Commandement et management au 21ème siècle

Je retrouve dans mes archives un texte préparé l'an dernier, à l'occasion d'une conférence sur le "Commandement et management au XXIe siècle". Je la poste ici au cas où, pour ne pas l'oublier. La conclusion n'est pas rédigée mais j'ai depuis précisé ma pensée sur le sujet, avec plusieurs articles parus ou encore à paraître.

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Cette conférence conclut un cycle consacré au « management ». La notion est complexe et le mot est un américanisme, arrivé en France dans les années 1970. Il s’applique au monde de l’entreprise et recouvre deux choses : à la fois le mode d’organisation de l’entreprise mais aussi la nature des relations hiérarchiques entre des responsables (les managers) et les subordonnés. Il y a donc a priori une grande ressemblance avec le commandement qui recouvre lui aussi les deux aspects : aussi bien la fonction générale d’organisation des structures militaires (en temps de paix comme en opération), que les relations de commandement entre un chef et ses subordonnés.

Cette ressemblance n’est pas anormale car le management s’est longtemps inspiré du commandement avant de prendre son autonomie et découvrir des recettes appliquées en retour par les organisations militaires. Mais décrire ces influences réciproques serait inutile si cela ne suscitait pas des interrogations : pourquoi justement distinguer les deux ? cela recouvre-t-il quelque chose de plus profond ? Le commandement peut-il à nouveau inspirer le management et si oui, en quoi ? Réciproquement, le management peut-il encore apprendre du commandement ?

  • I Du commandement au management
  • II La persistance de particularités
  • III articuler l’organisation et les relations humaines

I Du commandement au management, histoire d’une influence réciproque

A Des racines communes

Si commandement et management sont deux mots différents qui traduisent des réalités proches, les deux environnements, celui des entreprises et celui des armées, partagent le même mot surplombant, celui de stratégie. Ceci indique qu’à l’origine, le système militaire a servi de modèle. Les sociétés civiles et donc les entreprises obéissaient à un modèle hiérarchique directement inspiré de l’armée. Celle-ci avait en effet inventé, avant la Révolution, des modèles d’organisation qui se sont perfectionnés sous la Révolution avant de donner place au système divisionnaire de Bonaparte.

Les succès éclatants de celui-ci inspirèrent tout le XIXe siècle. Les Allemands constituèrent ainsi après les campagnes napoléoniennes une école de guerre et un grand état-major général qui présidèrent aux victoires de 1866 et 1870. En retour, la France réagit pour mettre en place un modèle d’état-major décliné en bureaux qui prouva sa pertinence au cours de la Première Guerre mondiale. C’est d’ailleurs à cette occasion que les armées américaines se formèrent et imitèrent précisément le système français d’état-major. Elles en déduisirent une organisation logique et distribuée qui donna ses pleins effets lors de la Deuxième Guerre mondiale.

Dans le même temps, une autre révolution toucha le monde de l’entreprise : la révolution industrielle inspira de nouveaux modes de conduite de la production : ce fut le fordisme, puis plus tard, justement avec la croissance de l’après-guerre, le développement de « stratégies d’entreprise » : citons par exemple la matrice du BCG, les méthodes SWOT, le toyotisme, la matrice de Porter ? La stratégie d’entreprise partit ensuite de la production pour s’étendre à toutes les fonctions de l’entreprise : marketing, finance, logistique, tandis que de nouvelles fonctions émergeaient comme la communication ou les systèmes d’information. De nouvelles techniques se mirent en place : contrôle de gestion, reporting, audit, contrôle interne, gestion des risques, tableaux de bord généraux et spécialisés…

B Autonomie du management d’entreprise

Au fond, il y eut une autonomisation de l’organisation de l’entreprise selon un processus logique de spécialisation. Une des conséquences fut l’apparition du « management », c’est-à-dire l’ensemble des cadres d’organisation de l’entreprise (aussi bien les structures que les hommes selon le double sens du mot cadre comme du mot management). Force est pourtant de constater qu’au-delà de ces grands principes d’organisation, le management direct des hommes fut le parent pauvre. Dans les grandes écoles de commerce ou d’ingénieur, il n’y a guère de cours de management de contact. Au mieux enseigne-t-on la conduite de projet, perçue comme un ensemble de techniques à appliquer, de processus à suivre, de procédés à mettre en œuvre. Cela sous-entend que l’organisation serait une mécanique simple où l’humain est interchangeable et ne reste qu’un simple rouage.

