De la différence entre géopolitique et RI

Plusieurs billets des blogs alliés évoquent la notion de géopolitique. Citons notamment V. Fèvre sur rdo (ici), F. Duran sur Théâtre des opérations (ici) ou Zeus irae sur Nihi novi sub sole (ici)

1/ Pour avoir réfléchi sur la question depuis maintenant quelques années, je pense avoir avancé sur la question. Certes, il y a probablement autant de définitions et d'avis sur la question que de spécialistes. C'est d'abord dû à ce que la discipline est émergente, d'une part ; et que c'est une science humaine, d'autre part. C'est d'ailleurs un signe de son honnêteté épistémologique que de s'interroger constamment sur ce qu'elle est, sur ses limites, ses valeurs ajoutées et ses différences. Et même si l'université, il y a quelques années, a refusé d'instituer une nouvelle discipline "géopolitique", au motif qu'on ne la différenciait pas suffisamment de la géographie politique, ou des relations internationales, ou de la science politique, ce n'est à mon sens que partie remise.

2/ Partons d'un définition assez simple, et communément admise même si on peut la compliquer à l'envi.

Géopolitique = analyse des rivalités de puissances sur les territoires et leurs populations. On peut bien sûr discuter : s'agit-il de la rivalité ou de son analyse ? faut-il parler de puissance ou de pouvoir ? de territoires ou d'espace ? faut-il introduire les populations ou non ? Cela étant dit, malgré son imperfection, cette définition est assez robuste pour cheminer intellectuellement.

3/ La première question que je pose alors est la suivante : pourquoi distinguer des Relations Internationales ? La discipline est reconnue, et elle a longtemps suffit. Pourquoi donc passer à la géopolitique ? parce que les journalistes l'emploient ? que le mot est en vogue ? Mais alors, c'est totalement imprécis et incite justement à bannir le mot. Pourtant, ce raisonnement a l'apparence de la logique et de la rigueur, car le mot "relations internationales" est lui aussi employé à outrance dans les médias, avec exactement les mêmes imprécisions. EN fait, ce n'est pas parce qu'un savoir universitaire va préciser les concepts que ceux-ci sont inopérants dans le langage commun. Là encore, vieille discussion de sciences humaines.

4/ EN fait, les "relations internationales" comme la "science politique" partent du principe qu'il y a deux mondes quasiment étanches : celui de la politique intérieure, et celui de la politique extérieure. La "souveraineté" serait l'enveloppe hermétique qui séparerait les deux mondes : souveraineté populaire (ou nationale, cf. Droit constitut) à l'intérieur - souveraineté internationale à l'extérieur. Remarquons tout de suite que la souveraineté est unique, et que comme tout enveloppe, elle identifie tout autant qu'elle sépare. Elle joue dans l'ordre politique le même rôle que la frontière dans l'ordre spatial.

Les "relations internationales" sont donc la conséquence d'une philosophie politique assez théorique, et en fait binaire. De plus, les "relations internationales" ont longtemps été affectées par l'approche idéologique qui leur permettait justement de relier l'intérieur à l'extérieur : le capitalisme d'un côté, le communisme de l'autre. La troisième voie n'était qu'accessoire, vaine tentative.

AU passage, c'est d'ailleurs ce qu'il y a de surréaliste dans le débat actuel du retour de la France dans l'Otan : on récite une grammaire et un vocabulaire d'un monde qui a disparu, celui d'un monde idéologique, alors que le communisme a disparu il y a vingt ans, et que le capitalisme meurt sous nos yeux. Passons.

5/ Le mot géopolitique est d'ailleurs revenu au grand jour à la fin des années 1970, malgré l'opprobre qui le recouvrait jusque là. En effet, le viet-nam communiste attaquait le Cambodge communiste, puis faisait la guerre à la Chine voisine. Fichtre : les communistes se faisaient la guerre ? l'idéologie ne suffisait pas à expliquer les RI ? IL y avait donc autre chose ?

C'est cet "autre chose" que cherche à appréhender la géopolitique.

6/ La géopolitique est moins théorique, moins conceptuelle. Elle parle de rivalités (plurielles) de puissances (plurielles) sur des territoires (pluriels) et leur populations (plurielles). Cette imprécision permet justement de mieux comprendre la réalité, et de mieux l'expliquer. En fait, c'est parce que d'une certaine façon elle est moins cartésienne que la géopolitique rend mieux le monde. Elle est plus pragmatique et proche de la réalité. Elle est ainsi bien meilleure pour expliquer les sécessions, les représentations, les conjugaisons entre l'intérieur et l'extérieur, etc....

7/ En un mot : les RI sont au singulier, quand la géopolitique est au pluriel.

8/ Rivalités de pouvoirs ou rivalités de puissances ? La première expression met l'accent sur le jeu politique, quand le second insiste sur l'aspect militaire : la géopolitique est naturellement clausewitzienne, et lie les deux aspects. Même si elle évoque aussi les autres déterminants de la puissance (armée, économie, population, communication, etc...) reprenant ici le travail descriptif des RI.

9/ Pour finir, je dirai que la géopolitique est au carrefour des RI, de la stratégie, de la science politique, de la sociologie, de la géographie, de l'histoire, .... et qu'elle fait son meil de toutes ces disciplines. Imprécis ? Tant mieux.

O. Kempf

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