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La Corée du Nord est-elle menaçante ?

L'autre jour, un préparant passe s'entraîner à un examen. Je lui donne le sujet en objet. Qui est, bien sûr, malicieux. Candidats, attention aux petites malices recouvertes par les sujets proposés. Si vous la décelez, vous voyez que c'est la source de la problématique, vous l'exposez dès l'introduction, et l’examinateur est ravi : votre intelligence prouve la sienne ! En vous donnant une bonne note, c'est lui qu'il congratule !

source (d'un journal qui donne une "chronologie du conflit")

Il reste qu'il y a bien des choses à dire sur ce sujet, comme par exemple ceci (en six temps, mais on peut varier) :

Il y a deux significations à l'expression "être menaçant" : l'une est subjective (proférer des menaces), l'autre objective (mon attitude suscite le sentiment de menace). La Corée, de ce point de vue, est subjectivement menaçante, même si objectivement, elle ne l'est pas. Ou alors, au deuxième degré. Ce qui nous permet d'exposer un paradoxe stratégique : le paradoxe est propre à la stratégie, encore une fois.

I Ainsi donc, la Corée du Nord menace. Elle est subjectivement menaçante. Elle menace même beaucoup, et fait semblant de prendre des mesures à cet effet, par exemple en dévitalisant la zone franche économique le long de la ligne d'armistice. Voici une rhétorique menaçante. Le nouveau leader profère des menaces, encore plus guerrières et virulentes que celles de ses prédécesseurs.

On s'interroge : n'est-il pas inexpérimenté ? ses prédécesseurs savaient jusqu’où s'arrêter, le saura-t-il ? et s'il menace, n'est-ce pas surtout pour s'adresser à son ordre intérieur, c'est-à-dire à prendre en main l'appareil, justement parce qu'il est jeune ? Ne veut-il pas démontrer sa capacité à frôler le danger ?

II Ces interrogations suggèrent que ces menaces ne sont pas prises au pied de la lettre. Au fond, personne ne les prend au sérieux. Chacun considère qu'il fait semblant, et les supputations sont de deux ordres :

  • à qui s'adresse le message sous-jacent (Coréens du Nord Coréens du sud qui viennent d'élire un nouveau président, Chinois parrains, et même, pourquoi pas, Américains?), le destinataire suggérant alors la signification du message.
  • que est le niveau de risque (de dérapage) ?

Et voici énormément de place pour des supputations raffinées et byzantines, mais il faut bien que les spécialistes s’expriment, on les paye (mal, voire pas du tout) pour cela.

III Il reste que chacun joue le jeu, et fait mine de prendre ça au sérieux : les Américains renforcent leurs porte-avions en exercice, on s'active à l'ONU, et les "grandes plumes" des "quotidiens du soir de référence" nous expliquent que ouh la la!, ces Coréens du nord sont désormais très forts et que le risque est désormais celui de la miniaturisation de l'arme nucléaire qu'ils seraient en mesure de porter sur leurs efficaces missiles balistiques. Le bon peuple et les spécialistes de géopolitique et ceux qui, comme moi, n'y connaissent rien regardent passer le train sans s'émouvoir vraiment. Car ils savent qu'on leur raconte des coups.

IV En fait, la Corée n'est pas menaçante . En cas de conflit, chacun sait que la Corée du nord serait rapidement conduite à la défaite. Au fond, ce n'est pas tant sa force, qui inquiète, que sa faiblesse. Nul n'a envie de la guerre, car on devrait la gagner, et il y aurait une après-guerre . Objectivement, la Corée du nord n'est pas menaçante, malgré toutes ses déclarations (et ses réels progrès).

V Car au fond, la vrai menace n'est pas là. La menace objective, veux-je dire.

  • les Coréens du sud ne veulent surtout pas avoir à supporter les coûts de la réunification
  • les Chinois ne veulent pas d'un doublement de la Corée du sud, et donc d'un challenger "occidental" à leurs frontières directes (pareil pour les Russes)
  • les Japonais ne veulent pas d'un concurrent occidental à leur porte, alors qu'ils se font déjà tailler d'immenses croupières économiques
  • les Américains enfin n'ont pas intérêt à déstabiliser un théâtre oriental qui est encore en leur faveur, malgré sa complexité.

