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Stratégie d'entreprise et grande stratégie

Oodbae demandait l'autre jour un blog d'économie de défense. Je ne veux pas tenir un tel blog, même si sa nécessité est absolument évidente (avis aux amateurs.. Il y aurait d'ailleurs sacrément besoin d'un blog de stratégie aérienne, à l'image de ce que fait le Fauteuil de Colbert pour la marine). Revenons à l'économie : depuis longtemps, je voulais comparer la stratégie d'entreprise et la stratégie générale (et en fait militaire). Voici le résultat de mes élucubrations : j'attends les commentaires affûtés et critiques pour faire progresser ce texte...

source

Stratégie d’entreprise et grande stratégie

A Définition classique de la stratégie d’entreprise

Il existe plusieurs définitions de la stratégie d’entreprise. Une des plus classiques affirme que « la stratégie, c’est l’acte de déterminer les finalités et les objectifs fondamentaux à long terme de l’entreprise, de mettre en place les actions et d’allouer les ressources nécessaires pour atteindre lesdites finalités » (Alfred Chandler, 1962). Un courant plus récent a insisté sur l’environnement concurrentiel. Ainsi, pour Porter, « la stratégie consiste à définir les orientations générales permettant à l’entreprise de détenir un avantage concurrentiel durable » (Porter, 1980). Détaillant cette définition, on peut donc dire que « la stratégie d’entreprise consiste à fixer des objectifs en fonction de l’environnement (contraintes extérieures) et des ressources disponibles dans l’organisation, puis à allouer ces ressources afin d’obtenir un avantage concurrentiel durable et défendable ».

Pour atteindre ses buts, l’entreprise cherche à faire coïncider sa structuration interne (par l’utilisation des facteurs de production : capital, travail, management, et par l’organisation et la maîtrise des processus) et son « théâtre d’opération » externe (le marché, ou encore le client). Le produit (ou le service produit) est l’instrument de cette coïncidence.

Les théoriciens ont proposé de multiples modèles, assemblages de recettes plus ou moins simples, même si leur mise en œuvre présente d’évidentes difficultés : matrice du BCG, matrice de Porter, carte stratégique, ….

B Quel rapport avec la grande stratégie ?

Il existe plusieurs définitions de la grande stratégie. Pour Liddell Hart, elle consiste à coordonner et diriger toutes les ressources de la Nation (…) en vue de l’atteinte de ses objectifs. Desportes et Phélizon distinguent la stratégie conceptuelle et la stratégie opérationnelle, la seconde mettant en œuvre le cap fixé par la première. Ces deux approches partagent en commun de distinguer la définition des objectifs (à partir d’une séquence articulant le diagnostic, la fixation des buts puis la planification) et la mise en action de ce plan. En cela, elles ont beaucoup en commun avec les approches de stratégie d’entreprise.

Toutefois, si les spécialistes de la stratégie militaire se sont un peu intéressé à la conduite, les stratégistes d’entreprise n’en disent pas grand-chose. Or, les militaires savent que le premier mort à la guerre, c’est le plan. Que la guerre est un être autonome qu’on ne peut domestiquer, et que le combat est rendu difficile par le brouillard de la guerre qui rend les mêlées si confuses. Le stratège (au sens premier, le chef de l’armée en campagne, celui qui conduit la guerre) a donc les plus grandes difficultés à prendre les bonnes décisions au bon moment. C’est pourquoi les militaires distinguent clairement la stratégie de la tactique (ajoutant même un niveau intermédiaire, le niveau opératif) et si l’on connaît des traités de tactique théorique, on n’a jamais entendu parler de « tactique d’entreprise ».

C/ Dépasser la vision mécaniste

Au fond, les difficultés de la stratégie d’entreprise tiennent à un de ses présupposés : l’environnement serait fluide et je serais un trop petit acteur pour pouvoir influencer les conditions globales du marché. Le lecteur aura reconnu là les préceptes de la concurrence pure et parfaite. Les économistes ont d’ailleurs tenté de desserrer ce cadre en décrivant une économie imparfaite, sous le nom d’économie industrielle, notamment avec des situations de duopoles ou d’oligopoles. Il reste que ces situations sont assez simplifiées, et rendent mal compte de la diversité des situations des entreprises, notamment dans une économie mondialisée.

Par ailleurs, le rapport au temps de ces stratégies est très sommaire : on distingue simplement l’avant de l’après (le fameux ex ante - ex post) sans s’intéresser à la façon dont le marché réagit concrètement (phénomène de boite noire), ni au phénomène de la continuité temporelle. Le temps est un facteur le plus souvent ignoré des stratégistes d’entreprise.

On le voit, les présupposés de la stratégie d’entreprise prennent rarement en question la fluidité de la vie réelle que ce soit dans les dimensions spatiales ou temporelles, ou dans les rapports à l’autre (client, concurrent, actionnaire, État, salarié, médias, groupes de pression, associations diverses….).

C’est probablement pour tenir compte de ces difficultés que le général Beaufre, un des plus grands stratégistes français du XX° siècle, un des pères de la doctrine de dissuasion nucléaire, expliquait que la stratégie était l’art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre les conflits. Le point clef n’est pas tellement la notion de conflit et la contingence qui l’accompagne, mais la notion de dialectique des volontés : autrement dit, mon action sera non seulement gênée par le cours des événements, mais en plus l’adversaire conduira une action opposée qui viendra encore compliquer ma tâche. Cela entraîne que la difficulté est double, et augmente d’autant mes calculs. L’environnement est encore plus mouvant que ce que je pouvais escompter à l’abord.

Mais si Beaufre est pertinent pour des stratégies guerrières ou simplement conflictuelles (puisqu’on identifie un ennemi), sa transposition au monde de l’entreprise n’est pas simple : celle-ci parle plus de concurrent que d’adversaire, et de marché que de théâtre d’opérations. Sauf si elle considère qu’elle agit dans un contexte de guerre économique. Celle-ci est la résultante de la mondialisation, mais aussi du cyberespace dans lequel l’entreprise agit désormais.