S’il faut à l’évidence standardisé, ne pas prendre en compte la diversité des hommes est une erreur profonde. Face au désarroi de nombreux salariés, on vit bien apparaître des méthodes d’aide au comportement, apanage de consultants spécialisés dans les relations interhumaines, suivant des écoles différentes (psychanalyse, Palo Alto, Programmation neuro-linguistique (PNL), vogue récente du coaching, …). Mais cela était le fait de la fonction RH, et apparaît souvent comme une nouvelle spécialisation, non comme une exigence commune.

Cela étant, elle pâtissait de n’être qu’une fonction et de ne pas s’intéresser au « manager », figure vague et peu identifiée : qui est en effet « manager » dans une entreprise ? Seulement les « cadres » ? La « direction » est-elle composée de managers et pas plutôt des « cadres dirigeants », sous entendant que le management touche un niveau subalterne et donc globalement d’exécution, voire de mise en œuvre de lignes directrices décidées par ailleurs ? Autrement dit encore, si l’on parle de managers, il n’y a pas de formation à l’encadrement. Alors que les forces humaines apparaissent comme un atout essentiel de l’entreprise, il est curieux que cette fonction de management soit finalement si peu valorisée dans sa dimension transversale, à tous les niveaux de la hiérarchie.

C Le commandement imite le management

De l’autre côté, les armées vécurent un processus différent. Face la masse des outils développés par le civil et par l’entreprise, elles constatèrent qu’elles devaient en adopter beaucoup. En effet, les militaires sont pragmatiques et obsédés par la nécessité de développer leur efficacité.

Ici, il faut mentionner la différence essentielle entre le monde de l’entreprise et le monde militaire. Le premier a pour objet le résultat net, comptablement valorisé. L’étalon de mesure est objectif puisqu’il s’agit d’un pied de colonne, au bas du tableur comptable. Pour les armées, les choses sont plus compliquées : elles doivent d’une part se préparer à un conflit éventuel où le rapport de force et la conduite des opérations seront essentiels et ne se mesureront pas par des résultats financiers ; d’autre part, elles existent en temps de paix et doivent donc rendre des comptes sur la bonne gestion des deniers publics, partageant avec toute la sphère publique la difficulté de ne pas pouvoir mesurer l’efficacité du travail simplement au travers d’un « résultat net comptable ». Dès lors, elles importèrent du monde privé de nombreuses techniques de spécialisation fonctionnelle.

Ainsi, prenons l’exemple budgétaire : comment mesurer l’efficacité d’une administration qui produit des services communs ? Ce débat traverse tous les services d’Etat depuis plus de quarante ans, sous la pression notamment des théories économiques remettant en cause le secteur public. Il s’en est suivi par exemple la mise en place de la Loi organique des lois de finances. Alors que jusqu’à présent, on attribuait des budgets aux administrations et qu’au fond elles étaient jugées à leur façon de le dépenser, le législateur a voulu inverser le dispositif. Chaque ministère doit justifier son besoin et mettre en place des indicateurs démontrant l’atteinte des objectifs. Ces indicateurs de performance sont mis en place par tous les ministères dont celui de la défense qui a ainsi mis en place un système de contrôle de gestion très élaboré. On pourrait multiplier les exemples de ces techniques venues du civil et adoptées pour la « gestion » des armées, que ce soit en informatique, en ressources humaines, en communication, en soutien commun, en infrastructure…

On le voit, management et commandement se ressemblent beaucoup et se sont mutuellement influencés, même s’ils ont développé leur autonomie. Car malgré ces ressemblances, ils restent distincts. On ne commande pas comme on manage. D’ailleurs, dit-on « manager une structure » ?

