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Deux lectures d'introduction à la cyberstratégie

Voici deux lectures de Introduction à la cyberstratégie, par St. Dossé puis J. Henrotin

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Critique parue dans la RDN de février, par St. Dossé

Olivier Kempf, stratégiste, auteur de plusieurs ouvrages, nous offre un voyage dans le champ méconnu du cyberespace. Son excellente Introduction à la cyberstratégie expose la vision de l’auteur sur les grands fondements de la stratégie adaptée à ce milieu. Il aborde tout d’abord plus d’une quinzaine de caractéristiques du cyberespace qu’il définit comme l’espace « constitué des systèmes informatiques de toutes sortes connectés en réseaux et permettant la communication technique et sociale d’informations par des utilisateurs individuels et collectifs ». Ceci le conduit naturellement à traiter du problème des frontières et mène alors le lecteur dans le champ stratégique par le biais de la souveraineté et de la cyberstratégie de l’Etat.

Après une approche sur les représentations stratégiques, l’auteur s’intéresse à la « chronostratégie » dans le cyberespace, ce qui constitue véritablement la plus grande originalité de l’ouvrage, tant la question du temps opérationnel reste trop souvent éludée par les commentateurs hâtifs ou peu au fait de ce qu’est une opération. La typologie des acteurs décrite peut paraître discutable comme toutes les typologies mais, très complète, elle devient particulièrement utile à qui n’a pas réfléchi en profondeur à ce sujet. Olivier Kempf traite ensuite les postures stratégiques. Il conclut au retour, certes limité, de l’offensive au niveau stratégique et à l’impossibilité de l’application d’une cyberdissuasion issue directement des doctrines du domaine nucléaire.

Cet ouvrage nous offre un panorama, complet et francophone, de l’état de l’art en termes de cyberstratégie définie par l’auteur comme « partie de la stratégie propre au cyberespace, considéré comme un milieu conflictuel où s’opposent différents auteurs ». Il décevra presque à coup sûr le lecteur qui s’attend à une description scientifique de la dernière attaque à la mode ou de préceptes de sécurité des systèmes d’information. L’ouvrage se situe résolument à un autre niveau, tout proche du politique. Olivier Kempf est bien un stratégiste qui traite du cyber et pas un spécialiste des télécommunications s’essayant à la stratégie. La vision de la cyberstratégie présentée dans ce livre de très grande qualité, s’inscrit sans difficulté dans une stratégie plus globale et dans une filiation historique de la guerre sur les réseaux, malheureusement peu développée dans le texte. Cette vision évite ainsi l’écueil de la querelle des « anciens », pour qui le cyber est un fait technique négligeable, et des « modernes » qui pensent que la « stratégie d’avant- le monde numérique – » est bientôt morte.

Si le lecteur averti ne sera pas forcément d’accord avec tous les nombreux principes et thèmes avancés et n’aura pas accès à des vérités absolues et immuables, indéniablement la lecture d’Introduction à la cyberstratégie stimulera sa réflexion et c’est bien là le but premier de tout ouvrage de stratégie. Ce livre doit donc être absolument lu pour bien comprendre le rôle du cyber dans la stratégie.

Stéphane Dossé

Critique parue dans DSI

Ouvrant le feu de la collection qui lui a été confiée chez Economica, Olivier Kempf livre ici une introduction sur un concept de cyberstratégie qui fait certes florès depuis vingt ans mais dont l’assise n’est pas toujours stable. Aussi, on lira avec attention les trois premiers chapitres, denses et bien structurés, portant sur les caractéristiques, les lieux et les représentations du cyberespace.

Et ce, même si Corbett a plus à apporter que Mahan en termes d’analogie maritime et si, lorsqu’est évoquée la couche sémantique, la confusion est trop vite faite entre medium et message, lequel renvoie plus à la notion de guerre de l’information que de cyberguerre – un trait cependant commun aux « cyberstratégistes ». Ce type de confusion peut amener l’objet à être élargi outre mesure, dans la conclusion par exemple : la robotique ou l’artificialisation du corps sont-elles réellement des domaines de cyberguerre ? Nous laisserons le lecteur trancher.

Les autres chapitres sont consacrés au cyberespace comme théâtre, à ses temporalités, aux acteurs, aux attitudes stratégiques, à la relation à la dissuasion et aux postures stratégiques. Si nombre d’aspects sont intéressants, sans doute une plus grande prise en compte de la littérature internationale, prolifique, eut-elle permis d’approfondir un propos qui, dans sa volonté de « fonder » un champ reconnu (d’ailleurs à bon escient) comme une stratégie particulière, peut oublier que c’est dans l’interaction avec les autres stratégies particulières que se situe les gains de puissance potentiels pour les armées. Or, c’est plus de cyberguerre dont il est question que de cybersécurité. Si l’ouvrage n’est donc pas exempt de défauts (Carl n’est d’ailleurs pas d’accord sur la définition du concept de « point culminant »), l’auteur a toutefois su isoler des fondements utiles à étudier. Il met également en œuvre une certaine forme de pédagogie et, si le style est fluctuant, reste accessible. J.H.

Je préciserai toutefois, en réponse aux remarques de Joseph :

  • couche sémantique : c'est justement pour distinguer médium et message que j'évoque cette couche sémantique (je signale au passage qu'elle a été initialement proposée par l'Army américaine). Le médium ce sont les tuyaux (soyons simples : couche physique et couche sémantique), quand le message, c'est ce qui passe dans les tuyaux. Or, trop souvent, ce qui passe dans les tuyaux est ignoré.
  • Si Mahan est évoqué, c'est parce que ce sont les auteurs américains (que j'évoque dans ce passage-là) qui le citent, et qu'ils ne mentionnent pas Corbett. Il est d'ailleurs assez notoire de considérer que la géopolitique américaine est d'inspiration mahanienne : autrement dit, on ne discute pas ici de stratégie navale, mais de culture stratégique nationale. Accessoirement, cette distinction de couche sémantique est évoquée dans le premier chapitre !
  • robotique et artificialisation du corps sont évoqués à la toute fin de la conclusion générale du livre, en précisant d'ailleurs qu'il s'agit de domaines à la lisière du sujet. Pas de robot sans cyber... et aujourd'hui, un cyber est non létal mais quand nos corps seront cyber, cette règle demeurera-t-elle ? cela ne changera-t-il pas le débat stratégique du cyber ? Je reste marqué par Gallois qui montre, dans sa "Géopolitique", que les données géographiques (et donc géopolitiques) se modifient sous l'effet du progrès technique. Il en est indubitablement de même de la stratégie.
  • sur la cyberguerre, justement, je passe pas mal de temps à me méfier de cette notion, qui me semble trop journalistique et que je prends garde de ne pas employer dans les développements, lui préférant (sauf lorsque je discute de sa définition) le terme de cyberconflit. Joseph, tu l'acceptes sans coup férir, libre à toi : la notion me semble discutable, et en tout état de cause à utiliser avec prudence. Quant à l’interaction, je passe mon temps à expliquer d'une part que le cyberespace est un milieu à la fois autonome (milieu stratégique en soi) et en même temps sécant à tous les autres, ce qui rend son analyse "complexe".

O. Kempf

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