Ce qui ouvre vers d'autres développements.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 9 octobre 2012, 20:16 par BQ

Quels peuvent être, quels sont les objectifs d’action, les périmètres d'intervention, les terrains de jeu des entreprises?

Une volonté de fluidité, favorisant au possible l'achat de produits, la consommation de services.
Une réalité de terrains: du désert de l'exploration minière ou énergétique, à la mégalopole aux structures visant à faire se déplacer les populations vers les zones commerciales et les hypermarchés, en passant par les mondes nomades de la commande à distance, mais aussi les réseaux maritimes, électriques, informationnels, et la localisation de lieux de vie, de biens culturels.

Avec quelles règles, quels acteurs, quels compétiteurs?
Une recherche de souplesse de fonctionnement, dans un cadre néanmoins régulé pour limiter la concurrence déloyale.
La prégnance des langues, des territoires, des frontières, alors que la gouvernance légale, quand elle peut s'exercer, se limite souvent à un Etat.
Des concurrents qui peuvent être également, fournisseurs, clients; alliés d'un jour sur un secteur du front (joint venture), prédateurs le lendemain.

Quelques éléments, uniquement et malheureusement, d'un univers très complexe, mouvant, incertain, et ceci de plus en plus.
D'autant plus que deux tentations corruptrices en particulier y sont très présentes: le pouvoir et l'argent.

Un contexte donc plutôt qu'un éclairage.
Et pourtant le stratège en entreprise doit, va appréhender l'environnement proche de sa caverne!

2. Le mardi 9 octobre 2012, 20:16 par Kouak

"on n’a jamais entendu parler de « tactique d’entreprise »."

Ces tactiques ne sont-elles pas la vente, le contrôle qualité, l'innovation, la communication, le Service Après Vente, le lobbying, etc...?

egea : peut-être : mais allez à la fnac ou sur le catalogue des éditions d’organisation, et trouvez moi un  livre "tactique d'entreprise" ? Mais comme dans le privé, dès qu'on à 16 ans on est au moins directeur, il est assez logique que personne ne fasse de la tactique.

3. Le mardi 9 octobre 2012, 20:16 par yves cadiou

« Je voulais te demander ton avis…
---- Encore ? Tu me demandes souvent mon avis, ces derniers temps », s’étonne mon copain le héron de l’Erdre, ses longues pattes bien plantées dans la pelouse molle.

La rive de l’Erdre est couverte d’herbe, bien qu’on soit au cœur de Nantes. Mon copain le héron, les pieds dans l’herbe, regarde couler la rivière nourricière et la vie qui est belle.
« ---- Oui, je te demande ton avis parce qu’Olivier Kempf accorde beaucoup d’importance à ton opinion.
---- Je te crois difficilement, mais admettons. Je tiens à préciser que toute flatterie à mon égard est inutile parce que je ne connais pas personnellement le Premier ministre.
Tu voulais mon avis sur quel sujet, cette fois ?
---- Un sujet où tu es certainement qualifié car il s’agit des Aviateurs. Olivier Kempf écrivait récemment : « il y aurait sacrément besoin d'un blog de stratégie aérienne, à l'image de ce que fait le ‘’Fauteuil de Colbert’’ pour la marine. »
---- Peut-être les Aviateurs ne savent-ils pas écrire ? Pas besoin de savoir écrire pour voler : moi, je ne sais pas écrire.
---- Si, ils savent écrire, on a la preuve : en décembre 2011, Olivier Kempf a publié un billet intitulé «Un avion de chasse, est-ce que ça sert encore ? » et il y a eu 22 commentaires. Sur la quantité, quelques uns étaient sûrement écrits par des Aviateurs.
---- Donc ta question c’est si j’ai une idée pour décider les Aviateurs à écrire ? Il faut se demander d’abord pourquoi ils n’écrivent pas.
---- D’autant que plusieurs ont écrit, dans le passé : le Général Pierre-Marie Gallois et le Général Ailleret, par exemple. Il faut plus exactement se demander pourquoi ils n’écrivent plus.
---- Parce que c’est fatigant, je suppose : réfléchir, ça fatigue leur trop gros cerveau.
---- Tu y es : nous les Terriens lorsque nous voulons parler de stratégie, il nous suffit de paraphraser Clausewitz et ça passe, ça fait sérieux bien comme il faut. Rares sont les contradicteurs.
---- Et ton Klaozevitze, il a oublié de parler des avions : alors les Aviateurs ne savent pas sur qui copier et c’est ça qui les fatigue.
---- Ah oui, c’est possible. Si Clausewitz avait parlé des avions, les Aviateurs feraient comme les Terriens, ils paraphraseraient Clausewitz (en l’aménageant un peu, toutefois, pour que ce ne soit pas trop flagrant) et l’on dirait que les Aviateurs sont très forts pour parler de stratégie aérienne. »

