Nous étions donc quelques uns à nous retrouver jeudi pour le 70ème anniversaire (septentenaire ) de la Revue Défense Nationale.
Cela a débuté par un colloque avec les interventions intéressantes de MM. Mallis et Romer, puis la conclusion sur l'avenir stratégique par le général Le Borgne, collaborateur émérite de la revue, et remarquable comédien de conférence. Or, derrière le jeu d'acteur, des choses profondes ont été dites.
Les voici, d'après des notes prises à la volée.
I - Tout commence avec Fukuyama, et sa "Fin de l'histoire". Celui-ci ne fait que poursuivre un chemin ouvert par d'autres : Kant, HEgel, Nietsche, Kojève,...Derrière la volonté de reconnaissance, il faut constater que nous sommes tous bourgeois, et que nous aspirons à une paix perpétuelle. Nous vivons ainsi dans un monde post-historique, à la différence du "reste du monde", historique et amené à nous rejoindre. Post-historique? l'Occident est aussi post-héroïque, puisque 1/ les démocraties ne se font pas la guerre, 2/ les frontières empêchent le commerce.
La guerre serait donc morte, et on ne peut plus penser la stratégie de demain.
Morte ? c'est la guerre classique qui est morte. Pour trois raisons : 1/ l'arme nucléaire 2/ l'overdose de sang 3/ la primauté de la défense.
1/ La bombe ne sert plus qu'à contempler, les SNLE devenant des tabernacles voguant dans les profondeurs de nos consciences.... Depuis la fin de l'ennemi, la dissuasion se poursuit, mais intransitivement. Elle force les hommes à être sages.
2/ L'Europe est écœurée du sang versé, du massacre des deux guerres mondiales. Trop, c'était vraiment trop.
3/ Il faut bien constater qu'au XX° siècle, il n'y a pas eu de guerre qui a profité à l'agresseur. Cela a solidifié la légitimité de la position défensive (la légitime défense, a défense clausewitzienne). La défense justifie tout : la résistance, les bombes, les attentats suicide, ...
Le problème, aujourd'hui, est celui de la cohabitation entre les deux mondes, entre le monde des doux (nous) et le monde des furieux (eux). Cela pose des difficultés stratégiques d'envergure : 1/ la prolifération nucléaire 2/ les querelles des barbares
1 / Deux positions sont ici possibles. L'optimiste affirme que l'arme assagira ; la pessimiste craindra que le fou en fera pis. Pourtant, la vraie question est : la bombe, pour quoi faire ? Or, il faut bien constater qu'on n'a jamais intérêt à utiliser offensivement la bombe.
2/ La question qui se pose est : y va-t-on? ou n'y va-t-on pas? Le plus souvent, officiellement, on y va. Mais (Uzbin le prouve), ce n'est pas ce que le pays désire, et la sagesse populaire recommande : laissons le temps faire son œuvre. Cela n'a pas de noblesse, mais beaucoup de logique. Notre Nation n'est plus capable de la très haute vertu qu'est l'opération extérieure, qui est motivée par la charité.
Car il ne s'agit au fond pas d'un affrontement de forces où la puissance brute joue en premier, mais d'un humanisme : comment l'homme doit-il se comporter pour ne pas se faire trop de honte à lui-même ?
II - Après ces hautes réflexions, un peu désespérantes, le cocktail fut l'occasion de mondanités, bien sûr, mais aussi de la découverte du nouvel hors-série qui reprend les articles les plus importants parus dans RDN depuis sa naissance : on y trouve Castex, Juin, Beaufre, Ailleret, Guitton, Aron, Mesmer, La Gorce, Labouérie, Duval, .... Ils sont agrémentés de quelques articles complémentaires et explicatifs de Ch. Malis, de M. d'Ornano, de B. Tertrais, du CEHD, ... J'ai l'honneur de conclure cette recension (un vrai collector, vous dis-je) par un article sur "L'avenir du débat stratégique", qui parle, vous l'avez compris, d'Internet et de blogosphère....
Le numéro est passionnant, avec en plus un CD-Rom qui regroupe des introuvables : le N° de septembre 39, celui de juillet 45, et le HS de 1952.
A acquérir d'urgence, et à dévorer.
O. Kempf
1 De -
Le numéro semble effectivement intéressant.
En revanche, le compte rendu de l'intervention du Gal Le Borgne me semble à la fois révélateur et effrayant.
Révélateur, parce qu'il décrit assez bien les raisons de l'incapacité des européens de manière générale, et des Français en particulier, à penser le monde (et donc à mettre en place une stratégie qui y soit adaptée) : nous restons encore aujourd'hui sur le modèle "fin de l'Histoire" de Fukuyama (ou de Huntington avec son choc des civilisations, qui en est la version pessimiste), là où Fukuyama lui-même est revenu sur son ouvrage. Les Européens sont me semble-t-il les seuls à encore penser possible la fin de l'Histoire.
Effrayant, car ce mode de pensée est extraordinairement dangereux. En effet, dès lors que l'on postule la fin de l'Histoire, on se condamne à n'en être que l'objet. Postuler la fin de l'Histoire, lorsque l'on est pas, comme les Etats-Unis des années 1990, en position d'hégémon, c'est se refuser à être sujet, acteur de celle-ci, et c'est donc se condamner non à la défense mais à la passivité, et donc à regarder le monde tourner sans soi. Sortir de l'Histoire de cette manière équivaut à se retirer du monde (au sens monastique du terme). Et donc à être mort pour celui-ci. L'Urbs planétaire, fantasme sous-jacent aux promoteurs de la fin de l'Histoire, subira alors le même sort à long terme que l'Urbs romain dont il s'inspire : un retour brutal des "barbares" historicisés...
J'ajouterai en conclusion de ce long commentaire deux points. Premièrement, c'est un lieu commun de dire que les guerres d'agression n'ont pas fonctionné au XXème siècle. C'est néanmoins faux. La guerre russo-japonaise est une indéniable victoire stratégique japonaise (le Japon étant l'agresseur), qui fait de ce pays une grande puissance à part entière. Les guerres israélo-arabes fournissent des exemples des succès pour l'agresseur : la guerre des Six Jours est un succès israélien majeur, et la guerre du Kippour une victoire stratégique pour l'Egypte, en dépit du relatif échec opératif. Les guerres révolutionnaires, généralement déclenchées par le mouvement révolutionnaire en question, sont également souvent victorieuses pour celui-ci : Algérie, Viet-Nam, Chine, Révolution Russe. Deuxièmement, l'overdose de sang est là encore un lieu commun dont il faut se méfier : dans vingt-cinq ans seulement, quel souvenir restera-t-il des deux conflits mondiaux ? Et dans cent ans ? Ce n'est pas parce que les générations de l'après-guerre sont marquées par celle-ci que leurs enfants ne remettront pas le couvert. Comme le dit Platon, "seuls les morts ont vu la fin de la guerre".
2 De NJ -
L'intervention du G leborgne m'a interpellé d'autant plus que je baigne dans la dissuasion, mais c'est un point de vue très intéressant.
ce N° de la RDN cite par ailleurs votre blog page 60...c'est bon pour mes révisions en vue de l'oral du KID ! Je vais donc rester connecté...
EGEA : Merci...... et bon courage