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« La défense française après les élections » (1er Séminaire sandwich IFRI)

Jeudi midi a eu lieu le premier séminaire sandwich, organisé par l'IFRI dans ses locaux. L'excellent Philippe Coquet a pris des notes et me les a gentiment transmises : merci à lui de ce compte-rendu.

source

O. Kempf

Ce séminaire s'est tenu jeudi midi, autour de 3 intervenants : Etienne de Durand (EdD) (IFRI) ; Jean-Dominique Merchet (JDM) (journaliste, animateur du blog Secret Défense) ; Camille Grand (CG) (directeur de la FRS).

Lors de cette séance inaugurale du cycle 2012-2013, les organisateurs ont souhaité proposer un large panorama de la situation de la défense française et de ses enjeux alors que les travaux du LBDSN 2012 progressent et augurent de coupes supplémentaires. Abordant initialement le contexte international stratégique (CG), le débat a porté ensuite sur la situation française (EdD) pour mettre en exergue qq points critiques de la réflexion en cours.

I – Environnement stratégique (CG)

  • - Nous sommes à la fin d’un cycle d’intervention initié dans les années 2000 (RCI, Afgha, Liban…) mais notre environnement est caractérisé par la persistance de l’onde de choc des révolutions arabes ;
  • - Ces sociétés arabes en transition démocratique sont vulnérables car les nouveaux pouvoirs peinent à gérer les montées de tension ;
  • - La zone sahélienne est au cœur de nos intérêts stratégiques.
  • - On assiste à un accroissement des tensions inter-étatiques en Asie-Pacifique (dominante navale et cyber).
  • - la menace terroriste persiste, même si elle opère de façon plus décentralisée avec un risque d’importation sur le TN.
  • - les tensions dans le Caucase (à nos portes donc) et la prolifération balistique autant que nucléaire complexifient encore la donne.
    • => pour la 1ère fois, les dépenses militaires en Asie dépassent celles faites en Europe, traduisant iso facto ce basculement géostratégique.
    • => le rééquilibrage stratégique US sur la zone Pacifique place dorénavant et pour la première fois les Européens face à leurs responsabilités régionales (crise libyenne et US « leadership from behind »)

II – Situation française (EdD)

  • réductions budgétaires +/- drastiques à venir dans un contexte européen déjà sinistré
  • A court terme : le LBDSN est d’abord élaboré pour prendre en compte le contexte financier et budgétaire structurellement en déficit depuis 30 ans
    • => « La défense contribuera comme les autres », soit en encaissant l’inflation (option zéro valeur), soit en réduction à proportion des autres ministères par rapport au budget Etat (-10% ?).
    • Il y a un vrai risque de scénario « Italie plus la bombe »
  • - A moyen/long terme : il y a un problème global de « soutenabilité » économique de notre modèle, cf Loi d’Augustine (valable pour tous les pays)
  • - Jusqu’à présent, on payait la modernisation techno en réduisant les effectifs et le nombre de plateformes commandées afin de « rester dans la course » : aujourd’hui, l’équation n’est plus possible et il va falloir choisir. (NB : les US ont tiré en Libye seulement env. 200 missiles de croisière, soit ce que nous commandons pour les armées FR en SCALP…)
  • - Pooling/Sharing et Smart defense : paradoxe fondamental qui consiste à partager dans un domaine où la souveraineté reste essentielle et où le nombre des partenaires « fiables » est restreint. Le vrai problème reste celui de l’assurance d’accessibilité aux ressources ainsi générées dans le cadre d’une crise, dans laquelle un partenaire ne veut pas s’engager.
  • - Travail de réflexion nécessaire sur la notion de suffisance techno (work-horse vs pur-sang) et la polyvalence des plateformes (coût marginal exorbitant pour utilité discutable), en particulier pour des forces de plus en plus contraintes financièrement.
  • - Qu’on se le dise : effectifs de la RATP = effectifs armée de l’air ; RATP + mairie de Paris = Ade terre.
  • - La profondeur stratégique des forces est sans doute en partie à rechercher dans les réserves (cf US et UK).

