Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Mali, et maintenant (3)

Maintenant que la phase dynamique et "en mouvement" de la campagne du Mali est à son terme, il convient désormais de réfléchir aux aspects non-militaires de la situation. Car si l'on peut dire que le premier effet militaire est atteint (reprendre pied jusqu'aux frontières du pays) et que le second ne sera pas une partie de plaisir (établir un environnement sécurisé : pas gagné car les opposants vont chercher une tactique de harcèlement, cf. ce qui s'est passé cet après-midi à Gao), nous sommes en fait entré dans la phase non militaire de la crise. Et là....

source

Il convient en effet d'examiner la structure politique malienne. On peut utiliser plusieurs grilles d'analyse qui se superposent et compliquent la compréhension.

1/ Démographie : il faut toujours commencer par la démographie. Au Mali, le point clef est la jeunesse de la population. Plus de la moitié de la population a moins de vingt ans, et l'âge médian est de 16,3 ans. Autrement dit, nous sommes en présence d'une population qui est très impatiente, et qui n'a pas les réflexes culturels de la période coloniale : c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles la lecture "néo-coloniale" de la crise n'a pas vraiment de sens, et démontre le biais idéologique de ceux qui l'utilisent. Bref, une très grande attente et peu de réponses, institutionnelles ou économiques.

2/ Institutions. Beaucoup de commentateurs évoquent "l’État malien" ou "l'armée malienne". Là encore, le tropisme occidental est particulièrement trompeur. Car il faut bien constater que cet "État" est une fiction, tout comme les "frontières" (au sens westphalien, linéaire et européen que nous leur donnons trop souvent) n'ont pas de sens. Et si les belles âmes se sont félicité du "modèle démocratique malien" au cours de la décennie passée (en opposition notamment au "chaos ivoirien"), nous apercevons désormais la réalité : ce jeu démocratique n'était qu'une illusion, totalement inadaptée à une réalité "géopolitique" qui en était à mille lieux. Le modèle de "l’État" est particulièrement contesté en Occident, qui l'a expérimenté depuis deux siècles. Le seul problème du Sahel (et de nombreux pays africains et je pense qu'on pourrait étendre le diagnostic ailleurs) c'est celui de la disjonction chronologique : nous croyons en effet que tous les pays du monde vont suivre notre modèle politique de développement (passage lent de tyrannie à des systèmes démocratiques), sans voir que ce processus prend des décennies, et que dans le même temps, ceux qui ont instauré ce modèle le mettent en cause. Autrement dit encore, ces pays doivent mettre en place des formules institutionnelles que nous jugeons dans le même temps inadaptées (cf. les transferts de souveraineté, dérégulations et autres processus de décentralisation que nous pratiquons à tout va depuis trente ans). Ainsi, on demande de mettre en place des structures que par ailleurs nous trouvons inadaptées, et que la mondialisation ne permet plus de conduire des développements isolés. Cette contradiction "logique" est rendue encore plus criante par sa simultanéité.

3/ Politico-religieux. Ainsi, les dirigeants qui se sont succédé ont "laissé faire", tout simplement parce qu'ils n'avaient pas les moyens d'agir autrement. Du coup, l'expression politique s'est déplacée, non dans un jeu politique traditionnel (qui était faussé et inefficace) ni vers les cohérences communautaires d'autrefois (profondément déstabilisées par la mondialisation dissolvante), mais vers des mouvements politico-religieux. Ainsi, on a assisté à la montée en puissance d'un islamisme wahhabite (donc politique et "moderne" malgré l'apparence de son retour à la tradition) en opposition à un islam soufi réellement traditionnel, mais qui ne répondait plus aux attentes politiques, économiques et sociales de la population. Conséquence : il y a plus de wahhabites au sud du Mali qu'au Nord......

4/ Économique. Dernier facteur, celui de la gigantesque corruption, notamment à la "tête de l’État" (et qui explique d'ailleurs que celui-ci ait transféré les débats politiques vers les organisations religieuses, quitte à passer des lois islamiques, demandées démocratiquement par une large part de la population). Corruption donc,pour des raisons politiques mais aussi économiques, puisque dans le même temps les trafics de drogue en provenance d'Amérique du sud se multipliaient. La faillite de l’État malien est aussi la conséquence de notre consommation européenne de drogue. Et un fonctionnaire "agent de l’État", mal payé et irrégulièrement, acceptera de fermer les yeux contre rétribution, qu'il soit douanier, ou militaire. Un jeune s'engagera dans une milice quelconque (anti touareg, pro touareg, islamiste,...) pour gagner qq centaines d'euros.

