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Mali : et maintenant ? (1)

Bien. Voici donc qu'on a escadronné comme dans les meilleurs thèmes d'exercice de Saumur, et nous voilà déjà à Gao et Tombouctou. Il est donc temps de faire une petite pause pour réfléchir un peu, sur ce qui s'est passé, et sur le reste. Un premier billet sur les aspects opérationnels, qui sera suivi des aspects géopolitiques de niveau local, régional et de plus vaste amplitude.

source

1/ Constatons la montée en puissance : On nous parlait de 2500 hommes, et alors qu'il n'y avait pas d'opposition, nous voici déjà à 3500 et on parle de monter à 4000 voire 4500 soldats. J'entends évoquer des VBCI (des VBCI !) et si les images du largage nocturne d'une compagnie du REP faisaient plaisir à voir, l'observateur de bonne foi et bienveillant et soutenant l'armée française reste un peu expectatif face à ce déploiement de moyens. J'entends bien : je n'y connais rien, n'ai pas connaissance des arcanes de la planification, de l'analyse de l'ennemi, des difficultés du terrain, tout ça. Disons que la démonstration des moyens et capacités de l'armée française fait plaisir à voir : une vraie parade. Comme à la parade, d'ailleurs : un peu trop ? à force de vouloir être démonstratif (pour impressionner l'ennemi, bien sûr) ne tombe-t-on pas dans l'excès ?

2/ L'ennemi, donc. Dispersé, après ce plan en quatre phase :

  • 1/ Porter un coup d'arrêt
  • 2/ Rétablir (en sûreté) la ligne Lima 1 (celle qui séparait initialement le nord et le sud du Mali)
  • 3/ Se porter (ambiance vitesse) jusqu'à Lima 2 (la boucle du Niger, eg le Mali utile du Nord) avec
    • 31 : Effort par la rive sud : objectif Gao
    • 32 : puis conquête des ponts et de la rive droite (objectif Tombouctou)
  • En mesure de...

Je vous dis, c'est beau comme un ordre ops de cavalier à Saumur. Toute la question est bien sûr celle du "en mesure de". Bon, je ne vais pas faire comme tous ces "spécialistes" et autres "journalistes de défense" qui nous décrivaient consciencieusement la force de l'opposition, son équipement, sa fougue, son esprit guerrier, bref, la quatrième armée du monde ou peu s'en faut (à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire). Pour l'instant, la tactique de l'ennemi, c'est "vaporisation". Vous me direz, dans le Sahara ....

3/ Sachant que nous n'avons pas affaire à quelque chose d'aussi simple que "le terrorisme islamiste", mais à des combattants divers, aux ressorts multiples (nous y reviendrons), les options sont assez limitées :

  • se contenter du Mali utile pour entamer les autres lignes d'opération, qui sont (voir billet à suivre) sécuritaire et politique
  • se porter au centre de gravité présumé, l'adrar des Ifroghas, au nord ouest du Mali, pour montrer la domination opérationnelle et établir symboliquement la maîtrise du territoire, y compris dans un sanctuaire.
  • une troisième option me paraît théorique : celle de se porter à toutes les frontières du Mali : mais une domination indirecte = surveillance aérienne (drones + avions + satellite) et électromagnétique devrait suffire à obtenir l'effet recherché. Escadonner, oui, revenir aux méharis n'a plus vraiment de sens aujourd'hui.

4/ A lire entre les lignes les déclarations du ministre dans le journal du soir, l'option 2 paraît possible et justifierait l'accroissement des forces. Les jours prochains nous le dirons. Mais rapidement, là ne sera pas l'essentiel. La phase la plus "simplement" militaire de l'affaire malienne est en passe de se terminer, pour laisser le champ aux autres lignes d'opération. Celles-ci sont autrement complexes. En disant cela je ne dévalorise pas le travail fort bien fait de nos soldats.

