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Commander et contrôler

Ce jour, colloque de l'IRSEM. Je n'ai assisté qu'à la 1ère table ronde de l'après-midi, avec notamment l'intervention de Mme Claude-France Arnoud, responsable de la défense à l'UE : femme lumineuse et pertinente, tout à fait convaincante. Je n'ai malheureusement pu entendre Jérôme Pellistrandi, qui me disait vouloir citer EGEA lors de son intervention : je ne sais s'il a eu du succès, je lui souhaite de tout cœur au vu de son remarquable travail de chroniqueur de défense.

En sortant, des revues étaient disposées sur un présentoir. Je signale ainsi le dernier numéro d'AGIR (septembre 2009), la revue de la "société de stratégie", dirigée par le généralde La Maisonneuve. Le thème me semble tout à fait novateur, et indispensable : stratégies et organisations. Pour 8 euros, cela vaut vraiment le coup de s'interroger sur la question.

Cela a suscité la réflexion suivante : chacun connaît le fameux "C2" américain, "Command and control". La vision technophile américaine (relire Jo. Henrotin) nous en donne, le plus souvent, une présentation technologique fondée sur les NTIC : le C2 devient un C42ISR (Command, control, communication, computer, information, intelligence, surveillance, reconnaissance), et chacun comprend qu'il s'agit d'un commandement sur le terrain, et de la cyberguerre.

Oui, mais.

Mais si on revenait à ce simple C2, qu'on traduit habituellement en France par un simple "commandement", sans plus y réfléchir ? réfléchissons y, justement. Justement dans une perspective d'organisation.

En effet, on entend souvent affirmer que le commandement, ce n'est pas du management. Vrai, notamment sur le terrain, quand la particularité "militaire" s'exprime à plein. Et je partage tout à fait l'assertion. Pourtant, mes ratiocinations me poussent à creuser un peu : est-ce aussi vrai à la maison ? Je ne parle pas, bien sûr, de ce qui se passe dans les unités (bases, bâtiments et régiments) où la formule demeure exacte, mais de ce qu'il y a autour, ou plus exactement au-dessus. Car si on comprend bien la volonté pédagogique de l'affirmation, tant à l'intérieur (formation au commandement) qu'à l'extérieur (expliquer au civil que l'armée n'est pas une institution comme les autres), il convient pourtant de réfléchir à "l'organisation". Et celle-ci nécessite une réflexion "stratégique".

Allons plus loin. La notion de commandement est-elle pertinente en tout et partout, dans l'organisation des armées, notamment à la suite des décrets de juillet 2009 (voir un billet complémentaire sur la LPM, mais aussi le décret paru hier sur les attributions du CEMA et des CEMs,signalé par le fidèle SD) ? S'il est incontestable que le CEMA, qui répond directement au président de la République, commande aux troupes engagées en opérations, mais aussi aux commandements opérationnels (posture permanente de sûreté, COM SUP et COM FOR, OGZD, ...), s'il est vrai qu'il commande également aux armées, directions et services, cette notion de commandement ne suffit pas à définir toute son "autorité".

Ainsi, la LOLF le désigne comme R.PROG : or, son action comme R.PROG envers les R.BOP ne peut être appréhendée par la seule logique de commandement : c'est là que la logique de contrôle intervient, et permet de comprendre la dualité de fonctionnement de l'organisation militaire : elle est en effet fondée à la fois sur du commandement (naturel aux militaires) ET sur du contrôle (selon un procédé importé du civil, et qui est donc bien moins naturel aux militaires). Car la chaine de commandement ne correspond pas toujours exactement à la chaine de responsabilité lolfienne.

Il faut bien sûr que l'organisation actuelle rende bien compte de cette dualité, surtout à la suite de tous les textes qui bouleversent en ce moment les armées, du diptyque LB/ RGPP, concrétisé dans la LPM, à la Loi de finance, qui met en œuvre la LOLF, sans même parler des décrets de juillet et d'octobre.

Il s'agit vraiment d'une "stratégie de l'organisation", qui permette de penser à la fois ces deux dimensions aujourd'hui conjointes du commandement et du contrôle. En fait, en percevant cette dualité, on peut alors adopter une stratégie de l'organisation.

