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Le guerre des dettes

Ces questions de dette continuent d'emplir l'espace public. Elles sont au cœur de tout. Et au fond, elles manifestent la vraie conflictualité d'aujourd'hui. Ce sont deux systèmes de dettes qui s'affrontent, me semble-t-il. Ce billet est très inspiré par les longues discussions avec mes deux compères, BQ et PSS, qui publieront bientôt un article très important sur le sujet, et dont je vous reparlerai. Mais pour l'instant, voici ce qu'un béotien dit avec ses mots....

source

1/ En effet, il ne s'agit pas simplement d'un conflit entre dette privée et dette publiques (quoique..). Ni même entre dette du sud (de l'Europe) contre celle du nord (de l'Europe). Mais il s'agit du conflit entre ceux qui ont l’intention de rembourser leurs dettes, et ceux qui n'en ont pas l'intention.

2/ Ceux qui n'en ont pas l'intention sont les Américains. Eux qui ont pratiqué une cavalerie budgétaire mondiale, institutionnalisée sur le privilège exorbitant du dollar, manipulé tant qu'il s'est fallu. Au fond, la crise ne remonte pas à Lehmann-Brothers en 2008, mais à la décision de Nixon de sortir de la convertibilité dollar-or en 1971. Les twin deficits qui s’ensuivent ne sont que la continuation de cette dissymétrie (our money, your problem). Les mêmes énoncent la dérégulation au motif que les marchés seraient parfaits, tout en instaurant de multiples mesures protectionnistes et en pratiquant un keynésianisme massif depuis Reagan : en effet, toutes les baisses d'impôts constituent du Keynes pur sucre, alors même que Milton Friedmann, pape des néo-libéraux, recevait le prix Nobel d'économie.

3/ Allons plus loin : cet investissement public allant de pair avec la dérégulation constituait un gigantesque transfert financier du public vers le privé. La dette nourrissait des enrichissements spéculatifs. Et à la suite de Lehmann Brothers, on a dit "too big to fail". Effectivement, l’inconvénient de la faillite de ces "créanciers" aurait mis à bas le système. Leur système. Dès lors, les dettes privées ont été cautionnées par des dettes publiques. Et les États-Unis poursuivent la route infernale, à coups de Quantitative easings sans effet sur la croissance.

4/ Pas d'effet sur la croissance ? Ben oui, c'est encore du Keynes, et cela s'appelle de la trappe à liquidité. Vous avez beau financer le marché, celui-ci accumule vos stimuli sans les retransmettre à la machine économique. Vision de court terme ? mais le marché est aujourd'hui de court terme (voir l'intéressant, bien que parfois compliqué, article de Ph Baumard dans le numéro de la RDN qui paraît aujourd’hui). Le marché est imparfait, et ne fait plus de calculs inter-temporels. Regardez le Japon : vingt ans de trappe à la liquidité et un pays toujours languissant, à cause aussi d'une démographie flageolante.

5/ Mais alors, qui veut rembourser sa dette? L'Allemagne. Qui croit aux théories, au néo-libéralisme, à Milton Friedmann et qui, surtout, croit au règles. Aujourd’hui, Berlin dit "l'Allemagne paiera" et donc Athènes paiera, ainsi que Madrid, Rome et Paris. Au grand dam de ces dernières qui n'ont jamais cru, vraiment, à ces fadaises de perfection des marchés et de règle des 3%. Qui se souviennent que l'Allemagne n'a pas toujours payé. Qu'elle a peut-être vécu un épisode d'hyper-inflation en 22-23, mais que ce n'est pas cet épisode qui a causé l'accession d'Hitler, mais bien plutôt la crise économique de 1930 et des politiques absurdes de rétraction.

6/ En fait, le vrai conflit aujourd'hui oppose non pas l'Allemagne au reste de l’Europe, mais l'Allemagne aux États-Unis. C'est au fond la lutte entre l'euro et le dollar. Une lutte où les morts ne sont pas des soldats, mais les milliers de sans-abris, de sortis des couvertures sociales et des chômeurs au désespoir. Il y a de vrais morts, même si c'est à coups d'armes indirectes. C'est vraiment une guerre.