II La persistance des particularismes

Malgré ces influences réciproques, des particularismes subsistent, dans les deux dimensions de l’organisation et des relations humaines.

A Discipline et initiative

Les armées conservèrent leur originalité, de deux façons. L’armée met ainsi l’homme au cœur de son système de supériorité opérationnelle. Dès la fin du XIXe siècle, Ardant du Pic mettait en avant le rôle de la « force morale » dans l’obtention du succès. L’histoire militaire regorge d’exemples où une troupe moins nombreuse mais plus motivée ou mieux organisée emporte le la victoire. Deux facteurs sont ici à relever : à la fois la valeur individuelle du soldat mais aussi la qualité de l’organisation, laissant place à suffisamment d’initiative tout en fixant des buts à atteindre.

La guerre est en effet un chaos où règne l’incertitude et ce que les théoriciens appellent « le brouillard de la guerre ». Il ne s’agit pas seulement d’un partage difficile de l’information mais surtout d’une mêlée générale et confuse qui force à la prise d’initiative, donc de risque. Par nature, la fonction militaire encourage la prise de risque. Elle compense donc le danger qui découle de la dispersion des efforts par la discipline.

La discipline est une pratique qui a beaucoup évolué au cours des âges. Elle peut être très formelle ou beaucoup plus cachée mais elle est à la base des rapports entre un chef et son subordonné, d’autant plus que chacun, dans la chaîne de commandement, a conscience qu’il est simultanément les deux : on est toujours le subordonné de quelqu’un et, sauf au dernier échelon du soldat, le chef de quelqu’un d’autre mais voué à progresser et donc devenir aussi un « chef ». Cette double relation irrigue toute la culture militaire.

B L’humain au cœur du commandement

Les armées ont toujours porté une grande attention à l’humain car elles savent qu’il est la principale richesse, avant même les armements sophistiqués qu’on va lui confier ou les structures de commandement qui vont permettre de conduire la bataille.

Ainsi, le Rôle social de l’officier, écrit par Lyautey sous la IIIe République à un moment où l’on généralisait le service militaire, est-il un bon exemple de cet effort. De même, le général Frère, commandant Saint-Cyr entre les deux guerres, popularisa la formule « obéir d’amitié ». Plus récemment, dans les années 1980 on s’intéressa à la pédagogie pour réformer l’instruction. L’éthique est également au cœur des préoccupations. Lors de la professionnalisation, à la fin des années 1990, on décida d’un Code du soldat. Dans les années 2000, l’armée de Terre se mit à publier une revue, Inflexions, centrée sur l’interrogation de ces rapports humains avec un double regard de militaires et de civils. Ainsi, l’armée ne cesse de s’interroger sur cette dimension humaine.

Dans les situations de stress (et la guerre est une situation extrême de stress pour les hommes qui y sont plongés), l’armée a besoin que ses chefs de contact aient l’esprit de décision et la capacité de mener leurs hommes, ce qu’on appelle le leadership. Elle doit donc s’y entraîner dès le temps de paix. L’adversité forge le caractère. Surtout, l’armée sait que la cohésion est un facteur de supériorité opérationnelle et probablement le facteur de base. Au fond, si la guerre est un chaos, il s’agit d’apporter son propre ordre à l’intérieur du chaos pour pouvoir y agir. La cohésion (autre mot pour la discipline) est le moyen d’apporter cet ordre intérieur qui permettra de prendre l’ascendant sur les événements.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si certaines grandes écoles civiles ou des entreprises viennent de plus en plus souvent se former et se tester dans des centres d’entraînement militaire, que ce soit à Saint-Cyr ou dans des stages commandos. L’entreprise reconnait au chef militaire cette capacité à construire l’esprit d’équipe mais aussi à former des chefs capables de diriger des structures dans des circonstances hostiles.

