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Libye et pétrole

J'entends beaucoup de correspondants m'expliquer qu'une des principales raisons de l'intervention en Libye serait le pétrole qui s'y trouve.

source

Je ne trouve pas cet argument très convaincant.

1/ Kadhafi vendait son pétrole à tout le monde, et ce n'est pas parce qu'il y 'aura un autre régime qu'on achètera plus ou moins de pétrole à la Libye. Il reste que si c'est le cas, peut-être pourra-t-on faire plus d'affaires, plus d'investisssements, etc. Mais ce sera une externalité positive de la guerre, non son but premier.

2/ Un interlocuteur me dit qu'il s'agit du projet allié de sécurité énergétique. Cela fait plusieurs années que l'Alliance parle de sécurité énergétique : vous aurez remarqué, dans le dernier concept, qu'on parle de "maîtrise des routes d'approvisionnements" (de mémoire : voir mon analyse du sommet/ concept, dans DSI de février dernier). Donc, l'alliance n'est pas si rétive que ça, mais le concept original de sécurité énergétique est tellement mal foutu qu'il était logique que ça n'accroche pas. Toutefois, cela n'a à aucun moment servi d'argument pour l'intervention : ni des FR, ni des AG, ni des US, ni de l'OTAN. Je ne suis pas "complotiste", et en l'espèce, il n'y a pas d'élément de preuve. Donc, selon moi, pas de complot pétrolifère. En revanche, il est probable que les théoriciens de l'alliance et les startégistes en tireront un Retex et "après coup" expliqueront que ceci et que cela.

3/ Par ailleurs, il a fallu attendre trois mois pour qu'on s'intéresse au terminal de Brega, et il s'agit plus d'empêcher Kadhafi de s'en servir que de le saisir pour ses propres usages. Je remarque enfin qu'en l'absence de troupes au sol, on est bien loin soit de la saisie d'un terminal pétrolier pour pérenniser les installations, soit de sécuriser les routes maritimes : c'étaient pourtant les deux hypothèses d'un article de Jamie Shea, paru en 2007 dans la RDN, justement sur le sujet de la sécurité énergétique.

4/ On me demande enfin si "l'échec de l'unilatéralisme américain à travers l'AFRICOM ait poussé au choix du cadre multilatéral otanien pour cette opération, qui en fin de compte n'arrange ni l'Italie, ni la Suisse ni d'autres partenaires européens consommateurs de l'energie lybienne?"

Je pense que l'intervention US en Libye s'est faite contre mauvaise fortune bon coeur. Les US ont suivi les FR et GB malgré leurs réticences initiales (après le débat Gates/ Clinton, souvenez vous) : on ne peut pas dire qu'ils aient été à la manoeuvre. Mais tant qu'à faire, il n'était pas bête pour eux d'utiliser la structure d'AFRICACOM, qui justement n'avait pas vraiment convaincu jusque là. Cependant, rapidement, elle est sortie du jeu.

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 25 juillet 2011, 21:16 par yves cadiou

« Comment distinguer une pipelette qui s’appelle Pauline d’un oléoduc qui s’appelle Paulette ? » (Pierre Desproges).

On en parlait l’autre jour au Café du Commerce et ils étaient tous bien d’accord, les guerres modernes ne résultent plus que de deux causes depuis qu’elles ne sont plus motivées par la lutte contre le communisme : le pétrole ou les marchands de canons. Même la lutte contre le terrorisme ne fait plus recette pour remplacer le communisme : tout le Café du Commerce sait qu’on est en Afghanistan à cause d’un projet de pipeline (tapez pipeline Afghanistan sur google : environ 13 200 000 résultats). En niant le motif du pétrole en Libye, vous êtes pire qu’original : déviationniste, hérétique.

Nous serons donc condamnés ensemble parce que moi non plus je n’y crois pas, pour plusieurs raisons que j’ajoute aux vôtres. L’approvisionnement énergétique de l’Europe est suffisamment diversifié pour que nous n’ayons aucune angoisse : Caspienne, Algérie, Mer du nord, Golfe persique… De plus c’est la France qui a pris l’initiative de la guerre, c’est-à-dire le pays dont l’économie est la moins dépendante du pétrole. En revanche l’Allemagne, qui refuse le nucléaire et doit donc brûler du pétrole, ne s’est pas associée à la guerre. Non plus que la Turquie qui produit la moitié de son électricité en brûlant du gaz. Même les Américains, toujours très nerveux quand il s’agit d’or noir, sont restés en retrait.

Et surtout il faut observer que chez nous, qui pouvons facilement nous passer des hydrocarbures libyens, il y avait des motifs de politique intérieure de lancer cette affaire, de très petits motifs.
Enfin n’oublions pas que BHL n’a pas parlé de pétrole mais de la nécessité « morale » d’intervenir. Je plaisante. Sans plaisanter, le pétrole n’est pour rien dans cette affaire.