III – Synthèse/ Ouverture (JDM)

Pas grand-chose à attendre du nouveau LBDSN ! L’essentiel a été tranché par le PR : sanctuarisation de la dissuasion et poursuite des interventions (« tenir son rang et assumer ses responsabilités)… Deux questions majeures (« stratégiques ») persistent cependant, pour lesquelles des directives claires manquent encore : l’avenir de l’AdT et la politique industrielle de défense, pour laquelle le gouvernement peut avoir une vraie action. On peut en effet faire remonter en puissance des forces. Ce n’est par contre pas possible pour les industries.

  • AdTerre : mutation profonde en 15 ans et conduite de la transformation en répondant présent sur tous les théâtres extérieurs : quid du post-afghanistan (retour aux camps de l’est de la France vs fidélisation, …). Le virage va être difficile à négocier pour elle, peut être plus que pour les autres. Les signaux sont maladroits pour l’instant (« gel des tableaux »
  • Politique industrielle : attention aux effets cliquets (15 ans pour reconstruire une industrie aéronautique après 2éme GM, et à quel prix). L’industrie de défense est la deuxième jambe d’une politique de défense, avec les forces armées…sans l’une d’elles, on boite.

Questions/réponses

Le principe de polyvalence des équipements est remis en cause par certains experts, considérant que certaines missions ne requièrent pas l’emploi de moyens ultra-sophistiqués en raison de leur polyvalence (EdD cite le cas du Rafale pour la mission de contrôle du ciel).

Il semble également important de conserver des capacités, même en volume échantillonaire, plutôt que de perdre définitivement l’ensemble des savoir-faire (ex : char Leclerc, on garde cette capacité, même réduite,…)

La DAMB est un programme structurant de l’OTAN. La politique de la chaise vide –pour préserver la dissuasion- n’est pas souhaitable.

Commentaires

1. Le vendredi 21 septembre 2012, 20:33 par Colin L'hermet

Bonjour,

Donc si l'on suit EdD (et il a raison) en période de gel, il faut congeler un échantillon de filière-savoir-faire pour le décongeler au retour des beaux jours.
Restera à trouver une caverne, type Svaartbald pour les semences, pour ranger nos Leclerc et les techniciens et servants emballés sous vide...

Sur le couplet de la fameuse Loi d'Augustine :
N.Augustine était largement plus critique que sur le seul croisement des courbes du budget et du prix unitaire d'un avion tactique.
Il remettait en cause la divergence d'intérêts communs aux firmes fusionnées à dimension supra-nationale et à l'Etat passeur de commande.
Or ce même beau miroir aux alouettes nous aveugle tous avec l'annonce d'une fusion vers un champion européen. Non que je la repousse (et qui serais-je pour la "repousser", au moins puis-je redouter la méprise sur sa venue), mais elle ne sera une vertu que si nous sommes vigilants à son interfaçage avec le stratège public.
Equation d'autant plus compliquée par la démission du dit stratège public : je ne pense pas utile de revenir sur vos multiples billets abordant le sujet.

Je saisis l'occasion pour faire le lien avec vos billets précédents colorés "sémantique et UE" : nous sommes passés, entre 1948 et 2012, d'une politique de sécurité commune à une politique de sécurité et de défense, justement pour l'intégration des moyens et filières industriels dans la réflexion, dans l'objectif lointain de formation de pôles de conception et une agence européenne en prise sur ces moyens et filières.
Le résultat est certes (à peu près) connu, mais il convient de se souvenir de cette généalogie pour rappeler que la question industrielle a) n'est pas neuve et b) est tout autant problème que solution...