C Le chaos et le complexe

Nous étions dans le champ des rapports humains mais la conduite guerre a aussi conduit à ce que les structures évoluent également. Sous l’influence des modèles américains (ce qu’on a d’abord appelé la « Révolution des affaires militaires » à la fin des années 1990) mais aussi des capacités technologiques, l’armée a profondément transformé ses pratiques opérationnelles, complexifiant l’organisation de ses états-majors, intégrant de nouvelles spécialités, installant de nouveaux moyens techniques (et d’abord informatiques), prenant en compte plus systématiquement des fonctions extérieures (ONG, fonctions d’Etat, communication, populations). Au combat, la simplicité opérationnelle d’autrefois a laissé place à un ballet extrêmement sophistiqué et professionnel, combinant des expertises très pointues assemblées dans la production d’effets multiples dans des situations complexes.

La guerre est devenue plus complexe, sa conduite aussi. Car l’armée fait face à une difficulté, celle de l’articulation entre le temps de paix et le temps de guerre, que n’a pas l’entreprise. Son système organisationnel mais aussi son système d’hommes (incluant donc les valeurs) lui imposent d’être aussi efficace dans les deux circonstances.

Dans le même temps, l’entreprise a fait face à des évolutions similaires. En effet, son environnement s’est complexifié. La dérégulation, l’innovation technologique, la spécialisation professionnelle et la mondialisation ont été les principaux facteurs du bouleversement de son environnement. Si l’armée faisait face au chaos, l’entreprise fait face au complexe. On le distingue du compliqué en ce que le complexe n’est pas entièrement maîtrisable. Si on peut agir dans le complexe, on ne peut maîtriser tous les éléments comme dans un moteur où chaque pièce à son rôle. Au fond, dans le complexe, on agit en environnement indéterminé. Dès lors, on pourra mettre tous les mécanismes de contrôle, il restera toujours une part à l’imprévu.

Les organisations courent alors un risque, celui de vouloir dominer le complexe environnant par une organisation qui est elle-même complexe. Les deux entrent en résonance et produisent du désordre. Vous avez probablement à l’esprit ces organisations qui, à force d’avoir spécialisé des fonctions déterminées, toujours plus nombreuses, se retrouvent avec des structures en tuyaux d’orgue. De même, quand on veut installer une certaine transversalité (mot extrêmement en vogue), on met en place des conduites matricielles qui ne sont pas pratiques car elles freinent les processus spécialisés. Autrement dit encore, on ne peut spécialiser la vue générale. L’accumulation des processus spécialisés conduit à l’inefficacité.

Force est alors de constater que souvent, le retour à la simplicité est une solution. La cohésion autour des valeurs en est une autre.

D Valeurs et culture d’entreprise

Nous avons noté que la cohésion nécessitait des efforts car elle est un facteur de supériorité opérationnelle. Voici du coup expliqué l’attachement militaire aux traditions, aux prises d’armes, aux anciens, à l’esprit de corps.

Le corpus de valeurs militaires est en effet essentiel à l’efficacité : on est donc là bien loin des codes déontologiques publiées par les grandes entreprises, codes qui se ressemblent tous. Cela ne signifie pas pour autant que chaque entreprise n’a pas ses habitudes, son corpus culturel : mais la plupart du temps, celui-ci est implicite, fondé sur la pratique, reconnu informellement, décrypté seulement par des sociologues qui viennent observer l’organisation. Si l’on pense à l’affaire France Telecom (où la pression managériale provoqua, il y a quelques années, de nombreux suicides), on voit bien que le cas est emblématique de ces relations professionnelles beaucoup plus dures que ce que les discours officiels disent. Cela ne signifie pas qu’a contrario, tout baigne dans le meilleur des mondes à l’intérieur des quartiers et des bases. Simplement qu’il y a un plus large accord des personnels sur les valeurs partagées.

