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Guerre économique

La guerre économique est délicate à définir, surtout si l’on veut aller au-delà des expressions des journalistes qui l’utilisent abondamment sans réellement la définir.

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Tentons une définition : la guerre économique serait une méta-concurrence qui dépasserait la « simple » concurrence entre entreprises, pour associer entreprises et États dans une nouvelle conflictualité de puissance. Elle résulterait d’un nouvel état international, post-westphalien, qui ne nierait pas le rôle persistant de l’Etat mais lui associerait d’autres acteurs, et notamment les entreprises.

Cette guerre économique a été rendue possible par des conditions particulières : la mondialisation économique (dérégulation, circulation des biens, des personnes et des capitaux, élargissement géographiques des cadres d’échange) et le développement des technologies de l’information et de la communication, qui a permis à la fois la circulation extrêmement rapide de l’information, et la financiarisation des échanges.

Autrement dit, la guerre économique, dans laquelle agit l’entreprise, est structurée par le cyberespace. Et il ne peut y avoir de stratégie d’entreprise qui ne considère ce cyberespace.

O. Kempf

Commentaires

1. Le vendredi 2 novembre 2012, 20:47 par Colin L'hermet

Bonsoir Docteur,

Vous avez deviné je pense mon intérêt pour le cyber et pour sa place dans la société contemporaine.
Néanmoins, si je m'interroge dessus, c'est parce que je me défie de la centralité qu'on lui prête et qu'on lui aménage jour après jour.
En outre, j'aime à observer la construction de cet Etat qui nous surplombe et sur lequel chacun pense quelque chose.

a) Vous écrivez que "la guerre économique, dans laquelle agit l’entreprise, est structurée par le cyberespace".

La guerre économique contemporaine ne me semble qu'une étape supplémentaire de la mondialisation des échanges.

Or cette expression de mondialisation des échanges est trompeusement fort neutre.
En réalite, dans tout échange anthropogénéré, il y a volonté.
Aussi la mondialisation des échanges comprend-elle une part non négligeable d'asymétrie.
Asymétrie recherchée la plupart du temps, objectif en soi, et outil de victoire dans l'acte commercial de l'échange.

Qu'on ne me parle pas de coûts consolidés qui fixeraient mathématiquement une valeur, il existe de longue mémoire la discussion autour de la valeur, selon le ressenti et selon l'utilité. Notions que l'on qualifie de marxistes pour les disqualifier.
Mais il suffira de reformuler : l'acteur humain, avec sa non-rationalité quoiqu'en dise la théorie économique, est un commode levier d'ajustement dans la fixation de la valeur (pour l'industrie musicale, le prix du CD dépassant le seul prix de sa composition, de son pressage et de l'amortissement des avances de droits consentis à l'auteur).

Bref, tout cela pour en venir à un point.

L'asymétrie est consubstantielle à l'économie d'échange telle que nous la pratiquons, qu'on l'exploite ou que l'on veuille la corriger-amoindrir.

Le cyber est un outil, parmi bien d'autres, pour générer de l'asymétrie : la mise en forme de l'information (compréhensible ou cryptique, sexy ou rebutante via le marketing ou la e-reputation-bashing), les délais de transmission (ordres boursiers, logistique, concurrence), la capacité de stockage de l'info (mémoire du savoir-faire, listes de prospect ou de clients), les possibilités d'exploitation large ou fine des champs de data (data mining tous azimut pour répondre rapidement à des questions de tactique ou de stratégie d'entreprise).

C'est sous cette approche de l'étude de l'asymétrie que je vous emboîterais le pas pour trouver une centralité au champ informationnel cyber dans la guerre économique, cette "méta-concurrence entre entreprises, associ[ant] entreprises et États dans une nouvelle conflictualité de puissance".

b) Pourquoi cet ergotage alors que je semble rejoindre votre énoncé ?

