1/ Les discours les plus intéressants, le croirez-vous? ont été produit par ... le pur politique et le pur militaire. Le pur politique savait ce qu'il ne pouvait pas dire, et donc la marge de liberté qui lui restait. Tout le débat autour du concept tient à l'interrogation : y a-t-il quelque chose de plus que les missions (sortir du "j'interviens donc je suis") ? Se posent plusieurs questions : "how much is enough?" (ce que je comprends comme : sortir de la stratégie des fins pour limiter les moyens aux fins), comment maintenir l'intérêt des US pour l'Europe, comment mobiliser les partenaires à autre chose que d'envoyer quelques compagnies dans les opérations?
2/ Le pur militaire a constaté que les capacités militaires n'ont pas été adaptées aux nouveaux besoins. C'est surtout que cela manque d'imagination, que c'est engoncé dans des procédures et que du coup, la prise de décision n'est pas assez imaginative. Enfin, attention à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain : il n'y a pas de solution militaire, mais il n'y a pas de solution sans le militaire. Il faut donc combler dans l'urgence les lacunes constatées (hélicos, ISR, medical teams,...)
3/ Le reste de la journée passa avec de belles et pieuses considérations sur l'article 5, sur l'élargissement, sur le cyber (ils ont tous frétillé sur le cyber), sur la prolifération, sur la sécurité énergétique, un peu aussi sur les mafias et le terrorisme (mais on sent que c'est passé de mode : il y a cinq ans, qu'est-ce qu'on entendait sur le sujet), sur le réchauffement climatique et les déplacements de population, les ONG, les services que doit rendre l'Otan,.... On enfila des perles....
4/ A la fin de la journée, je remarquai à haute voix que personne, depuis le début de la journée, n'avait mentionné le cercle polaire. Pôvre ! le simplet ! l'ignorant ! le gougnafier ! vous auriez vu les regards de commisération que l'on m'a jeté, l'apitoiement un peu consterné et affligé que j'ai essuyé, vous eussiez eu de la peine à mon endroit. Un clodo se répandant sur un trottoir n'aurait pas suscité plus de mépris. J'ai eu le sentiment d'être un paradis fiscal que l'on met sur la liste noire du FMI, un journaliste impertinent à une conférence de presse de l'Elysée, un plouc introduit pas hasard dans une surprise party d'Eddie Barclay à Saint-Tropez, un supporter du PSG dans la tribune nord du vélodrome, un trader dans un camping de Bise-la-plage, une mémé à chat dans un concours de l'eurovision, un mec en veston cravate quand tout le monde est en smoking, ce genre de truc... Je ne sais pas si vous donnez à Médecins du monde ou au Secours catholique, mais ce coup là, vous auriez eu des élans de sympathie et de charité parce que je faisais pitié. Je détonais. J'étais grossier. Vulgaire. Déplacé.
5/ Un "monsieur" américain me répondit que c'était certes important. Et puis c'est tout. Un "monsieur" anglais ne répondit même pas. J'avais vraiment dû dire une belle connerie, hein ! Il est vrai que l'un des "monsieurs" venait d'expliquer qu'il ne fallait pas faire de différence entre défense collective et sécurité collective (mais je dois à la vérité de dire que le débat a pu avoir du sens : il y a dix ans !), quand l'autre avait expliqué que l'alliance devait être une agence de moyens locaux, fournisseurs de services aux OI et ONG dans le traitement des crises, une sorte de rent-a-car, de distributeur de moyens de sécurité : bref, des propositions réalistes et pleines d'ambition. Avec ma remarque idiote,on voyait que je n'étais pas du niveau.
6/ Pensez ! une région limitrophe du territoire de l'alliance (eh! oui, le pôle nord est au nord de l'Atlantique nord !) ! une région qui a toujours été le théâtre (au sens militaire du terme) de la confrontation entre l'Otan et le Pava (à coup de sous-marins nucléaires interposés) ! une région qui joue un rôle essentiel dans les problématiques des missiles nucléaires et autres, que ce soit en lancement ou surtout en observation, et donc en anti-missile (le système de DAM américain a deux bases en Alaska et au Groenland) ! une région qui voit la perspective, à cause du réchauffement climatique, de nouvelles routes commerciales, de nouvelles ressources (halieutiques, pétrolières, matières premières), d'une nouvelle compétition mondiale (la Chine n'est-elle pas observatrice du Conseil arctique) ! une région bordée par un certain nombre de pays de l'Otan ( Canada, US, Islande, Danemark, Norvège) avec des difficultés annoncées (quelle indépendance du Groenland? la route nord-ouest est-elle dans les eaux nationales canadiennes ou dans les eaux internationales) et une opposition avec la Russie expansionniste, sans compter l'intérêt de toutes les puissances non riveraines (UE, Japon, Chine, Brésil ) !
