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Le leveur de soleil

Un correspondant fidèle (et oui, pour le deuxième billet j'ai déjà des correspondants fidèles) m'envoie ce texte. Je le publie avec plaisir. Le chardon

source

Mon copain le héron de l'Erdre m'avait fait observer que c'est du côté de la Basilique Saint-Donatien que le soleil se lève. C'est vrai : cette basilique se trouve sur une colline de la ville à quelque distance à l'est de l'Erdre.

Par curiosité j'ai voulu aller voir avant l'aube vers cette basilique. Pour voir le soleil apparaître derrière l'horizon, il faut se lever de bonne heure. Ce que j'ai fait ce jour-là. Dans la fraîcheur de la fin de nuit il n'y avait personne. Du moins j'ai rencontré un pauvre homme mal réveillé, un peu froissé comme s'il avait dormi dehors. Pas vraiment l'air d'un clodo, pourtant. Il me dit : « je suis étonné de vous voir : on ne rencontre jamais personne ici, à cette heure-ci.

  • - Vous venez donc souvent ?
  • - Oui, tous les matins. Bien obligé, pour mon boulot.
  • - C'est quoi, votre boulot ?
  • - Je suis leveur de soleil.
  • - ??
  • - ça consiste à faire lever un soleil chaque matin.
  • - Ah, il ne se lève donc pas tout seul ?
  • - Non. A vrai dire, votre question me déçoit un peu : en vous voyant ici à cette heure-ci, j'avais un peu espéré... Mais je devine que vous êtes comme tout le monde et que vous croyez les histoires incroyables que racontent les scienteux : la terre qui serait ronde et qui tournerait autour du soleil, tout ça.
  • - Ben oui... les explications des scientifiques sont cohérentes.
  • - Cohérentes mais mensongères. Les bons mensonges sont toujours cohérents. Cependant on peut les détecter avec un minimum de bon sens. Prenez par exemple les sourciers : vous savez, ces gars qui trouvent de l'eau simplement en tenant une baguette de bois à deux mains ?
  • - Oui, j'en ai vu faire et ça marche.
  • - Ca marche mais tous les scienteux vous diront que ça ne peut pas marcher. Les scienteux n'ont pas peur de nier l'évidence quand elle contredit leurs théories. Ce sont des idéologues de la science. C'est pareil en astronomie : il y a de quoi être soupçonneux quand les scienteux vous racontent que la terre tourne autour du soleil en parcourant une ellipse dont le soleil occupe un des foyers. Ce qui est le plus bizarre dans cette théorie héliocentriste, c'est cette histoire de foyers dont un seul est occupé : pourquoi l'autre foyer de l'ellipse est-il vide, d'après vous ?
  • - Ben... je ne sais pas : il est vide parce qu'il est vide. J'avoue que s'il y avait un deuxième soleil, ce serait sûrement plus joli mais il n'y en a qu'un.
  • - Et aucun scienteux ne sait vous expliquer pourquoi il n'y a qu'un soleil et pas deux. Si vous leur posez la question, ils vous disent parce que c'est comme ça ou alors ils vous sortent des arguties gravitationnelles et des pages de calculs illisibles. Avec leurs explications, on finit toujours par conclure qu'on est un imbécile. C'est ça leur truc : faire passer les gens pour des imbéciles. Alors tout le monde se contente de leurs explications, sans discuter donc sans réfléchir vraiment.
  • - Et vous, vous savez pourquoi il y a un seul soleil ?
  • - Non. Je sais seulement qu'il y a un soleil tous les jours et que rien ne prouve que c'est le même. Mais moi, je ne suis pas scienteux et je ne prétends pas tout expliquer. Mon boulot, c'est de faire lever un soleil tous les matins et je constate que tous les matins, ça marche.
  • - Oui, le soleil se lève tous les matins, c'est indiscutable.
  • - Grâce à moi.
  • - Je n'en doute pas. Mais comment faites-vous ?
  • - Je vais commencer dans quelques minutes. Restez, vous verrez. »

Voilà ce mystérieux bonhomme qui se tourne vers l'est et se met à faire toutes sortes de simagrées en marmonant des patenôtres. Et ça marche : le bord du soleil apparaît derrière l'horizon et commence à monter. Quand le soleil est entièrement au-dessus de l'horizon, le bonhomme arrête ses gesticulations et se tourne vers moi : « alors, vous avez vu ?