Sur ces mots nous nous taisons, réfléchissant chacun de son côté au moyen d’inciter les Aviateurs à parler de stratégie aérienne. C’est le héron qui a le premier une idée : « Les Aviateurs sont sûrement un peu comme moi, alors je crois que j’ai trouvé un moyen.
---- Je t’écoute. Si c’est intéressant, je transmettrai à Olivier Kempf.
---- C’est simple. Tu as remarqué à quel point je suis prétentieux, non ?
---- Ah ça, oui : toujours à contempler le monde de façon hautaine quand tu es posé. Quand tu voles, c’est pire : tu te rengorges et tu passes d’un air dédaigneux.
---- C’est toujours comme ça quand on voit le monde de haut. Mais pour les Aviateurs c’est pire : non seulement ils sont plus haut que tout le monde mais ils volent plus vite que tout le monde.
---- C’est vrai, mais c’est seulement leur avion qui va haut et vite. L’Aviateur va haut et vite parce qu’il est dans l’avion et ne peut donc pas faire autrement.
---- Bien sûr mais déjà moi, avec mon tout petit cerveau, avec mon vol qui ne va ni haut ni vite, j’ai un sentiment de supériorité. Alors tu peux imaginer qu’avec un gros cerveau et un avion capable de grimper à des milliers de mètres d’altitude à des vitesses extraordinaires, on est dans un autre monde.
---- Oui, j’imagine.
---- Si en plus tu ajoutes à ça que désormais on n’aura plus besoin de mettre un aviateur dans l’avion, tu comprends leur malaise. C’est là-dessus qu’il faut jouer pour qu’ils se décident à parler de la stratégie aérienne dont ton Klaozevitze a oublié de parler.
---- Je comprends : même avec des drones, avions sans pilote embarqué, il faudra au moins une doctrine d’emploi. Au-delà, le drone ouvre des perspectives au personnel politique comme on l’a déjà dit ici http://www.egeablog.net/dotclear/in... Par conséquent il faut non seulement une doctrine d’emploi mais une stratégie. Bien que tu sois encore une fois sorti du sujet principal du jour, je vais faire part de ton idée à Olivier Kempf. Elle est un peu primaire mais lui et ses amis d’AGS sauront sûrement la développer. »

4. Le mardi 9 octobre 2012, 20:16 par Valery Kempf

Merci pour la qualité de vos articles !

egea : signalons au lecteur que l'auteur de ce commentaire est un homonyme et non un membre de ma famille qui voudrait me faire une gentillesse. Même si son commentaire est gentil et que je l'en remercie !

5. Le mardi 9 octobre 2012, 20:16 par Colin L'hermet

Bonsoir à tous,

Je souhaiterais vous exposer un sentiment purement personnel que je tends à défendre depuis plusieurs années : que l'opératif-opératique est une construction purement sémantique qui vise à redonner un peu de "lustre décisionnel" à la tactique.

L'échelon décisionnel, par nature mâtiné de politique, se fait arracher un peu de son pouvoir de décision, qualifié de stratégique en ce qu'il tient compte d'éléments prospectifs-projectifs du contexte, par les "besogneux de terrain" qui sont censés "avoir le nez sur le guidon", et on appellerait cela l'art opératique.

Mon rejet épidermique de cette approche, que l’on voudrait nouvelle, me fait observer le sujet proposé par O.Kempf selon le prisme suivant : la problématique du niveau d’échelle de décision serait présent dans l’apparente contradiction de l'idée d'une "stratégie d'entreprise"

a) La distribution des échelons de décision est au coeur de l’action stratégique.

Là où l'armée a admis de redonner un peu de lustre à l'art opératif ("tout est affaire d'exécution", Napoléon) jusque dans des échelon subalternes (tandis que Napoléon explicitait l’art de l’enchaînement des actions de l’échelon stratégique), le monde de l'entreprise ne l’a pas attendue.
Mais sans jamais connaître le besoin d’habiller cela d’un mot pompeux ou savant. Au contraire, comme le fait remarquer Kouak, en démultipliant ses facettes.
Dans l’entreprise, on parlera de management, d'intéressement au résultat, de challenge d'employé du mois, de fidélisation de clientèle, d’accroches séductrices ou coup de poing, etc. Tous éléments d’opératique : on part de l’intérieur (tenue des troupes, organisation et planification interne) vers l’extérieur (charmer le marché, rassurer les investisseurs, convaincre de sa réputation, vendre son produit), et on alloue une marge d'action au subalterne pour participer à la réalisation du but supérieur.
Mais sans allouer, dans le langage de l’entreprise, de qualité stratégique au rang subalterne : la stratégie demeure l’apanage du board, du ComDir ou de l’autocrate qui tient la boutique, l’exécutant est contraint-remercié-flatté d’y contribuer, pas de la concevoir d’une façon ou d’une autre.

(Incise) : on observera qu’il existe plusieurs formes de gouvernance dans le monde de l’entreprise, de là découlent une variété de formes pour la construction de l’appareil de planification d’une stratégie.
A contrario, le monde militaire est standardisé et uniforme (rappelons que le choix de ce mot pour habiller un statut social égalitariste n’a rien d’anodin dans la philosophie des troupes à travers le monde).
Le vocable d’un paradigme-concept de l’Entreprise, comme d’un Islam ou d’un Etat, ne semble guère pouvoir tenir plus avant l’examen de l’éventail des disparités. (fin de l’incise)
(résumé de l’incise : L’Entreprise n’existe pas, ses formes organisationnelles sont démultipliées, UNE Stratégie d’Entreprise est donc peu probable)

b) Le concept de victoire diffère notablement entre militaire et entreprise.

Ce que les militaires ont tardé à dénommer l’opératique serait au coeur de tout acte de l'entreprise : c'est manifestement un milieu où l'on sait de longue date qu'il faut savoir gagner le coeur et les esprits, et que la victoire n'est pas nécessairement une victoire par écrasement-annihilation de l'adversaire-concurrent ; toutes choses que l’évolution récente (moins d’un siècle) des affaires militaires a fini par mettre en évidence.

c) Réduction d’une dialectique des volontés à une méthodologie mécaniste multipolaire afin d’éviter la cacophonie polylectique.

En définitive, comme l’esquisse BQ en commentaire, l’uniformité du contexte militaire se prêtait plus à l’émergence de stratégie monolothique : l’adversaire y est unique ou coalisé, les méthodes semblent uniformes, bien que les interopérabilités intersectorielles et internationales ne soient pas si aisément accessibles.
En revanche, l’atomicité de la concurrence et la démultiplication des formes d’affrontement laissait plus au monde de l’entreprise une vision se rapprochant de l’escarmouche permanente. Laquelle vision ne nécessite pas d’être surplombée par une stratégie, voire elle empêche toute propension proprement stratégique d’émerger.

d) Les finalités du domaine militaire et de l’entreprise

Le domaine militaire crée :
. des conditions de victoire pour lui-même ;
. et des victoires pour le politique qui en administrera les suites (empire, exploitation de ressources inertes ou humaines , dommages de guerre, sécurité territoriale, etc).
L’entreprise crée :
. en premier lieu des biens et des services pour les individus qui les acquièrent à titre onéreux ;
. en second lieu, et seulement comme sous-produit, des conditions sociales et anthropologiques dont le politique doit gérer les suites, parfois à son corps (électoral) défendant.
. Marginalement, des entreprise transnationales à teinte étatique fournissent un appui au politique dans son jeu géostratégique, la fourniture des biens et des services demeurant néanmoins l’essentiel de l’objectif de l’entreprise.