7/ On observe donc une lutte terrible, au rythme d'une course d'endurance, entre la viabilité du dollar (combien de temps sa crédibilité tiendra-t-elle compte-tenu des falaises de la dette et de la rigueur européenne ?) et la purge d'austérité européenne (combien de temps les peuples résisteront-ils à la baisse drastique de leur niveau de vie?). Regardez bien sûr les manifestations en Grèce, Espagne, Portugal. Mais regardez surtout les manifestations d'hier à Téhéran, à la suite d'une dévaluation en termes réels du rial, de 80 % !!!!!!

8/ Et nous ? Je ne suis pas sûr que tout le monde ait conscience de cette conflictualité majeure. Nous raisonnons tous petit bras, dans un cadre national et européen, pensant que cela suffit. Pourtant, le choix n'est pas entre la rigueur ou la semi-rigueur, comme l'expliquent la plupart des commentateurs. Il est dans le choix d'un des deux grands systèmes de régulation financière, donc économique. Cette lutte verra le succès de l'un, ou de l'autre, sans demi-mesure. Et quelque soit le vainqueur, son triomphe s'accompagnera d'un tohu-bohu social généralisé, avec bien sûr des conséquences sécuritaires. Et d'abord en Europe. La prochaine surprise stratégique est possiblement en Europe, comme je ne cesse de l'annoncer. Voici le vrai choix stratégique qui se propose aux décideurs. La commission du LB l'évoquera-telle ?

NB : avez-vous remarqué toutes les petites initiatives des émergents pour mettre en place, peu à peu, des mécanismes d'échange alternatifs au dollar ? entre la relative convertibilité du Yuan, les accords sino-japonais (malgré les crispations sur les îles) ou la Malaisie qui utilise l'or pour ses échanges bilatéraux.... Je n'ai pas eu le temps de faire l'inventaire, mais voici autant de signes qui ne trompent pas. Ça va secouer....

Réf :

  • un autre billet sur la dette....
  • sur la possible surprise stratégique européenne : ici ou ici
  • et un grand classique, mon billet sur la déflation stratégique européenne

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 5 octobre 2012, 21:01 par RB

Tourner l’objet du problème pour l’observer sous un angle inédit et en voir les éléments cachés. Très intéressant article.
On obtient également de bons résultats en prenant du recul de manière, non seulement à pouvoir observer l’objet dans sa totalité, mais également afin de voir ses mutations successives et les interactions avec son environnement.
Prenons donc du recul et observons l’objet « capitalisme de marché » dans ses interactions avec les états-nations « souverains et démocratiques », depuis la fin de la 2nde GM.
- 1945/ fin des années 60 : malgré le miroir aux alouettes soviétique, la classe ouvrière accepte l’économie de marché et la propriété privée en échange de la démocratie politique. Laquelle garantie en retour la protection sociale et l’amélioration constante du niveau de vie. S’ensuivent plus de vingt ans de croissance ininterrompue et la conviction que le progrès socio-économique est un droit inhérent à la citoyenneté démocratique.
- début des années 70/ 1979 : Les années de reconstructions s’achèvent sur le premier choc pétrolier et la croissance marque le pas. Il devient difficile dans ce contexte de poursuivre la politique d’augmentation salariale tout en préservant le plein emploi. On laisse donc filer l’inflation, ce qui n’est pas un problème pour les salariés du fait de l’indexation de leurs salaires sur la hausse des prix. En revanche, pour reprendre une appellation chère à Keynes, les rentiers voient eux, leur patrimoine s’éroder à grande vitesse.
- 1980/ 1991 : La Fed, bien aiguillonnée par les marchés, c.à.d. les détenteurs de capitaux, décide d’augmenter radicalement ses taux d’intérêts. Le chômage augmente aussi bien en Europe de l’ouest qu’aux Etats-Unis, mais l’inflation est vaincue et le capital préservé. Victimes collatérales, les endettements publics explosent en remplacement de l’inflation.
- 1992/ 2007 : Toujours sous l’amicale et bienveillante pression des marchés, les états sont sommés de mettre en œuvre discipline budgétaire et rigueur, afin de préserver la qualité des obligations émises. C’est également la fin de l’URSS et le capitalisme voit son terrain de jeu singulièrement s’élargir. Comme il n’est pas question pour lui de rétrocéder une part des gains de productivités au travail ou même à l’investissement dans les pays de l’Ouest, les augmentations salariales sont remplacées par l’ouverture à plein débit du robinet aux crédits privés. En parallèle, toutes les faillites (d’Enron au Crédit Lyonnais) ou tous les krachs, sont socialisés.
- 2008/ 2012 : Échec totale de la régulation. Non seulement les acteurs systémiques sont devenus encore plus gros, donc plus dangereux, mais les marchés donnent des ordres contradictoires (rigueur et relance) à des états dont la souveraineté, tout du moins dans l’UE, se réduit comme peau de chagrin. Le chômage explose AVEC les dettes privées et publiques, maintenant indissociablement liées.
Nous en sommes là.
Des solutions économiques existent pourtant. Mutualisation de l’ensemble de la dette des pays européens, « défaut » coordonné sur une partie de celle-ci et harmonisation des politiques fiscales de l’UE.
Le seul problème, c’est que les marchés bénéficient à plein de la situation actuelle et qu’ils n’accepteront rien d’aussi radicale. Et ils auraient bien tord de s’en priver, c’est celui qui paye l’orchestre qui choisit la musique…

