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Le plus grand roi de la terre et ses deux enfants

Ce conte a été publié sur Echoradar, dans le cadre de la série "Contes stratégiques". Toute ressemblance avec des personnages réels n'est pas fortuite.

Il était une fois le plus grand royaume de la terre. Son roi, un homme élégant et plein de charme, un prince charmant en quelque sorte, son roi devait partir après huit ans de règne. Il avait été élevé dans les îles, à l’ouest du royaume, et son règne avait été marqué par son rêve des terres au-delà de l’océan, là où le soleil se couche.

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C’était aussi un roi pacifique. Il avait refusé de poursuivre les guerres que son prédécesseur avait engagées au levant et s’était efforcé d’y mettre fin, retirant ses armées, disant à ses généraux plein de bravoure qu’il y a plus grande gloire à faire la paix qu’à poursuivre les horions. Mais il était roi et devait défendre les intérêts du royaume. Aussi tenta-t-il de parlementer, envoyant force légats à travers les contrées…

Il gardait cependant des armes pour peser sur les esprits à distance. Ainsi, une grande partie du peuple des fées tournoyait en permanence dans les cieux et observait les actions des hommes, jusqu’à leurs pensées les plus secrètes. Elles lui rapportaient les mauvaises intentions des méchants et le roi, alors, lançait des sorts à travers les nuées pour les frapper. S’il ne faisait plus la guerre de façon visible, il demeurait un roi calculateur et espion, il continuait à tuer ses ennemis et à aider un peu ses alliés.

On le surnomma donc le Pacifique et l’assemblée des druides, dans la forêt des Carnutes, lui offrit même la serpe d’or de la paix.

Le règne du Pacifique avait duré huit ans : il devait partir car il était souffrant. Mais avant de partir, il fallut choisir son héritier. Or, il avait deux enfants, une fille et un garçon.

La fille était la plus intelligente : éduquée, calculatrice, parfois sournoise, travailleuse, elle possédait en apparence toutes les qualités pour succéder à son père. Si elle l’avait autrefois chahutée, elle était vite rentrée dans le rang au point de le seconder dans les affaires du royaume. Il faut dire qu’elle avait été elle-même mariée à un autre roi qui avait depuis disparu. Fille de roi, femme de roi, elle voulait désormais être reine par elle-même et non par les charges que son illustre famille lui avait apportées. Au fond, elle était très orgueilleuse. Trop, peut-être, par rapport à son habileté.

En effet, elle maîtrisait les rouages de la Cour qu’elle pratiquait depuis tant d’années. Il n’était pas un prince, pas un grand, pas un duc, il n’était pas un chambellan ou secrétaire du roi qu’elle ne connût, jusqu’au dernier écuyer. Toute la Cour bruissait d’elle. Elle avait noué tant d’intrigues et rendu tant de services que chacun à la Cour l’attendait et même, l’espérait. Héritière, elle était la Princesse, elle serait reine, naturellement, évidemment !

Mais le roi avait aussi un fils. Il était vulgaire, il faut bien en convenir. Lui n’avait pas voulu frayer à la Cour. Il avait profité des richesses de son père pour s’amuser et même faire des affaires privées, à la différence du Fils Prodigue. La Princesse aussi s’était enrichie mais on ne le disait pas trop fort, elle avait fait cela dans les formes. Le prince, lui qu’on surnommait le Tempétueux, n’avait pas eu ces façons. Lui aussi héritier, il s’était comporté comme un nouveau riche, ce qui est incontestablement une faute de goût et qui, bien sûr, déplaisait à la Cour mais aussi à son père.

Ce n’était pourtant pas là son moindre défaut ! On le disait bien menteur mais là, il faut bien admettre que la Princesse aussi pouvait duper son monde. Non, ce qui était pire, c’est qu’il avait été amuseur, suivant pendant quelques années le chariot d’une troupe de saltimbanques avec qui il montait sur les planches pour amuser le public. Son rôle n’était pas celui de Simplet ou d’Auguste, les clowns dont on a l’habitude : dans la pièce comique qu’il jouait, il composait un juge tranchant et terrible qui désignait les victimes ridicules sous les sarcasmes des rieurs. Car il avait de l’esprit, le Tempétueux, malgré sa grossièreté apparente. Il avait en outre deux qualités que la plupart des observateurs n’avaient pas décelées.

