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Pour une université stratégique à l’École militaire

CI-joint une chronique, parue sur AGS et la RDN en ligne, et qui met en mot bien des conversations que nous avons eues avec Jean. J'ajoute une idée qu'il ne mentionne pas, et qui est indispensable : créer une filière doctorale d'études militaires et stratégiques, l'équivalent français des war studies anglo-saxonnes. Pour cela, l'IRSEM serait tête de chaîne doctorale, associée à l'Ecole de guerre en filière master. La chaine incorporerait plusieurs centres de recherches : Saint-Cyr/Rennes pour les études terrestres et cyber, Brest pour les études navales et nucléaires, Aix pour les études aériennes et spatiales, Polytechnique/ESNTA pour les études technologiques et de recherche fondamentale. Il y aurait ainsi des postes universitaires qui permettrait des carrières dans cette filière, avec des sous-filières (histoire, géographie, économie, droit, géopolitique, ...) et donc le vivier de docteurs aurait des débouchés. DU coup, le réseau national bénéficierait d'une meilleure audience internationale avec les organismes similaires étrangers.

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Bien évidemment, tout ceci est sujet à débat : plus il y aura de débat, plus les autorités se saisiront du sujet.... Vos commentaires sont donc espérés.

O. Kempf

Faisons un bref intermède dans cette chronique ; oublions les péripéties de l’élection présidentielle américaine, les évolutions chinoises, les menaces israéliennes, les désastres syriens et les orages maliens. Revenons à nos moutons bien français ; pas ceux studieux et affairés du Livre blanc mais ceux plus dociles d’impulsions à donner, peu coûteuses mais tout aussi nécessaires à l’exercice de nos responsabilités stratégiques.

Parlons de l’École militaire et de ses habitants.

Voilà plus de vingt ans que la guerre froide est terminée, vingt ans de brouillards et de tâtonnements stratégiques ; vingt ans de réformes continues pour les forces armées et le ministère de la défense. Il fallait certes passer d’une structure taillée pour dissuader les grands chocs frontaux à autre chose, mais quoi ? On aura connu successivement l’interarmisation au début des années 1990, puis à la fin de celles-ci la professionnalisation, et ensuite la multinationalisation, européenne au début des années 2000, otanienne à la fin. La RGPP enfin a tenté de rationaliser l’ensemble ainsi constitué, en utilisant les techniques managériales de projets structurants, bases de défense ou commandement interarmées du soutien.

Mais de formation, rayonnement, recherche, point. Le statu quo ou presque.

Voilà portant plus de vingt ans qu’on déplore la faiblesse de la recherche et de la formation stratégiques, au point de les qualifier d’inexistantes dans cette période et de créer de toute pièce un Conseil supérieur pour pallier ces manques dénoncés à défaut d’être avérés.

Voilà pourtant vingt ans qu’on élabore des Livres blancs sur la défense, ou la sécurité nationales ; le troisième depuis la fin de la guerre froide est en cours de rédaction aujourd’hui.

Voilà aussi plus de vingt ans qu’on s’évertue à vouloir faire de l’École militaire un pôle de rayonnement stratégique français, pôle académique, pôle militaire, pôle sécuritaire, une université de la défense …

Pourquoi n’y est-on pas parvenu ? Peut-on y arriver cette fois-ci ? Deux questions dont les réponses sont esquissées ici, non pour dénoncer mais pour proposer et sortir de l’ornière.

Des projets pour l’École militaire

On n’en a pas manqué depuis la période du ministère Joxe dont l’ambition fut la plus structurée qui ait été manifestée jusqu’à aujourd’hui. Aujourd’hui la question se pose avec d’autant plus d’acuité que le regroupement des états-majors et services du ministère sur le site de Balard fera de l’Ecole militaire le réel point focal de défense de Paris intra-muros. Depuis vingt ans, les projets comme les commissions dédiées n’ont pas manqué, les bonnes idées non plus. On peut dénombrer jusqu’à cinq projets successifs dont les recommandations se sont heurtées aux dures réalités comptables et à une complexité administrative déroutante. Beaucoup a heureusement été fait pour normaliser le site, en extraire les services qui n’avaient plus rien à y faire, réhabiliter les lieux insalubres et en moderniser l’usage (voierie, bâtiments, restauration, centre de documentation, amphithéâtres, …).

Mais dans le même temps un schéma directeur cohérent a semblé manquer alors que les projets extérieurs abondaient (on se souvient d’un projet d’installation de l’EMAT et même un temps de la Présidence de la République sur le site).

Les principaux obstacles à leur réalisation sont à rechercher moins dans la vision dans le manque de cohérence et de complémentarité des structures et des organismes qui se sont installés à l’École militaire au hasard de réorganisations multiples. Résidence du chef d’État-major des armées, cœur historique de l’École supérieure de guerre et du centre des hautes études militaires, il est aussi l’espace qui accueille la DICOD du ministère de la Défense et la plupart des centres de doctrine des trois armées, parties intégrantes des États-majors d’armées et interarmées. C’est aussi historiquement le siège de l’IHEDN, depuis les origines, institut qui dépend des services du Premier Ministre, comme ce fut celui du Collège de défense de l’Otan dépendant du Conseil de l’Atlantique Nord jusqu’en 1966 et reste celui de la RDN, structure associative depuis 1939.

