Le domaine de la géopolitique est naturellement celui des relations internationales. De l’extérieur de l’Etat, donc. Pourtant, l’analyse géopolitique est également pertinente pour analyser l’ordre intérieur.
1/ Il s’agit tout d’abord de la face intérieure de la souveraineté : on est ici dans le rôle de l’Etat. Toutefois, toute action de l’Etat n’est pas, par nature, géopolitique. Je distingue en fait deux directions principales :
11/ la première a trait à l’organisation politique du territoire : il peut s’agir des proconsulats romains, de la féodalité, des Parlements d’ancien Régime. Dans le contexte contemporain, cette organisation politique passe par la description des circonscriptions : elles ont plusieurs fonctions (électorales, administratives, fiscales, proximité) (voir ce billet)
12/ la seconde tient à l’aménagement du territoire. Il a toujours existé : rives du Nil dans l’antiquité égyptienne, réseau routier romain, villes nouvelles des Valois (Le Havre, Richelieu), réseau ferré de la troisième République. L’expression est contemporaine et vient d’une triple inspiration : on discerne l’idéologie de la planification (à la fois communiste – l’URSS- et technico-américaine – le New Deal), l’école urbaniste (Le Corbusier et la charte d’Athènes), enfin le mythe de la décentralisation (Paris et le désert français, de J. Gravier). Au-delà du commissariat au plan et de la DATAR (toutes deux disparues), l’aménagement des villes et de leur environnement, des paysages et des réseaux de communication constitue une des responsabilités géopolitiques majeures de l’Etat.
2/ Il reste qu’on parle ici d’un Etat constitué. D’une certaine façon, pour exister, l’Etat doit exercer ces actions de géopolitique intérieure. Mais l’Etat peut être contesté.
21/ Cette contestation peut être nationale et générale (discours révolutionnaire) ; mais elle peut être localisée et particulière (sécession et autonomies) : dans ce dernier cas, il s’agit d’un phénomène de géopolitique intérieure. Son ambition étant d’ailleurs, logiquement (même si ce n’est pas toujours affirmé par les mouvements autonomistes), d’aller jusqu’à la séparation, donc l’indépendance, donc la création d’un nouvel Etat.
22/ Il va de soi que la séparation "intérieur contre extérieur" peut, dans ce dernier cas, être ténue et artificielle : soit que le mouvement autonomiste s’étende à cheval sur deux ou plusieurs Etats (cas des Kurdes), soit qu’il reçoive l’appui de puissances voisines, surtout si le mouvement est contigu à une frontière (exemple algérien avec la Tunisie). La géopolitique intérieure devient dans ce cas transfrontalière. Doublement géopolitique, en fait.
La géopolitique s’intéresse donc aussi à l’ordre intérieur : c’est d’ailleurs une de ses clefs d’analyse, quand il s’agit de « varier les focales » : quand on s’intéresse à un Etat, il faut toujours utiliser cette grille de lecture.
O. Kempf
1 De -
L'argument de la réciproque, que vous amenez en conclusion (l’analyse de l’ordre intérieur est également pertinente pour l’analyse géopolitique) me semble mériter un petit développement.
Les décisions de politique étrangère se prennent non seulement en considération de la situation intérieure du pays partenaire ou adversaire mais elles se prennent aussi en considération des impératifs de politique intérieure du décideur (se maintenir au pouvoir, disposer des moyens de sa politique extérieure), sauf peut-être dans quelques cas particuliers qu’il serait intéressant d’examiner.
Ce lien logique entre extérieur et intérieur explique pourquoi il est arrivé de temps en temps que des centurions, se sentant mal soutenus par le pays qui leur donne mission extérieure ou aux frontières, franchissent le Rubicon. Ce même lien logique explique aussi pourquoi le Politique préfère que le Soldat, selon les époques, reste au-delà du Rubicon ou qu'il reste sur les remparts, occupé ailleurs et loin de la foule, plutôt que parmi celle-ci sur le forum. Sur la fin de la III°République, l’on préférait le Soldat dans des fortifications à la frontière plutôt qu’équipé de moyens mobiles.
Cher Monsieur Kempf, votre évocation du lien logique entre extérieur et intérieur est opportune en ce XXI° siècle où la Toile et la vitesse des transports permettent l’ubiquité.