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Occident et mondialisation par Pierre Brochand

Il se murmurait que Pierre Brochand, ancien diplomate, ancien patron de la DGSE, avait reçu commande d'un rapport sur la stratégie de la France. Il se murmurait que cet esprit brillant ne l'avait imprimé qu'en deux exemplaires : un pour lui, un pour son destinataire. Et il se murmurait enfin que le résultat était sensationnel. Aussi, lorsque l'autre jour quelques happy few purent assister à un débat organisé le 20 janvier par le think tank Res Publica, autour du thème de l’Occident et de la mondialisation, nous nous sommes précipités. On se reportera au livetweet. Voici ce que je retiens de mes notes.

source

C’est en tant qu’Occidentaux que nous sommes perçus. Car il faut discerner le rapport entre le « Nous » et le « Tout ».

I La mondialisation, apothéose de l’Occident

A/ L’Occident, qu’est-ce ?

Une entité, un projet, un émetteur d’utopie

L’entité est locale, le projet global. Quant à l’utopie, elle vise à faire de l’humain un sujet affranchi des déterminations. La modernité occidentale est une dynamique dévorante, toujours insatisfaite. Elle est devenue un processus auto-référencé, et donc une cage de fer dont on ne peut s’échapper. Elle fonctionne à un seul carburant : la raison humaine. Celle-ci s’articule sur quatre moteurs :

  • La connaissance
  • La fabrication des choses
  • Les droits
  • Les options et opportunités

Ce moteur ne doute de rien. Il progresse par bonds, selon une méthode dialectique, avec des simplifications successives.

B/ La coexistence frictionnelle de trois stèles

Ces trois stèles sont la nature, puis l’Etat, enfin l’individu.

  • La Nature est le soubassement pré-moderne. Il s’agit du seul réel. Elle justifie les communautés traditionnelles.
  • L’Etat désigne l’auto-détermination collective, fondée sur le peuple, la souveraineté, le territoire. Ce qu’on appelle le politique. L’Etat est maître du collectif. Pourtant, cet idéal n’est pas idéal, car l’Etat est compatible avec tous les régimes. Il n’est pas indépassable, il n’est qu’une étape. Le vingtième siècle a montré les multiples déraillements de l’Etat. Les expériences totalitaires sont le résultat du filtre de l’Etat-nation démocratique.
  • Pourtant, ce régime subit le travail de sape de la modernisation. La souveraineté de l’individu remplace la souveraineté du peuple et du collectif. Les institutions sont soufflées de l’intérieur. Les valeurs « créances » remplacent les valeurs « devoirs ». Il s’agit du combat contre les forces obscures de l’héritage.

C’est un processus qui déconstruit la démocratie, d’autant plus que désormais, on a peur du futur, puisque l’individu a peur de la mort. Voici la source de l’hédonisme du présent.

C/ Projection dans l’espace

La colonisation correspond à la projection de l’Etat-nation. Le reflux débouche sur la décolonisation, mais laisse en place la déstructuration et l’individualisme.

  • En amont, tout vient des États-Unis, les premiers inventeurs de cet individualisme politique. Cela amène en aval à homologuer tous les faux États qui ne passent pas par la case « Nation ». Au fond, ils permettent au magma pré-moderne de remonter.
  • La deuxième étape de cette projection dans l’espace est la globalisation que nous connaissons (PB précise qu’il utilise à dessein le mot de globalisation, tiré de son sens anglais). Elle constitue un tsunami d’hyper modernité déversé par le 1er monde sur le deuxième. Elle est fortement constituée de soft power.
  • C’est un soft power d’une puissance inouïe, grâce à la simultanéité des moteurs. Il a créé une deuxième atmosphère d’hyper-modernité. Il intersecte et met en rapport tout avec tout, provoquant la contagion du proche et du lointain, et le développement des bulles de toute sorte. Il provoque logiquement la réaction du deuxième monde.

II Aujourd’hui, le contre-pied de la mondialisation

A/ Le retour à la nature

Il y a donc projection, mais dans l’espace fini. Or, voici le retour de la nature.

