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A la suite de l'affaire Cahuzac

Il ne sera pas ici question d'analyse de politique, du moins au sens où on l'entend habituellement : la droite, la gauche, les radicaux, le gouvernement, l'opinion... Pourtant, le géopolitologue peut apporter quelques commentaires, vus de sa discipline.

source

La première question qui vient à l'esprit est celle de la corruption. D'une certaine façon, l'homme politique a été corrompu : par la richesse, le mensonge, le pouvoir, que sais-je... Il a perdu le jugement et l'éthique qui lui auraient permis, par morale ou par raison, de ne pas s'enferrer. Toutefois, les hommes politiques, comme nous tous, sommes placés dans une situation fort inconfortable : on ne cesse de recommander un comportement purifié, et dans le même temps l'air du temps ne cesse de recommander le relativisme. La seule valeur résiduelle, dans notre époque de déconstruction et de dissolution de toutes les certitudes, n'est-elle pas le relativisme ? Je ne referai pas la démonstration que d'autres ont faite avant moi, mais il y a quelque chose de logique dans la pourriture du royaume de Danemark. A tout remettre en cause, quelles valeurs restent ?

Oui, mais justement, il y a des valeurs qui doivent demeurer, etc. Fort bien, admettons. Sommes nous tous si incorrompus ? une anecdote : je prends le métro, l'autre jour, et une jeune femme me dit "je n'ai pas mon billet, puis-je passer avec vous ?". Elle a été fort surprise que je lui réponde "non, je suis respectueux des lois et paye mon titre de transport, et je ne veux pas être complice". Idiot, bien sûr (ou peut-être) d'autant qu'elle a demandé à la personne qui suivait, qui a ri et obtempéré. L'anecdote est instructive à plusieurs égards : tout d'abord car elle dit bien le degré de tolérance au non-respect de la règle commune. Mais aussi car qui suis-je pour jouer, sur ce coup, les moralisateurs ? Moi, comme d'autres, comme vous probablement, cher lecteur, "transige" et m'autorise, ici ou là, des arrangements avec l'ordre. Du coup, suis-je effectivement bien placé pour me scandaliser ?

Le problème se déplace alors : que reproche-t-on vraiment à M. Cahuzac : une faute morale ou une atteinte à la loi ? (sans même parler de la faute politique, médiatique, et de la persistance du mensonge). Les deux, mon général. Et aussi une disproportion entre la faute, sa persistance, et la situation. Ce qu'on tolère d'un quidam dans le métro, "un billet de métro", ne passe pas chez un "responsable", qui "demande des efforts", prône la vertu et ne se l'applique pas. Là est peut-être la contradiction fondamentale : on demande plus à l'homme public parce que justement il est public.

Intervient alors le débat qui s'impose sur le "tous pourris". Des amis, par ailleurs pas populistes pour deux sous, venant de la gauche la plus sourcilleuse évoquent le mot. Il ne s'agit donc pas d'un simple "populisme" qui serait réservé aux extrêmes. Que révèle-t-elle, cette clameur du "tous pourris" ? probablement, une défiance envers le système qui est jugé, justement parce que "système", acculer ses parties prenantes à la pourriture. Au fond, la lutte pour le pouvoir nécessite tellement d'efforts et d'abnégations qu'elle incite, presque naturellement, à être corrompu. La charge est extrême, la réalité heureusement moins caricaturale. Tous pourris, ou beaucoup pourris ? Le système encourage la pourriture, tous n'y cèdent pas. Il n'en reste pas moins qu'il y a une part de vérité. Essayons de voir laquelle.

La première est probablement le débranchement de la réalité. Quand on est aux responsabilités, on ne vit plus comme le commun des mortels, on s'éloigne du vécu quotidien de ses contemporains. Ce débranchement des élites est probablement la plus grande source de fragilisation.

