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La dissuasion nucléaire au XXIè siècle par Thérèse Delpech

Voici un livre posthume de Thérèse Delpech qui fut, pendant une dizaine d’années, une figure tutélaire de la pensée nucléaire française. Elle occupa en effet le poste de directeur des affaires stratégiques au Commissariat à l’Énergie Atomique. Mais son œuvre dépasse les simples questions nucléaires puisqu’elle connut un certain succès public à la suite du prix Femina attribué à son essai « l’ensauvagement », en 2005.

Cet ouvrage résulte d’un travail mené dans les archives de la Rand corporation, le think tank américain bien connu, qui fut créé en son temps pour penser l’arme nucléaire américaine. Ceci permet d’expliquer la surprise qui frappe le lecteur lorsqu’ouvrant le livre, il se porte à la bibliographe et constate que toutes les références sont anglo-saxonnes. Est-ce à dire que la dissuasion au XXIè siècle doive être seulement américaine ?

Sans aller jusque là, elle explique dans le premier chapitre (« repenser la dissuasion ») que « de nouveaux problèmes surgissent aujourd’hui : terrorisme nucléaire, islamistes radicaux menaçant le gouvernement d’Islamabad, capacité d’acteurs non-étatiques à conduire l’Inde et le Pakistan au bord de la guerre, menaces nucléaires asymétriques de la part de l’Iran et de la Corée du nord, danger que représentent l’ensemble de la prolifération nucléaire et des missiles … » (p. 30) ! Le lecteur commence alors à douter : est-ce bien sérieux ? Un acteur non-étatique peut-il lancer une crise nucléaire, comme l’hypothèse en est formulée en p 31 ? Qu’on la mentionne, accessoirement, pour la discuter, pourquoi pas mais qu’on en fasse la justification première de la dissuasion (« une nécessité aujourd’hui ») peine à convaincre. Enfin moi, qui suis sceptique, vous le savez.

Heureusement, on a un peu plus loin quelques justes remarques, comme par exemple que « la dissuasion, parce qu’elle contribue à prévenir des conflits majeurs, confère aux armes nucléaires la légitimité qu’elles méritent » (p. 32) ou que « la vulnérabilité de l’Occident, c’est d’être persuadé que les avantages de la paix et du compromis sont évidents pour tout le monde » (p. 39).

Le chapitre 3 énumère les différents concepts (dissuasion élargie, MAD, stabilité, parité, théorie des jeux ...), analyse utile mais surtout tirée des analystes de la Rand, conformément au fond d’archive qui est à l’origine du livre. Cela ne convainc pas vraiment malgré des passages intéressants, soit par ce que c’est trop descriptif, soit parce que l’auteur se perd dans des digressions et des raccourcis trop nombreux.

Cette vision américaine se retrouve dans le chapitre suivant qui « analyse » les crises, on apprend ainsi que « la crise de Suez … a peut-être (nous soulignons) joué un rôle dans la décision de la France de se doter du nucléaire ». Que ce soit une Française, qui plus est directrice des affaires stratégiques du CEA qui écrive cela, les bras en tombent.

Le chapitre 5 sur l’ère des petites puissances est meilleur, avec notamment quelques analyses pertinentes sur l’attitude envers ces petites puissances (pp. 167 sqq.). Malgré tout, le lien fait entre terrorisme et nucléaire est martelé, sans convaincre.

Le chapitre suivant expose la situation actuelle. A propos de la Russie, on sent que l’auteur trouve absurde de ne pas être allié des Etats-Unis (p. 196). La Russie serait un empire nostalgique et la principale instabilité réside dans la décadence russe (p. 201).

J’ai craint le pire quand elle en est venue au cyber (p. 218) mais les trois pages sont convenables et descriptives, même s’il n’est pas question de dissuasion.

D’une façon générale, on a l’impression de l’ouvrage d’un ultra occidentaliste. Au fond, l’autre pour Thérèse Delpech est absurde puisqu’il n’est pas comme nous. En cela, ce livre démontre son aisance dans un milieu américain, si persuadé de sa supériorité et de son avance sur le « reste du monde ». L’altérité culturelle n’est pas admise en tant que telle, elle n’est pas égalité mais déviance ou archaïsme. Dès lors, penser la dissuasion avec des « adversaires » auxquels on dénie la possibilité de penser rationnellement devient un exercice difficile. Et peu convaincant.

La dissuasion nucléaire au XXIè siècle , Comment aborder une nouvelle ère de piraterie stratégique par Thérèse Delpech

O. Kempf

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