Parce que sans cette explication (une parmi d'autres que je soupçonne sans les entrevoir, mais que j'aimerais voir émerger de-ci de-là), ce serait prêter trop d'intérêt et de pouvoir au cyber sui generis.
Il ne vaut que comme outil. C'est comme outil qu'il doit être étudié, sans qu'on ne vienne à lui prêter de dynamiques propres. Ce serait une abdication du responsable humain, et la porte ouverte à une mégestion de nos structures toujours plus interconnectées.

Illustrons par la complexité des mélanges de deux peintures dans un pot. Cela semble complexe, obéir à des figures fractales et à des dynamiques locales. Mais le pot demeure un pot, et les peintures ne sont ni dotées de volonté ni manifestations de la volonté humaine.
Tout le monde le sait.
Pourtant, avec le cyber, personne ne raisonne plus de la sorte. L'objet devient divin, ou semi-divin. Ou avatar de l'homme trop heureux de se laisser fasciner par son oeuvre.

Laisser filtrer dans nos propos que le cyber est tellement complexe et tellement chargé sémantiquement qu'on ne saurait l'appréhender aisément, laisse la porte ouverte aux déistes de tout crin qui finiront par y voir une ébauche de, volonté humaine dégradée. Je repense là aux "ordinateurs neuronaux" qui étaient censés voir générée une forme de pensée humaine de par le chaos qui les habitait. Confondre complexite de la pensée et théorie du bordel ambiant, c'est dommage.

La conflictualité sur laquelle vous vous penchez doit intégrer cette dimension, sans quoi des petits malins vont continuer de vendre à nos décideurs et à nos états-majors des matériels pseudo-intelligents, c-a-d des gris-gris modernes qui seraient bons sous prétexte qu'ils dépassent les capacités et l'entendement humain (tout du moins de leur acheteur).

Bref, si Steve Wozniak conseillait de se "méfie[r] d'un ordinateur que vous ne pouvez pas jeter par la fenêtre", je paraphraserais aujourd'hui Hanns Johst, "quand j'entends parler de cyber je relâche la sécurité de mon Browning".

c) Sur ce que vous appelez un "nouvel état international, post-westphalien" :

Comme Clausewitz postulant la poursuite du politique par les moyens militaires, Monstesquieu n'avait-il pas appelé de ses voeux le dépassement de la guerre par le doux commerce entre les peuples et les Nations ?

Autant de boites gigognes et matriochki.
Car "La guerre et le commerce ne sont que deux moyens différents d'arriver au même but, celui de posséder ce que l'on désire" (Benjamin Constant, in discours De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, 1819)

(Incise) : soyons intellectuellement honnête, le texte est autrement plus fouillé que cette citation, notamment B.Constant y pose que "la guerre, c-a-d l'emploi de sa force contre la force d'autrui, est exposée à diverses résistances et à divers échecs, [cette expérience] port[ant] à recourir au commerce".
A cette époque, l'état de la concurrence ne laisse pas imaginer une notable résistance. De nos jours, les conditions et les enjeux de la concurrence se sont dramatiquement accrus.
(fin de l'incise)

En écartant la question des conditions historiques de la concurrence, le commerce ne serait, également à notre époque, que la poursuite de la guerre par des moyens non militaires ?

Voyons par analogie : avec des acteurs économiques s'étant relativement autonomisés-affranchis de certaines tutelles politiques, on se retrouverait dans la conception guerrière des grandes (et plus petites) compagnies et des condottières, qui poursuivaient leurs propres objectifs tout en contribuant aux visées politiques des ensembles politiques qu'ils avaient rejoints ?
A ceci près que la prestation de service des compagnies d'alors n'était que la violence, suppléant au monopole à venir de l'Etat dans ce domaine.
Les compagnies d'aujourd'hui fournissent biens et services, leurs prestations évitent le champ de l'Etat, et même le cernent par certaines de ces prestations étant reconnues dans les textes législatifs comme des droits individuels voire fondamentaux (propreté environnementale, domiciliation bancaire, électricité, droit d'aller et venir sans entrave, logement, accès au réseau numérique).
Le commerce n'est donc plus la poursuite des guerres du politique, elle est une poursuite de la guerre des particuliers.
La guerre économique consisterait donc :
. en un contournement du monopole de l'Etat au recours à la violence légitime, cette violence n'étant pas ici militaire mais commerciale ;
. en un renversement des suppléances, l'Etat devant ici épauler les entreprises particulières, au nom d'une communauté d'intérêt bien comprise.