Un fait illustre cette intégration très forte des cultures militaires : prenez trois jeunes gens préparant une grande école militaire : l’un entre à Saint Cyr, l’autre à Navale, le dernier à l’école de l’Air. En classe préparatoire, ce sont les mêmes élèves, ils se ressemblent, indifférenciés. Dix ans après, vous rencontrez trois officiers qui sont très différents et se reconnaissent de loin. Certes, vus en groupe, ils sont perçus par les civils comme indubitablement des « militaires » dont les réflexes professionnels sont communs et facilement identifiables. Cette transformation est le fait du métier mais aussi et surtout des systèmes de valeurs propres aux armées et qui marquent au plus profond. Au fond, être militaire est un état et pas simplement une profession.

L’ensemble de ces particularités montre bien que le duo « organisation-relations humaines » reste particulier à chaque type d’organisation, civile ou militaire. Elles répondent par des moyens parfois différents, parfois communs, à leurs finalités propres.

III Articuler l’organisation et les ressources humaines

Organisation et richesse des hommes, voici les deux points communs au commandement et au management. Les deux mots montrent deux nécessités, mais dès lors : comment les articuler ?

A Qui est le client ? Le rapport à autrui

Cette articulation dépend pour une large part du rapport à l’autre, le client pour l’entreprise, l’ennemi pour l’armée. Autrui, c’est l’extérieur, « ce qui n’est pas nous », ce « nous » que nous avons construit par la cohésion. Ainsi, la logique profonde d’une entreprise dépend-elle du client. Malgré tout, il faut le convaincre d’acheter vos produits. C’est pour cela que « le client est roi ». La formule est belle, presque obséquieuse, mais ne nous laissons pas abuser : au-delà, il s’agit bien de le plumer. L’objectif d’une entreprise est très logiquement d’assurer sa survie et pour cela d’être rentable grâce à un pouvoir de marché.

Pour l’armée, qui est le client ? L’ennemi ? mais il s’agit de le contraindre par la force, jusqu’à le tuer.

Dans un cas, il faut solliciter la décision du client, dans l’autre imposer sa décision. Toujours, agir sur sa volonté, par la persuasion ou la contrainte. Remarquons que la persuasion n’est pas l’apanage des civils puisqu’elle a toujours été un instrument dans la main des militaires (ruse, stratagème, propagande, action psychologique…). Mais en retour, cette manœuvre des volontés induit une pratique particulière à l’intérieur du système.

En effet, c’est le rapport à l’autre, celui qui est extérieur à l’organisation, qui en retour fonde celle-ci. Lors de mes cours d’économie, on m’expliquait qu’une entreprise c’était deux choses : une personne morale et une comptabilité. Mais il ne s’agit là que de signes extérieurs de la société. Celle-ci a une raison sociale, une ambition qui la distingue des autres, une affectio societatis qui dépasse le simple cercle des actionnaires. Sans surprise, le rapport à l’autre (le client ou l’ennemi) contribue à fabriquer la cohésion intérieure. L’autre est toujours perçu comme un obstacle ; tel client qui ne veut pas signer, telle administration qui demande des formulaires, tel concurrent qui a pris de l’avance. Constatons d’ailleurs que ce rapport à autrui joue aussi à l’intérieur des organisations : luttes entre telle division et telle autre, concurrence entre services. L’autre n’est pas simplement extérieur à mon organisation, il peut aussi être à l’intérieur.

La difficulté des dirigeants consiste précisément à articuler cette distinction (qui est la conséquence de l’organisation et donc de la spécialisation) et les luttes humaines qu’elle entraîne. En effet, si la compétition peut être stimulante et forcer à progresser, son excès est délétère et freine la marche générale de l’organisation. Au manager et au chef de trouver la juste mesure entre l’esprit de groupe (nécessité de cohésion propre à la cellule considérée) et souci de collaboration (nécessité de cohésion de l’ensemble plus large auquel on appartient, le bien commun). On touche là à un point très sensible, celui qui lie les deux sens du « management », à la fois structuration et relations humaines.

