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Allemagne rentière

Le comportement de l'Allemagne suscite des interrogations. Des explications comme "l'Allemagne retrouve une stature géopolitique" ou "elle se réenracine en MittelEuropa" ne permettent pas de comprendre sa posture stratégique actuelle, à la fois européenne et égoïste. D'où le recours à la démographie qui me paraît, une fois encore, un puissant facteur explicatif .

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1/ En effet, l'Allemagne connaît une situation démographique déplorable. Mais alors qu'on ne s'attache qu'au taux de natalité (moins de 1,5 enfant par femme), et qu'on dit qu'il y a un vieillissement accéléré, on ne tire pas la conclusion suivante.

2/ Elle est simple : l'Allemagne est une nation de papy-boomers qui, comme toute cette génération, est très "égoïste" : ayant obtenu un partage des richesses à son avantage dans les trente glorieuses, elle se trouve aujourd'hui enrichie et compte donc vivre de ses rentes. (NB : cela rappelle la distinction américaine entre baby-boomers et millenials, ou encore la principale inégalité française qui n'est pas celle des revenus, mais celle des générations : c'est toutefois plus marqué en Allemagne)

3/ Ceci explique fondamentalement son rapport à la dette : ses créances financent, structurellement, son système de retraite. Ce n'est pas une question de rigueur prusso-protestante ("nous avons faits des efforts, vous aussi vous devez en faire") ou du moins pas seulement : c'est d'abord la nécessité de garantir les revenus des vingt ans à venir. D'où les positions actuelles si radicales et intransigeantes.

4/ Ceci explique d'ailleurs une autre chose : l'Allemagne exporte des biens, mais importe des travailleurs. Elle en importe de plus en plus et la crise au sud l'arrange, de ce point de vue : 25 % de chômage en Grèce ou en Espagne, ce sont autant de travailleurs qualifiés (et moins problématiques que les Turcs) qui viennent travailler, à pas cher, pour faire fonctionner l'industrie allemande.

5/ En effet, on se focalise exclusivement sur la balance commerciale allemande, mais on parle assez peu de la balance des capitaux : il est très probable que les transferts monétaires de l'Allemagne vers l'Europe marquent une exportation nette de capitaux, qui vient en partie compenser le surplus commercial et rétablir l'équilibre intra européen. Un économiste, lecteur d'égéa et ayant accès à ces données, pourrait-il nous le confirmer ?

6/ Enfin, le différentiel démographique explique en grande partie les accords "contre tendance" qui existent en Europe. En effet, l'axe politique principal, ne cesse-t-on de lire, s'organise autour de Paris et Berlin, quand Londres s'éloigne politiquement de plus en plus de l'Europe. Mais si vous observez les taux de natalité, vous apercevez alors une alliance objective entre Londres et Paris, qui bénéficient d'une démographie encore assez dynamique qui les encourage à des attitudes de puissance "old style", que ne peut plus se permettre l'Allemagne vieillissante. D'où Lancaster House, la Libye et l'alliance objective franco-brit autour de BAE..., quand l'Allemagne dit "Nein".

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O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 23 octobre 2012, 22:33 par

Démographie, relations inter-générations, voilà des grilles de lecture bien pertinentes.

Je crois qu'il faudra aussi s'attaquer à un mythe, que les media ont contribué à construire, d'une Allemagne inébranlable.

Or, dans un monde -et en particulier, une Europe devenue inter dépendante, l'Allemagne plus que quiconque, a très gros à perdre.

Cordialement,

MoB

2. Le mardi 23 octobre 2012, 22:33 par Patrick Saint-Sever

Effectivement Docteur les chiffres confirment l'intuition: les pays européens hyper-endettés n'eussent pu parvenir à cet état sans que des capitaux leur fussent prêtés, et l'on imagine bien une partie des excédents commerciaux allemands remplir cette fonction, bien davantage que ceux des Chinois.La balance des paiements allemande montre que les investissements de portefeuilles des ménages et entreprises ont largement joué ce rôle, mais ce n'est pas cela le plus intéressant, ce sont les investissements directs, "en dur". Ils démontrent que sur un rythme annuel de l'ordre de 40 milliards, 22% seulement vont en Europe, et encore l'Autriche en représente-t-elle l'énorme majorité, la France par exemple ne représentant que 1,2 milliards, guère plus que la Suisse ou la Belgique, l'autre grand bénéficiaire étant la Pologne avec 3 milliards. L'Amérique représente 27%, les USA représentant 7,4 milliards. L'Asie, s'en étonnera-t-on, oui puisqu'elle n'a pas été ici évoquée, dans un contexte strictement "européen", elle représente 47% avec en premier bien entendu la Chine (10,5 milliards) et l'Inde (2,7) mais aussi la Malaisie qui compte autant que la France. Au total l'Allemagne investit pour son avenir à hauteur de 64% (25 milliards par an) dans les pays émergents ou en développement.

Ceci vient non pas du tout remettre en question la démonstration, mais la mettre en perspective globale: oui l'Allemagne est en grave posture démographique, avec le Japon (et bientôt la Chine....), ce n'est certes pas moi qui prétendrait le contraire...