En conséquence des différences de production, la conception même de ce que doit être une stratégie diffère.
En effet le militaire oeuvre pour un tiers devant qui il est pleinement responsable (les responsabilités viennent à s’entrecroiser de nos jours avec les évolutions du lien soldat-nation).
En revanche l’entreprise, tout aussi initialement, ne sert qu’elle-même et n’est responsable que devant elle-même. Le développement de l’actionnariat et de règles diverses (droit du travail, droit du consommateur, normes de qualité et normes environnementales) ont diminué cette souveraineté, mais l’entreprise continue d’oeuvrer pour elle-même (vue comme un organisme unique), ce qui rend d’autant plus délicate la mise en cause de ses responsabilités pénales et morales dans les domaines sociétaux dans lesquels ses activités se déploient ou interfèrent.
Cette différence notable du niveau de responsabilité ne peut que faire diverger les notions de stratégie.

e) Le rôle et la place de l’innovation dans la question stratégique.

Avant de conclure, j’observerais que les orientations données au niveau stratégique de l’entreprise semblent toujours comporter l’idée d’innovation et de rupture (implantation sur un nouveau marché-pays, nouveau produit) dans l’objectif intermédiaire (l’objectif final étant nécessairement le profit).
Le milieu militaire, lui, compte sur l’apport de l’innovation, plus fréquemment, dans la mise en œuvre ou dans la méthode d’exécution : en cela il partagerait avec l’entreprise l’idée de l’innovation méthodologique dans une chaîne de production (de produit en entreprise, d’effectivité majeure dans le domaine militaire).

Plutôt qu’une conclusion, impossible pour moi, je tenterais bien une pirouette.
Le domaine militaire est un outil au service de la chose publique. N’en déplaise aux, nobles, pions de ce grand jeu.
L’entreprise, pour sa part, n’est pas qu’une appellation du domaine économique privé : c’est également une démarche. On est entrepreneur, on mène une entreprise.
La stratégie serait donc consubstantielle à la démarche d’entreprise, à la démarche d’entreprendre, la volonté est en son cœur même. C’est pourquoi l’entreprise ne peut mettre en œuvre que des tactiques, elle est elle-même la stratégie.

Maintenant, si on contourne ma pirouette en circonlocutant sur les "structures entrepreneuriales de production de biens et de service", je dois avouer que je sècherais…

Bien à vous,
Colin./.

égea

1/ Non, l'opératique n'est pas une simple invention de militaire en quête de marge de manœuvre. Outre qe l'art opératif a été inventé dans les deux guerres par les Soviétiques et a probablement aidé à la victoire, on peut constater aujourd'hui que le niveau opératif est le seul niveau interarmées de théâtre (le tactique appartenant aux composantes : terre, air et mer). Et qu'il est notamment en charge de deux choses (outre la coordination temporelle des actions tactiques) : ce qu'on nomme le knowledge management qui inclut le ciblage ; et la logistique qui est dorénavant une fonction avant toute opérative. 

2/ Vous avez une vision erronée et désuète du fonctionnement actuel des armées : croire qu'il y a là un système hiérarchique et surtout uniforme, c'est ne pas voir la "matricialité" structurelle qui régit dorénavant le système. Les armées, comme les autres composantes de la société (les entreprises) se sont complexifiées pour répondre (en miroir)  la complexité ambiante. Il n'y a plus d'uniformité, c'est bien le problème. La seule uniformité résiduelle tient à la "culture" : d'où les incessantes cérémonies, nécessaires pour redonner du sens là où on ne l'aperçoit plus aussi aisément.

3/ Disparition de la victoire, car disparition de la bataille et disparition de la guerre, allons jusqu'au bout du raisonnement. En cela, l'armée est proche de l'entreprise. Mais pas disparition de l'adversaire, au contraire, multiplication de celui-ci. Plus que jamais, dialectique des volontés. Même et surtout parce que pour l'armée aussi, il y a une sorte d'atomicité de la concurrence.

4/ Votre discours sur les finalités n'est pas le plus convaincant. Peu importe l'état final recherché, au fond (victoire ou profit), il n'est  finalement pas essentiel à la démarche stratégique : la seule chose qui compte, c'est qu'il y ait un but.

Bien à vous

6. Le mardi 9 octobre 2012, 20:16 par Colin L'hermet

Je vous remercie de votre réponse, et je suis d’autant gêné de revenir à la charge.

Je vais être basique, et initialement hors sujet, mais nous allons revenir au propos initial.
Le soldat est en situation de choix : tuer ou ne pas tuer.
La dialectique fait que s’il ne tue pas, il sera tué par l’adversaire, son symétrique soumis au même choix (pour la palette des appariements, cf théorie des jeux, Von Neumann).
Globalement :
. un même acteur doit affronter plusieurs adversaires à mesure que se prolonge sa survie, un choix non rationnel ne sera pas nécessairement reconduit ;
. le grand nombre de soldats engagés dilue de toute manière l’impact de la probabilité de choix "non rationnel".
L’EM peut donc espérer emporter la victoire via cette réduction du choix des acteurs engagés sur le terrain.
L’opératique reviendrait à prendre en compte la complexité du théâtre, et à autoriser le niveau intermédiaire à étudier un sous-groupe contextuel, à mener sa propre réflexion, et à peser par une décision sur ce contexte qui est global-local, "glocal". Les coeurs et les esprits, les filières économiques, les us et coutumes, la météo, la ligne d'horizon, l'opportunité de poursuivre ou décrocher, le recours au caesar ou predator, le SDTI sperwer ou le MALE, à l'intervention ou à l'observation, charge en pod ou en carburant supplémentaire, etc.
C’est une délégation de responsabilité, puisqu’une estimation puis une décision sont attendues.
Tout est affaire de responsabilité et de choix, à tout instant, du plus haut échelon jusqu'au plus bas.
Ces choix se sont faits de tout temps (campagne napoléonienne notamment). L'opératique ne fait qu'entériner leur existence, et reconnaître leur centralité dans la conduite des opérations.