2. Le vendredi 5 octobre 2012, 21:01 par SSP

Excellent billet, ça nous change des dettes Docteur !

Quoi que: une dette est par nature une créance. Les «taux négatifs» actuels dont on se gargarise sont les pertes de revenu des retraités de demain…

Ce phénomène de dualité complique l’équation de «qui veut/peut rembourser», n’en déplaise aux tenants du « messie de la banque centrale »...

Il paraît étonnant qu'aucun gouvernant, et tellement peu d'économistes inscrivent ces problématiques de dettes dans le cadre qu'ils connaissent pourtant: l'évolution actuarielle qui transforme inéluctablement la « falaise » en un Everest de dettes.

Les Allemands connaissent leur futur actuariel et c'est ce qui explique probablement leur comportement si souvent décrié notamment par des Français qui parfois puisent leur arrogance dans une superbe ignorance économique: les Allemands veulent peut-être que chacun rembourse ses dettes car ils se savent vieux donc rentiers donc créanciers.

Le "ratio de dépendance démographique économique" qui rapporte le nombre d'inactifs (encore en formation ou en retraite) à la population en âge d'activité, donne de l'ordre de 93% en 2050 pour la France comme pour l’Allemagne(« Le décrochage démographique France-Allemagne, Stefan Sievert et Reiner Klingholz, in Visions franco-allemandes n° 16 janvier 2010, Cerfa Ifri p. 27).

Un inactif pour un cotisant ... potentiel: pourvu qu'il ne chôme pas!
Comment financer l’action publique, la protection sociale même réduite, avec de tels paramètres ?

Même pas peur, répond le Français ignorant de ce phénomène comme de l’inflation dont il garde le délicieux souvenirs des années 70/80 indexées sur une croissance qu’aujourd’hui nous qualifierions de forte ; une bluette au regard 16.580.000 % de hausse des prix enregistrés en Allemagne lors de l’année … du putsch de Munich (qui n’est certes pas uniquement dû à l’augmentation du prix de la bière !). Le Français qui oublie que cette époque était celle du baby boom, désormais le papy boom inverse la problématique, même pour certains « émergents » !

La CIA prévoit une perte de 21 % de la population allemande en 2050, d’un tiers de la population japonaise (Long term global demographic trends. Reshaping the geostrategic landscape, July 2001, p. 21). Le bureau des statistiques US (Census) prévoit une réduction de la population chinoise à partir de 2025, le pays comptera 1,3 milliards d’habitants en 2050 dont 350 millions de personnes de plus de 65 ans. La Russie perdra plus de 25% de son niveau de population des années 1995 (déjà en régression), pour faire jeu égal avec la Turquie quand l’Indonésie montera à plus de 310 millions contre 107 millions de Japonais, le Nigeria à 402 millions faisant quasiment jeu égal avec des USA (422 millions) dopés par les hispaniques qui recolonisent les territoires perdus 100 ans plus tôt par le Mexique.

Alors oui, "cela va secouer", les conflits de générations vont prendre une tournure dramatique, entre et au sein des nations, les niveaux de spoliations que nécessitent ces dettes astronomiques ne pourront être supportés sans lutte à mort, ni par les jeunes, ni par les vieux, autochtones ou étrangers.

