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Obama, Clausewitz et l'Afghanistan

Grâce à Laurent H. (que je remercie de son soutien constant), je vous signale un intéressant article proposant une lecture clausewitziene de la récente décision d'Obama (voir billet).

Lire ici

Je ne suis pas forcément d'accord avec tout, mais je trouve la démarche instructive, et pour utiliser un anglicisme en vogue "appropriée"...

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 11 décembre 2009, 20:51 par Jean-Pierre Gambotti

Foggy comment…

William R.Gruver enseigne les relations internationales à l’Université de Bucknell, je pense qu’il devrait limiter ses réflexions à ce champ d’expertise. Convoquer aussi maladroitement Clausewitz et l’engager dans une démonstration stratégique aussi acrobatique ne peut tourner qu’au désastre.


Je ne me prononcerai pas sur le fond, non pas que j’adhère aux conclusions de l’auteur, mais parce que les contre-sens sur les principes clausewitziens sont tels qu’ils anéantissent toute démonstration, serait-elle conduite par le meilleur des sophistes.


D’abord le brouillard de la guerre est si lié à la contingence qu’imaginer que les planificateurs militaires américains l’ignorent et en usent comme d’un invariant est déjà un postulat aventureux. Mais imaginer que le surge a pour seul objet de percer l’opacité et l’incertitude des opérations en Afghanistan par une sorte de mimétisme avec le surge irakien est une idée simplette. De surcroît, selon moi, le surge n’est pas une stratégie, mais un outil permettant une stratégie, prioritairement anti-Talibans en l’occurrence, et cette confusion voie-moyen est inquiétante. D’autant que, je le répète le surge n’a pas pour seul objet de ventiler le brouillard de la guerre.


Ensuite la « pseudo-Biblical trinity » est une formule…étonnante ( !) et son interprétation ne l’est pas moins. Passons sur la référence biblique, si le traducteur de Clausewitz avait choisi « trilogie », cet appel à transcendance nous aurait été épargnée…Plus préoccupante est l’interprétation du concept de trinité. Quiconque a lu le Traité, sait que Clausewitz définissait par cette formule le phénomène de la guerre, les forces dominantes « de cette étonnante trinité , où l’on retrouve d’abord la violence originelle de son élément, la haine et l’animosité, qu’il faut considérer comme une impulsion naturelle aveugle, puis le jeu des probabilités et du hasard, qui font d’elle une véritable activité de l’âme, et sa nature subordonnée d’instrument de la politique, par laquelle elle appartient à l’entendement pur. »


C’est après que Clausewitz précise « Le premier de ces trois éléments intéresse particulièrement le peuple, le second le commandant et son armée, et le troisième relève plutôt du gouvernement. » Mais plus loin l’attention du lecteur est attirée sur une remarque fondamentale « Ces trois tendances qui apparaissent comme autant de législatrices sont profondément enracinées dans la nature de l’objet, tout en variant de grandeur. La théorie qui voudrait en laisser une de côté ou qui établirait entre elles un rapport arbitraire, se mettrait immédiatement dans une telle contradiction avec la réalité qu’il faudrait la considérer comme nulle pour cette raison.
Le problème consiste donc à maintenir la théorie au milieu de ces trois tendances comme en suspension entre trois centres d’attraction. »


C’est en s’appuyant sur cette remarque que certains exégètes de Clausewitz proposent une approche non-linaire pour comprendre et maitriser toute la complexité de la guerre et je renvoie à la lecture de l’excellent article d’Alan D.Beyerchen sur Clausewitz Homepage.

Nous sommes loin de la simplissime compréhension de la trinité par le professeur Gruver : “In other words, these three elements of any society must believe in the worthiness of any military mission for it to have a reasonable chance at success”. Clausewitz montre la lune, Gruver regarde le doigt ! Il ne s’agit pas de remplir trois critères pour mener une stratégie, mais compte tenu des forces produites par ces trois pôles d’attraction il s’agit de déterminer quelle stratégie pourra être menée- c’est l’image du pendule réagissant dans les champs combinés des forces polaires, tout en tenant compte des conditions initiales.


Je passe sur la COIN, à mon sens la démarche est fautive pour la même raison, le principe de trinité mal compris est utilisé dans un raisonnement biaisé.
Mais je ne ferai pas la même impasse sur le centre de gravité. Dire que la région Afghanistan/Pakistan est le cœur du violent combat extrémiste mondial mené par d’Al-Qaida, ce n’est pas désigner cette région comme centre de gravité, le président Obama ne l’ a pas fait. Mais il n’est pas illégitime de faire cette proposition, une zone géographique pourrait être un centre de gravité pertinent. Par exemple au niveau opératif, le contrôle de la province du Helmand productrice d’opium pourrait être considéré comme centre de gravité si la stratégie choisie désigne l’opium comme nerf de la guerre. A mon avis le Commandant en chef ne dévoilera pas les centres de gravité stratégique et opératif choisis, le concept d’opérations étant, selon la doctrine, consubstantiel au centre de gravité, ce serait pour le moins maladroit. Mais je pense que l’on pourrait exclure le CG proposé par le professeur Gruver : si pour sortir de la guerre la région AfPak, il faut rendre l’espoir aux populations vivant sous tous les régimes répressifs du Moyen Orient et de l’Asie du sud, les boys et les soldats alliés ne sont pas encore rentrés chez eux !

Pour conclure, je crois qu’il faut user de Clausewitz avec une « générosité prudente », pour filer l’oxymore. Pour ma part je crois nécessaire de revenir en permanence au texte, car trop d’interprétations brouillent à présent les concepts du Traité.
Il y a du brouillard même dans la quête du savoir…
Très cordialement.
Jean-Pierre Gambotti

EGéA : mon général, merci de cette mise au point : j'avais également buté sur la biblical trinity... Sur le CDG, l'article donne toutefois matière à penser : vos éclairages sont fort utiles de ce point de vue.

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