible, les interconnexions techniques sont simples et définissables. Ce sont les entrelacs d’effets qui sont plus complexes.

Le risque d’une sous-estimation envers le cyber pourrait résider, à mon sens, en la confusion entre 2 de ses couches : les infrastructures techniques et le champ sémantique de ses contenus (sémantique endogène que seraient les contenus et sémantique exogène que seraient les usages qui se développent par capillarité).
Or ce sont les usages qui sont révolutionnés.
Le matériel qui les permet, lui, demeurant mon "simple outil". L’outil est simple (quoique c’est très très vite dite), ses effets ne le sont pas. Ils sont bel et bien complexes.
Autre synonyme à cette complexité, ce sont la transversalité ou la gobalité des faisceaux entremêlés de causes et de conséquences. Le tout dans un cadre temporel donné source de contrainte supplémentaire (délai à respecter) ou d’interrogation (prédictibilité des effets attendus).

Mais comme vous, je conçois que ces questions soient suffisamment complexes pour conduire chacun à s’emparer d’une perception propre de cette complexité.
La vôtre ne vaut pas moins que la mienne, soyez en assuré.
Il semble juste que nous ayons des points de vue non alignés.
C’est bon pour la stéréo.

Bien respectueusement,
Colin./.

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