Ainsi que vous l’exprimez en votre point1/, l’opératique n’est pas une révolution copernicienne issue de l’étude de la CoIn en Afghanistan et Iraq, comme on me le rabache, mais un phénomène de latitude décisionnelle expérimenté avec succès par les gars d’Oncle Jo entre la Révolution et la Grande guerre patriotique. Merci à vous de rappeler cet ancrage.
Cette latitude repose sur la capacité d’estimation et d’exploitation d’une information collationnée dans ce but, un knowledge acquisition suivi d’un knowledge management.
Cela revient à déléguer à l’échelon infra-EM une capacité décisionnelle.
C’est ce que j’appelais, maladroitement, la marge de manœuvre factuelle.
Malheureusement, cette reconnaissance s’est accompagnée de trois phénomènes parallèles et simultanés : l’écriture d’une fausse généalogie de cette opératique (vous l’avez explicitée, n’y revenons pas) et le double mouvement, d’une part de la satisfaction intellectuelle due l’appareil militaire de voir mieux reconnu la complexité croissante des environnements d’action et de l’art décisionnel auquel elle oblige donc, et d’autre part du décideur politique qui croit actionner le militaire et qui ne comprend pas que la stratégie puisse résider à cet échelon. Tout le monde n’a pas fait l’IHEDN, le CHEAr ou tel autre centre de convergence des savoirs.

2/ C’est cette vision mécaniste, et-car civile, que j’exprimais caricaturalement.
La finesse des réglages internes ne peut qu’échapper au décideur pour qui l’outil militaire se réduit à une boîte noire aux effets connus et décantés par l’analyse prédécisionnelle ou la planification froide. Un effecteur de géopolitique.
Le contenu de la boîte n’a pas à lui être expliqué, le MinDéf est là pour assurer le réglage fin de ce contenu, la DAS et autres "structures de veille du MinDéf" sont là pour assurer la synchronisation des capacités d’effet avec leur perception du monde.
Que ce fonctionnement ne soit pas idéal est fort possible, voire probable, au vu des sentiments de malaise qui ne cessent de parcourir les deux champs de l’Etat que sont le politique et le militaire. Mais il est.

Quant à la référence à l’uniformité, on ne saurait sérieusement lui opposer l’idée d’une pluralité ou d’une diversité du champ militaire.
Il ne s’agit pas de vision "du fonctionnement des armées". La complexité interne avérée ne peut faire disparaître l’idée de la standardisation à l’œuvre. Qu’on me trouve une armée, étatique, et non mexicaine, qui fonctionne sur un mode différent des autres.
Et la complexité interne des armées peut faire moins encore disparaître l’uniformité de la catégorie de production par le champ militaire : l’expression des volontés sur le mode de la conflictualité.
Toutes les armées du monde sont vouées à cela (sauf peut-être les Forces d’autodéfense japonaises, et encore je leur trouve un air redoutablement… militaire) (blague à part, même les JADF forment une armée standard).
C’est là que réside l’uniformité, par opposition à la diversité-multiplicité des formes de la structure entrepreneuriale de production.

3/ Pour finir, je dois reconnaître l’une de mes (nombreuses mais pas toutes identifiées) erreurs.
Mais qui me permet de revenir sur l’une de vos remarques.
Vous parliez, dans le billet initial, de stratégie et de grande stratégie.
J’ai directement obliqué sur le champ militaire, qui me paraît tant approprié pour explorer-exprimer-illustrer l’idée de stratégie.
Facilité, et erreur, de ma part. D’autant que je n’y connais rien
Néanmoins, vous estimez que "l'armée est proche de l'entreprise [par la] multiplication [de l'adversaire] (…) pour l'armée aussi, il y a une sorte d'atomicité de la concurrence".

C’est là que je m’interroge sur ce que nous appelons l’armée.
Je parlais de l’outil militaire, effecteur majeur sur le jeu géopolitique de l’Etat.
Vous évoquez l’Armée.
Or l’Armée pourrait regrouper la troupe, les 3 armes le train, les trans, l’EMA, la DAS, la DRM.
L’Armée n’a pas d’autre concurrent-adversaire que celui que le politique lui désigne.
L’entrée en guerre, ou l’OpEx en coalition, ou l’intervention sur le territoire nationale dans la cadre de l’IM500, tout cela demeure sur ordre. Le moment venu.
Le reste n’est que potentialité : on jauge les adversaires probables, on mène des opérations de RIM ou de veille stratégique sur eux, on suppute, on compute les divers pans de la planif opérationnelle. Rien n’est déclaré, tout est latent.
Je ne nie pas qu’une fois le théâtre ouvert, il est justement trop ouvert, à des participants non institutionnels, recourant à l’asymétrie des moyens et des tactiques.
Mais l’Armée n’a pas d’adversaires hors théâtre déclaré ouvert. Quand bien même elle prépare avec soin et anticipation la venue de l’inéluctable engagement, la différence de fenêtre temporelle est de taille.
Car, pour sa part, l’entreprise est en guerre permanente.