Mais:

- d'une part elle y travaille avec une redoutable efficacité, en rentière certes, mais pas seulement via des portefeuilles obligataires détruits par l'oppression financière de la Fed et la BCE: elle investit dans l'industrie du futur, partout et surtout là où le cycle économique est décorrélé de sa problématique nationale. Alors si la gravité de sa situation lui dicte une stratégie, une planification (désolé, le "gros mot" m'a échappé...), ne serait-ce pas un mal pour un bien? Et mutatis mutandis, pour la France.... et le UK..... quid?
- certes et c'est un réflexe naturel d'y penser, elle a recours à l'immigration pour compenser mais guère plus que la France: 13% d'immigrés versus 11% en France, si l'on pondère par le différentiel de chômage et de croissance on constate qu'en relatif l'Allemagne "importe" moins d'immigration
- donc il y a un autre vecteur qu'elle utilise, comme elle le faisait déjà avant la seconde guerre mondiale, avec les capitalistes américains d'ailleurs: exploiter le hinterland russe, slave, ces vieux amis/ennemis. Et la "base arrière" chinoise désormais.
- Pour nous Français l'Europe est centrée sur la France et l'Allemagne, Paris étant le coeur, pour le reste de l'Europe celle-ci est centrée sur l'ancien Empire, beaucoup plus à l'Est... vers Prague qui fut non moins munificente. Prenons garde, a fortiori en nous alliant à un Royaume qu'on ne pourra peut-être plus qualifier d'Uni prochainement?

- ensuite et enfin, arguer de cette situation démographique cataclysmique allemande pour en déduire que nous (angles et francs) serions a contrario dans une bonne posture serait très optimiste: d'abord parce que n'oublions pas qu'en 2050 nous aurons le même rapport de dépendance démographique que l'Allemagne, soit 93% de personnes non susceptibles de travailler pour 100 travailleurs ... potentiels! Certes la part de jeunes dans ce ratio sera nettement supérieure en France, mais notre capacité à employer réellement la main d'oeuvre constitue l'autre pan, très négatif, du miroir démographique perçu comme trop brillant...
- Prenons donc garde à la fausse puissance relative que procure une armée de jeunes chômeurs qui, de surcroît si j'en juge par le 6ème rapport du haut Comité pour la condition militaire, ne se précipitent pas dans l'Armée...?

Enfin et pour en revenir au recyclage des excédents Allemands en Europe, plus que dans la balance des paiements on le lit très bien dans le solde Target 2 de la Deutsche Bundesbank auprès de la BCE: ce sont plus de 650 milliards qui sont prêtés par l'Allemagne à l'Euro(pe) bancaire (donc in fine aux Etats ... junkies). Alors certes on trouve des gens pour prétendre que sans ces prêts allemands jamais les Espagnols, Grecs, Italiens... Français n'auraient pu se surendetter. Il n'empêche qu'aujourd'hui si ces pays ne sont pas en cessation de paiement, c'est grâce à l'Allemagne, il n'y a pas à chercher plus loin pour trouver ensuite des raisons de prétendre que l'"égoïsme allemand" triomphe.

En conclusion corrélation n'est pas causalité, et ultra vieillissement allemand ne signifie pas que France ou UK ne vieillissent pas dramatiquement: demandons à nos amis de l'Arrco, ou du régime de base de retraite ou du FRR ce qu'ils en constatent....De là à en déduire que bien que "jeune" par rapport à l'Allemagne, la France serait également capable d'égoïsme, courte vue etc....

Si pour ma part je devais avoir peur de l'Allemagne, ce serait parce qu'elle a un outil formel et informel de planification et action économique stratégique assis sur les capacités diplomatiques de très haut niveau de ses entreprises, groupées, les PME bénéficiant des relations des très grands groupes, de son appareil d'état fédéral mais aussi local. Et j'aurais peur de penser cocorico quand le soleil se couche sur l'Atlantique et va se lever sur l'Est, là où l'Allemagne ne regarde plus: elle agit. Dans 'capitalisme rhénan' tous voient l'antithèse d'anglo-saxon:il y a bien capitalisme, pourtant, le rentier allemand a moins de soucis à se faire que le jeune allemand en contrat précaire, qui a moins de souci à se faire que le jeune français qui brigue un interim, ou l'espagnol qui ne brigue plus rien. Et dans quelques décennies? Il n'est pas certain que le rejet des Allemands désormais affiché en France au niveau des dirigeants politiques (aussi exagéré que l'admiration passée, qui d'ailleurs n'était que le reflet inversé d'un même complexe) nous incline à faire les bons choix. Car nous sommes à l'heure des choix. Alors BaE et ses marchés et technologies tournés vers le monde US... c'est à voir, je ne suis pas compétent.

Guten Tag Her Doktor

3. Le mardi 23 octobre 2012, 22:33 par yves cadiou

J’ai cliqué sur le lien à droite de la photo (source) et je suis tombé sur un article intéressant, deux pages que je vous résume en trois phrases qui l’appauvrissent certainement : nous, pays développés, aurions tort de nous conformer à l’idée américaine selon laquelle le Nord trouvera toujours au Sud (et aussi à l’Est dans le cas de l’Europe) la main d’œuvre qu’il lui faut ; ceci parce que, toujours et partout, l’élévation du niveau de vie produit une baisse de la natalité ; le niveau de vie du Sud et de l’Est augmente rapidement, laissant prévoir un ralentissement de la démographie et donc de la ressource en main d’œuvre.
Les quelques considérations de cet article sur une future pénurie pétrolière me laissent dubitatif, mais le point de vue sur la démographie mondiale, nouveau pour moi, est assez convaincant et mérite l’attention des lecteurs d’égea.

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