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De la guerre à la communauté universelle Monique Chemillier Gendreau

Voici un livre exigeant, ambitieux, souvent agaçant et pourtant très innovant et donc utile. Du poil à penser qui stimule la réflexion, même si on ne partage pas, loin de là, ni toutes les hypothèses, ni toutes les conclusions de l’auteur. Peu importe, en fait, car il s’agit d’abord d’admirer une démarche intellectuelle forte qui cherche à mettre en cohérence un certain nombre de valeurs, une technique (le droit) et un système de gouvernement qui soit meilleur que celui dans lequel nous nous trouvons.

Partons donc du commencement : il s’agit pour MCG de lever la contradiction entre un discours lénifiant (la supériorité du système politique fondé sur les droits de l’homme, l’État et la souveraineté) et la réalité observée sur le terrain où la violence et les inégalités règnent. L’auteur va donc chercher à démonter cette notion de « souveraineté », à la base de notre édifice politique (aussi bien à l’intérieur de l’État qu’au sein de ce qu’on appelle « la communauté internationale »). Comment faire pour améliorer la pratique effective de ces droits de l’homme ? En se débarrassant de cette souveraineté qui est une fausse protection, nous répond MCG.

Le style est nerveux et convaincant, même si le lecteur aurait apprécié des sous parties moins longues et plus articulées en sections et sous-sections, afin de rendre la digestion moins aride. L’introduction est très belle et vive, même si l’on sent beaucoup de pathos qui dégouline. Autant les démonstrations intellectuelles et juridiques sont sèches, autant l’auteur se sent comme obligée de compenser par son bon cœur, comme on disait autrefois. Personne ne doute qu’elle a du cœur, y compris dans le sens de courage. Toutefois, pas mal de présupposés sont non fondés et ressortissent à ce qu’on appelle des opinions. La sincérité n’est pas une garantie de vérité – ni d’erreur. Paradoxalement, peu importe au fond ce débat sur la justesse (justice) des bases, car ce n’est pas le plus intéressant.

Ce qui passionne, c’est cet effort de remise en cause radical des fondements politiques les plus impensés de notre société. Et tout d’abord la notion d’État, et celle de souveraineté.

Je ne reste pas convaincu par la présentation des formes politiques alternatives à l’État. Est-ce pour autant que notre construction étatique, occidentale, demeure valide ? Voilà au fond la grande question que pose MCG, qui mobilise pour cela toute son expérience de juriste (elle est professeur émérite de droit public et de science politique) mais aussi d’intellectuelle (on demeure impressionné par l’ensemble des textes cités et précisément lus : le livre a assurément été maturé pendant une décennie). Du coup, c’est toute la théorie de la souveraineté qui est décryptée et démontée, au long de développements passionnants et roboratifs, même si on ne suit pas l’auteur dans tous ses détours.

Peu importe, ce qui compte tient à la remise en cause de l’état de l’État. Car tout du long, on ne cesse de constater en lisant la presse quotidienne que l’État est en panne, qu’il n’y a plus de conception politique qui serve aujourd’hui à le renouveler, et que voici dans le même temps un feu nourri d'idées qui alimente la réflexion et force à penser autrement. Cette critique est salvatrice, même si on n’en partage pas les conclusions. Au moins ne peut-on ignorer l’ouvrage d’un revers de main. Il faudra du temps pour le dépasser et y répondre, car il est difficile, exigeant et parfois irritant. Mais surtout, d'abord, profondément intelligent, de l'intelligence utile et sans artifices dont nous avons terriblement besoin, en ces temps de communication où chacun joue à finasser. Ici, on touche à l'essentiel.

Il n’y a pas de bonne synthèse sans bonne antithèse, sans bonne pensée négative qui remette en cause la thèse. De ce point de vue, ce livre est une remarquable et indispensable antithèse, un effort conceptuel nécessaire à la hauteur des déficiences politiques du moment.

De la guerre à la communauté universelle

  • Monique Chemillier Gendreau, Fayard, 2013, 387 pages

O. Kempf

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