Remarquons par ailleurs les effets de la vie moderne : la mise en réseau, l'afflux d'information et l'accélération du temps empêchent de prendre du recul. La pression des événements (qu'on confond justement avec cette réalité évoquée à l’instant) entrave tout recul, toute réflexion, qui sont pourtant nécessaires au jugement, et à l'éthique. Pour avoir vu de près des "grands responsables", je reste admiratif (et sans aucune envie) devant le rythme absolument affolant auquel ils sont contraints, 6,5 jours par semaine et 14 heures par jour. Ces responsables vivent dans un déséquilibre structurel qui ôte le sens commun et pousse à ces fautes que nous constatons.

Un dernier mot : bravo et chapeau à Médiapart, pourtant brocardé par les médias officiels. Les procureurs bien-pensants, adeptes du rentre-dedans qui fait paraît-il tant de bien à l'audimat, JM Apathie ou Pascale Clark (la Fouquier Tinville au petit pied et en jupon), nous expliquaient que ce n’étaient pas des méthodes de journaliste ? Je constate que la connivence du "milieu" politico-médiatique envers une affaire rendue publique il y a quatre mois met en cause, une nouvelle fois, la neutralité du quatrième pouvoir (quand le troisième, celui des juges, a fait son travail). Que ce soit un média indépendant, réinventant le journalisme sur le cyberespace qui soit à la source de ce choc politique constitue, au final, la seule bonne nouvelle de la séquence.

PS : à me relire, je ne suis pas du tout sûr qu'il s'agisse de géopolitique : parlons donc de réaction d'un citoyen français, ce que je suis aussi.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par Laurent

Pas idiot et très agréable à lire. Et puis la question du stress des politiques est importante, mais il ne faudrait pas les dédouaner pour autant ; ils sont partie prenante dans leur propre "oppression".
Pourtant j'ai la prétention de croire que tu rates l'essentiel en te focalisant ainsi sur une lecture presque uniquement "morale" et/ou "éthique" de cette affaire. Des couillonnades, parfois même pas très propres, à peu près tout le monde en a sur la conscience, toi aussi, moi aussi. Et, les politiques étant des hommes comme les autres, il n'y a pas de raison qu'ils échappent à ce qui est notre lot commun. Enfin, outre le fait que "le pouvoir corrompt" (et le pouvoir absolu corrompt absolument), chacun avec deux sous de jugeotte sait bien que l'action est, par nature, salissante (d'où la méchante blague contre Kant : avec sa morale, il a les mains propres, c'est sûr, mais il n'a pas de mains).
Non, la vraie question est tout autre :
- D'abord, il y a la question quantitative : détourner des millions, c'est tout de même d'une autre nature que de truander sur le prix d'un ticket de métro. Et, comme disait le vieil Hegel (il vient juste après Kant, c'est normal), il vient un moment où le quantitatif se transforme en qualitatif (je cite de mémoire).
- Ensuite, le fait que ces sommes soient détournées dans un moment économique qui n'est ni neutre, ni anodin : celui d'une crise gravissime, dans laquelle des millions de gens vont très salement trinquer. Et, pour comble, alors que des milliards échappent au bien public par la fraude ou le casino financier mondial, on va péniblement chercher à trouver des solutions (bancales et précaires) à cette crise en allant ponctionner... ces mêmes pauvres gens !!! C'est d'une ironie proprement diabolique (et j'emploie ce dernier adjectif dans un sens quasiment chrétien).
Voilà donc pourquoi, par-delà l'individu Cahuzac, dont je me fous un peu, cette affaire est terrible, et symptomatique (la dialectique de la goutte d'eau et du vase...).
Et, du coup, ça, c'est véritablement géopolitique, car cette question est mondiale, non seulement parce que ces pratiques ont lieu un peu partout, mais aussi parce que c'est un peu partout que des millions de gens vont s'en prendre plein la figure. Et la civilisation aussi, au passage, parce que la barbarie qui va se déclencher ne sera ni passagère, ni superficielle...

2. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par Colin L'hermet

"Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument" (Lord J.Dalberg-Acton)

Dr Kempf,

En écho à votre billet, je me permets d'attirer l'attention de lecteurs ayant du temps à perdre sur quelques billets de la page2 du CanardEnchaîné en date du 27mars dernier.
Sa pg2 foisonne toujours d'indiscrétions politiques.
Quelques unes éclairaient, cette fois, sur la réaction "de corps" ou systémique quant à la possible incrimination d'un membre de gouvernement.
Ni sur le fond ni sur la forme, mais bien sur la déconnexion corruptrice qui caractérise les gouvernements technocratiques de la fin du 20eme s.

Sur ce dernier point, il conviendrait d'observer que :
. le pouvoir technocratique tient l'administration depuis les pertes de positions de l'ENS, du CEA et des X-Ponts, ce pouvoir est notamment dévolu désormais à l'ENA ;
. l'administration, bien que contestée par les remises en cause post-industrielles des équilibres de ce qui constitue l'Etat moderne, demeure l'un des axes majeurs du déploiement de l'action publique ;
. laquelle action publique demeure inscrite comme la nécessaire compensation à la sujétion sociale volontaire ;
. si la RMA s'est menée sous un double flux top->down et bottom->up avant que d'ensemencer une certaine conception de l'Etat, il convient d'observer que l'axe civil de l'action publique n'a jamais connu ni sa RMA ni de mouvement bottom->up et que tout continue d'y être réfléchi-mené-réformé en une chute top->down sans fin, le RetEx n'y étant que singé, et nullement mis en oeuvre sauf à passer par la machine ultranormative qui en expurge toute vertu ;
. la technocratie ne sévit pas aujourd'hui que dans l'administration, elle est le fruit pauvret du prisme rationaliste que l'on plaque sur toute activité (voire sur toute pensée) humaine ;
. la technocratie finit donc par irriguer tous les champs de notre activité jugés viables par l'Expertise (majuscule, majuscule !), et à assécher et raccornir les champs condamnés par les Experts de tous poils ;
. l'existence d'un technocratie non exclusivement administrative, bien qu'elle en vienne à administrer-régenter tout le donné, renforce le sentiment de justesse que nourrit la technocratie administrative sur sa propre action.

Une conclusion serait que la technocratie administrative vise aujourd'hui plus qu'hier à détenir un pouvoir absolu.

Auquel cas sa corruption ne peut être qu'à la mesure de l'emprise qu'elle se pense, et qu'on lui prête, sur la société./.

Bien à tous,
Cl'H./.

3. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par BR

Bien, alors parlons de géopolitique. Peut-on expliquer au gueux que je suis pourquoi la Suisse ou le Luxembourg ne sont toujours pas considérés comme des états terroristes ? À mes yeux ces deux pays (entre autres), sont bien plus dangereux pour notre nation que tous les Aqmi ou Mujao de la planète.

4. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par oodbae

Il est toujours étonnant, en tout cas pour moi, de lire ou d'entendre des journalistes ou blogueurs s'auto-proclamer quatrième pouvoir, souvent même contre-pouvoir.

Non seulement la constitution ne leur reconnaît pas cette qualité, pas plus ici qu'aux USA du Nord d'ailleurs.

Mais surtout il s'agit simplement d'une importation du concept américain de quatrième pouvoir, sans que la presse francaise se soit donné les moyens d'exercer ce quatrième pouvoir et encore moins la légitimité.

Piètre qualité d'écriture, uniformité des ligne rédactionelles, compromission avec les politiques, dépendance vitale aux subventions publiques, positionnement politique marqué mais non assumé, absence de vérification des informations. Ce florilège de caractères décrit tout à la fait la presse francaise qui prétend s'occuper de politique.

Et Mediapart se refait une virginité? Mais de quoi s'agit il sinon d'une dénonciation? Reviendrait on aux heures les plus sombres de notre histoire (rires sarcastiques)?