Ce patchwork est à compléter d’une multitude de structures et d’organismes variés que la marée de l’histoire a laisser s’échouer sur ce site emblématique depuis Louis XV de la formation des élites militaires à proximité du terrain de manœuvre du Champ de Mars !

Aucun des projets qui ont tenté de mettre de l’ordre et de donner un sens durable à ce mille-feuille n’y est parvenu alors que le besoin s’en faisait de plus en plus pressant. Éloge de l’École militaire

Comme tous les pays qui exercent une responsabilité internationale, la France se doit d’approfondir ses projets stratégiques, de former ses élites militaires et de faire rayonner ses entreprises politico-militaires, demain autant qu’hier. C’est le rôle de Paris, la ville capitale qui abrite ses ministères d’autorité et ses organes exécutifs et parlementaires, de concentrer les moyens nécessaires et d’en faciliter l’accès, notamment académique, que ce soit à la représentation nationale qui doit pouvoir s’y référer, aux chercheurs de l’Enseignement supérieur et aux étudiants s’y alimenter, aux experts étrangers y recueillir et débattre facilement des analyses françaises.

Le site de l’École militaire présente un cadre particulièrement adapté à l’ensemble de ces fonctions au cœur historique de Paris, à proximité de l’Assemblée nationale et du Quai d’Orsay, à égale distance de l’Élysée et de Matignon, un site destiné à être bientôt le seul emblème du ministère de la Défense au cœur de Paris. Avec l’hôtel national des Invalides qui abrite le musée de l’Armée, l’institution des Invalides et le SGDSN, c’est un patrimoine immobilier particulièrement symbolique de la France militaire.

L’École militaire peut et doit donc rassembler tous les organes qui concourent à la formation et à la recherche stratégique et devenir plus encore qu’aujourd’hui le cœur stratégique de Paris. La pression de la réforme en cours, celle de la rationalisation administrative de l’État, celle de la concentration des efforts et des moyens, celle de l’intégration plus poussée du ministère que va permettre de réaliser le site modernisé de Balard militent pour un donner nouvel élan à l’École militaire, pour lui donner un projet fédérateur, une nouvelle ambition, en faire un lieu de réflexion et de débats.

La défense de la nation est l’affaire de tous les citoyens.

Pour un campus de défense et de sécurité

C’est beaucoup plus de méthode que d’idées neuves, d’esprit de décision que d’esprit d’analyse qu’il faudrait disposer pour faire enfin de l’École militaire le campus de défense dont le ministère de la Défense et le pays tout entier ont besoin pour stimuler la pensée stratégique, exposer et diffuser les idées françaises, pour influencer et se laisser influencer.

Quels pourraient en être les principes ?

À première vue, ils sont simples, il s’agit de mettre en place un système ouvert sur l’extérieur, accueillant, moderne qui permette de tirer le meilleur parti possible des trois grandes activités qui caractérisent l’École militaire : la formation militaire, la recherche stratégique et le rayonnement de défense. Trois secteurs dont la mise en synergie doit constituer la véritable raison de leur cohabitation sur ce site unique au centre de Paris.

Concourent aujourd’hui à la formation militaire, l’École de guerre et le Centre des hautes études militaires, deux structures clés de l’enseignement militaire supérieur ; à la recherche, les centres de doctrine interarmées et d’armées ainsi que l’Irsem ; au rayonnement de défense et de sécurité, le CSFRS, les deux instituts IHEDN et INESJ ainsi que la Direction de la communication du ministère de la Défense. Ce sont les principaux organismes qui sont aujourd’hui abrités par l’École militaire et qui représentent toute la palette des moyens d’un campus dédié aux experts militaires et de la fonction publique. Mais cet ensemble peu ou pas coordonné est bien insuffisamment ouvert au monde académique de l’enseignement supérieur et de la recherche, aux instituts de recherche privés ou semi-publics, au monde de l’entreprise, au monde parlementaire, même si le lien armées-nation dont l’IHEDN est le principal animateur y pourvoit par vocation et méthode. Aucun accueil des chercheurs étrangers n’y existe vraiment qui voient l’École militaire comme une caserne fermée à l’accès réservé.

Quelles seraient les structures d’une École militaire érigée en campus ?

La première décision à prendre est à l’évidence d’appliquer ici le principe élémentaire qui régit la société militaire : il faut créer l’unité de commandement, militaire et académique. Il faut à l’École militaire un Commandant militaire et un Recteur académique, tous deux gardiens de la cohérence et de la qualité des travaux qu’on y conduit. A cette direction organique et symbolique simple qui relève bien entendu du Ministre de la Défense gestionnaire du site, doivent se rattacher trois responsables de chacun des pôles constitutifs du campus, un directeur de la formation, un directeur de la recherche et un directeur du rayonnement. Les organismes hôtes du site qui ne relèvent pas du ministère de la Défense (IHEDN, INESJ, CSFRS, …) siègent dans trois conseils présidés par ces responsables de pôles pour coordonne l’action. Une structure de service soutient l’ensemble ainsi constitué.

