Géopolitique de Michael Jackson....

Ainsi donc, une idole est morte. Cela a-t-il à voir avec la géopolitique ? a priori, bien peu, il faut en convenir. Toutefois, au risque de tomber dans le travers de l'économie qui prétend tout expliquer, on peut essayer de commenter cet événement au prisme de la discipline.

h_9_ill_1211757_d40f_878132.jpg REUTERS/HO : Une peinture de Michael Jackson habillé en roi, par Norman Oak.

1/ On se reportera tout d'abord au cours et brillant billet de mars attaque, qui montre que médiatiquement, cette nouvelle permet de passer sous silence la répression en cours en Iran. La bulle médiatique est devenue un espace à lui seul, une "infosphère", lieu d'affrontements stratégiques désormais bien appréciés (même si on a encore du mal à les utiliser). Ce nouveau "lieu" de bataille s'ajoute aux lieux précédents (terre, mer, air, espace, cyber, nucléaire, ...) et ne saurait les remplacer, mais juste ajouter à leur complexité. Relire Colin Gray

2/ Utiliser le mot d'idole n'est évidemment pas anodin. On pourrait bien sûr remarquer que la fabrication des idoles est une industrie coutumière du XX° siècle passé, et qu'on s'aperçoit que ce XXI° siècle n'arrive plus à fabriquer des idoles (voir l'excellent article de Thomas Sotinel). Même si je n'ai pas beaucoup d'inquiétude (est-ce le bon mot? : d'illusions, plutôt) quant à la capacité des sociétés de demain à continuer le panem et circenses.

Au-delà pourtant de cette description "économique", il faut noter également l'aspect religieux de la dévotion dont le chanteur était l'objet. Idole. Figure, statue représentant une divinité et exposée à l'adoration. M. Jackson n'était-il pas une "figure", une "représentation" ? n'était-il pas "exposé" ? N'y avait-il pas "adoration", certes extrêmement dévoyée par rapport au sens primitif de l'antiquité, mais adoration contemporaine? Pour qui en douterait, on regardera le dernier Ken Loach, "Looking for Eric", où la "divinité" intervient magiquement dans la vie de l'adorateur afin de lui permettre de surmonter ses difficultés existentielles ?

3/ La religion est souvent considérée comme un facteur géopolitique. J'en ai même fait une catégorie de billets. Religion, à la fois religio (crainte du sacré) et religare (relier) : la double étymologie classique sert à comprendre ce qui est ici important : derrière le simulacre de "religio" (puisqu'à l'évidence, une star, M. Jackson pas plus que les autres, n'est sacrée), ce qui compte est le "religare", la dimension horizontale de la religion. Elle est ici totalement laïcisée, et a donc un intérêt géopolitique. Il n'est pas anodin, en effet, qu'on parle autant de M. Jackson alors qu'il n'avait plus de succès ; et que l'émotion paraît largement surjouée par la plupart des émus; qu'au fond, l'émotion tient plus à ce qu'il a été (autrefois, dans "notre jeunesse", ce qui marque donc le temps qui passe) qu'à un vrai deuil, impossible dans la mesure où il n'y avait pas d'intimité. Mais plus que ce rapport au temps, qui a été noté par plusieurs commentateurs, ce qui est intéressant est l'universalité de l'émotion : en ce sens, M. Jackson est une icône de la mondialisation culturelle. Elle est objet de partage, avant que d'être uniformisation. Elle est "point commun", "plus petit commun dénominateur" de la modernité contemporaine. Et donc, pas forcément méprisable.

4/ Tout ça pour un histrion, un saltimbanque, un homme du loisir et de l'oisiveté ? Oui, tout ça pour ça. Regardez les fêtes au village de Brueghel et confrères : la fête commune est lieu d'intégration, de communauté villageoise, d'identité. J'ai prononcé ci-dessus le mot "représentation", l'avez-vous remarqué ? Populaire ? ne méprisons pas le peuple. M. Jackson est un outil de représentation de l'universalité contemporaine.

5/ Ou plutôt, était : c'est bien pourquoi il faut revenir à l'article de Sotinel : sera-t-il possible demain de construire de telles idoles? du moins, des idoles qui durent plus qu'un été ? La mort de M. Jackson n'est-elle pas la mort symbolique d'un certain système? Il est probablement trop tôt pour y répondre, mais on peut déjà se poser la question. La mort de Jackson serait, selon cette interprétation, une réplique de la faillite de Lehman. Un symptôme.

6/ Vient enfin le dernier point, à mon avis le plus surprenant, celui de la transformation de M. Jackson. Certes, dès le départ, les Jackson Five furent fabriqués par Tamla Motown. Mais le plus intéressant fut, une fois le succès arrivé, la poursuite d'une transformation de l'individu. On lira l'étonnante chronique de Francis Marmande. Tout était devenu artificiel, comme le symbole des artefacts du modernisme. Les fantasmes contemporains : rajeuni, asexué, nez droit et fin, peau blanche. Peau blanche, surtout. Je ne comprends pas que les noirs américains disent qu'un des leurs s'en va : il n'était plus des leurs. B. Obama est un symbole bien plus positif que MJ. Celui-ci était devenu le phénomène de la déculturation planétaire, il devait logiquement devenir cet androgyne sans relief, qui d'ailleurs inquiétait : à la fin, cela entravait son succès. Mais le plus surprenant fut l'abandon des racines, le rejet de l'identité originelle, la volonté de "devenir", au sens propre, quelqu'un d'autre : là encore, il était le symbole du trouble identitaire qui anime la géopolitique mondiale depuis, mettons, 1989.

7/ Sa fin renvoit ainsi à un autre basculement, peut-être : 2009 serait ainsi l'année où Barack Obama aurait remplacé M.Jackson dans l'imaginaire noir à l'intérieur des Etats-Unis, et dans le soft power américain à l'extérieur.

8/ Tout cela est-il vraiment de la géopolitique ? non, pas vraiment, il faut bien en convenir. Mais ces quelques remarques ne déparent toutefois pas trop sur ce blog : et vous voudrez bien me les pardonner....

O. Kempf

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