D’abord, il avait rencontré beaucoup de gens à l’occasion de ses tournées. Faire rire les gens est en effet un bon moyen de connaître l’âme des peuples et par ses réparties et ses bouffonneries persifleuses, il avait cerné les attentes secrètes du peuple du royaume, ce peuple que la Cour ignorait. Et puis surtout, il avait beaucoup d’intuition. Voici une qualité qui ne s’acquiert pas, l’école ou l’expérience n’y peuvent pas grand-chose. C’était un don qu’il avait reçu des fées, à son berceau. Si la Princesse avait reçu le sens de l’intrigue, lui était doté de l’intuition, qualité la plus sensible qu’il cachait soigneusement sous ses atours grossiers.

Le Pacifique était bien ennuyé. Lequel de ses deux enfants allait-il choisir pour lui succéder sur le trône ?

Naturellement, son cœur penchait pour la Princesse qui lui était fidèle. Elle l’avait servi avec dévouement, elle était appréciée à la Cour, tout le poussait à la choisir. Il semblait pourtant ignorer que la Princesse, si aimable par devant, avait au fond l’ambition d’une autre politique. Reine elle serait, mais elle montrerait de plus qu’elle était l’égale des hommes ! Elle serait inflexible et s’il fallait pour cela recourir à la guerre, elle n’hésiterait pas. Bien sûr, elle ne le disait pas tout haut, elle restait tout miel devant le roi son père. Mais quand elle se retirait dans son cabinet, les ambitieux impatients soufflaient les braises de son rêve de gloire et la pressaient de battre la générale.

Le roi, dans le même temps, se méfiait du Tempétueux son fils. Il était si imprévisible si provocateur, à coup sûr il lui serait infidèle : par mégarde, sans doute, il ferait une faute et entraînerait le pays dans la guerre. Pourtant, le Tempétueux était plus subtil que ça. Il avait en effet saisi que le peuple ne voulait plus de ces expéditions à travers le monde. Si donc le Tempétueux fulminait, c’était plus pour impressionner l’adversaire que pour aller jusqu’à se battre. Au fond, le Tempétueux était bien plus paisible et proche du Pacifique qu’on ne le croyait à première vue. Mais le roi, comme tout le monde, voyait la furie et ne soupçonnait pas la dissimilation de son fils.

Le roi ne savait trop quoi faire. Ses forces déclinaient, cependant et le terme approchait. Il décida alors de demander conseil à ses États réunis. Au fond de lui-même, il se disait que les gens étaient raisonnables et que les puissants de la Cour, qui avaient tous les relais dans le royaume, sauraient inciter leurs clients à désigner le bon candidat, ou plutôt la bonne candidate.

Les oracles et les devins qui lisaient les nuées opinaient en ce sens. On mobilisa quelques sorciers pour qu’ils jettent des sorts. Les hérauts lurent des proclamations sur les places publiques. Quasiment tous les troubadours chantèrent des poèmes de louange en l’honneur de la Princesse. La Cour était heureuse car les présages étaient bons : la Princesse serait reine, c’était sûr.

Mais le Tempétueux ne se laissa pas impressionner, car ce n’était pas dans son caractère. Il parla simplement aux gens simples, ravis de retrouver l’amuseur qu’ils connaissaient. Mais cette fois il ne se moquait pas des justiciables, il se gaussait de la Cour. Il prit un malin plaisir à franchir toutes les barrières. La Cour énonçait-elle une règle d’étiquette ? joyeusement, il la transgressait sous les hourras des rieurs. Les crieurs annonçaient-ils les messages du palais avec le style ampoulé et respectable qui convient ? Lui parlait crûment et simplement à tout le peuple dont il saisissait les espoirs.

La consultation vint et ce fut une grande surprise : les États avaient désigné le Tempétueux !

La Princesse partit en exil et on n’entendit plus jamais parler d’elle. Le roi était fort déçu. Pourtant, il ne se rendait pas compte que la fidèle infidèle avait perdu quand l’infidèle fidèle avait triomphé. Son fils continuerait son œuvre, à sa façon bien sûr.

La morale de ce conte est qu’il faut se méfier des apparences. Celui qu’on décriait se révélera peut-être le héros de l’histoire. Comme disait l’autre, la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle… Tout est possible à l’Histoire, il ne faut jurer de rien. Et surtout, se méfier de la Cour…

O. Kempf

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