B La volonté : forcer la décision

Nous avons parlé, à l’instant, de manœuvre des volontés en évoquant l’imposition de sa propre volonté à l’autre. Cela se reflète à l’intérieur de l’organisation.

Chez les militaires, le chef peut naturellement imposer sa volonté à ses subordonnés. On cherche d’abord des chefs qui commandent, c’est-à-dire qui donnent des ordres. A la guerre, mieux vaut une initiative que l’inaction, mieux vaut agir sur les événements que rester là à subir. Les militaires ont ainsi une belle formule en parlant du « culte de la mission » : la mission doit être remplie coûte que coûte. Tout dépend bien sûr de la façon dont la mission est énoncée. L’armée a ainsi mis en place un processus d’expression de la mission de façon que les ordres soient pleinement exprimés dans le dialogue entre le chef et ses subordonnés.

Mais la formalité ne suffit plus, d’où l’ensemble des évolutions pour susciter l’adhésion des subordonnés et surtout leur faire comprendre le sens de la mission. Les militaires parlent d’effet majeur, qui consiste au fond à définir l’esprit de la mission, l’objectif final à atteindre, les ordres de détail pouvant être rapidement déjoués par les circonstances du combat. Alors, au chef de contact de prendre les initiatives voulues pour atteindre l’effet recherché.

Dans le civil, l’imposition de la volonté du chef immédiat peut être moins marquée formellement. Il y a d’ailleurs une part d’hypocrisie qui semble pouvoir plus facilement se loger dans les relations officiellement souples voire amicales, (« appelons nous par notre prénom », etc.) : Se font jour tout un tas de signes indirects qui établissent malgré tout la hiérarchie, et ils peuvent être d’autant plus violents que justement ils ne sont pas formels.

En fait, et nous y avons fait allusion quand nous avons traité du complexe, la pression est désormais très forte dans les organisations civiles, qu’elles soient publiques (ressources très contraintes et amoncellement de normes prudentielles) ou privées. Pour celle-ci, les marchés stagnent le plus souvent et la concurrence s’est élargie très souvent au monde entier. On assiste dès lors à des pratiques d’optimisation : faire plus avec moins, en un mot. Cela entraîne, qui ne l’a constaté, des pressions sur les organisations internes et donc sur les relations humaines qui en dépendent. Le cas France Telecom que nos avons cité en est l’exemple symptomatique.

C Responsabilité

Un dernier point mérite d’être évoqué : le rapport à la responsabilité. Qu’est-ce qu’être responsable dans l’entreprise ? Qu’est-ce qu’être responsable dans l’armée ? de plus en plus, à la suite de la juridisation croissante de nos sociétés, la responsabilité est d’abord définie par des textes, légaux, réglementaires ou conventionnels. C’est d’abord le manquement aux règles qui entraîne une sanction. Mais cela ne suffit pas, chaque organisation doit mobiliser ses troupes pour augmenter la performance.

Cela a entraîné un système de motivation par objectifs. Chaque manager se voit fixer des objectifs annuels, souvent quantifiés. Il s’ensuit des systèmes d’évaluation qui nourrissent la notation annuelle, selon des procédures assez lourdes, pas toujours convaincantes, parfois opaques. Pour éviter de trancher, certains usent (quand il n’y a pas de risque économique) de l’indifférenciation ou de l’avancement à l’ancienneté, sans reconnaissance du mérite. Beaucoup de managers peuvent être assez lâches, en effet, dans la mesure où ils craignent le face à face où ils vont dire à tel subordonné qu’il a bien travaillé, le contraire à tel autre. Ne parlons même pas des cas de favoritisme ou de fayotage, ils existent dans n’importe quel système.

