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Limites européennes

Les analystes ont une grande difficulté à définir ce qu’est l’Europe, autrement que par des critères civilisationnels. L’Europe, ce petit cap de l’Asie, affirmait déjà Paul Valéry. Autrement dit, il n’y aurait pas véritablement de critères géographiques, sinon conventionnels.

source

Ainsi, la division classique de l’Oural, inventée par les géographes du XIX° siècle, a un grand mérite : elle est visible sur la carte, selon un grand axe nord-sud qui mène approximativement de la caspienne jusqu’au cercle arctique. Elle a toutefois un gros défaut : elle ne sépare pas vraiment cette gigantesque plaine du Nord qui prend naissance dans les Flandres et progresse jusqu’à Kazan, et d’autre part la Sibérie. J’avais trouvé un temps le critère du climat : à le suivre, l’Europe serait la zone du continent eurasiatique (au sens premier de continent, masse de terre entourée d’eau) qui ressent les influences du climat océanique. Il faut bien convenir que c’est peu satisfaisant, en tout cas pour définir un « continent ». Certes, l’Europe était ce « triangle d’eau », formule finalement trouvée pour désigner la partie terminale quasiment entourée d’eau. Sauf que je n’avais pas poussé le raisonnement assez loin : car en effet, où arrêter le dit continent, à l’est ?

Or, il faut « tout simplement » utiliser un troisième critère qui est celui des isthmes. On connaît les grands isthmes classiques du continent européen : les deux en France (Méditerranée vers Atlantique, Méditerranée vers Manche), celui transalpin (Adriatique vers mer du Nord, de Venise à Hambourg), et enfin le quatrième, slave et menant de la mer Noire à la Baltique, d’Odessa à Riga.

La description est classique et ne rencontre usuellement pas de succès : en effet, elle laisse à l’est des populations considérées comme européennes : Finlande, pays Baltes, Biélorussie, Ukraine. Et Russie d’Europe.

Or, elle oublie un cinquième isthme, encore plus oriental, et pourtant déterminant, car se situant « avant » l’Oural. Il s’agit de l’isthme qui mène de la Caspienne aux mers froide, selon deux tracés : soit un qui porte au golfe de Finlande, soit l’autre qui emmène jusqu’à la mer Blanche, dans les rivages arctiques (on notera que l’isthme entre le golfe de Finlande et la mer Blanche est justement rempli de lacs et extrêmement liquide).

Au sud, cet isthme est accentué par le tracé terminal de la Volga qui suit exactement cette orientation générale. Enfin, on remarquera que si le quatrième isthme passe par Kiev, capitale de l’Ukraine et siège de la première Russie, le cinquième isthme passe par Moscou, principauté qui fut l’origine de la renaissance russe. Moscou est ainsi placée à l’exacte frontière du continent européen. Moscou n’est pas au cœur d’une immense Eurasie : Moscou est une ville charnière faisant jonction entre deux continents. Comme Constantinople, d’ailleurs.

On peut ainsi donner une définition géographique de l’Europe : continent situé à l’ouest de tous les isthmes eurasiatiques.

Cette définition amène à interroger le rôle de la Caspienne. On s’aperçoit alors qu’elle est au départ de deux autres isthmes : l’un qui mène à la mer Noire, et qui sépare l’Asie de l’Europe. L’autre qui rejoint au sud le golfe persique, au travers de l’Iran, et qui sépare l’Asie de l’Ouest du reste du continent. A l’est, l’Asie ne connaît plus d’isthme significatif permettant de structurer l’analyse.

