La crispation est-elle une bonne politique étrangère ?

Tribune publiée par la Revue défense nationale (ici)

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La politique de la France en Syrie n’a pas été couronnée de succès. Certes, les déclarations officielles ont affirmé une satisfaction contenue : la Syrie aurait ainsi reconnu détenir des armes chimiques et le processus en cours permettrait de les retirer des combats. Il reste que ceux-ci se poursuivent, que les pertes civiles ou le nombre de réfugiés ne cesse de progresser, que le pays est plus fragmenté que jamais, que paradoxalement l’entrée en jeu de puissances extérieures n’a fait que prolonger le conflit (cf. le remarquable « Civil wars, a very short intro » récemment publié par Florence Gaub de l’EUISS) ; Et qu’on n’a, moins que jamais, un horizon ou l’embryon d’une solution à proposer.

Ainsi, la France, en se positionnant comme le plus intransigeant pays au nom d’une politique de la morale, a perdu sur beaucoup de tableaux : isolement parmi les Européens, influence nulle après de l’allié américain désireux de pointiller la ligne rouge qu’il avait inconsidérément tracée, duperie par l’habile diplomatie russe, réhabilitation de facto de Bachar el-Assad… On n’y a gagné que l’estime turque et, peut-être, quelques contrats dans le Golfe.

Or, voilà que la France semble réitérer la même posture raide et crispée vis-à-vis de l’Iran. Paris était souple quand Georges W. Bush était au pouvoir, Paris est désormais vengeur quand son successeur recherche des solutions diplomatiques ! Cette posture radicale fait penser à Gribouille !

Comment ne pas voir, en effet, que les Américains et les Iraniens sont effectivement désireux de parvenir à un accord ? Qu’en jeu se trouvent bien sûr le pétrole et le gaz iraniens, mais plus encore un marché de 80 millions de consommateurs éduqués et avides de biens occidentaux ? Que les sanctions américaines du 3 juin visaient, accessoirement, les constructeurs français de voiture ? Que l’Allemagne ou l’Italie font déjà des affaires ? Que Londres vient d’ouvrir un bureau de chargé d’affaires à Téhéran ? Qu’enfin, si les Européens prenaient, sur l’initiative française (alors que Paris bloque toujours tout) la décision d’alléger les sanctions, l’Europe aurait une politique étrangère enfin visible et fondée sur ses déterminants (diplomatie et commerce), se placerait heureusement auprès des Iraniens, et aiderait accessoirement M. Obama à convaincre un Congrès qui est, en général, récalcitrant.

Surtout, quelle est l’alternative ? Le changement de régime ? Ce qui s’est passé en Tunisie, en Égypte ou en Syrie n’a pas suffi ? Faut-il encore tenter cette voie-là ? Les dirigeants iraniens ne sont certainement pas la panacée mais l’observation de la région suggère qu’on n’y trouve pas beaucoup de bonnes âmes et que la diplomatie consiste justement à parler avec des gens qu’on ne désirerait pas fréquenter dans des circonstances normales… Surtout, l’ouverture amènera, certainement, une évolution intérieure que le peuple iranien attend. Accessoirement, elle aura une influence positive et stabilisante sur la région.

Alors qu’on ne cesse de réclamer partout à corps et à cris une « solution politique », en voici une qui se profile : et si on la jouait ? Car puisque la crispation n’a pas fait ses preuves en Syrie, est-il bien nécessaire de la reconduire envers l’Iran ? On ne change pas une équipe qui gagne, mais on change une politique qui perd.

Le Chardon

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