Jugera-t-on alors les dirigeants qui auront conduit durant des décennies nos trains de vies dans ce mur ?

Pour l’instant tout va bien, le principe de la grenouille tenue dans l’eau lentement réchauffée de l’ignorance fonctionne. Seul inconvénient : personne ne gère le plan B, pour le cas où la grenouille saute… comme les débiteurs !

3. Le vendredi 5 octobre 2012, 21:01 par yves cadiou

« Tu as l’air soucieux, ce matin » me dit mon copain le héron de l’Erdre. Nous étions sur la rive à l’heure où le soleil éclaire depuis une heure ou deux mais commence tout juste à diffuser assez de chaleur pour effacer l’humidité de l’air près de la rivière.

Je lui réponds : « soucieux, oui et non. Oui, parce qu’Olivier Kempf nous annonce une crise économique. Non, parce que je n’y crois pas vraiment.
---- Il a sûrement raison : ne m’as-tu pas dit qu’il est docteur ?
Mais euh… c’est quoi, une crise économique ?
---- C’est quand on devient tous pauvres.
---- Alors moi aussi, je vais être pauvre ?
---- Mais non : on est pauvre quand on n’a plus d’argent. Toi tu n’as jamais eu d’argent, ce n’est pas pareil. Je m’inquiète parce qu’Olivier Kempf dit « ça va secouer ».
---- L’Erdre va couler dans l’autre sens ! La mer va remonter jusqu’ici, il n’y aura plus de grenouilles et je vais mourir de faim ! Je ne pourrai plus nourrir mes héronneaux !
---- Non, non, rien de tout ça. En fait, tu n’es pas vraiment concerné. Le problème, c’est pour nous : nous allons devoir réduire nos activités. »
Il ne dit rien pendant un moment.

Puis il reprend, parlant apparemment d’autre chose : « j’aime bien vivre sur le bassin de l’Erdre parce qu’il y pleut assez souvent.
---- Oui. Pourquoi me dis-tu ça, tout d’un coup ?
---- Parce que la pluie fréquente fait tomber les fumées et je vole dans de l’air propre. Parce qu’aussi toutes les saletés que vous mettez par terre descendent dans la rivière souvent et donc par petites quantités : dans les régions où il pleut rarement la première pluie crée un pic de pollution qui tue les poissons. Dans ces régions-là il arrive que les oiseaux pêcheurs n’aient rien à becqueter pendant longtemps. Ici, ça va, notre approvisionnement est régulier.
---- Je comprends, mais quel rapport avec la crise ?
---- C’est qu’avec votre crise, vous allez moins polluer l’air et l’eau.
Donc pour les oiseaux, c’est une bonne nouvelle. Tu en es sûr au moins ? Je peux l’annoncer sur mon téléphone biologique ?
---- Olivier Kempf en est sûr et je suppose qu’il ne se trompe pas.
Mais moi, ça fait quarante ans qu’on me parle de crise, quarante années pendant lesquelles nous n’avons pourtant pas arrêté de progresser. Tout en diminuant autant que possible la pollution, je te fais remarquer : je me souviens très bien que dans les années soixante l’air était parfois irrespirable en ville mais ça n’était pas un sujet politico-médiatique. C’est seulement à partir des années soixante-dix qu’on a commencé à parler de ces thèmes désormais récurrents que sont la crise et la pollution.
---- Moi, j’espère qu’Olivier Kempf ne se trompe pas. Quant à toi, tu n’es qu’un rabat-joie.
J’annonce maintenant la nouvelle à mes copains. »
Il se tait et reste immobile : il est en communication. Pourtant il s’interrompt un instant pour saisir d’un coup de bec rapide une couleuvre un peu distraite qui passait dans l’herbe. Avaler des couleuvres, visiblement il s’en régale.
Au bout d’un moment, il me dit : « j’ai déjà des réponses : l’annonce de cette crise, ça fait plaisir à tout le monde. Par exemple mon cousin qui est piq…
---- …pique-bœufs à Marie-Galante, je sais. Qu’est-ce qu’il en dit ?
---- Il est content parce que de plus en plus ce sont des tracteurs, et de moins en moins des bœufs, qui tirent les carrioles pour transporter la canne à sucre jusqu’à la rhumerie ou jusqu’à la sucrerie. Avec la crise il y aura moins de tracteurs et plus de bœufs, donc plus d’insectes pour les pique-bœufs.
---- Mais si les rhumeries ou les sucreries ne peuvent plus fonctionner par manque d’électricité à cause du pétrole devenu trop cher, il n’y aura plus de carrioles à tracter ?
---- Non, il n’y aura pas de pénurie d’électricité : là-bas, ils en font avec des éoliennes qui tournent H24 dans l’alizé.
Ma héronne, quant à elle, est plus que contente : elle est folle de joie parce qu’on pêchera plus de grenouilles et plus de poissons pour nourrir nos héronneaux. Je vais d’ailleurs aller la retrouver tout de suite à l’héronnière, je serai sûrement bien accueilli. »