4/ Si j’avais le temps de mener une thèse, j’aimerais fouiller les questions de la responsabilité et de la restitution de compte dans la question stratégique.
Si les écrits de Sun Tzu exposent les anecdotes du général comme stratège souverain n’ayant plus à obéir aux ordres du politique dès lors que l’opération de guerre est déclarée, ce n’est pas gratuit.
Le stratège militaire fournit un gain à un tiers, le politique. C’est son lot.
Le stratège d’entreprise fournit un gain à lui-même.
Car le stratège d’entreprise est somme toute confondu avec son entreprise.
Le stratège militaire, lui, n’est pas confondu avec le politique, il lui est subordonné. Sa survie est liée à la survie de l’Etat et de son émanation politique, mais il en est dissocié.
L’existence d’une volonté, dans les deux cas, et d'un but, comme vous le mettez avec justesse en avant, ne saurait suffire à neutraliser cette différence.
J’ai l’intuition que tout le processus décisionnel diffère à compter de ce point.
Mais même en l'écrivant, j'ai encore du mal à le penser clairement./.

Bien à vous,
Colin./.

egea : soyons provocateurs : A votre point 3, je réponds que l'armée a plein de concurrents, qu'il s'agisse du domaine de la puissance légitime (intérieur, douanes, justice) ou dans les autre sministères (éducation, culture). Les choix drastiques qui vont bientôt être faits vont l'illustrer (une fois encore).

7. Le mardi 9 octobre 2012, 20:16 par Colin L'hermet

Bonsoir,

Je viens de relire votre réponse à l'une de mes réactions : "je réponds que l'armée a plein de concurrents, qu'il s'agisse du domaine de la puissance légitime (intérieur, douanes, justice) ou dans les autre sministères (éducation, culture)".

Au-delà de la provocation que vous lanciez, je pense que vous ne distinguez pas assez, ici, l'armée de la puissance militaire, et également le théâtre intérieur du théâtre extérieur. Vous êtes allé de l'un à l'autre, et retour, car vous les connaissez tous deux, et vous finissez par superposer les deux vocables.
Un oeil de civil, doublement client des dispositifs et effets militaires, comme citoyen et comme acteur de l'Etat, bloque sur ce qui lui apparaît comme une confusion dans le feu de l'écriture.
Corrigez-moi SVP si j'écris des âneries.

. Extérieur :

La puissance militaire [de la France] a effectivement une kyrielle de concurrents, dans cette course à l'influence géopolitique. Mais on parle de =potentiel= de recours à la conflictualité.
Dans le potentiel, on peut se concurrencer : cela revient à se mesurer.

En revanche, dans la conflictualité, on ne mesure pas, on récolte. C'est l'effet.
Dans cette seconde configuration l'Armée française n'a pas à avoir de "concurrents" : elle interviendra, sur ordre, contre des adversaires. Mais elle n'a pas de concurrence.
Elle ne se propose ni ne se voit proposé d'aller protéger une autre nation. Elle ne se propose ni ne se voit proposé d'aller faire la guerre à un tiers.
Elle ne répond pas à un appel d'offre où compétitionnent d'autres armées d'autres nations.

Elle n'est pas "autonomos", elle obéit.
Si le politique lui dit d'aller bivouaquer à Djibout ou à Abou Dabi, elle le fera.
Si le politique lui dit d'aller mourir pour Munich ou pour Gao, elle le fera.

Mais elle n'a pas de concurrent. Elle n'a que des adversaires, dès lors qu'ils lui ont été désignés.

C'est la puissance militaire qui est concurrencée.

. Intérieur :

La puissance militaire n'a de concurrence qu'au sens de la philosophie politique, comme vous l'esquissez : sa puissance relative au sein de l'équilibre des pouvoirs de la Nation est contrebalancée-concurrencée par d'autres institutions ou groupes.

C'est donc le champ militaire (au sens de P.Bourdieu) imbriqué à l'Etat qui est concurrencé dans le jeu de captation des leviers et des patrimoines de la puissance étatique.

L'activité de ce champ militaire est par nature la fourniture de la sécurité de la Nation. Cette activité est grignotée par une subdvision en des concepts de sécurité nationale, de sécurité publique, de sécurité des biens et des personnes ou encore de sécurité de l'activité économique, et depuis peu de cybersécurité.
Autant de pôles de la puissance sécuritaire qui viennent amoindrir le monopole passé du champ militaire.

Mais il ne s'agit pas ici de stratégie militaire.
Plutôt, d'un ferment de la grande stratégie.

Car il faut bien dire que les choix d'organisation, de mise en ordre de bataille de l'Etat, si j'ose dire, qui se font aujourd'hui à la faveur des orientations-arbitrages mentionnés auront un impact direct sur ce qu'est cet Etat, ses capacités en termes d'usage de la force et de recours au conflit pour solutionner des situations géopolitiques futures.
Oui, de la grande stratégie, qui commence avec la mise en concurrence des raisons d'être du champ militaire et des moyens à lui allouer.

Mais la stratégie militaire, elle, ne connaît pas le jeu de la concurrence. C'est le jeu de l'adversité et de l'opposition./.

Bien à vous,
Colin./.

8. Le mardi 9 octobre 2012, 20:16 par Boris Friak

Deux observations:

1) sur la notion de situation de concurrence : elle me semble évidente pour les armées. Leur existence légitime n'est que le reflet de la volonté du peuple souverain de mettre en commun des ressources (temps dans le cas de la conscription, argent dans le cas de l'armée de métier) en échange d'un niveau de sécurité.

2) La finalité : un entrepreneur peut légitimement avoir pour but de faire grandir son entreprise, la conquête commerciale est une marque de succès. Dans le cas de l'armée la marque du succès est au contraire la modestie des ressources consommées pour obtenir le résultat fixé.