O.Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 8 novembre 2012, 02:25 par Laurent

Globalement d'accord avec cette analyse très convaincante et solide.
Un point cependant : pourquoi toujours chercher des limites "franches" et nettes ? Il peut exister des cas où elles n'existent pas. Sur un spectre des couleurs, les limites entre chacune d'entre elles sont TOUJOURS floues et progressives. Il existe donc des "ponts", des interfaces.
Point de détail : l'adjectif "franc" provient du nom d'un peuple... Y aurait-il un lien entre ce que l'on pourrait qualifier de "névrose obsessionnelle des frontières et des limites" et une entité ethno-politique ?
Dernier point : dans le monde "asiatique" (mais c'est également valable pour l'Europe orientale et balkanique, évidemment...), les frontières ne sont jamais nettes, ce ne sont pas des lignes, mais des zones. La province de Krajina, pour laquelle Serbes, Bosniaques et Croates se sont étripés dans les 90s, est nommée par un mot qui a la même racine que "Ukraine", qui signifie "frontière". Krajina possède en outre la même racine indo-européenne que "Grenze" ("frontière", en allemand).
Poursuivons un instant sur cette métaphore du "pont" : la France est-elle un pays d'Europe du nord ou d'Europe méditerranéenne ? Quels points communs entre un Lillois (flamand) et un Marseillais (catalan) ? Réponse (selon moi) : les deux. La France est un pont. La Russie pourrait bien aussi en être un...

2. Le jeudi 8 novembre 2012, 02:25 par ChL

Je relis l'article et votre précaution locutoire limimaire me semble devoir en être aussi la conclusion, en filigrane. "De l'Atlantique à l'Oural", ça sonnait "ensemble", "unité", voire finalité de l'Union européenne ; mais ceci reste théorique et illusoire. Votre perspective de définition par les isthmes confirme aussi, en citant et Moscou et Byzance-Contantinople-Istanbul, qu'il s'agit moins de frontière (comme front [militaire]) que de passage entre civilisiations, empires, aires d'influences. Si les critères de géographie physique ou climatique laissent la plupart des analystes sur leur faim, ne faut-il donc pas convenir, en dernier ressort, que l'Europe - et sans doute elle seule - se définit par des critères civilisationnels & culturels (ceux-ci constituant un gros melting pot où il y a "à prendre et à laisser") ? Cela peut nous amener à concevoir des bi-appartenances (quelle horrible néologisme) ou doubles identités physiques : la Russie européenne et asiatique, idem pour les "pays-stans" : ils sont tantôt européens, tantôt asiatiques. Autre question (quand on n'arrive pas à résoudre le comment) : pourquoi définir l'Europe géographiquement ? Cordialement.

3. Le jeudi 8 novembre 2012, 02:25 par oodbae

Je trouve cette analyse intéressante car elle donne de la profondeur à cette anecdote de CdGaulle. Brejnev (ou Kroutchev) lui répond en référence à son évocation de l'Europe comme étendue "de l'Atlantique à l'Oural":
" L'Oural? Un jour, je vous emmènerai en voiture vers l'Est et je ferai arrêter la voiture au milieu de nulle part. Quand vous me demanderez pourquoi, je vous répondrai: ca y est, on a atteint l'Oural."

4. Le jeudi 8 novembre 2012, 02:25 par yves cadiou

Parce qu’Olivier Kempf apprécie les remarques de mon copain le héron de l’Erdre, je suis allé demander à celui-ci où il place les limites de l’Europe. J’étais bien certain qu’un oiseau, surtout avec la hauteur de vue du héron et son air de toujours mépriser ce qu’on dit et pense autour de lui, aurait une opinion différente de la nôtre.

Sans se départir de son air hautain il me dit : « Quelle question ! C’est du même genre que B4 / B5 : ici en Bretagne, l’on voit très bien où se situent les limites nord, ouest et sud, clairement délimitées par l’océan mais j’entends des gens, aux terrasses des bistrots, qui se chamaillent pour savoir où situer la limite de la Bretagne à l’est, côté terre. Personne ne sait à quoi ça sert de situer cette limite mais ça semble une vraie question pour ces gens-là.
---- Oui, on les appelle Bretonnistes et la question semble vraiment importante pour eux. Alors il faut supposer qu’il y a aussi des gens qui croient important de situer la limite de l’Europe côté Asie. Grâce à l’océan et à la mer, c’est très simple au nord, à l’ouest et au sud mais, comme pour la Bretagne, on peut s’interroger éternellement sur la limite de l’Europe à l’est.
---- Je ne vois pas à quoi ça sert de s’interroger là-dessus.
---- Surtout pour toi qui es un oiseau sédentaire et ne t’éloigne jamais du bassin de l’Erdre.
---- Détrompe-toi : il est vrai que je ne suis pas un de ces migrateurs qui font des allers-retours nord-sud au gré des saisons. Cependant je ne suis pas casanier, je fais volontiers des promenades de plusieurs centaines de kilomètres. Ces promenades, je les fais seulement au-dessus du continent, très peu au-dessus de l’océan.
---- Ah tiens ? Pourquoi donc ? »