Il s’envole en me lançant un joyeux : « youpi ! Bienvenue la crise ! »

egea: C'est tout à fait ce genre de raisonnement que tiennent les écologistes (et notamment un autre Kempf). La crise est une bonne chose parce qu'elle va provoquer de la décroiissance. Or nous touchons à la fin du mythe de la croissance sans limite. Lire l'édito de Tom Wolff dans le supplément éco du Monde daté de ce jour. Mes amitiés sincères à M. Le héron que je tiens en haute estime...
4. Le vendredi 5 octobre 2012, 21:01 par SSP

Faire l'héron dans l'eau, c'est une idée.

On peut aussi aller voir du côté de chez Swan "Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n'ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas ; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les affaiblir, et une avalanche de malheurs ou de maladies dans une famille ne la fera pas douter de la bonté de son Dieu ou du talent de son médecin."

La métaphore médicale est consubstantielle de la crise au sens latin, paradoxalement déniée ici par un discours qui la revendique pourtant comme phénomène externe qui ramène à un équilibre naturel, idyllique voire divin. Avec juste une dose aéconomique, le Pib étant remplacé par un indicateur du bien vivre. Les rêveries du promeneur solitaire en somme. Avec au bout du chemin le bon sauvage, celui qui amuse tant l'anthropologue et l'archéologue. Un autre optimum dirait Pareto, ou un partisan du club de Rome (des génies qui quarante ans avant avaient anticipé les difficultés de l'Italie à générer de la croissance et préféraient feindre d'être les instigateurs d'une non croissance).
Au moins pourraient-ils apprendre au héron ce que sont les externalités, et que n'ayant rien on peut néanmoins encore perdre. Je connais des Grecs qui le découvrent tous les jours, en allant à leur pharmacie démunie par exemple.

En cela, effectivement, on peut se rassurer, nous ne sommes pas en crise. Mais nous retraçons les pseudo 40 mugissantes postérieure à la "crise pétrolière" qui ont succédé à l'autre écart à la norme qu'on n'appelle pas crise quand c'est du positif donc, les 30 glorieuses, et même j'irai jusqu'à la Grande dépression (pas les années 20, les années 80 du siècle d'avant). Le film à l'envers. La décomposition systémique. La décompensation des "clysterium donare" accumulés.

L'écologie est intéressante notamment car appliquée au cas de l'espèce elle permet de chaîner les analyses clioéconométriques tout au long de ce qui n'est pas "crise" mais dysfonctionnement (mal) géré par le système pour réguler ... les apparences: ce sont les ressources énergétiques gratuites qui, avant l'argent gratuit ont permis le soutien d'un système qui ne volait pas et ne produisait pas les résultats du "contrat social".

Les économistes ont du boulot pour véritablement analyser les faits et non les croyances stylisant les faits, mais le docteur Kempf et les politologues aussi car in fine la problématique est de gouvernance. Pour une fois, une mode qui le vaut bien: parler d'économie politique (sans jeter la notion de science économique au bain de l'Erdre).

Je suis plus optimiste quant aux capacités des économistes à trouver des éléments explicatifs et diagnostiques, qu'en matière de découverte d'une potion (du docteur Kempf?) pour pallier les errements de gouvernance.

Nous verrons, probablement assez vite si la grenouille chinoise fait un boeuf en explosant dans la rizière. Nous verrons alors si cela produit des riselis sur l'eau du matin calme ou des rides sur nos fronts.