9. Le mardi 9 octobre 2012, 20:16 par oodbae

Bonjour,

J'ai quand même l'impression qu'une différence fondamentale entre les entreprises et les armées réside dans leur finalité. Au-delà de la définition d'une entreprise selon tel ou tel économiste, que ce soit "un moyen pour la bourgeoisie de soumettre le prolétariat" ou une "organisation cherchant le profit" ou que sais-je, une entreprise ne pense qu'à son popotin, alors qu'une armée se bat pour un état, réel ou symbolique.
Autrement dit, une entreprise est essentiellement égoiste alors qu'une armée est altruiste, aussi paradoxal que cela puisse paraître.

Par conséquent, il me semble peu probable que les stratégies puissent être calquables, et donc je tiens a priori pour peu pertinentes les théories qui affirment le contraire et je soupconne que l'analogie guerrière est un argument de vente car l'odeur du sang attire toujours les prédateurs et se présenter comme un "conducatore" à l'assemblée plénière est plus séduisant que de se présenter comme un planificateur.

Ceci étant dit, l'abstraction que la formule de Beaufre présente: "dialectique des volontés" a ceci d'étonnant qu'elle se transpose à toutes les activités humaines.

... sujet à reflexion

cybersalut

10. Le mardi 9 octobre 2012, 20:16 par oodbae

@ Colin L'Hermet:
A propos de la concurrence, avez-vous entendu parler des sociétés militaires privées, "contractor" en anglais, telles que Blackwater? Ce sont des concurrents sur le terrain.

11. Le mardi 9 octobre 2012, 20:16 par Colin L'Hermet

Bonjour à tous,

@ Oodbae :

Les SMP sont soit a) sous contrat de l'Etat soit b) sous contrat avec un organisme privé.

Dans le cas a), elles sont donc soumises à l'autorité étatique, en complément des moyens et métodes militaires mis en oeuvre par les armées.
Leur concurrence se rapporte donc à une concurrence similaire à celle qui s'établit avec un MinInt, un DHS ou un ServicesdesGardesFrontières : l'Etat choisit de déléguer à l'un ou à l'autre. Arbitrage. Ou les laisse en concurrence dans l'espoir d'obtenir une émulation. Bordel ambiant.
Concurrence politique.
Car dans les 2 cas, la SMP demeure l'un des multiples bras armés que l'Etat peut décider de mettre en oeuvre.
Dans le contexte de la conflictualité, SMP et armée ne sont pas en concurrence, mais en complémentarité. La stratégie militaire allie les limites de chacun.
Dans le contexte de l'influence politique, ils sont en concurrence. La grande stratégie impacte ce dernier cas.

Dans le cas b), les SMP ne sont plus l'un des bras de l'Etat, mais un ressortissant de l'Etat comme un autre.
Elles n'ont pas à concurrencer l'Armée en tant qu'institution.
Les SMP se sont positionnées comme concurrent de fourniture de l'offre de sécurité, dans un cadre légal où l'Etat a (ou pense avoir) codifié leurs droits et devoirs.
Elles peuvent répondre soit à une non-présence de l'Etat sur un secteur soit à un choix de non présence (exemple de la protection maritime pour les Etats du pavillon autorisant ce dispositif) : souvent elles interviendront sur un champ de la sécurité des biens et des personnes encadré par la loi.

(on notera avec intérêt que la structure centralisée française leur laisse justement très peu de marge guerrière, justement, les incitant-orientant plus vers la logistique et le non létal)

Là encore aucune concurrence stratégique avec l'armée nationale.
Juste une concurrence dans la stratégie étatique de l'emploi de la force.

Je pense que mon raisonnement peut paraître embrouillé,
mais la question de l'éclatement du monopole autrefois étatique des violences physique et symbolique est justement embrouillé par la multiplicité des acteurs qui se sont invités
(ou plus précisément qui ont été mis en avant par cet éclatement et les contextes variés auxquels il leur a fallu répondre)./.

Bien à vous,
Colin./.

12. Le mardi 9 octobre 2012, 20:16 par yves cadiou

« Bienheureux les fêlés car ils laisseront passer la lumière » (Michel Audiard).

Dans tout ce qui précède, on mélange (vous mélangez) beaucoup de choses. Heureusement j’arrive (tsa-tsoin-in… !) pour vous expliquer.
Prenez des notes parce que je ne répéterai pas.

Sous-traiter des services publics au privé fut longtemps impensable en France : dans un autre billet, Olivier Kempf rappelait à juste raison « une époque où le marxisme régnait en maître dans les esprits, à un point que les plus jeunes ne peuvent imaginer » http://www.egeablog.net/dotclear/in...)-(J.-Guitton)
Personne ne concevait que le service public ne soit pas assuré par des agents publics.

Puis la sous-traitance de certains services publics à des entreprises privées s’est peu à peu imposée comme une évidence en dépit de l’idéologie. Ceci parce que l’exécution du service n’était pas satisfaisante sous l’effet de grèves à répétition rendues faciles par le statut ultra-protecteur de la fonction publique : il y a un demi-siècle, les poubelles étaient ramassées par des services municipaux dont les grèves mettaient souvent en jeu la santé et l’hygiène publiques ; aujourd’hui les poubelles sont ramassées par des entreprises privées. Leur contrat est remis en concurrence tous les trois ans par la Mairie conformément au CMP (code des marchés publics). La conformité au CMP est contrôlée par les DDCCRF (direction départementale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes), services du ministère des finances qui appuient les préfectures chargées de contrôler la légalité des actes des collectivités territoriales.

De plus en plus les collectivités territoriales, en recherche d’efficacité et de rentabilité, ont sous-traité des services publics aux entreprises privées : par exemple l’entretien des espaces verts, travail saisonnier qui correspond mal à la permanence des agents titulaires et des matériels, trop nombreux en hiver et trop peu nombreux en été.

