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Géographie historique de la France (X. de Planhol)

Avec les vacances de Noël, je trouve enfin le temps de rédiger les fiches de lecture des livres lus cette année, et qui s'entassent sur ma table sans que je trouve le temps de le faire. Voici donc un livre important, qui trouvera sa place dans tous les fonds de bibliothèques, surtout si l'on a les marottes suivantes : géopolitique, histoire, géographie, France : bref, cela devrait intéresser la quasi totalité des lecteurs d'égéa.

1/ Xavier de Planhol est un universitaire qui a enseigné longtemps la géographie du monde islamique. On lui doit notamment "Les fondements géographiques de l’histoire de l’Islam", (Flammarion, 1968), "L'Islam et la mer. La mosquée et le matelot VIIe ‑ XXe siècles" (Perrin, 2000), "Minorités en Islam, géographie politique et sociale" (Flammarion, 1997 2001). Mais il est également amateur de géographies transverses, un peu comme l'école des annales avait voulu renouveler l'histoire en introduisant le temps long. Ainsi de son "Le paysage animal. L'homme et la grande faune : une zoogéographie historique" (Fayard, Paris, 2004), et surtout du livre dont nous parlons aujourd’hui, cette "Géographie historique de la France" (Fayard, 1988).

2/ L'ouvrage est divisé en trois parties. La première s'intitule "Genèse de la France", parcourant "l'isthme gaulois", "l'impact de Rome", "de la Gaule à la France", Naissance de la France". L'intérêt n'est bien sûr pas de retracer une histoire de France, mais de discerner comment chacune des époques a pu marquer le territoire et l'organiser. A l'origine, il n'y a ainsi pas d'unité "gauloise", et le pays est surtout marqué par la position de Marseille, à la tête d'une route de l'étain, qui marque surtout l'influence grecque. Rien de bien suffisant toutefois pour "organiser" l'espace, même si on note au passage que "ce poids démographique de l'espace français à 'intérieur de l'Europe se maintiendra jusqu'au début du XIX° siècle" (p. 30).

3/ "L’œuvre de Rome fut capitale : toute d'organisation et de rationalisation, d'ailleurs, plus que de véritable création" (p. 51). Frontière du Rhin, maillage routier, trois Gaules (importance et diversité de ces trois Gaules, tant omises dans les analyses postérieures sur l'unité gallo-romaine), ajustement du système urbain pré-existant. Au fond, la Gaule fut la fille préférée de Rome, l'outil de sa puissance impériale. Si la Gaule fut transformée par Rome, Rome n'exista pas sans la Gaule. Si on pense aux voies et aux villes, le paysage rural gallo-romain (champs ouverts prédominants) devait disparaître ultérieurement. En matière de culture, le seul apport fut la lente expansion du vignoble.

4/ "Le système d'occupation du sol mis en place par des siècles de la paix romaine fut profondément perturbé par les grandes invasions" (p. 77). Au sujet des invasions germaniques, si leur influence à la frontière du nord-est est évidente, si on l'observe dans le reste de la France, quel en fut le poids ? "Toute évaluation chiffrée d'ensemble demeure donc aléatoire. Des tentatives ont été faites (plus près de 10-15 % que de 5 % pour l'ensemble de la Gaule), qui sont plausibles" (p. 87). Ces invasions marquent surtout par leur violence et les dévastations causées: diminution de la population , déclin des villes, transformation du paysage avec enclosements, persistance de l'Aquitaine, création de l'Etat burgonde, et surtout la montée en puissance des Francs qui suscite le déplacement du centre de gravité politique.

5/ il reste que la construction territoriale de la France date du traité de Verdun en 843. Le découpage méridional vise à associer à chaque morceau une partie méridionale et une partie septentrionale. Celle du milieu était d'ailleurs considérée comme la plus favorisée puisqu'elle incluait l'entière Italie. Originellement, la Francia est le lieu de tous les Francs : l'empire entier de Charlemagne est Ainsi considéré comme Francia. La France n'apparaît dans le langage, pour désigner la partie occidentale, qu'à la fin du IXeme siècle. Mais c'est aussi le domaine restreint des Capétiens, centré sur le Bassin parisien, au X eme siècle. " En ces siècles du bas moyen-âge, il y a eu en France superposition de l’État territorial et de la culture nationale, avec une forte charge affective, phénomène d'abord unique, qui se manifestera ensuite, mais plus tardivement, en Angleterre" (p. 133).

6/ quant à acquérir des frontières, ce fut un travail millénaire, à partir des quatre rivières (Escaut, Meuse, Saône, Rhône). À noter l'absence d'idée de frontière naturelle au moyen âge et au début des temps modernes (cf. Mon livre sur la géopolitique de la France ). À la frontière de guerre succède une frontière de paix construite au XVIIIème siècle.