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 6 octobre 2009, 22:08 par Jean-Pierre Gambotti

Dualité de l’organisation militaire
Vous lancez un débat que le soldat a souvent éludé et toujours biaisé, car il déteste les structures molles. Or l’organisation, par essence un ensemble d’éléments en interaction, nécessite pour la comprendre et la maîtriser une approche sociologique qui déplait à celui qui considère qu’il suffit d’être chef pour gouverner.
Dans ce domaine les faits sociaux sont à considérer comme des choses, pour reprendre l’expression de Durkheim, et nous pouvons vérifier à l’examen de nos propres itinéraires de soldat la dichotomie qui existe entre le commandement de l’outil de guerre et le management de l’entité de préparation à la guerre, deux missions pour un même organisme, deux types de « gouvernances » mais avec les mêmes hommes. Il suffit de relire Michel Crozier pour comprendre que des acteurs qui ont déjà des difficultés à se mouvoir et faire fonctionner un seul système, sont peu efficients lorsqu’ils doivent agir dans un deuxième système aussi antinomique que celui du temps de paix face à celui du temps de guerre. Pour faire court, dans tout chef doit prospérer un manageur. Or le chef répugne à accepter que son régiment, sa brigade ou plus largement ses Armées, soient aussi des organisations sociales dans les lesquelles des acteurs opèrent des stratégies individuelles leur permettant d’optimiser leurs satisfactions au travers des luttes pour les pouvoirs et la maîtrise de zones d’incertitude, pour « parler » le Michel Crozier (L’acteur et le Système).
Ce chef donc, adepte du « Suivez-moi », pétri d’éthique et obsédé par la réalisation de la mission eu égard à sa culture des opérations, se trouve confronté au management d’une organisation, lieu de luttes et de compromis entre intérêts particuliers, ceux-là mêmes dont il est admis que la somme ne fait jamais l’intérêt général ! La difficulté n’est pas aussi grande qu’on l’imagine, il suffit de savoir que la sociologie des organisations existe et inciter le chef à se déciller, c'est-à-dire à admettre que le charisme n’est pas la panacée, qu’une organisation à ses règles propres, que c’est un système.
Mais ne suis-je pas hors-sujet ?
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

EGEA : mais non, c'est au contraire tout à fait le sujet.

J'irai même plus loin : avant même CLausewitz, les Romains affirmaient :: les armes le cèdent à la toge. On est un chef militaire, mais dans un Etat. Or, l'Etat moderne s'organise d'abord autour d'une administration. Un chef militaire doit prendre donc en compte cette dimension-là de l'action politique. Et tout à fait logiquement, il doit apprendre non à passer du "temps de paix au temps de guerre" (succession dans le temps), mais à faire coexister deux dimensions quasiment simultanées : l'opérationnelle et l'administrative.

Or, le discours actuel sur la guerre irrégulière prend ici une autre résonnace : à force de dire que "nous faisons la guerre au milieu des populations", et qu'il faut mettre en oeuvre des "stratégies de sortie de crise" où la force ne suffit plus à tout, alors cette coexistence perdure aussi en opérations (du moins, dans les conflits contemproains). Cela signifie que l'administratif se pousse très loin, y compris dans l'Opex :il suffit de demander à tous ceux qui ont fait des Opex ces dernières années pour comprendre que cela corrspond à leur expérience. 

La conclusion que j'en tire est la suivante : cette rélfexion sur la stratégie desorganisations n'est pas si éloignée qu'il y paraît du débat stratégique contemporain.

2. Le mardi 6 octobre 2009, 22:08 par Flo

Le décret du 5 octobre 2009 (attributions CEMA, CEMs) a-t-il selon vous apporté des modifications significatives ?

EgéA : non, puisqu'il s'agit de décliner celui de juillet. Le premier est un décret en conseil d'Etat, le deuxième est un décret simple. Il ne peut donc pas y avoir de contradiction dans les principes, juste des précisions.

Je vous conseille d'ailleurs d'aller voir les décrets qui suivent (1178, 1179 et 1180) sur les attributions des autres sub : vous ferez le même constat.

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