Mais le géopolitologue sait qu'au XXI° siècle, une victoire militaire, même nette, ne suffit plus à fonder un nouvel équilibre politique. Il faut autre chose.

(à suivre)

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 29 janvier 2013, 22:43 par HBT

"En mesure de..." prendre Kidal ? Le problème de la cavalerie, c'est que son rythme laisse parfois trop peu de temps au tacticien de blog (nous, la plèbe parisienne qui rêvons de cette charge sahelienne) pour réfléchir qu'elle est déjà passer à la phase suivante.
Les français sont déjà à l'aéroport de Kidal, ce qui conduit à deux spéculations :
1/ il s'agit de porter un coup médiatique en faisant revenir au statu quo pré-coup d'état malien en terme de division du territoire. Au forces maliennes le fameux "Mali utile", aux combattants de la liberté et du Djihad (MNLA et les autres MUJAO, MIA et AQMI)la partie désertique.
2/ Il y a fort à parier que nous allons garder plus sur le terrain qu'il n'est bon de le dire publiquement : comment garder Kidal et se prémunir d'une réponse rapide venue des montagnes qui surplombent la ville ? Ils sont particulièrement bien protégés à une demi-journée de pick-up, et difficiles à déloger en tout état de connaissance de la région. On est en droit de s'interroger sur la pertinence de reprendre Kidal si c'est pour se la faire reprendre dans la foulée du relâchement de l'effort français. Pas que je n'ai pas une grande estime pour les capacités de l'armée malienne, mais l'an dernier ils n'étaient pas brillants.

Ce ne sont que des spéculations sur les évènements à venir, qui vaut jusqu'à la prochaine parution des quotidiens nationaux. Mais déjà nous avons dépassé le simple temps 3/ de la reprise de la boucle du Niger et poussons l'avantage au nord, avec la volonté de ne pas laisser la pression retomber trop vite et de faire perdre la face aux autorités maliennes.
La solution étant politique, pensez-vous à des avantages particuliers à tenir Kidal en terme de négociations avec certaines factions, comme le MNLA ? Sachant que c'est un nouveau mouvement séparatiste, le MIA (Mouvement Islamiste de l'Azawh&d) qui affirme contrôler la ville.

Autrement, je me demandais si vous aviez des réflexions à nous faire partager sur le contrat de sécurité privé qu'ont décrochées les FS auprès d'Areva au Niger ? Sont-elles adaptées à cette mission ? Comment évaluer et faire supporter leur coût de manière équilibrée (sans ristournes de circonstance entre l'Etat et son fournisseur énergétique) à une entreprise privée, et cette décision peut-elle faire école, au risque de priver les sociétés de protection française e contrats stratégiques ?

égéa : eh oui, les actualités vont plus vite que les commentaires. Billet publié à minuit, et déjà le matin il était dépassé. Enfin presque !

Je prends note de vos questions : on en reparlera.... Pour la deuxième, cela dépasse la cadre du Mali et du Sahel ...

2. Le mardi 29 janvier 2013, 22:43 par TM

Concernant le déploiement de force, cela correspond sûrement aux annonces nous expliquant que l'on aura affaire à une guerre longue. Rétablir l'Etat malien, quadriller le terrain (d'ailleurs autant pour débusquer des djihadistes que pour contenir d'éventuelles exactions de la part des armées africaines ou de la population), ça demande pas mal de ressources j'imagine.

Cependant, je ne peux m’empêcher de penser que l'on est aussi dans une logique de communication.

Nous sommes en pleine rédaction sur le livre blanc et il y a quelques temps, DSI titrait "l'armée de terre en danger" ; aujourd'hui, elle annonce le déploiement de VBCI, de Caesar et pourquoi pas de Leclerc. Sans parler de l'assaut aéroporté sur un aéroport vraisemblablement vide de menace (mais avec la présence d'un drone pour faire quelques photos qui vont bien...).