7/ Et l'alliance n'aurait pas à s'en préoccuper ? alors qu'elle a tout pour le faire, et tout d'abord une contiguïté géographique autrement plus convaincante que l'alliance globale dont rêvent certains ? Oui, je devais galéjer. Effectivement, ce pourrait être le moyen d'avoir quelque chose de plus que ce qu'on va probablement avoir : car ne vous y trompez pas, messeigneurs, le prochain concept sera une copie vaguement améliorée et donc lénifiante du concept de 1999. Beaucoup de mots, mais peu de choses derrière. Car il n'y a pas consensus. Ni sur le contenu de l'article 5 (mais je partage l'opinion qu'il faut laisser à cet article son ambiguïté fondamentale), ni sur la nécessité d'opérations, ni sur la forme du dialogue avec la Russie, ni sur la vraie nature de l'intérêt américain, .. Bref, sur tous les sujets actuels, les alliés ne sont pas d'accord, sauf sur un : il faut qu'on garde l'alliance. Mais l'absence de projet positif condamne, à coup sûr, l'alliance.
8/ Le cyber ? mais ce n'est pas identifiable/ attribuable, sans même avoir à remarquer que l'on est bien loin du mili, et qu'on voit mal comment déclencher un article 5 ou même une opération dans le domaine du cyber. Bref, s'il y a une nouvelle réalité, l'alliance paraît inadaptée (tout comme elle est inadaptée au terrorisme). La sécurité énergétique ? Très bien, bonne idée : donc, tenir le canal de Suez en cas de rupture des flux? tenir le détroit d'Ormuz ? tenir le golfe d'Aden pour garantir la liberté de circulation ? (ah oui, il y a déjà qq chose qui s'appelle Ocean shield, et autre chose qui s'appelle Atalante, tout ça pour contre quelques pirates et d'ailleurs, ce n'est pas très probant)... Ou encore : garder les gazoducs à travers l'Ukraine pour empêcher que les méchants Russes ne coupent les robinets ? __hum ! vous disiez : crédibilité ? __ 9/ L'alliance devrait logiquement conserver ses fondements : une alliance militaire, ce qui entraîne donc de l'interopérabilité (de standards et des entraînements communs, mais aussi des états-majors où des officiers de nationalité différente travaillent ensemble : vive la structure, c'est la richesse de l'AA), quelques capacités communes (AWACS, AGSC, C 17, ..). C'est techno et traditionnel : oui, mais ce type de guerre n'a pas disparu, très chers....Et puisqu'il n'y a plus d'ennemi, et que l'axe est-ouest ne convient plus à orienter l'alliance, il faut, au sens premier, la réorienter : selon un axe nord sud. Au sud, pas besoin de vous dire que les Africains n'attendent pas, mais pas du tout l'AA. En revanche, au nord, il y a de la place et surtout une légitimité à y aller.Il y des choses à dire et à faire, aussi bien en matière politique qu'en matière de sécurité ou en matière militaire. C'est visible, donc communicable. Et surtout, ça permet de dépasser toutes les bisbilles actuelles.
C'est donc forcément une mauvaise idée, puisque ces messieurs ne l'ont pas eue. Il faut en fait que l'alliance occidentale devienne l'alliance septentrionale.
O. Kempf
- Réf : un billet du vieil égéa sur l'Otan dans le grand nord
1 De -
Cher Monsieur Kempf,
Votre apparente autodérision cache une ironie féroce à l'encontre de vos interlocuteurs heureusement protégés par Chatam House. Excellent effet de style sans doute pour mettre le lecteur en condition autour d’un sujet sérieux, l’Arctique.
Dès le départ, une question qui semble essentielle aux Otaniens convaincus (comment maintenir l'intérêt des US pour l'Europe ?) appelle une autre question, beaucoup plus féconde à mon sens : pourquoi vouloir maintenir l'intérêt des US pour l'Europe ?
