Libye : nouvelle féodalité

Ce qui se passe en Libye est difficile à comprendre. Certes, personne n'a vraiment cru aux fables sur "la démocratie qui allait s'instaurer". Mais, n'est-ce pas, dans toute guerre il y a une part de propagande. Toutefois, l'absence de suivi politique de cette guerre a surpris, et il laisse une situation délétère.

source

Rappelons tout d'abord un principe : une victoire militaire ne suffit pas à donner une victoire politique. La première précède la seconde, et il faut donc avoir une ambition politique. C'est ce qui distingue les buts de guerre des buts dans la guerre. On peut atteindre les buts dans la guerre (conquérir Tripoli, mettre à bas le régime) mais ce doit être au service de buts de guerre (si on veut mettre à bas le régime, c'est parce qu'on veut quelque chose -ou quelqu'un- derrière). Or, nos dirigeants on cru que cette victoire facile et rapide (six mois) suffisait. Ils ont oublié l'affaire d'Irak, quand Saddam Hussein avait été balayé en trois semaines, ouvrant le champ à un chaos de sept ans, qui continue encore aujourd'hui (nous y reviendrons).

Bref, défaut bien français et occidental, on a vendu la centrale sans s'occuper du service après-vente, de l'installation, du rodage et de ce genre de choses. Du coup, c'est le bololo en Libye.

On a d'abord cru à un éclatement du pays, selon un modèle tribal : Cyrénaïque d'un côté, Tripolitaine de l'autre, Fezzan ailleurs, cela nous rappelait nos cours d'histoire, et de géographie. Oui, mais ce n'était pas tout à fait aussi simple que ça.

D'une part, il y avait des aspects ethniques un peu plus raffinés : berbères, Misratiens, etc.. D'autre part, il y avait tout un tas d'islamistes d'obédiences les plus diverses (oui, car des islamistes, il y en a autant que d'eaux de source dans le Massif Central). Alors, certains nous expliquaient que la disparition de Kadhafi avait déchainé les passions dans tout le Sahel. Comme si Kadhafi était un agent de stabilisation du Sahel....

Qu'observe-t-on aujourd'hui ?

  • Un "gouvernement" central qui utilise l'actif qu'il a à sa disposition : la reconnaissance internationale, et donc la capacité à "dialoguer à l'extérieur" et donc à négocier tous les contrats d'aide à la réforme (de l’État, du secteur de sécurité, des frontières, du développement, de l'éducation, ...) : bref; ça sert à capter la manne occidentale (ONU et UE voire Ligue arabe). Ah oui, j'oubliais : l’État, comme tout le reste du pays, est marqué par une corruption endémique qui relativise toutes les approches "politiques" que nous pouvons avoir
  • des islamistes, qui sont paradoxalement ceux qui ont l'approche justement la plus "politique". Et qui s'organisent pour bénéficier d'une autre manne, en provenance des riches subsides provenant du Golfe, du Soudan ou d'autres lieux.
  • des "brigades" de "thuwars". Tout le monde en dit du mal parce qu'ils sont corrompus. Bon, d'accord, comme les autres. Alors ? Alors, ils ne sont pas appuyés visiblement par des extérieurs. Et chacune représente une puissance locale des intérêts tribaux et claniques bien compris, selon un système de solidarité de proximité. Conforme à la tradition. Conforme aux réalités d'un pays qui n'en est pas un, puisqu'il s'agit juste d'un désert bordant une mer, avec donc peu de populations et beaucoup de pétrole.

Ainsi, un pays féodal.

Qui nous pose la question : comment apporter une approche politique renouvelée à ces zones féodales, qui ne soit pas celle de l’État-nation européen, valable dans certaines conditions d'espace-temps, qui ne sont plus réunies aujourd'hui ? Voici ce que nous révèle le cas Libyen (et vous l'avez compris, on peut remplacer par malien, centrafricain, syrien, irakien, congolais, soudanais...).

Le Chardon

Haut de page