VI Voici donc un paradoxe stratégique, un de plus, comme ceux mentionnés par Luttwak. Ma faiblesse vous menace, et j'en joue, et vous comprenez parfaitement ce dialogue stratégique là.

Voici, probablement, la seule leçon stratégique de la "crise" nord-coréenne".

Pendant ce temps-là, je suis rassuré : "Contre les provocations de la Corée du Nord, "les USA sont prêts"". Ouf !

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 26 avril 2013, 20:32 par AGERON Pierre

A réécouter l'émission "le secret des sources" France Culture ce samedi de 8 h à 8h30 sur "comment informer sur la Corée du Nord? "
http://www.franceculture.fr/emissio...

2. Le vendredi 26 avril 2013, 20:32 par Colin L'hermet

Bonsoir,

Je reviens sur votre point conclusif (#VI) : la force apportée par une faiblesse individuelle que le collectif se doit de prendre en compte dans un jeu rationnel.

Y.Cadiou ne disait pas moins de l'analyse que proposait abruptement A.Sanguinetti in La France et l'arme atomique, 1964 : la France restait faible en regard des forces du Pacte de Varsovie, et désormais dotée, elle pouvait espérer obliger ses alliés à une entraide rationnelle sous peine de la voir, seule et possiblement négociée dans un nouveau Munich, déclencher un feu nucléaire./.

je le recite (comment#1 de votre billet sur Poirier) :

"Notre dissuasion nucléaire trouvait son origine dans le constat que (...) le Pluton serait le premier cran d’une escalade nucléaire dont personne ne saurait, de ripostes en ripostes, où elle s’arrêterait. L’escalade déclenchée par la France n’épargnerait pas le territoire des Etats-Unis qui subirait soit des coups directs, soit des retombées toxiques. Par conséquent nos alliés (...) avaient (et ont encore aujourd’hui) tout intérêt à intervenir à notre profit avant que nous tirions nucléaire."

Aurions-nous été, mutatis mutandis, les Nord-Coréens de l'OTAN ?
Ou n'a-t-on le droit de dire cela que de la nuisible Corée ?
:)
Bien à tous,
Cl'H./.

égéa : et bien nous étions peut-être les nord-Coréens, mais nous sommes visiblement devenus depuis les Coréens du sud...

3. Le vendredi 26 avril 2013, 20:32 par Colin L'hermet

Bonjour Dr Kempf !

Effectivement ! Devenus la Corée du Sud, nous pourrions bientôt espérer vendre des centrales nucléaires aux EAU et faire patrouiller des navires contre la piraterie dans l'Océan indien...
L'Allemagne aura été notre DMZ économique le temps de l'élargissement européen.

Ah zut... il nous faudrait trouver à élire à la présidence la descendance d'un précédent homme fort. Sosthène semble hors jeu, resteraient la branche Nap.III quoique perdue dans les marais de Labenne entre deux boîtes de Bonduelle, la branche G.Clémenceau ou encore la branche A.Thiers.

Allons, je tente de me secouer de la torpeur où l'abus d'un savennière un peu agressif m'aura plongé : au delà de ma mauvaise blague sur ces parallèles qui n'en sont pas, observons que Park Geun Hye aura été plébiscitée autant comme descendante "populiste" d'un précédent dictateur que comme tenante d'un programme conservateur. Ce fait a vraisemblablement été rendu possible notamment par la constriction économique et la non évolution des relations de voisinage avec le Nord.
Je reprendrais volontiers l'idée de P.Rozanvallon que si le 20eme s. a été celui des totalitarismes, le 21eme balbutiera sur la piste du populisme, (sans péjoration). La France se trouve, avec le déséquilibre toujours plus patent du système dit représentatif, dans une circonstance analogue./.

Bon, c'est pas tout, mon cigare et mon calva m'appellent,
Bien à tous,
Cl'H./.

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