L’Arctique est certainement destiné à prendre de l’importance. Google Earth, si on le centre sur le pôle nord, montre d’autant mieux le futur terrain qu’il efface la banquise et montre le relief sous-marin.
Mais un éventuel intérêt des US pour l’Europe n’améliorerait en rien la question arctique, comme d’ailleurs aucune autre question. Notamment une question qui devrait être prioritaire pour nous, pour des raisons historiques, culturelles, démographiques, économiques : l’Afrique qui n’attend pas l’AA, vous avez raison.
L’Afrique n’attend pas l’Alliance atlantique parce que l’Afrique attend l’Europe. Le retour des US à l’isolationnisme ne serait pas un problème pour nous, au contraire : il responsabiliserait nos personnels politiques qui trouvent depuis trop longtemps sous le parapluie américain, en faisant mine d’oublier l’ambiguïté du fameux article 5, une facilité pour esquiver leurs responsabilités de Défense Nationale. Nous en France, toujours plus malins que les autres, nous renforçons le motif d’indifférence gouvernementale et législative (lois de finances) en ajoutant à la trop commode alliance américaine la coutume encore plus commode d’un « domaine réservé du Président ».
.
Mais revenons à l’Arctique. La fonte annoncée de la banquise en fera « le nouveau cœur du monde », comme on le disait de l’Océan Pacifique dans les années 80. Pour le Pacifique, c’était oublier son immensité, qui n’est imaginable (et encore difficilement) qu’après l’avoir survolé à 900km/h pendant huit heures sans voir autre chose que de l’eau pour aller de son centre (la Polynésie) au continent le plus proche. L’arctique deviendra exploitable grâce à la fonte de la banquise (ressources naturelles, transport maritime). Ses rivages deviendront habités pour exploiter ces ressources et habitables en dépit de la nuit polaire grâce à l’énergie nucléaire que nous savons produire depuis plusieurs années en quantités illimitées et dont la technique n’a pas fini de progresser. L’Arctique est de dimensions modestes et ne subira pas le handicap des distances excessives.
Mais pourquoi l’Arctique deviendrait-il une zone de conflit ? Personne n’a intérêt à en faire une zone de conflit. Les exploitants vendront leurs produits sur le marché mondial au cours mondial, et personne ne tiendra compte du drapeau du vendeur ni du drapeau de l’acheteur. C’est d’ailleurs ainsi que l’exploitation des ressources fonctionne désormais partout. Personne ne veut compromettre le commerce par un conflit armé, sauf peut-être parfois pour maintenir artificiellement les cours (Irak 1991 et peut-être les menaces sur l’Iran aujourd’hui). Sauf peut-être aussi par atavisme, celui qui après la conquête de l’Ouest, a conquis le Sud, parlait encore récemment de conquérir la Lune pour y exploiter l’hélium3 et pourrait bien, dans son éternelle logique, employer la force pour supplanter ses concurrents en Arctique.
Dans cette perspective, nous n’avons pas vraiment intérêt à maintenir l’alliance atlantique. Il faut tenir compte de l’empressement de notre propre personnel politique à esquiver ses responsabilités et à choisir la solution de facilité en se ralliant au plus costaud de la cour de récré. L’AA risque de nous entraîner, en Arctique comme ailleurs, dans un conflit qui ne serait pas le nôtre.
.
Alors consolez-vous, cher Monsieur Kempf : si des gens sans imagination sur l’évolution de l’Otan, capables seulement de s’accorder pour dire qu’il faut qu'on garde l'alliance, si ces gens vous ont considéré comme (je vous cite, je ne me permettrais pas autrement) « un pôvre simplet ignorant gougnafier », de plus « grossier, vulgaire, déplacé » pour faire bon poids, c’est bien entendu complètement immérité mais c’est d’une certaine façon assez rassurant.
2 De Daniel BESSON -
Bonjour ,
Ce n'est pas tres " grand public " mais on se prépare !
http://www.dailytech.com/article.as...
Cordialement
Daniel BESSON
3 De Y Cadiou -
Le sujet m'intéresse parce qu'il concerne deux redistributions des cartes (au sens géographique comme au sens du bridge).
Y. Cadiou