Le système de la sous-traitance au privé, bien pratique pour les Mairies et intéressant pour le contribuable, atteint une limite lorsqu’il s’agit de tâches devant être assurées H24 et 7/7 : le meilleur exemple est celui des services d’incendie et de secours (les pompiers, fonctionnaires civils) auxquels les ambulanciers privés aimeraient piquer le ramassage des blessés sur le terrain ou celui des malades en urgence à toute heure. Tous les professionnels de la protection civile, même s’ils ne sont pas pompiers (ce fut mon cas il y a 3 fois 33 ans), s’opposent avec constance et unanimité à la sous-traitance des secours au privé. Ceci non pour des motifs idéologiques, mais pour des motifs d’efficacité et donc d’intérêt public : les entreprises privées, à but lucratif, accepteront seulement les missions rentables, celles où le personnel de garde n’est pas payé en heures supp’ : c’est-à-dire qu’avec les entreprises privées on n’aura personne à 2h du matin dans les nuits du samedi au dimanche (où les accidents sont pourtant nombreux, sorties de boîtes), ni dans la nuit de Noël ni le 15 août à 15 heures.

Ces quelques observations (que je peux compléter par d’autres si vous voulez, ne tenez pas compte de mon préambule) visent à démontrer que la sous-traitance au privé n’est pas toujours la solution. Vous pouvez me croire d’autant plus que je suis désormais hors-jeu. Je ne suis pas du tout fana des SMP pour plusieurs raisons, dont celle que je viens d’aborder ici : la logique d’entreprise est incompatible avec la nécessaire disponibilité des forces.

13. Le mardi 9 octobre 2012, 20:16 par Colin L'Hermet

Bonjour à tous,

@ M. Cadiou,
Juste un point de détail, la réforme territoriale de l'Etat.
Depuis 07/2010, les directions départementales atomisées ont été groupées en pôles régionaux plus thématiques :
. DIRECCTE pour entreprises, concurrence, consommation, travail et emploi ;
. DRFIP pour finances publiques ;
. DRAC pour affaires culturelles ;
. ARS pour santé ;
. Rectorats demeurant en charge de l’éducation.

Les missions des anciennes DDCCRF ont été transférées aux DIRECCTE et aux DDPP (échelon département de la protection des personnes, sous l'autorité hiérarchique des préfets).

Les DDCCRF ont par exemple fusionné avec les Directions Départementales des Services Vétérinaires pour une mission plus vaste de "protection des populations".
Mariage de la carpe et du lapin (ou de la mouette et du goéland).

Il semblerait donc que la mission de contrôle de la concurrence ne puisse plus être menée da manière exclusive, et s'accompagne d'un amoindrissement de la capacité de contrôle (bon, c'est vrai, les fonctionnaires se plaignent toujours de n'être pas assez nombreux, mais l'info ici ne vient pas des fonctionnaires).

Disponibilité non commercial, certes, en maintenant à l'Etat ses prérogatives.
Mais explosion du périmètre à couvrir avec moindre attribution de moyens.
Equation difficile qui poussera toujours les politiquement myopes (*) à préférer l'externalisation, voire les PPP pour les plus audacieux d'entre eux.

Bien respectueusement,
Colin./.

(*) Je m'excuse auprès des myopes, j'ai de très bons amis myopes, et ils ne sont pas trop différents de mes amis non-myopes, même si j'en compte plus. Par exemple, ils semblent avoir manifestement choisi d'externaliser une fonction oculaire à des verres de lunettes qui leur mangent le visage. D'autres mènent une semi-externalisation sournoise par le port de discrètes lentilles de contact. Autant de comportements économiquement discutables. Néanmoins, ils aiment quand même le Lagavulin 16 ans d'âge et ne refusent pas un bon Cohiba, comportement économiquement responsable de par son aide à la relance par la consommation, consommation par ailleurs interdite par les exécrables ligues anti-alcool et anti-tabac. Myope n'est donc pas un vrai défaut (**), contrairement à ce que j'écrivais plus haut.
(**) Mes amis myopes peuvent me remercier de ma magnanimité.

14. Le mardi 9 octobre 2012, 20:16 par yves cadiou

@n°13 : comme vous pouvez l’imaginer, je parle seulement de l’époque que j’ai connue. Les dernières réorganisations territoriales de l’Etat échappent à mon entendement (d’ailleurs aggravé de myopie). Vous avez certainement raison.

Il est vrai que depuis longtemps le pouvoir central cherche à faire des économies budgétaires en substituant des directions régionales aux directions départementales. Mais il le fait toujours sans vrai projet politique : dans le même temps il se refuse à fermer les trois cents sous-préfectures, inutiles et anachroniques. Refus argumenté par l’aménagement du territoire et autres refrains de « désertification ».

Ces refrains sonnent faux à l’ère de l’électronique et des voies-express mais il s’agit surtout de satisfaire les élus locaux qui forment nos assemblées dites « nationales » en ne s’intéressant qu’à leur circonscription, c'est-à-dire à leur réélection.

Vous avez certainement raison, sauf sur un point toutefois : les fonctionnaires eux-mêmes ne se sont jamais plaints de ne pas être assez nombreux, ce sont seulement les syndicats qui se plaignent continuellement du manque d’effectifs parce que c’est pour eux un manque de cotisants. La logique des syndicats n’est pas celle de l’intérêt général mais celle de l’intérêt syndical : beaucoup de cotisants mal payés et donc mécontents valent mieux que peu de cotisants à l’aise dans leurs baskets et n’ayant aucun motif de mécontentement.

Pour exister le syndicat génère le mécontentement : il monte en épingle le moindre problème, même quand ce problème pourrait être facilement réglé par l’encadrement de contact. Il bloque, je l’ai constaté dans la fonction publique, l’encadrement de contact qui prend la moindre initiative.
C’est pourquoi j’ai toujours été opposé, et je suis encore opposé, au syndicalisme dans les armées.

Arrivé à ce point de mon commentaire le lecteur (non myope) peut penser que je suis loin du sujet. Au contraire, je suis en plein dedans : une unité militaire opérationnelle, prête au combat, prête à affronter des circonstances exceptionnelles, connaît des relations d’autorité qui sont sans comparaison avec les relations plan-plan et routinières du civil.

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