  • - Oui, c'est intéressant. Vous faites ça tous les matins ? Mais si vous ne le faites pas, le soleil se lève quand-même, non ?
  • - Je ne sais pas, je n'ai jamais osé prendre le risque de ne pas le faire : imaginez la catastrophe si le soleil ne se levait pas !
  • - J'imagine, en effet : la panique d'abord, puis le froid nocturne qui s'aggrave peu à peu, la lutte pour le chauffage, et pour finir le gel général, la fin de la vie sur terre...
  • - Oui, ce serait terrible.
  • - Mais vous pourriez tenter une petite expérience : faire lever le soleil juste un peu plus tôt ou un peu plus tard, ou à l'heure mais pas exactement au même endroit ?
  • - Surtout pas, malheureux ! J'ai des éphémérides précises et le moindre décalage détraquerait tout !
  • - Mais si vous tombez malade, personne ne le fera ? Et avant vous personne ne le faisait et le soleil se levait quand-même ?
  • - Avant moi, c'était mon père qui le faisait ; et avant lui c'était son père. Nous faisons ça de père en fils depuis la nuit des temps. Quant à tomber malade, ça ne m'arrive jamais : je suppose que je suis protégé tant mon rôle est essentiel. Et je réponds par avance à la question que vous allez me poser ensuite : quand je disparaîtrai mon fils sera capable de me remplacer.
  • - C'est un boulot tranquille, finalement : quelques minutes par jour seulement.
  • - Tranquille mais fastidieusement monotone : tous les jours levé alors qu'il fait encore nuit, dehors par tous les temps, pas de dimanches ni de vacances, aucune perspective d'évolution.
  • - Vous pourriez former un remplaçant.
  • - Ce serait trop dangereux : il faut avoir un don héréditaire pour faire ça, comme les sourciers, et c'est encore plus rare que pour les sourciers. C'est de famille et je suis fils unique, donc je n'ai aucun intérimaire possible. Le moindre loupé et c'est la catastrophe. Moralement, je n'ai pas le droit de prendre un tel risque. »

Il m'a conseillé d'avoir du bon sens. Je lui demande donc pourquoi aucune religion, aucune idéologie, aucune théorie scientifique, ne fait allusion à son existence. « C'est que les clergés, les idéologues, les scienteux, sont tous pareils : ce qu'ils veulent c'est se donner de l'importance. S'ils parlaient de moi, ce serait la négation de leurs diverses balivernes et ils perdraient aussitôt leur prestige. D'ailleurs je préfère : une foule se rassemblerait ici tous les matins et ça nuirait à ma concentration, donc à mon efficacité. Vous n'imaginez pas à quel point je redoute tous les matins de faire une maladresse. Je n'en dors pas de la nuit, de crainte aussi de ne pas être à l'heure. Par conséquent, j'ai assez de soucis comme ça et je ne veux pas, en plus, être célèbre.

  • - N'ayez crainte : si je racontais notre rencontre, personne ne me croirait. »

Yves Cadiou

Commentaires

1. Le lundi 11 novembre 2013, 16:59 par Archibald

Nous sommes tous des leveurs de soleil.