La vision de Constant était de remarquer le progrès moderne qu'était le commerce sur la létalité de la guerre des antiques.
Au 19eme s., c'était effectivement un progrès.

La guerre économique du 21eme s. serait pour sa part un superbe retour en arrière, non pas sur le thème de la létalité, mais au regard de la centralité que nous avons toujours souhaité à l'Etat, et que nous modulons selon les choix politiques.
Ce n'est plus le registre de la létalité qui est traité, de nos jours.
C'est le registre d'un monopole de l'organisation de l'activité sociale.
La dérégulation-déréglementation touche la sphère du vivre ensemble, et l'Etat n'en est plus l'acteur majeur.

La guerre économique n'est pas une forme de civilisation, comme au 19eme s., elle est l'instant d'un affaiblissement du mode de vie pour lequel nos anciens avaient opté.
La guerre économique fera émerger indirectement des choix de société pour les Etats.

d) C'est dans ce contexte global que le même acteur, l'Etat, doit à la fois faciliter le commerce, protéger ses acquis dans et par la guerre économique, allouer les moyens à la mise en place des outils, dont le cyber n'est pas le moindre, et s'attendre à se faire amputer à mesure des évolutions du champ de bataille.

Bref l'Etat nourrit un coucou dans son nid en laissant cours à la guerre économique.
cette charmante bête à la peau sensible passe par dessus-bord tous ses petits oisillons coturnes, mais ne s'en prend pas aux parents.
L'Etat ne sera pas passé par dessus bord par les acteurs de la guerre économique ; il va juste s'épuiser à les alimenter sans aucun espoir de gratitude.

Le pire étant que l'Etat, opérateur majeur des infrastructures nationales et animateur des échanges internationaux, ne peut laisser périr les dits coucous, en raisons des victimes collatérales : l'envol des coucous, comme des pigeons, laisse bien des chômeurs au sol, on nous l'a resservi dernièrement.

Bon, je vais aller me venger sur une grive.
C'est de saison./.

Bien à vous,
CL'H./.

égéa : oui, le cyber est un outil. Toutefois, il est réellement structurant. Vous avez connu le monde d'avant, d'avant le cyber. Les étudiants à qui j'inflige des cours de stratégie ne savent pas ce qu'est le monde d'avant, comme nous ne soupçonnons pas ce qu’était le monde sans automobile ou sans électricité ou sans eau courante dans les maisons. Or, et vous avez deviné que ce bout de définition était extrait d'une prose plus large, la cyber introduit quelque chose de radicalement différent, mais dont nous avons déjà parlé : à savoir, que désormais l'information est un facteur de production, ce que la théorie économique n'a jamais appréhendé convenablement. Avec le cyber, on a des moyens de toucher ce facteur de production : en ceci, le cyber modifie la guerre économique.

Quant à votre description des rapports entre l'Etat et les autres, oui, vous avez raison : l'Etat risque de ne plus être premier, même s'il est toujours indispensable. Voici en fait le paradoxe qui permet de penser ce monde post-Westphalien. Non pas disparition de l'Etat, mais altération de son rôle. Ce qui induit des conséquences non encore abouties (et donc non encore pensées).

2. Le vendredi 2 novembre 2012, 20:47 par MonclarSuperstar

My Lord,

Félicitations pour ta définition de la guerre économique, qui me paraît bien plus pertinente que l'absence de définitions proposée par tous ceux qui en parlent.
Effectivement, le cyber semble structurant pour cette guerre, car sans cyber, nous avons affaire à une concurrence que l'on eut qualifier de normale ou de classique. Le cyber n'est qu'un outil, mais il porte à son paroxysme (actuel) ce qui était en germe dans les esprits des entrepreneurs peu scrupuleux.
Illustration non économique mais politique : avec le cyber, il n'y aurait jamais eu de scandale du Watergate, car les républicains n'auraient jamais été pris.

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