La deuxième décision à prendre est l’ouverture au public d’une partie du site pour permettre un décloisonnement de la réflexion stratégique vers l’extérieur, une circulation naturelle des chercheurs et des étudiants, un accueil des étrangers de passage et une organisation fluide de travaux et d’échanges académiques. L’École militaire qui n’abrite en principe aucune activité classifiée doit être un ensemble semi-ouvert.

La troisième est la constitution d’un programme de travail académique de l’École militaire dans un cadre multidisciplinaire et pluriannuel dont la présentation est centralisée et la cohérence maîtrisée par le commandement. Une réflexion approfondie sur des formations diplômantes l’accompagne ainsi que la perspective d’une école doctorale de défense et de sécurité qui doivent contribuer à créer un cadre propice à la recherche stratégique et à l’accueil de chercheurs résidents et temporaires.

Telles pourraient être les principales lignes d’une structure plus rationnelle et plus intégrée qui permettrait à l’École militaire de devenir ce campus stratégique dont le pays a besoin pour faire face aux incertitudes actuelles. Naturellement un certain nombre de mesures complémentaires seraient de nature à en faciliter la constitution : la permutation des résidences du CEMA et du gouverneur militaire de Paris, la constitution d’un portail électronique d’accueil unique pour tous les organismes du campus, la création d’une structure commune d’édition académique et d’organisation d’événements, la création de rendez-vous stratégiques réguliers de haut niveau comme la Wehrkunde allemande, la mise en place de bureaux d’accueil pour le DGA, le SGA, les industriels de l’armement, les instituts de recherche privés et semi publics, un espace de chalandise…

Si cette réflexion n’est pas originale, elle n’en est pas moins nécessaire car pour la mettre en œuvre, il faut deux conditions plus difficiles à réunir qu’il n’y paraît : l’unité de conception d’un schéma simple et la ténacité volontaire d’une direction unique. Il faut aussi un peu de temps mais il ne nous est pas compté ; il suffit d’être au rendez-vous de Balard.

Ces idées posées, cet intermède terminé, comment voyez-vous les choses à venir ce mois-ci? Vont-ils garder le 44ème ou élire le 45ème ? Who knows ? Mais est-ce si important pour nous, au fond…

CA2 Jean Dufourcq, Rédacteur en chef de la RDN

Commentaires

1. Le jeudi 1 novembre 2012, 12:19 par Patrick Saint-Sever

Pour contribuer modestement à cette initiative pleine de grandeur, de vision, je propose l'appellation Académie Militaire de France (ou de la Nation Française)

:égéa:  marrant, il y a une académie de marine et je pensai qu'il serait bon qu'il y ait une académie de stratégie... 25 stratèges et stratégistes... Et pas forcément les anciens CEMA. D'ailleurs, on devrait dire qu les CEMA et autres CEMs ne devraient pas en faire partie... Sinon, ce serait systématique et l'académie en question perdrait de son sens;

2. Le jeudi 1 novembre 2012, 12:19 par yves cadiou

Pourquoi l’interdire seulement aux CEMs ? Mieux vaudrait interdire cette université stratégique à tout agent de l’Etat, civil ou militaire, en charge d’une responsabilité opérationnelle dans le domaine de la défense nationale (responsabilité du Premier ministre et qui est vaste parce qu’il faut y inclure la défense civile). Ceci pour s’affranchir du fameux devoir de réserve, dont on ne sait pas ce que c’est et dont l’usage abusif pourrait être anesthésiant.

3. Le jeudi 1 novembre 2012, 12:19 par Boris Friak

Bonjour,

Je vous encourage à mobiliser le maximum de soutiens autour de votre idée et vous livre une citation de Jean-Christophe Rufin:
"Pour les intellectuels patentés, je restais "un médecin qui connaissait le terrain". Un tel mépris n'aurait pas frappé un mathématicien, un juriste ou un ancien élève de l'ENA. Je me rendais compte, pour la première fois, du handicap que constitue le fait d'être médecin dans le domaine de la pensée. Je mesurais à quel point notre profession avait "décroché" dans la considération qu'on lui portait. Son triomphe technique s'était accompagné d'une disqualification intellectuelle totale, comme si le seul ordre où elle pouvait être reconnue était celui de l'action et des concepts scientifiques."

Cette pensée, issue de "Un léopard sur le garrot", me paraît parfaitement transposable à la communauté militaire française qui souffre, en plus, d'une sociologie assez défavorable aux travaux intellectuels et demeure marquée par la domination des vertus physiques sur les vertus intellectuelles, ce qui conduit à une extrême auto-censure des penseurs en son sein.

Le recrutement par le biais de grandes écoles, où l'effort est produit avant l'accès, pas au moment de la sortie (cf. Universités de la Bundeswehr), ajoute bien entendu à la marginalisation de la pensée de qualité, pourtant essentielle.

La concrétisation de votre idée, puis la production de thèses à la fois audacieuses et profondes, contribuera à redonner aux militaires leur place dans la société, même sans gros bataillons.

BFR

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