A rebourd de la campagne pour faire disparaître le mot race de la Constitution francaise, où l'on interdit le mot pour faire disparaître la chose, on veut ici faire apparaître la chose du quatrième pouvoir en en imposant le mot. Cela relève du totalitarisme.

cordialement

5. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par yves cadiou

C’est plus exactement « l’affaire Médiapart ». Ce que l’on entend consiste en hurlements de la presse affolée par sa perte de pouvoir. Par la perte du pouvoir de se taire, surtout : au moment de l’affaire DSK qui l’a surpris, le bon peuple a bientôt su que tout le monde était au courant chez les gens qui font métier d’informer.

Cette fois-ci le scandale (l’esclandre, le tumulte, le bruit) fait par la presse n’est pas dû principalement à un secret qu’elle aurait couvert mais à son effarement de constater que l’info arrive par un site @internet et non par la presse elle-même. Et l’internaute moustachu qui a dévoilé l’affaire en rajoute, évoquant les incitations à se taire et les tentatives d’intimidation qu’il a reçues des journalistes.

Quant au slogan « tous pourris », ce n’est pas le problème. Chacun selon ses moyens, nous faisons tous de l’optimisation fiscale : frontaliers qui vont faire le plein de carburant de l’autre côté de la frontière, petites entreprises qui trichent un peu sur le chiffre d’affaire pour être exemptées de TVA, fonctionnaires qui demandent une mutation dans les TOM.

L’immoralité des élus est réelle mais elle n’est pas tant dans tel ou tel comportement privé concernant bêtement l’argent ou le cul, elle est dans leur incompétence à occuper les emplois qu’ils occupent : « la grande immoralité, c’est de faire un métier qu’on ne sait pas ». Cette incompétence est grave et jusqu’à présent elle passait plus ou moins inaperçue sous la langue de bois, les petites phrases et les discours préparés par des équipes de spécialistes en communication.

Mais l’incompétence du personnel politique ne peut plus être cachée : désormais les gens compétents s'expriment publiquement sur @internet, de façon très accessible. Par exemple on n’imagine pas qu’un ministre ou un parlementaire pourrait être capable de produire lui-même chaque jour des analyses de la qualité de celles d’Olivier Kempf.

Cette incompétence du personnel politique, inacceptable, la presse jusqu’à présent la cachait comme elle cachait autant qu’elle le pouvait les autres immoralités. En laissant toutefois filtrer un petit scandale ou une petite bourde de temps en temps pour rester crédible tant aux yeux de ses lecteurs que vis-à-vis du personnel politique.

L’influence de la presse commença autrefois avec le journal « l’Aurore » de Clemenceau, surnommé « le tombeur de ministères ». Puis peu à peu la presse a acquis un réel pouvoir politique en s’appuyant sur la principale faiblesse de la démocratie représentative : le souci des représentants d’être réélus et donc le souci de leur image.

Ces derniers temps on arrivait à un sommet parce que des journalistes couchaient très officiellement avec des politiciens : la presse s’est crue la maîtresse de la politique et de ses secrets.

Et puis, patatras, voilà qu’@internet chamboule tout ça.

Avec cette affaire, qui est plus « l’affaire Médiapart » que « l’affaire Cahuzac », le monde politico-médiatique est déstabilisé par la nouvelle donne. Ressentant sa perte de pouvoir comme s’il était malade de la peste, il a trouvé un baudet. Aussi moralisateurs soient-ils, les cris que l’on entend signifient : « haro sur le baudet ! » et rien de plus. On assiste à un épisode intéressant parce que révélateur d'une redistribution des pouvoirs. On identifie facilement ceux qui perdent : ils poussent des cris d’orfraie.

6. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par Colin L'hermet

Bonsoir, bonjour,

Toujours pour les lecteurs qui ont du temps à perdre, je renverrais vers le brûlot de P.Nizan, charge contre les intellectuels-philosophes d'alors, Les Chien de garde (1932), pour leur contribution à-collusion avec ce que L.Althusser appellera le système de reproduction des AIE.
Mais surtout, beaucoup plus contemporains, l'ouvrage (S.Halimi, 1997) et son film-docu (G.Balbastre et Y.Kergoat, 02/2012) Les nouveaux chiens de garde.