Enfin bon, on ne va pas le leur reprocher. Et puis, combien d'armées sont capable de faire ça ? Même si on peut contester l'utilité tactique (peut-être, mais moi non plus je n'y connais rien), l'utilité politique et stratégique est évidente.

3. Le mardi 29 janvier 2013, 22:43 par alphonse

A quelques semaines de la publication du livre blanc, il faut faire bonne figure, et se plier à l'exercice, montrer à la France ce que nos soldats savent faire. Un vitrine pour sauvegarder des budgets (à tors ou à raison)

Pour le reste les objectifs de la France sont clairs, ceux du Mali sont plus obscures.
Ils n'ont rien fait en 6 mois pour reprendre le terrain perdu, ont-ils vraiment envie de récupérer le reste de leur pays. Or la nature a horreur du vide, un pays qui n'exerce pas ses droits régaliens et très vite remplacé par un autre, légitime ou non.
La vrai question pour ma part est bien la. L'état malien veut-il garder les territoires du nord? Si oui il doit se donner les moyens de les reprendre (avec un peu d'aide) puis les garder et les gérer, c'est une volonté politique. Si l'état malien ne souhaite pas reprendre ces territoires, ils retomberont sous la coupe des milices et l'effort français n'aura servi a rien. il faudrait que le Mali soit clair sur ses intentions, or rien n'est moins sur.

4. Le mardi 29 janvier 2013, 22:43 par panou34

Effectivement belle manoeuvre saumuroise.Certes on peut s'interroger sur les (sur)effectifs déployés mais alors il ne fallait pas pleurer sur le manque de coopération européenne et otanienne au sol.Néanmoins ce déploiement fort et rapide dans un pays enclavé est une preuve de l'efficacité de l'éternelle oubliée :la logistique.Franchement châpeau même si ces fameux journalistes de défense qui interdits d'avance immédiate vers le Nord auraient eu de la matiére en la décrivant puisqu'elle était à leur portée visuelle.Mais la log n'intéresse personne sauf enfin notre armée .....et nos alliés qui nous ont donné un coup de main qui serait à évaluer dans la perspective du Livre Blanc.Toutes les armées européennes ne sont pas capables d'intervenir dans ces régions sahéliennes.En revanche un logisticien lituanien ou maltais a le même canevas que son homologue français y compris au niveau du démerdement si cher aux Africains.
Significatif est le déploiement opérationnel des Tchadiens qui ne font pourtant pas partie de la CEDEAO.On leur fournira notre logistique.Mais ne sommes-nous pas dans un plan plus large les ''Tchadiens'' des démocraties dans l'affaire malienne?Du temps de la guerre froide les Cubains étaient les spécialistes du camp communiste en Afrique(Angola,Ethiopie entre autres) avec l'appui hors théâtres de l'URSS.Qui étaient les Cubains de l'autre camp?

5. Le mardi 29 janvier 2013, 22:43 par yves cadiou

Je fais une observation provisoire, destinée à être réexaminée plus tard : ce qui m’apparaît comme le trait dominant de cette intervention au Mali en comparaison de toutes celles que nous avons faites dans l’ex-AOF depuis la décolonisation, c’est que cette fois l’on y a mis d’emblée des moyens lourds. Jusqu’à présent on commençait par envoyer une ou deux poignées de fantassins pour une mission mal définie comme « faire de l’instruction » ou « fournir un appui logistique », équipés de pétoires avec interdiction de s’en servir. Lorsqu'on mettait du lourd, c'était dans un deuxième temps après avoir subi des pertes.

Cette fois ça démarrait encore de la même façon lorsqu’en octobre le personnel politique parlait d’intervention au Mali : on se limiterait à de la formation et à de l’appui logistique. Puis le projet initial a évolué en trois mois. Maintenant il serait intéressant de savoir (je ne sais pas) pourquoi et comment le projet initial a évolué, ou plus exactement comment l’absence de projet s’est transformée en une opération spectaculaire.

