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Sur l’avenir de la guerre (Pierre Manent)

Pierre Manent est un spécialiste de la philosophie politique. Mais alors que beaucoup recopient les anciens, lui cherche à tirer des analyses pour aujourd’hui. Et il est très souvent intéressant et novateur. Un esprit à suivre, dont voici quelques extraits d'un texte qui donnent à réfléchir.

source

Ce texte a été publié dans F. Ramel et J.-V. Holeindre, « La fin des guerres majeures », Economica, 2010, pp. 252 à 259

p. 255 L’Europe, c’est le continent des nations, par opposition à l’Asie, qui est le continent des empires.

La guerre limitée, qui n’est pas « la guerre en dentelles » mais qui est la guerre « politique », c’est-à-dire la guerre étroitement soumise à la direction de l’autorité politique légitime, n’est possible qu’entre des Etats qui se reconnaissent réciproquement, et qui reconnaissent que la guerre qu’ils se font éventuellement est des deux côtés légitime. Hors d’Europe, par exemple aux Amériques, ou aux marches de l’Europe, par exemple en Irlande, la guerre menée par les Européens oublie les règles. Et bien sûr, au XX° siècle, les guerres entre nations européennes prirent un caractère « hyperbolique » pour reprendre l’adjectif judicieusement choisi par Raymond Aron afin de désigner la dislocation d’un dispositif dynamique qui se démanche. Mais, avant l’âge des guerres hyperboliques, dans sa période pour ainsi dire « classique », l’ordre européen trouvait sa force de cohésion en lui-même, dans la rivalité réglée entre les Etas-nations européens, qui se reconnaissaient réciproquement, et qui étaient l’un pour l’autre un justus hostis. La guerre en forme était la forme européenne de la guerre. Une fois la guerre devenue hyperbolique, l’Europe se détruit comme acteur politique central. (…)

De sorte qu’il y a quelque chose de faux dans l’égalité qui est si souvent et si empathiquement tirée entre la construction européenne et la paix.

258 : D’une part, on tend à condamner la guerre en tant que telle, à la déclarer radicalement immorale (…). Mais d’autre part, on a été de plus en plus disposé à des « interventions humanitaires » au nom d’un é »devoir d’ingérence » nouvellement ajouté à la panoplie morale de l’honnête homme occidental. (…) Ainsi, en même temps que la guerre était déclarée essentiellement immorale, montait un moralisme belliciste qui a conduit l’alliance occidentale dans l’impasse stratégique où elle se trouve aujourd’hui. Les nations occidentales ont la majeure partie de leurs forces en opération au-delà de leurs frontières pour accomplir personne ne sait quoi. Ce mélange pervers de condamnation morale de la guerre et de moralisme belliciste ne sert pas nos intérêts, ni les intérêts de la paix. Je suggère de revenir à la compréhension « classique »de la guerre, comme un moyen terrible certes, et à n’employer qu’à la toute dernière extrémité, mais un moyen légitime de la politique.

Le lecteur comprend ainsi combien un philosophe peut aider le géopolitologue à comprendre sa matière. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si dans la catégorie "géopolitique" qui permet de classer les billets, j'ai inséré cette sous-catégorie "philosophie politique".

O. Kempf

Commentaires

1. Le dimanche 7 avril 2013, 20:21 par Anciens&Modernes

Pour en savoir davantage sur Manent.. l'un des plus grands esprits de notre temps :

http://lebulletindamerique.com/2011...

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