5/ Militaires : l’État a le monopole de la violence légitime. L'armée est normalement l'expression de ce monopole, de cette souveraineté. L'armée sert normalement à assurer la défense extérieure. Mais comme dans beaucoup de pays africains, l'armée n'a pas servi à cela, mais à assurer une sécurité intérieure, en sus des forces de police, avec des tentations régulières de se saisir du pouvoir. Et nous voici avec une armée à l'image du pays, totalement divisée. Ainsi, on n'envoie pas de Maliens à Kidal mais des Tchadiens. Ainsi, on entend parler de heurts entre factions de l'armée malienne à Tombouctou... Ainsi.... Parler d' "armée malienne", c'est un peu comme de parler d’État malien ou de frontières.... Un mot, non une réalité.

Tout ceci vient s'ajouter aux différences ethniques que nous avons notées la dernière fois dans l'analyse de l'adversaire.

Que faire, donc ? Sachant que :

  • des mots comme "mandat" ou "despotisme éclairé" sont bien entendu inenvisageables, puisque appartenant à l'histoire.
  • des mots comme "processus démocratique" ne conviennent pas en l'espèce, puisque nous sortons justement de ce processus démocratique et en avons constaté l'échec.
  • et que tous les trucs type "Réforme du secteur de la sécurité", "approche globale", "Recamp" "rénovation de la gouvernance" et autres fadaises très chics n'ont pas vraiment fait leur preuve (ah oui : les Américains avaient mis en place depuis quelques années, au Mali justement, un processus de formation des cadres militaires, qui a formé 1/ des putschistes qui ont renversé ATT 2/ des cadres touaregs qui ont rejoint fissa la rébellion pour lancer le mouvement de l'an dernier : belle réussite ! Je suis sûr que si c'est l'UE qui s'en charge, ça va être plus efficace. Forcément ! ).

Autrement dit, si on a vu à peu près l'état final recherché militaire, on est assez attentif à discerner l'état final recherché politique, et ses voies et moyens, ce qu'en bonne planification on nomme "ligne d'opération". Parce qu'en fait, le Mali est un cas supplémentaire de "la fin du politique".

(à suivre)

Billets précédents :

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 10 février 2013, 21:12 par panou34

Merci pour vos 3 chapitres de réflexion sur l'actualité malienne.Bien incapable de telles synthéses je me permets de reprendre vos paragraphes.
1)Démographie:''pas les réflexes culturels de la période coloniale''.Oui mais il reste un reliquat de notre colonisation la langue française et celà nous paraît si naturel que nous oublions trop souvent de l'entretenir ou le faisons trés mal.Certes l'alphabétisation se fait de plus en plus en langues locales mais avec toujours le français en arriére plan ou parallélement.Notons d'ailleurs que la transcription des langues locales se fait en caractéres latins.....pour l'instant.Mesurons les audiences de RFI et de nos chaînettes internationales de TV,améliorons les et continuons à précéder les futurs AlJazira en français ou en bambara, peulh etc...Quitte à hérisser les cheveux des intellos des services culturels j'ai constaté que le journal français le plus lu dans les ''cars rapides'' est France Football et qu'un exemplaire de ce ''torchon'' sportif ouvre toutes les portes dans un village de brousse...alors que le Monde ,le Figaro,Libé trouveraient des emplois ''torchons''.Populisme certes mais un entraineur français de foot est plus connu au Mali qu'un ministre et les joueurs franco maliens sont souvent des missionnaires quand ils signalent la corruption et la désorganisation de leurs instances .Leurs critiques de la mal gouvernance sont entendues de tous.


2)Institutions:là la France doit battre sa coulpe certainement.Le Royaume Uni a colonisé en chantant''God save my cheffery'' et nous en vantant les concepts gaulois de liberté, égalité, fraternité dans des sociétés tribales et de castes,tout celà avec une formule jacobine d'administration.Nous avons souvent laissé un héritage de verbiage alors qu'un Africain anglophone est plus pragmatique.


3)Politico religieux:je ne sais pas s'il y a plus de wahabites à Bamako que dans le désert.En tous les cas certainement pas dans la population féminine qui a un rôle politico-économique plus important que dans les pays musulmans arabes.Le probléme est effectivement la mondialisation avec un effet traumatisant pour la société malienne comme pour toute l'Afrique:l'urbanisation qui effectivement rompt toutes les structures de ''sécurité sociale'' ancestrales et ouvre un champ de propagande et de récupération.Pour schématiser, une ONG occidentale va s'occuper d'un forage ou d'un atelier de tissage en brousse pour retenir les adultes alors qu'une ONG qatari va imiter les restos du coeur dans les bidonvilles peuplés de jeunes avec la courroie de transmission de marabouts nouvelle génération.Là encore notre coopération étatique ou bienfaitrice devrait identifier les cibles primordiales.Il est plus facile de s'impliquer en pays dogon que de s'immerger dans un bidonville.Profitons de notre avantage francophone et latin(caractéres) pour alphabétiser les femmes qui contrôlent l'économie informelle et la démographie.Elles ne veulent pas du rabâchage des écoles coraniques qui infantilisent leurs mâles.