Spectaculaire : tel est peut-être le point-clé car il s’agit d’une guerre qui passe à la télé. Le blog signalé ici il y a quelques jours et souligné par oodbae (c’est effectivement un blog qui vaut le détour) http://odieuxconnard.wordpress.com/... distingue fort justement les guerres qui passent à la télé de celles qui n’y passent pas.
- La guerre qui ne passe pas à la télé « est généralement violente, avec son lot de réfugiés, de charniers et autres villes en flammes » mais pas très intéressante parce qu’elle ne passe pas à la télé.
- Au contraire « sujet de toutes les passions, la guerre qui passe à la télé se doit d’être propre : décalquer le museau de son prochain à la 12.7, d’accord, mais alors pas entre le fromage et le dessert. »

Depuis que l’on a inventé les satellites de télévision géostationnaires, l’Afrique francophone et notamment l’ex-AOF regarde les mêmes émissions que nous parce que nos satellites, pour être captés en Europe, ne peuvent pas géostationner ailleurs qu’à 36000 km au-dessus de l’Afrique. Dans chaque village africain, il y a au moins un récepteur : de ce fait les malheureux brigands qui se croient très forts avec leurs kalachnikov ne peuvent pas ignorer ce qui va leur tomber dessus : du lourd. Aussitôt, et c’est bien humain, ils se débarrassent de leurs armes et se déguisent en braves gens. Ceux qui ne comprennent pas assez vite que la Toyota-mitrailleuse, même "état-neuf", n’est plus cotée à l’argus sont vite rattrapés et victimes de leur confiance excessive en la mécanique japonaise.

La guerre du Mali est donc passée à la télé et a été de ce fait une guerre d’intimidation qui a fonctionné. J’imagine que l’intimidation est l’argument technique qui a permis à l’état-major de convaincre des personnels politiques pourtant notoirement pusillanimes.

L’envoi de VBCI, de CAESAR et de drones, que je mentionnais dans mon commentaire du 20 janvier, se trouvait dans la documentation ouverte dès le 17 janvier. Depuis lors cet envoi a été confirmé (toujours dans la documentation ouverte), sauf pour les CAESAR. Circulent aussi par mal d’autres informations, non classifiées mais absentes de la presse, informations que par principe personne ne reprend en www et qui se transmettent par mails entre personnes parfaitement identifiées. Rappelons que beaucoup d’officiers africains, anciens élèves de Saint-Cyr, sont adhérents de la Saint-Cyrienne et reçoivent les mails que leur promo fait circuler.

Il reste que les informations qui ont circulé par la presse, notamment par les satellites de télévision captés partout mais aussi par internet capté au moins dans les villes, est certainement un élément majeur de l’opération Serval qui vient de démontrer avec un argument nouveau ce que tous les opérationnels savent bien depuis le temps que nous intervenons en ex-AOF : sur ce terrain, si la décision politique est prise d’intervenir, il faut y aller franchement.

Peut-être en avons-nous fini cette fois avec les sempiternelles tergiversations politiques qui ont toujours été le boulet et le principal danger de nos interventions sahéliennes. Je confirme cependant mes précédents commentaires : nous devrions cesser d’intervenir militairement en Afrique pour que celle-ci, plus d’un demi-siècle après la décolonisation, se prenne enfin en charge. Mais si la décision politique d’intervenir est prise, que ce ne soit pas à moitié comme ce fut toujours le cas et comme il en était encore question en octobre dernier.

Et maintenant, un peu d’humour : j’ai beaucoup aimé Mélenchon, sur canalplus le 29 janvier, critiquant l’intervention parce qu’on soutient un gouvernement qui n’a pas été élu. Le communiste a la mémoire courte.

égéa : Mélenchon, c'est bien le Robespierriste ? la partisan de la terreur d'Etat ? Car le terrorisme, à l'origine, c'est d'abord la terreur d'Etat. Plus tard, on a appelé ça totalitarisme.....

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