  • Notre deuxième moteur (celui de la fabrication des choses) va se heurter au mur de la limitation des ressources. Au fond, voici le retour de Malthus en lieu et place de Ricardo.
  • La conséquence est claire : le deuxième monde ne viendra pas à la hauteur du premier. Le deuxième moteur va donc devoir ralentir, et il faudra répartir le coût entre ceux qui veulent monter, et ceux qui ne veulent pas descendre. Cela ne se fera pas sans heurts.
  • Car au fond, plus la globalisation s’escrime à nous éloigner du donné naturel, plus elle nous en rapproche.

B/ Réponses du 2ème monde

Le deuxième monde accède à la possibilité de répondre sur notre terrain par quatre attitudes : Le rebond, La rente, le refus le rejet

  • Le rebond tient évidemment au rebond économique des émergents.
  • La rente vise le prélèvement sur les flux dont nous dépendons, qu’il s’agisse de l’énergie (la Russie) ou de la drogue (les mafias).
  • Le refus proclame la non-compatibilité. C’est notamment le fait de l’islam qui se présente comme le porte-voix du pré-moderne. C’est au fond le seul alter-mondialisme de la mondialisation. Le refus inspire quelques États récalcitrants : Iran, Venezuela, Corée du Nord…
  • Enfin, le rejet tient à l’incapacité des États falsifiés à persévérer dans la route de la globalisation. Ils y répondent par l’effondrement.

Ces quatre attitudes se combinent pour créer des hybrides. Au fond, l’effet de ciseau ne cesse de prendre de l’amplitude.

III Sommes nous armés pour faire face à cet effet ciseau ?

A mesure que les problèmes s’amplifient, nous réduisons les leviers.

A/ La fin du politique

En effet, pour changer de paradigme, il faut un projet collectif. Mais il faut pour cela un levier politique, de moins en moins possible à cause de la fin de l’Etat, implosé. Cette fin de l’Etat est renforcée par notre politique de la fin du politique. Celle-ci a deux acceptions :

  • la gouvernance : inspiration libérale et propre sur soi pour remplacer le « gouvernement », trop hiérarchique
  • le globalisme : il s’agit de la transmission par l’Occident de la gouvernance à l’échelle planétaire (G8, G20, …). Là encore, que du flux.
  • l’Europe, qui est la cerise sur le gâteau. Bruxelles est une machine anti-politique. Il y a des bricolages de club, comme par exemple le FRUK, au cas par cas.

B/ Émotions

Pourtant, il y a de multiples tours de contrôle : tous les médias qui ne cessent d’orienter les flux de communication.

  • Nos régimes sont allergiques aux réponses dans la durée. Ils sont toujours à mettre en œuvre des réponses d’urgence sans prévoir le coup d’après.
  • Derrière la raison apparente, il y a l’émotion permanente. Qui est exaspérante et conduit en permanence au « deux poids, deux mesures ». Zéro mort chez moi, les 100.000 Irakiens d’en face ne comptent pas.

Ainsi, la crise n’est pas un épisode. Elle est une Crise, c’est-à-dire un mode de régulation de ces désynchronisations multiples.

Conclusion

Ainsi, l’Occident doit concevoir la remise à plat de son modèle. Il doit sortir de l’équivoque semi coopérative. Il doit rendre compatible l’islam avec l’hypermdoernité.

En face, le deuxième intervenant de la soirée, R. Debray, avait préparé une allocution parisienne : pleine de l'esprit français, spirituelle et brillante, recouverte du vernis mondain qui plaît tant à St Germain des Prés. Rien à voir avec la puissance d'analyse proposée par P. Brochand, absolument remarquable et qu'il convient de digérer. J'attends avec impatience que sont exte soit publié, afin de le reprendre calmement et de l'assimiler.

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 25 février 2013, 21:58 par Bertrand Quiminal

Merci pour nous proposer cet accès; et partager ces analyses utiles, peu fréquentes.
Et comment garder, si réellement souhaité, un secret!
Le nombre d'exemplaires, et les destinataires: ainsi fit aussi par exemple Sébastien Le Prestre (1633-1707).
L'époque y contribue également, mais la première édition de son " Traité de l'attaque des places" parut à l'étranger (de Hondt, La Haye), en 1737 uniquement.

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