2. Le dimanche 17 août 2014, 12:00 par Le Vulcanien

« Chez vous comme chez nous les scientifiques sont prêts à nier l'évidence si elle contredit leurs théories. ''Chez vous'' je veux dire ''sur la planète Terre'' et ''chez nous'' je veux dire ''sur la planète Vulcain'' d'où je viens.
Ma planète Vulcain, vous ne pouvez pas la voir parce qu'elle tourne autour du Soleil exactement à la symétrie de la planète Terre.
Vos scientifiques prétendent qu'une telle planète ne peut pas exister parce que les planètes tournent autour du Soleil sur une orbite elliptique à une vitesse qui n'est pas constante : ainsi nos deux planètes et le Soleil, selon eux, ne seraient pas toujours sur la même ligne droite et par conséquent la Terre et Vulcain pourraient s'apercevoir de temps en temps.
C'est aussi ce que nos propres scientifiques vulcaniens ont prétendu jusqu'à ce qu'ils s'aperçoivent de leur erreur il y a trente-cinq siècles.
Trente-cinq siècles, c'est à peu près l'avance que nous avons sur vous et par conséquent vous allez probablement bientôt découvrir notre existence.
Ma mission, c'est de vous préparer à ce choc mais je vous en reparlerai.
---- Mais pourtant nos scientifiques démontrent que ce n'est pas possible. Alors je vous prie de ne pas prendre en mauvaise part ce que je vais dire : ce que vous me racontez là me semble incroyable » dis-je à cet inconnu bizarre. Il s'était assis sur le banc public à côté de moi, contemplant le courant paisible de l'Erdre. L'été, on rencontre ici à Nantes toutes sortes de touristes qui semblent venir d'un autre monde et je n'avais donc pas porté particulièrement attention à celui-ci. Au moins, il parlait un français intelligible, ce qui n'est pas toujours le cas.
.
Il répond à ma question d'une façon inattendue mais, somme toute, sensée : « c'est que vos scientifiques en sont encore aux règles de gravitation qui résultent de la mécanique newtonienne. Ils fondent leur démonstration sur les trois lois de Kepler.
---- Et c'est faux ?
---- A proprement parler ce n'est pas faux, c'est seulement que la mécanique newtonienne est très incomplète et qu'elle comporte de nombreuses exceptions que vous n'avez pas encore découvertes. » Il me regarde avec ironie et ajoute : « bien entendu, quand je dis '' que vous n'avez pas encore découvertes'' je veux dire '' que vos scientifiques n'ont pas encore découvertes... parce que vous personnellement, je vous imagine mal découvrir quoi que ce soit.
---- Hum ! Je vous remercie de votre franchise. Et vous, comment avez-vous découvert les exceptions à la mécanique newtonienne ? Du moins ''vos scientifiques ont-ils découvert'', je veux dire parce que...
---- C'était il y a trente-cinq siècles comme je vous ai dit. Un jeune étudiant a osé faire observer que la gravitation, au sujet de laquelle on savait tout calculer, était en fait une totale inconnue quant à sa nature exacte. Il ajoutait que si l'on arrivait à percer ce mystère on pourrait la manipuler et l'utiliser à volonté, en l'augmentant, en l'atténuant ou en la neutralisant. Et ce qui devait arriver est arrivé.
---- Vous avez fait des recherches en ce sens ?
---- On a enfermé l'étudiant en hôpital psychiatrique parce que son idée était très dangereuse : en faisant des expériences sur la gravitation, on risquait de déclencher un nouveau Big Bang.
---- Je comprends !
---- Mais on a repris l'idée plus tard avec toutes les précautions pour éviter l'accident. Et c'est d'ailleurs le motif de ma mission sur Terre : vous êtes sur le point, d'ici un siècle ou deux, de commencer à vous poser les bonnes questions sur la gravitation universelle. Mon équipe et moi sommes chargés d'en détecter les indices et d'éviter l'accident gravitationnel dont l'Univers (notre planète Vulcain y compris) pourrait être victime.
---- Tout ça est incroyable et par conséquent vous allez pardonner ma question incrédule : comment se fait-il que nos sondes spatiales n'ont pas aperçu Vulcain jusqu'à présent ?
---- Toujours pour le même motif : vous vous référez à la mécanique newtonienne qui est trop approximative. Par conséquent vos sondes ne regardent jamais au bon endroit.
---- D'accord. Je n'y comprends rien mais c'est cohérent. Et pourquoi vous me parlez de ça, à moi qui n'y comprends rien et qu'on ne croira pas si je le raconte ?
---- Précisément pour ça : on ne vous croira pas mais vous le raconterez. C'est notre politique pour préparer doucement les habitants de la Terre à douter de la mécanique newtonienne et à tirer profit de ce doute.
---- Par conséquent si j'en parle sur le Chardon, ça vous convient ?
---- Oui sur le Chardon, ce serait parfait. Je vous prie de le faire. »
Je propose donc cette histoire (vraie, faut-il le préciser?) au Chardon.
Au moins une chose est évidente : les Vulcaniens connaissent le Chardon.
YC

ALC : dans Astérix chez les Normands, ceux-ci jurent "par Thor" mais aussi" par Vulcain". Comme ils avaient découvert l'Amérique avant tout le monde, je ne doute pas qu'ils aient aussi découvert Vulcain avant les autres. Cette hypothèse des Vulcaniens est donc à considérer : considérable, au sens premier. Considérons la donc.

3. Le lundi 18 août 2014, 08:24 par YC

L'idée que la gravitation universelle est un mystère essentiel apparaît déjà dans « l'odyssée de l'espace », film sorti en 1968.
Le voyage du héros se passe en deux périodes. L'une (de la Terre aux environs de Jupiter) est conforme aux lois de la physique newtonienne où les objets spatiaux tournent les uns autour des autres ; le mouvement est illustré par le choix de la musique, une valse. La deuxième partie du voyage s'effectue en contradiction complète avec les lois de la physique ; et aussi de la biophysique car le héros n'en meurt pas.
Enfin le héros arrive dans un lieu artificiel et impossible à identifier où existe une pesanteur qui semble normale mais qui est probablement artificielle aussi. L'incident final, c'est la chute du verre (sous l'effet de la pesanteur) et le héros qui en observe les morceaux sur le sol : il comprend alors (c'est du moins mon interprétation) l'analogie entre la gravitation universelle et la cohésion de la matière. Ayant compris ceci, il se transforme en dieu exempt de temps et d'espace.
.
Quant aux BD, c'est autre chose mais on a déjà dit ici la richesse de leur contenu. Je n'avais pas observé que les Normands d'Astérix juraient par Vulcain. Il faudrait faire une enquête, comme pour Amora, déesse de la colère.

ALC : qui monte au nez, comme chacun sait... Pour les Normands, se non e veto e Ben trovato...

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