Il ne me répond pas et ne bouge plus : tel que je le connais, il a vu s’approcher une proie.
En fait non, il réfléchissait. Il reprend : « Pourquoi je ne vole pas au-dessus de l’océan, tu fais bien de me poser la question car elle contient peut-être l’indication de la limite est de l’Europe.
---- Ah bon ? Tu rigoles ! Un océan séparerait l’Europe de l’Asie et on ne l’aurait pas vu ?
---- Tu te moques parce que tu es un individu seulement terrestre, on peut même dire terre-à-terre. Je vais tenter de t’expliquer.
---- Merci pour le choix du mot « tenter », insolent volatile !
---- Je suis sûr que vous autres, les TGC (les Trop-Gros-Cerveaux), vous allez trouver que mon explication n'est pas satisfaisante parce que trop simple. Je tente quand-même de t’expliquer et tu répéteras aux autres TGC.
Tu sais que beaucoup d’oiseaux-pêcheurs, comme moi, ne volent pas au-dessus de l’océan, à la surface duquel on trouve pourtant à manger autant que dans les rivières et les étangs. Tu l’as peut-être remarqué, mais t’es-tu demandé pourquoi ?
---- Parce que vous n’aimez pas l’eau salée, je suppose.
---- Non. Eau salée ou pas, tout fait ventre, ce qui est mangeable est toujours bon à prendre. Regarde les cormorans et les mouettes : ils pêchent en eau douce autant qu’en mer. La différence entre ceux qui vont en mer et ceux qui n’y vont pas, c’est les palmes. Pour voler en mer, il faut savoir nager pour pouvoir se reposer les ailes de temps en temps parce que le vol au-dessus de la mer est épuisant.
---- Ce n’est pas comme au-dessus du continent ?
---- Ah non, ce n’est pas du tout pareil parce qu’au-dessus du continent on trouve par endroits des vents qui montent et qui nous permettent de voler sans efforts. Au-dessus de l’océan, de tels vents ascendants n’existent pas parce que l’eau absorbe toute la chaleur et il faut donc battre des ailes tout le temps. Au-dessus de l’océan comme d’ailleurs au-dessus de toutes les larges zones humides : par exemple dans la région, la Loire est très fatigante à traverser parce qu’elle est entourée de larges zones humides où l’on ne trouve pas de vents ascendants. C’est pourquoi nous les oiseaux nous aimons bien Nantes qui permet de traverser le bassin de la Loire sans se fatiguer à survoler des zones humides trop larges. Regarde-nous voler au-dessus des zones sèches et tu nous verras parfois monter sans battre des ailes. C’est comme ça que les oiseaux migrateurs parcourent des milliers de kilomètres sans s’épuiser à condition d’éviter autant que possible les survols maritimes.
---- Jusque là je comprends, ce n’est donc pas sans résultat que tu as « tenté de m’expliquer ». Mais quel rapport avec la limite orientale de l’Europe ?
---- Si tu veux absolument que l’Europe soit un continent séparé des autres, l’on trouve à l’est une large zone humide que beaucoup d’oiseaux sont incapables de franchir, comme si c’était un océan d’eau douce.
---- Oui, Olivier Kempf en a parlé : la zone qui va de la Caspienne à la Mer Blanche.

---- Je t’ai donné mon avis parce que tu me l’as demandé mais je ne vois toujours pas pourquoi vous vous posez ce genre de question.
---- Mais si, tu le sais bien : parce que nous sommes des TGC. »

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