7/ La deuxième partie évoque tout d'abord les articulations majeures: culturelles (linguistiques, nord et midi) mais aussi la mise en place des grands contrastes de paysage et d'habitat qui se voient notamment au travers des parcellaires. Cela a des répercussions sociales et économiques (alphabétisation, France aisée et France pauvre, mise en place d'un triangle atlantique : p. 181). L'espace est organisé avec deux niveaux d'organisation, les pays et les provinces, "en fait de nature politique, conçus en terme de pouvoir, et non d'économie" (p. 218). Le pays est l'espace du cavalier, à distance d'intervention de la ville. La province est devenue l'espace du légiste, celui où la loi locale s'exerce. Et les patriotismes locaux passent souvent et surtout par la défense des privilèges collectifs (p. 221) (puisque les privilèges, sous l'ancien régime, sont d'abord collectifs avant que d'être individuels).

8/ Quelques aperçus sur l'espace perçu et surtout l'espace vécu : "L'espace économique des paysans se situait dans un rayon normal de 10 Km, et de deux heures de déplacement au plus". "L'horizon normal des relations sociales est d 'une heure de marche". (p. 240). "Les villes recrutent leur population dans une aire de 50 à 60 km de rayon et guère plus loin" (p. 245). Ainsi, il y a une faible emprise des villes sur les campagnes. "L'espace du citadin et celui du paysan se superposent, de côtoient parfois, mais s'ignorent souvent" (p. 249). On observe sous l'ancien régime les premières spécialisations agricoles, mais l'espace agricole reste cependant peu différencié.

9/ Cela nous amène à la troisième partie, qui traite de la centralisation et la diversification de l'espace français. Le chapitre VII évoque Paris et la centralisation parisienne, à partir d'une position sur la route des seuils (seuil du Cambrésis, seuil de la Beauce, Seuil du Poitou : p. 286). Mais Orléans aurait fait une aussi bonne capitale. Paris n'est que le résultat d'un hasard politique ! Le chapitre VIII évoque l'achèvement de l'unité spirituelle (la francité) et s'intitule "actions et réactions culturelles, l'unité et la diversité". Il montre que le XIX° siècle fut le moment où des cultures régionales purent le mieux s'exprimer, avant de passer sous l'effet du progrès et donc de l'unification culturelle nationale. Ce même siècle est surtout celui de la différenciation de l'espace économique (chap. 9) permis par le développement d'un réseau de transport. Ainsi, la France des 400 fromages est d'invention récente, permise simplement par le chemin de fer ! Pour le géopolitologue, on voit là à quel point le développement des réseaux favorise à la fois une normalisation culturelle, et une diversification locale (en fait, une spécialisation, selon une sorte de "ricardisme" intérieur!). En ces temps de mondialisation et de "glocal", la leçon revêt un grand intérêt.

10/ Le chapitre 10 traite de l'exode rural et de l'urbanisation, et le chapitre 11 est écrit par Paul Claval, et évoque l'époque contemporaine, intitulé "la France des grandes organisations". On notera enfin l'abondance des cartes, illustrations nombreuses qui viennent sans cesse éclairer le propos.

On l'aura compris : voici un livre passionnant, nécessaire et qui renouvelle notre approche tant de l'histoire que de la géographie. Braudel inventa la géohistoire, partant du point de vue de l'historien. Planhol invente l'histogéographie, partant du point de vue du géographe. C'est tout aussi passionnant. Ce livre est à recommander, car il restera !

Réf : fiche de lecture par Coutau-Bégarie.

Xavier de Planhol, "Géographie historique de la France", Fayard, 1988, 640 pages.

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 27 décembre 2012, 21:40 par AGERON Pierre

Très bon résumé d'un livre parcouru il y a un moment:
une question : quelle différence faites-vous entre "histogéographie", la géohistoire de Grataloup et la géographie historique classique, celle des chartistes, qui formait à la parution du bouquin le public cible?
Merci pour vos éclairages

egéa : histogéographie : invention qui me passe par la tête, pour différencier de la géohistoire. Il reste qu'en creusant un peu :

* la géohistoire est d'abord de l'histoire du temps long, qui incorpore le facteur géographique

* la géographie historique classique : je ne la connais pas, elle a l'air très institutionnelle, à ce que j'en lis sous la plume de HCB, dans le compte-rendu que je mets en lien

* cette histogéographie s'intéresse d'abord à la géographie : elle est l'histoire non seulement des divisions administratives (géographie historique classique ?) mais aussi celle des paysages, des structures urbaines, des peuplements, des spécialisations économiques...

Mais il ne faut pas trop insister sur ce mot, donné en passant, pour équilibrer la géohistoire de Braudel, d'ailleurs non retenue par Braudel lui-même, comme je m'en suis déjà expliqué. Quant au livre, il mérite plus qu'être parcouru.

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