2. Le lundi 25 juillet 2011, 21:16 par Khube

Bonjour,

Pour aller dans votre sens, nous pouvons nous référer au rapport de mission du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (disponible ici:
http://www.cf2r.org/images/stories/...) , qui insiste sur l'hétérogénéité et la complexité du CNT, incompatible à mes yeux avec toute notion de sécurité et pérennité des échanges pétroliers futurs...

3. Le lundi 25 juillet 2011, 21:16 par W.

Bonjour,

Pour aller dans votre sens, je ne pense pas que la décision de partir en guerre se prenne sur un seul critère. Nous avons là le dirigeant d'un pays stratégique, tant en terme de ressources (avec le pétrole mais également l'eau), qu'en terme géographique (carrefour entre les pays du Sahel et la méditerranée), isolé sur la scène internationale (car détesté de tous ses pairs), source identifié de désordre (au Sahel et ailleurs, cf. Lockerbie et vol 772 UTA), qui tire sur sa population, dans un contexte où les occidentaux étaient accusés de collusion avec les régimes arabes autoritaires (avec les dégâts que cela cause en terme de politique intérieure).

Ne pas intervenir là, c'était envoyer un message, à mon sens négatif, au reste du monde, et difficile à assumer en cette année pré-électorale (pour certains...).

Pour évaluer la pertinence de cette hypothèse (guerre pour pétrole), il serait intéressant de voir avec le recul ce qu'a donné la guerre en Irak. Cette dernière avait également été étiquetée "guerre pour le pétrole", mais je n'ai depuis rien vu sur le détail des concessions accordées et une éventuelle main mise par des entreprises américaines (je n'ai pas cherché, ceci explique cela).

Sur les conséquences de l'intervention, j'aime bien l'analyse trouvée par ici http://ricks.foreignpolicy.com/post... qui évoque un recentrage des intérêts américains vers l'Asie, et une nouvelle ère dans les relations militaire transatlantique (la précédente ayant démarrée après Suez en 1956). Mais c'est un autre sujet.

Bonne journée.

4. Le lundi 25 juillet 2011, 21:16 par yves cadiou

Comme le dit W ci-dessus, « la guerre en Irak avait également été étiquetée "guerre pour le pétrole" ».
D’une certaine façon, la guerre de 1990 / 91 l’avait été : non pour s’emparer du pétrole, mais pour soutenir les cours mondiaux. Henry Kissinger l’a expliqué quelque temps plus tard (je cite de mémoire, n’ayant plus la référence) : avant l’invasion du Koweït, le pétrole était à 15 $ le baril. A ce prix là beaucoup d’exploitations dans le monde, et notamment en off-shore, ne sont plus rentables. Les producteurs d’énergie (y compris nucléaire) n’y trouvent plus leur compte. La guerre d’Irak a fait remonter le cours à 35 $, cours qui s’est maintenu grâce à la destruction de beaucoup d’infrastructures et à l’interdiction d’exporter qui fut infligée comme une « sanction » contre Saddam Hussein (laissé en vie et au pouvoir pour justifier la sanction). La « sanction » a été maintenue jusqu’à ce qu’on ne puisse plus faire semblant d’ignorer, environ dix ans plus tard, que c’était une catastrophe humanitaire.

A cette première guerre d’Irak il y avait probablement d’autres motifs (en politique intérieure entretenir la popularité du clan Bush, en politique extérieure à la fois faire entrer en force l’armée américaine dans la région et montrer que les US étaient enfin devenus les maîtres du monde), mais prioritairement l’Irak était une guerre pour le pétrole : plus précisément une guerre pour maintenir les cours de l’énergie.
On peut supposer qu’il n’en est pas de même en Libye car alors la plupart des pays exportateurs (et notamment la Russie) auraient donné leur accord et quelques moyens d’autant plus facilement que Kadhafi était isolé et détesté par tous.

De la même façon qu’on n’a su que plus tard les vrais motifs de l’attaque sur l’Irak on saura mieux dans quelque temps quels étaient les vrais motifs de cette intervention en Libye. Pour l’instant on peut seulement constater que les militaires français ont parfaitement exécuté, dans la limite de leurs moyens, la décision politique et que cette décision politique était fortement entachée d’amateurisme.

5. Le lundi 25 juillet 2011, 21:16 par clement69380

Bravo, enfin une analyse originale et qui sort un peu du stéréotype pétrolier. Un pays n´a jamais eu besoin de faire la guerre pour assurer son approvisionnement en pétrole (sauf si comme en Irak, il est inaccesible, cf. embargo). Pour preuve, se renseigner sur la composition et l analyse du prix du baril. Le raffinage rapporte gros mais l´exploitation coute chère et est laissé aux habitants du pays, en terme de marge, il vaut mieux raffiner et ne pas exploiter. D´ailleurs le pétrole lybien était et va continué a étre exploité par la Lybie et raffiné par les occidentaux (voir AGOCO et ENI).
La question serait donc de chercher les vrais raisons de cette intervention?

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