Ces deux productions plus récentes n'abordent que le sentiment de collusion entre presse et pouvoir ; et tout n'est aps à y prendre pour argent comptant (sans malice).
Mais si vous les mélangez avec le 1er opus de P.Nizan qui décrivait somme toute un affaiblissement continu du politique le contraignant à stipendier des idéologues pour le soutenir, on approche de ce que la succession de commentaires "café du commerce"(*) à ce billet a tendance à décrire : une raspoutitza fangeuse./.

(*) sur cette appellation, nulle volonté de blesser, mais convenons que nous labourons là un terrain déjà bien meuble ; contrairement à d'autres de nos sujets, j'ai le sentiment que tout a été dit de longue date. Comme l'écrivaient dernièrement O.Kempf et Y.Cadiou, nous faisons parler nos bulletins de vote et rédigeons des réaction intuitives de citoyens français.

Bien à tous,
Cl'H./.

7. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par yves cadiou

@ 6 : Le « tous pourris » est effectivement un leitmotiv de café du commerce. Mais dans cette affaire il y a autre chose et c’est pourquoi on en discute ici : nous ne labourons pas un terrain déjà bien meuble lorsque nous disons qu’@internet (et plus largement le cyber) changent complètement la donne. Bien sûr on entend les cris de panique de la démocratie représentative qui réagit comme à son habitude (populisme !) mais devine que bientôt elle sera supplantée par la démocratie directe. Cette perspective n’existait pas en 1932 ni en 1997, époques où la démocratie représentative pouvait se croire éternelle. En 1932 elle était menacée par des idéologies totalitaires qui ne l’inquiétaient pas vraiment. En 1997 on en était encore au minitel, rien de bien menaçant.

Aujourd’hui au contraire la situation est complètement nouvelle et tout n’a pas « été dit de longue date ». C’est ce que je tentais de montrer (sans succès, semble-t-il) dans mon précédent commentaire. Au risque d’être lourd, j’insiste : depuis déjà quelques années il suffit de se promener sur les blogs des partis politiques et des élus pour voir qu’ils sont complètement dépassés par @internet, n’ayant pas compris le bénéfice qu’ils pourraient en tirer ou au contraire ayant très bien compris que tout débat direct avec les citoyens risquerait de se retourner contre eux. D’ailleurs on ne voit aucun élu intervenir sur egeablog : peut-être y en a-t-il mais alors c’est sous anonymat.

8. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par BR

@ Cl'H,

Qu’est-ce qui rend l’affaire Cahuzac si dangereuse pour notre démocratie ?

La collusion entre pouvoirs, qu’ils soient politiques, journalistiques ou économiques, existe et existera toujours. C’est un phénomène que nous pouvons - que nous devons - combattre en améliorant nos sociétés, nos lois, mais de toute évidence, tant qu’existera l’humaine faiblesse, il sera absurde de penser pouvoir éradiquer totalement les comportements déviants.

Sauf qu’ici, nous ne parlons pas de morale ou de la faute d’un seul.

Nous parlons de ce qui fait le cœur du système économique et financier mondial. D’un système créé pour faciliter l’évasion fiscale des multinationales, des riches particuliers ainsi que des transferts de fonds du crime organisé et de la corruption. Et cette organisation n’est pas parallèle à l’économie réelle, elle n’est pas non plus souterraine. Elle est l’économie officielle. Ses organisateurs ne se réunissent pas la nuit dans je ne sais quelle cache avec une cagoule pointue sur la tête. Non, tout cela peut se fait en plein jour, tout simplement parce qu’il n’existe plus de différence entre les circuits empruntés par l’argent ‘légal’ et l’argent ‘noir’.
Ma banque, la votre, ont des filiales dans les paradis fiscaux. Mon opérateur téléphonique, le votre, également. Et si Total a des filiales dans les îles anglo-normandes, ça n’est probablement pas à des fins de prospections pétrolière ou gazière.
En février 2012, The Economist (pas franchement un brûlot trotskiste) évaluait à 3.000 milliards d’euros les avoirs européens dans les différents paradis fiscaux. Les pertes pour les différents fiscs sont donc absolument colossales et concernant notre pays, les estimations varient entre 50 et 70 milliards de manque à gagner. Annuellement !