Constatons que le système militaire n’échappe pas globalement à ce genre de dispositif mais que la nécessité d’avoir du personnel jeune fait que les contrats sont la plupart du temps courts et que pour les gens de carrière, l’avancement se fait au mérite. Enfin, nous parlons ici du temps de paix, le combat et ses fortunes provoquants d’autres reclassements, l’histoire nous l’a sans cesse a enseigné (qu’on pense aux généraux de napoléon ou aux généraux de la Première Guerre mondiale qu’il a fallu brutalement sélectionner au vu des premiers combats de l’été 1914).

Mais les chefs, civils ou militaires, doivent aussi « prendre des décisions ». Au fond, c’est leur fonction première : arbitrer des situations incertaines où justement, les circonstances ne sont pas claires. C’est leur grandeur, rarement évoquée. On parle parfois à l’armée de « décision de commandement » : l’expression est un pléonasme car la décision est justement l’attribut du commandement mais aussi du management. Si elle est encadrée par les règles, elle relève pourtant de l’essence ultime du responsable : celui-ci arbitre quand les règles ne suffisent plus à dire ce qu’il faut faire.

Ceci explique la profonde réticence des managers envers le « principe de précaution » : par construction, celui entrave toute action et toute décision. Au prétexte de protéger, il stérilise. Cela ne veut pas dire que le décideur doit faire n’importe quoi. Une décision doit être instruite et prendre en compte les facteurs mais, à la fin, la noblesse du chef est de trancher. Et d’assumer.

D L’excès de pression

Remarquons enfin que trop de pression suscite des effets négatifs. Ainsi, telle entreprise de conseil me confiait qu’elle avait du mal à conserver ses jeunes collaborateurs qui étaient pressurés et, ne voyant guère de perspective de carrière ni d’allègement des charges, décidaient de quitter le cabinet vers d’autres horizons. De même, les arrêts de travail sont souvent l’expression d’un « droit de retrait privé », une façon de manifester un désaccord avec les rapports professionnels à l’intérieur du groupe.

Il y a ainsi une certaine limite à la pression interne. Dans l’armée comme chez les civils, les membres de l’organisation obéissent à une « servitude volontaire » pour reprendre le mot de La Boétie. Avec la professionnalisation qui a pris la place de la conscription, l’armée a rejoint les paramètres du civil : on ne la rejoint que sur volontariat et après avoir passé un contrat.

L’effet délétère de la pression entraîne l’importance de la mesure du moral. Un chef doit faire attention au moral de ses troupes car ce moral est un facteur d’efficacité, comme nous l’avons vu. Au fond, alors que l’esprit de décision est l’attribut du chef, le maintien du moral est son outil premier car celui qui, finalement, permettra à son équipe d’atteindre l’objectif fixé. Voilà au fond le seul principe de précaution que devrait suivre un décideur : toujours faire attention au moral des troupes, savoir passer outre un coup de grogne, mais aussi se méfier d’un silence suspect, annonçant l’abattement, la démission ou la révolte.

IV En conclusion, le nouveau choc technologique

Les deux termes ne font-ils pas face au même défi, celui d’une vague de transformation numérique, qui remet radicalement en cause des principes qu’on croyait acquis ?

A Transformation digitale

  • Les trois révolutions informatiques
  • La troisième vague actuelle
  • Usages, individualisation, mobilité.
  • La donnée, nouvelle instrument de la puissance

B TD et management

  • Le mot important c’est transformation
  • Elle transforme les relations humaines aussi dans l’entreprise
  • Cf. les start-ups où l’état d’esprit n’a rien à voir avec celui des entreprises anciennes. Télétravail, souplesse…
  • Défi commun du chef de contact : quelle autorité conserve-t-il si tout est décentralisé ?
  • Mais du coup, transforme aussi l’organisation : le modèle hiérarchique est-il encore pertinent ? risque du micro-management

C Quelle décision demain ?

  • Dépasser la robotique
  • IA Forte, IA faible
  • Toujours, lé décision. Trancher l’incertitude
  • Retour au chaos et au complexe.

Olivier Kempf

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