En tous cas le pessimisme du docteur Kempf me rassure davantage que l'optimisme qui, effectivement, conduit à parler aujourd'hui comme en 1974 de "crise", phénomène désagréable comme une passagère pluie de grenouilles qui disparaît toute seule, comme l'optimisme parfois.

5. Le vendredi 5 octobre 2012, 21:01 par yves cadiou

Réponse à la réponse d’egea (n°3). Notre difficulté face aux questions environnementales, c’est que l’on confond (volontairement ou non) deux notions voisines mais distinctes : l’écologie, qui est une science, et l’écologisme, qui n’est qu’une doctrine. J’ai entendu autrefois Paul-Emile Victor insister sur cette différence à chaque fois qu’il en avait l’occasion : il était retiré à Bora-Bora à l’époque où nos essais nucléaires à Mururoa déclenchaient l’ire, feinte et diplomatique, des Australiens et des Néo-Zélandais à 5000 et 7000 km de là. Il faut différencier l’écologie (science) et l’écologisme (doctrine).

Se rapportant clairement à la doctrine plus qu’à la science, l’idée de décroissance n’est pas nouvelle : c’était déjà le fond de commerce de Thomas Robert Malthus il y a deux siècles. Pour moi (opinion d’un citoyen lambda) la croissance sans limite, du moins sans limite dans le temps, perpétuelle, n’est pas un mythe mais une certitude : les seules limites sont celles que nous fixerons, en écoutant des avis de gens qualifiés, c’est-à-dire les avis des scientifiques et non les avis suspects.

Sont suspects les avis de ceux dont le comportement est guidé par l’idée directrice, exprimée ou tacite, « votez pour moi » et imposent, sous prétexte d’écologie, des équipements polluants. Mon héron parle des éoliennes de Marie-Galante parce que, grâce aux alizés non-stop, leur bilan écologique est probablement positif. Ailleurs, dans les régions ou le vent est aléatoire, trop faible ou trop fort, le bilan des éoliennes n’a jamais été sérieusement fait : il faudrait comparer d’une part la quantité d’énergie qu’une éolienne produit au cours de son existence et d’autre part la quantité d’énergie nécessaire à sa fabrication, son transport, son installation, son entretien, puis en fin de vie sa désinstallation, son transport à nouveau, sa déconstruction, son recyclage sans pollution. Il faut que ce calcul soit fait scientifiquement, c’est-à-dire sans idéologie, sans volonté de vouloir faire une démonstration dont le résultat est prévu à l’avance par un commanditaire.

Jusque là on peut laisser le bénéfice du doute aux éoliennes, mais pour moi et mon bulletin de vote c’est plutôt le doute qui domine. L’étude souhaitée conclura peut-être au bilan positif des éoliennes, mais dans des conditions bien particulières comme à Marie-Galante dans les alizés pérennes. Ailleurs, il faut voir.

Différencier l’écologie et l’écologisme, les écologues des écologistes. Là encore l'influence de l'anglais ne clarifie pas les choses : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cat%C3...

@SSP (n°4) : j’avais oublié le Club de Rome, merci de le rappeler. Pour moi (opinion d’un citoyen lambda, bis) c’est un avatar de Malthus.

6. Le vendredi 5 octobre 2012, 21:01 par SSP

Probablement est-ce l'effet du vent, j'ai l'impression que nous avons perdu la dette.

Car le sujet du billet reste là, et il n'omet qu'un aspect, périphérique à ce stade de notre développement désormais, mais vivace:la problématique est bilatérale certes mais trilatérale en esprit si ce n'est en fait, un troisième larron est caché dans le jeu, l'or.
L'ante-dette quelque part. Car au surplus des émergents cherchant à s'affranchir quelque peu du dollar, rien moins qu'une douzaine d'états des USA ont ou sont dans le processus de rétablir la circulation monétaire de l'or. Et nonobstant le fait, il n'est pas garanti que dans quelque temps sans jouer le rôle monétaire qui fut le sien, l'or ou l'argent ne joue point le rôle de référence abstraite dans cette problématique aujourd'hui absente, incroyablement absente: ce billet ($ ou €) que j'ai en main, que représente-t-il d'autre qu'une convention si forte que personne ne se pose la question de sa légitime valeur? Car in fine s'il matérialise une dette qui apparaît à jamais non remboursable, est-ce "qu'il le vaut bien"? Même fantôme, ce que l'on peut appeler l'or (je dirais plutôt le doute) risque revenir dans le jeu des conventions en une période de défaillances, car le défaut n'est justement autre que la remise en cause des conventions, y compris les plus solidement (?) ancrées.