Quant à la réflexion de JD.Merchet sur la reconstruction d'une industrie aéronautique post-WW2, il conviendrait de rappeler que sans les commandes prêt-bail réglées par les USA, les projets de chasseur dassault n'auraient jamais connu de retour sur investissement...
Or aujourd'hui, ce type de perfusion vers nos industries n'est plus menée par de grands parrains externes mais par l'Etat, en interne, qui acquitte un surcoût "national" pour préserver cette brique de souveraineté, alimentant de facto un cercle vicieux de rente pour des industries localisées dont on ne saurait souhaiter qu'elles licencient ni ne cessent leur production de défense.

En outre, en plaçant dans son bref exposé la France comme possible partie primordiale d'une défense européenne mutualisée via le pooling&sharing, JD.Merchet fait émerger le parallèle (l'homothétie plutôt) avec la situation des USA au sein d'une OTAN essoufflée à la fois par le coût de ses engagements et par les crises financières et budgétaires qui touchent ses membres.
Nous serions donc appelés à accepter un rôle de primus inter pares avec nos cousins du Royaume-Uni, voire de leader, mais alors avec le surcoût que cela appelle sur les autres.
Situation que les USA disent ne plus vouloir soutenir au sein de l'OTAN.
Et que les Chinois se sont toujours gardés de revendiquer dans les diverses instances internationales, malgré les efforts déployés à vouloir les en convaincre (et pour cause, c'est pour diluer leur puissance-pouvoir de nuisance) ; et où ils continuent de prendre du poids tout en conservant une relative autonomie.
Si "le propre de la souveraineté est de s’imposer à tous sans compensation" (Louis-Firmin Laferrière), autant reconnaître que sur ce point la Chine est clairement souveraine...

Or notre modèle de fonctionnement, français, démocratique et européen, est tourné vers une gouvernance où la sécurité est somme toute assurée par une recherche de convergence des intérêts, et autant de concessions, dont le nombre a toute les probabilités d'être en proportion du nombre de participants... c'est l'idée de pot commun des concessions qui est censé cimenter l'Union.

Peut-être notre réflexion n'est-elle pas assez "à deux vitesses", dans le sens où elle n'intègrerait pas assez souvent les intérêts de la Pologne ou d'autres membres de l'UE dont certains peuvent également être partie de l'OTAN. Avec leurs schémas de pensée propre, non impériaux, non décolonisés dans la douleur, et non atomiquement dotés.
Notre tribune nationale devrait s'entendre comme devant nous permettre de fixer les objectifs que nous souhait=erions= atteindre, sachant qu'ils seront nécessairement discutés, et probablement dégradés, à l'échelon supranational.
Une sorte de coulisse avant le passage en scène européenne.

Autant dire que le pan du voile soulevé par JD.Merchet est, comme il le dit lui-même, à lui seul LE morceau de la réflexion sur la défense nationale, et l'un des rares leviers laissés à notre disposition : car il reviendrait à mener l'étape préalable de structurer notre coulisse et notre jeu (tout en tenant compte de l'étape suivante, sur scène, et du public) avant que de s'élancer à rpoprement parler sur la scène de la défense européenne.
Limite à mon propos : il n'y bien évidemment pas de segmentation temporelle dans cette construction européenne ; nous sommes à la fois en coulisse et sur scène, avec un public qui bouge. Nos équipes devraient donc entretenir une communication entre ce backoffice (les think tanks, votre blog, les acteurs de la défense) et les échelons de discussion ministériels et expertaux (anticis, mertens et autres) de la galaxie UE.

Mais là, j'ai tout dit et je n'ai rien dit (comme d'hab' j'adore défoncer les portes ouvertes et dire des âneries).

Bien à vous,
Cl'H

2. Le vendredi 21 septembre 2012, 20:33 par perken

Synthèse très "percutante" mais comme toujours dans ce type d'exercice réflexif on reste à la surface des problèmes et on ne répond que très partiellement à la question: Quelle armée voulons-nous pourquoi faire? Quant à la criogénisation capacitaire ne nous y trompons pas, elle n'a de validité que la longévité des hommes qui "combinent" les savoir et les compétences (20/30 ans).
Perken

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