Alors quel est le schwerpunkt de l’affaire Cahuzac ?

Certainement pas les 600.000 mille malheureux euros. Personne n’investit dans un montage financier aussi complexe qu’un trust à Singapour, pour y déposer aussi peu d’argent.
Alors combien d’argent ? De quelles sources, vers quelles destinations et à quelles fins ? L’enquête le dira, peut-être, car il semble que le secret bancaire singapourien soit désormais d’une toute autre solidité que le suisse.

Mais finalement peut importe les détails. La réalité est que les rentrées fiscales des états de l’UE diminuent, aggravant d’autant le cercle infernal de la récession et du chômage de masse.
La réalité est que l’affaire Cahuzac symbolise jusqu’à la caricature, un système économique et financier qui rentre de plus en plus frontalement en collision avec nos valeurs démocratiques.
L’avenir n’est pas écrit, mais convenons au moins que nous vivons une période qui devient très dangereuse.

Cordialement.
BR

9. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par Ph Davadie

"que reproche-t-on vraiment à M. Cahuzac : une faute morale ou une atteinte à la loi ? [...] Les deux, mon général."
Amusant d'entendre certains "responsables" évoquer la morale alors qu'ils n'ont de cesse de fustiger celle réputée traditionnelle. Le problème est que la leur n'est basée sur rien de transcendant, et que les manquements à cette morale n'appellent aucune miséricorde ni rédemption. Il suffit pour cela d'écouter la déclaration du président... Et après on peut lire les excellent billets "l'ordre moral à rebours" et "la force de la liberté" d'Henri Hude sur son blog.

"Au fond, la lutte pour le pouvoir nécessite tellement d'efforts et d'abnégations qu'elle incite, presque naturellement, à être corrompu."
Certes, mais pourquoi tant de prétendants à ces fonctions, lourdes, prenantes, etc. Par pur altruisme et amour de la Patrie ? Le dernier item peut être barré, car la Patrie ne ressuscite que le 14 juillet et lorsqu'on veut justifier quelque chose en la déclarant en danger.

"Ce débranchement des élites est probablement la plus grande source de fragilisation."
Les rois de France avaient leur fou, chargé de leur annoncer les nouvelles que tout le monde voulait taire. Pourquoi a-t-on cantonné les fous à l'asile ?

"Remarquons par ailleurs les effets de la vie moderne : la mise en réseau, l'afflux d'information et l'accélération du temps empêchent de prendre du recul."
Certes, mais un responsable, quel que soit son niveau, doit savoir prendre du recul car tous ces éléments ne constituent pas des scoops.

"détourner des millions, c'est tout de même d'une autre nature que de truander sur le prix d'un ticket de métro."
Simple question de référentiel. Entendu dans les couloirs de la galerie financière du palais de justice de Paris, à travers les portes du cabinet d'une célèbre ex-juge d'instruction : "mais quand on brasse des milliards chaque jour, qu'est-ce que c'est 10 millions ?"

Alors le problème tant des hommes publics que des autres, peut se résumer en une seule question : quel est mon rapport à la vérité ?

10. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par Colin L'hermet

Bonjour à tous,

Honnêtement, n'était-ce l'aspect globalisé des flux et ma marotte de dire du mal de la technocratie, je n'aurais jamais accordé d'attention à l'affaire dite Cahuzac (cette simple dénomination m'arrache déjà un baillement).
Cela fait des années que je cherche à pouvoir discuter avec des gens qui auraient vécu, adultes, sous la 3eme République, pour avoir confirmation que c'était pas grandissant, comme aujourd'hui, avec tout au plus une pointe d'homothétie de par la globalisation-mondialisation.
Amis lecteurs, vous pouvez donc me présenter vos aïeules encore parmi nous (je joue encore bien à la canasta et au gin-rami).
Ou alors des spirites qui acceptent le règlement par chèques...

Bref, Cahu-skimérith, pour moi, comme pour vous aussi semble-t-il à vous lire, ne serait qu'un symptôme d'un état de délabrement-déliquescence bien avancé de cet équilibrage des pouvoirs que l'on veut croire subtil dans notre démocratie oligarchique et dévoyée.
Une croûte sur une gangrène (peut-il y avoir réellement des croûtes sur les gangrènes ?, je m'interroge sur la justesse de mon image idiote.)

Et donc, toujours pour les gens qui accorderaient du temps aux choses, je flècherais volontiers vers une courte note de la FondationJaurès :
"La démocratie face à l’objection des nécessités techniques" par J.Rabachou.

Rien de copernicien dans cet opuscule, mais une 1ere partie qui pointe la question de désynchronisation sociétale sous les coups de l'Expertise et de la technocratie, et une seconde qui passe aux conclusions de réforme de la vie politique en poussant plus loin que la Commission Jospin de 11/2012 "de rénovation et de déontologie de la vie publique".

In-croy-able comment on n'en entend guère plus parler, des conclusions de celle-là, d'ailleurs.

Bon, plutôt que de les paraphraser, je vous invite à les découvrir par vous-mêmes. Ca va vite, et on s'en remet. C'est d'ailleurs cela le drame.
C'est que tout passe, finalement./.

Bien à tous,
Cl'H./.

sources :
(http://www.jean-jaures.org/index.ph...)
(http://www.elysee.fr/president/root...)

11. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par yves cadiou

Réponse partielle à la question de Colin L'hermet (n°10). Concernant les mœurs politiques de la IIIème République, on peut déjà se référer à « Topaze » de Marcel Pagnol, pièce sortie en 1928 http://fr.wikipedia.org/wiki/Topaze...)

Je me souviens des anciens, dans les années cinquante, écoutant la pièce retransmise par la TSF : pour eux, ce n’était pas une caricature mais la mise en scène, talentueuse, de mœurs réelles. Les mêmes m’ont aussi dit que les Croix-de-Feu, dans les années vingt et trente, protestaient vigoureusement contre la corruption du personnel politique http://fr.wikipedia.org/wiki/Croix-...

Quant à la comparaison avec l’époque actuelle, je crois que la différence résulte surtout dans l’existence d’@internet et dans l’idée qu’à bref délai on va pouvoir passer à la Démocratie directe alors que c’était impensable jusqu’au XIXème siècle. C’est pourquoi l’on entend des politiciens offusqués crier « haro sur le baudet ».

12. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par yves cadiou

Rectification : "impensable jusqu'au XXème siècle" et non XIX.

13. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par Ph Davadie

Et maintenant, la "lutte implacable contre les dérives de l'argent, la cupidité et la finance occulte" a été officiellement lancée
Fort bien, mais une simple question : comment lutter contre la cupidité qui, je pense, relève du for intérieur ?

14. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par

Olivier, je suis globalement d'accord avec vous sur ce sujet. A cette exception que le personnage sur lequel se cristallise les affaires est loin de bosser autant que nous.
Je joins le petit billet écrit à ce sujet :
"Rappel, pour ceux qui auraient loupé l'affaire : En Automne dernier, nous commencions à découvrir l’infâme Cahuzac : Un reportage nous le montrait, à côté de son comparse Le Foll, non loin de Morano - tiens - se pavaner, le Diamnche 7 Octobre 2013, au prix de l'Arc de Triomphe, maintenant sponsorisé par le Qatar ...
Vous me direz, ce n'est pas bien grave, il n'est pas "le gentleman d'Epsom", mais il a bien le droit à une pause ...
Vous auriez raison si le week-end n'avait pris une toute autre tournure ...
Le Lundi suivant nous apprenions que l’appartement de 300m2 de Cahuzac, situé dans le 16e arrondissement de Paris, avait été cambriolé la veille ...
Le Dimanche donc ... mais donc Cahuzac n'est pas rentré chez lui après le prix Qatarii de l'Arc de Triomphe ?
Et bien, le Mister, pourtant ministre du budget d'un pays dont on dit qu'il est en crise, s'était envolé vers la Corse pour parfaire son bronzage... (a moins que cela ne soit le contraire ... quoiqu'il en soit, nous voyons là le programme d'hyperclasse mondiale ..)
Montant du préjudice ? 100 000 euros de ... montres de luxe ... Cartier, Boucheron, Rolex .. la totale ...

Quel enseignement avions-nous là ?
- C'est simple -
Un chirurgien fortuné, spécialiste de l'implant capillaire pour oligarques, aficionados de montres aussi inutiles qu'hors de prix, sensible aux largesse d'état dictatorio-gazier et accessoirement futile jouisseur avait été bombardé - le fait du Prince - au portefeuille du budget de la 5e puissance mondiale.

Je ne sais pas vous, mais mes week-end je ne les partage pas entre course hippique et bronzette Corse .. je ne suis pas ministre du Budget de la 5e puissance mondiale .. les week-end, je suis au bureau ..

Vous m'excuserez si je n'ai pas attendu les révélations de Médiapart pour avoir la nausée.

Liens utiles :
- Prix Qatarii de l'Arc de Triomphe, le Dimanche 7 Octobre 2013 :
http://www.citizenside.com/fr/photo...
- Si a 50 ans t'as pas une Rolex et bla et bla et blaaaa : http://www.challenges.fr/economie/2...
"

15. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par Ph Davadie

Intéressant entretien d'Orsenna avec Bruce Toussaint sur Europe 1 : http://www.europe1.fr/MediaCenter/E...
"La confiance ne reviendra que si on dit la vérité" (sic). Ce qui rejoint la question finale du billet n° 9...

16. Le mercredi 3 avril 2013, 21:27 par oodbae

moralisation de la vie politique.... la morale serait donc une attribution régalienne. C'est remarquable. Sur larousse.fr, je lis les définitions suivantes:

(a)idéologie: système d'idées générales constituant un corps de doctrine philosophique et politique à la base d'un comportement individuel ou collectif.
(b) morale: * ensemble de règles de conduite, considérés comme bonnes de facon absolue ou découlant d'une certaine conception de la vie. * science du bien et du mal, théorie du comportement humain, en tant qu'ils sont régis par des principes éthiques.
(c)totalitarisme: système politique dans lequel l'état, au nom d'une idéologie, exerce une mainmise sur la totalité des activités individuelles.

Mais cette dernière définition ne me satisfait guère car elle sous-entend que la réalisation de cette mainmise est complète et que seul l'état (westphalien?) peut en être le maître et qu'il n'y a qu'une seule mainmise possible pour une idéologie donnée.

Sur CNRTL, la définition du totalitarisme donne:
système politico-économique cherchant à imposer son mode de pensée considéré comme le seul possible.

C'est une définition déjà plus flexible. Si ce système est le seul possible, alors c'est qu'il représente le bien. Une pensée contradictoire serait mauvaise. Le totalitarisme s'agit donc d'une moralisation. Il apparaît clairement que moraliser la vie politique s'énonce comme la définition réciproque du totalitarisme: la politique impose la morale ou une morale s'impose à la politique. Considérant que ce sont des personnalités politiques qui mèneront cette moralisation, issues d'un parti majoritaire à l'Assemblée Nationale ainsi que dans 21 des 22 conseils généraux de France, la moralisation de la vie politique n'est autre qu'un totalitarisme.

cordialement

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