A terme le doute sur la dette sera, ipso facto, un doute sur la monnaie puisque celle-ci est émise en contrepartie de dettes parfois mêmes déjà avérées irrecouvrables.

Alors là, ça va secouer, je ne sais plus où j'ai lu cette expression? Sur un billet je crois. Digne de confiance, j'en suis certain, car il n'est pas conventionnel.

7. Le vendredi 5 octobre 2012, 21:01 par filou1802

merci pour ces éclairages. Seulement 2 idées d'un non spécialiste:
- dès 1993 au moins des conseillers en placements financiers, ceux qu'on appelle les "contrariens", peu médiatisés car allant contre le "systéme" alertaient des risques de la dette et du probable retour de l'or sur le devant de la scène. Vers 2000 de grands économistes, peu nombreux, dont un américain interrogé dans un grand journal national, émettaient l'hypothèse que ça allait craquer.Plus on continuerait à faire des dettes plus ça craquerait fort in fine. On se dirige vers un syndrome de non-retour, depuis longtemps...ce n'est qu'une question de timing.... Certains décideront peut-être du jour J. Les conseilleurs ne sont pas les payeurs. A quand un tribunal international pour crimes économiques?
-rien sur les paradis fiscaux, qui abriteraient des montants évoluant dans le même sens (augmentation, curieux non?) que ceux de la dette.

egea : effectivement, Maurice Allais (si c'est lui à qui vous faites allusion) a très précocement dénoncé l'accumulation de dettes.

8. Le vendredi 5 octobre 2012, 21:01 par Midship

Depuis plusieurs décennies on croit que l'argent dirige tout. On en a perdu de vue la source de tout pouvoir : la puissance. Et la puissance d'un groupe, d'un pays ou d'une organisation, sur cette Terre, n'est pas question d'argent. Elle est facteurs de trois éléments : les enfants, les armes, l'envie. L'argent, ça n'est qu'une lettre de change accordant du crédit à ces trois éléments. Quand cette croyance baisse, quand l'argent n'est plus sûr, nous en revenons tous à ces trois choses : la démographie, la guerre, l'envie. Pas sûr que ça soit de bon augure cependant.

9. Le vendredi 5 octobre 2012, 21:01 par Colin L'hermet

Bonjour,

Je découvre ce billet.

On parle du retour de la fiducie, non ?
Fides, la confiance, mais la foi également.
Le passage de l'ekonomia du domaine, à l'économie du salut par le bilan des bénéfices et des méfaits, jusqu'au salut par l'économie identifié par Max Weber (sur ce point, voir les fréquentes communication de Patrick Viveret).

La dette, c'est l'inscription dans la confiance.
La tabula rasa des dettes, c'est la défiance.
Un monde de relation "honorable" qui s'effondre.

Plus que de la puissance, c'est de confiance qu'il est question.

Et si autrefois la confiance ne tenait pas par la seule morale, elle pouvait tenir par l'idéologie, cette chose si peu scientifique mais qui procurait un tropisme, une orientation, une cohésion (contrainte dans certaines idéologies pas très humanrights).
La dévaluation des idéologies, notamment celle du capitalisme laissé orphelin de ses ennemis, est l'une des probables causes de ce tremors à venir.
Car la crisis ne serait pas ici crisis, mais prodrome d'un pire en incubation.
Sauf à trouver un nouveau credo-aux-alouettes (la méthode Coué ?) ou à ressortir M.Mauss et J.Rawls de la naphtaline ?

Bien à vous,
Cl'H

10. Le vendredi 5 octobre 2012, 21:01 par yves cadiou

Je reviens à la dette après m'être laissé porter par les alizés. La dette est le principal problème qui se pose à nous actuellement. Et comme toujours, restons d'un optimisme raisonnable tout en évitant l'optimisme béat : la chienlit dans laquelle le personnel politique nous a mis va mécaniquement prendre fin. Déjà les 17% de Marine Le Pen à la présidentielle ont fait réagir la BCE qui craint pour la survie de l’€uro, donc pour sa propre survie. Je m’explique.