4)Economie:Il serait temps de mettre en examen notre tutelle monétaire du franc CFA.Elle favorise la corruption des grands grâce à la convertibilité.Il y aurait beaucoup à commenter à ce sujet en rappelant notamment la facilité des transferts de fonds par valise et l'adhésion de la Guinée-Equatoriale à la zone CFA avec ses avatars immobiliers dans le 16eme arrondissement.C'est le Commonwealth.....réservé à l'élite.Pendant ce temps l'africain francophone moyen,c'est à dire l'africain pauvre,voit lui tomber dessus une dévaluation de 50% imposée par Balladur sans perte ni fracas pour l'élite qui avait fait le change auparavant.Depuis le franc CFA reste à parité fixe avec l'euro et la banque de France est responsable des déficits budgétaires de la zone.On connaît la perte de souveraineté qu'entraîne l'existence de la BCE.Les pays francophones ne connaissent pas cette perte car ils n'ont jamais eu la souveraineté monétaire.Le Mali a essayé de s'en dégager seul sans succés de son économie alors socialiste.
sinon communiste.C'est la forme de Commonwealth que propose la France depuis 50 ans et qu'elle subit depuis la création de l'euro.Juste retour de bâton chanterait le griot.

5)Militaire:Même désorganisée il me semble qu'une armée est l'organisation la plus laïque dans un état musulman faisant passer le fait national avant les concepts de Oumma et de Califat.A ma connaissance aucun chef d'état issu de la gent militaire n'a proclamé de république islamique.La coopération américaine est manifestement un échec.Qu'ils se contentent d'une coopération drône qui correspond tout à fait au prix Nobel de la Paix qui doit entraver Obama.
Le probléme malien risque d'être décisif pour l'avenir de l'Afrique sahélienne.Comme vous l'avez souligné auparavant cette zone de contact est géopoliquement essentielle pour le continent.Un continent d'avenir auquel la France doit assurer une nouvelle donne francophone culturellement ,monétairement et économiquement.Il y a 50 ans les livres scolaires illustraient la pauvreté avec des photos d'enfants indiens.Aucune malédiction ne doit empêcher les pays africains de suivre l'exemple de l'Inde

égéa : bien d'accord avec vos points. Sur la langue : il va de soi que l'EUTM est une opération "en langue française" : des technocrates, y compris en France, aux cris de l'Europe de la défense, avaient suggéré que cela soit en anglais. Les ...ons ! Nous y avons échappé, mais de peu !

2. Le dimanche 10 février 2013, 21:12 par RB

Et quid de l’état final politique recherché, ici, en France ?
Quelques réflexions brèves (et en vrac) d’un citoyen lambda :
1) Du fonctionnement de la Vème République : nous faisons la guerre au Mali sans aucun débat parlementaire préalable. Cette rapidité dans la mise en œuvre de nos armées est certes un énorme avantage en cas de menace immédiate et vitale contre notre pays, mais ça n’est certainement pas le cas du Mali. Que des décisions politiques aussi lourdes soient prises au sommet de l’État, après de simples consultations d'experts et sans le moindre débat, voici un fonctionnement qui comment dire ?... est pour le moins opaque quant aux différents intérêts en jeu.
2) De la communication : où plutôt de son absence. Pas d’images, pas de reportages sur le terrain des opérations, même ‘embedded’. Rien. Qu’on ne vienne pas après se plaindre du peu d’intérêt des français pour la chose militaire.
Autre point et sans revenir sur les termes ‘bushiens’ de François Hollande, dire que nous faisons la guerre pour sauver la veuve et l’orphelin est quand même fort de café. Cela veut-il dire qu’après le Mali, nous allons intervenir en Arabie Saoudite et à Bahreïn ?

3) De notre schizophrénie : dans le prolongement direct du point 2, quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi laissons-nous investir chez nous, dans l’immobilier de luxe par exemple mais dans bien d’autres domaines également, ceux-là même qui arment nos ennemis et professent le jihad au Mali ?
4) Du futur Livre Blanc : j’espère que Serval empêchera (retardera ?) la ‘betteravisation’ de l’armée de terre, mais en ces temps de disette économique, je ne peux m’empêcher d’entendre une petite voix susurrant que le tandem Rafale/forces-spéciales, suffit amplement. Qu’il assure à lui seul l’ubiquité et la foudroyance et que dès lors, investir des fonds devenus rares dans des unités de mêlée n’est vraiment plus à l’ordre du jour…

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/1689

Fil des commentaires de ce billet