Autrefois, lorsque nous étions indépendants (jusqu’au début des années soixante-dix), la France équilibrait son budget en fabriquant de la monnaie et donc de l’inflation. Notre monnaie était faible, ce qui était favorable à nos exportations et défavorable aux importations. Seule la France était capable de faire ça parce que, grâce à notre électricité nucléaire, le fonctionnement de notre économie ne reposait pas sur les importations de pétrole.
Nos voisins ne pouvaient pas faire comme nous et avoir une monnaie faible parce qu’alors leur facture énergétique aurait été trop lourde. Par conséquent tout baignait pour nous mais nos partenaires commerciaux râlaient parce que nous n’achetions pas de Mercédès ni de Fiat, préférant les voitures françaises qui n’étaient pas mauvaises mais surtout qui étaient moins chères grâce à la faiblesse de notre monnaie. Quant il y a eu la crise du pétrole (prix multiplié par 4 à partir de 1974) les productions françaises étaient très concurrentielles car nous pouvions nous permettre d’avoir une monnaie faible.

Nos « partenaires économiques » ont mis le holà à cette situation qui aurait fait de nous les caïds de l’Europe : ils ont fait pression sur nos dirigeants pour mettre fin à notre indépendance monétaire. Tout notre petit monde politico-médiatique, trahissant le Pays consciemment ou non, s’est mis à chanter en chœur le refrain du franc fort, de la stabilité monétaire, de la solidarité européenne et l’on a commencé à laisser lier notre monnaie à celle de nos voisins qui rigolaient bien de notre naïveté : « serpent monétaire européen », « panier de monnaies », « european count unit » (ECU) et autres union monétaire ont commencé à envahir les journaux sans que les citoyens puissent s’informer, réagir, se concerter et protester par @internet comme aujourd’hui.

Jusqu’en 1993 où les élus locaux qui nous gouvernaient ont voté « l’indépendance de la Banque de France » sans comprendre, ou au contraire en comprenant très bien, qu’ils nous trahissaient. De ce jour, nos gouvernements n’ont plus le pouvoir de fabriquer de l’argent : pour équilibrer le budget national, ils doivent emprunter comme emprunte n’importe quelle collectivité territoriale qui ne bat pas monnaie. Nous empruntons donc depuis vingt ans et c’est ainsi que nous avons accumulé une dette énorme alors qu’autrefois nous aurions fabriqué de la monnaie et donc de l’inflation compétitive.

Bref : nous avions (et nous avons encore) un avantage extraordinaire grâce au nucléaire, avantage que nous avons bêtement perdu à cause de l’incompétence (ou de la malhonnêteté) de nos dirigeants. Mais tout n’est pas perdu : nous avons perdu une bataille mais nous n’avons pas perdu la guerre.

En menaçant de sortir de l’€uro (c’est-à-dire en votant à 17% pour Marine Le Pen) nous avons poussé la BCE à déclarer, il y a quelques mois, qu’elle honorera les dettes des pays surendettés, c’est-à-dire qu’elle fabriquera de la monnaie, que la sacro-sainte règle de stabilité de l’€uro n’est plus à l’ordre du jour, et que la zone €uro va connaître de l’inflation. Or nous, la France, sommes les seuls à pouvoir supporter de l’inflation grâce à notre parc électronucléaire qui atténue considérablement notre facture pétrolière. Telle sera la nouvelle donne qui apparaîtra en 2013 : un déséquilibre interne à l’Europe et favorable à l’économie française. Pour la suite, je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que nous pouvons nous passer de l’Europe telle qu’elle est devenue. Ce qui est sûr aussi, c’est que la situation catastrophique dans laquelle des politiciens irresponsables nous ont mis ne va pas durer.

Egeablog: merci tout d'abord, Yves, pour ce commentaire qui me montre qu'il y a encore quelqu'un sur la ligne. Par ailleurs regardez le nouveau gouvernement japonais de M. Abo qui injonction ne la Bank of Japan.... Officiellement indépendante... Preuve que les lois peuvent être contournées. Oui, il y aura probablement de l'inflation ... La seule question qui demeure sera : maitrisable ? Ou la bulle de dette explosera t elle, ce que certains lecteurs d'egea pensent par ailleurs...

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