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Aspects opérationnels des réseaux

J'aimerais m'interroger sur la notion de réseau. Je précise : pas de "réseau informatique". J'ôte l'adjectif qualificatif, et raisonne "hors du cyber". Ou plutôt, j'émets des hypothèses et teste auprès des vous quelques idées. Sentez-vous libres de m'expliquer que comme d'habitude, je raconte n'importe quoi...

source

Le réseau a depuis longtemps été une réponse tactique ou opérative à des défis stratégiques. Que l'on pense à ces exemples :

  • le réseau de places fortes du pré carré, installé par Vauban sur la frontière nord
  • les réseaux de citoyens organisant la défense suisse aujourd'hui, ou autrefois les réseaux de partisans yougoslaves
  • les réseaux armés de résistants de tout poil (résistants de la deuxième Guerre mondiale, guerre révolutionnaire de Mao Tsé Toung, réseaux terroristes enracinés - Palestine, Algérie , Irlande du nord - ou déracinés - les multiples franchises d'Al Qaida-)

Quels points communs en tirer ? La conjonction d'une organisation le plus souvent territoriale, de systèmes d'armes, de dispositifs humains, et de maîtrise de l'information qui structure le réseau.

Constatons également que des fonctions militaires ont très tôt utilisé la "notion" (le dispositif ?) de réseau :

  • la fonction renseignement, bien sûr, qui essaye de décrypter les réseaux ennemis : réseaux de commandement, réseaux d'insurgés....
  • la fonction transmissions (ce mot est bien oublié et négligé, malheureusement, mais on y reviendra quelque jour) : qu'on pense au RITA, novateur à son époque, parce qu'il était un "Réseau Intégré de Transmissions Automatiques" (voir fiche wiki pour ceux qui n'ont jamais entendu parler de ce truc antédiluvien, puisque datant des années 1980)
  • la fonction logistique : qu'on pense au rôle des chemins de fer dans la conduite des guerres de la deuxième partie du XIX° siècle (la "mobilisation" n'est possible que grâce aux réseaux de chemin de fer). Qu'on pense, de façon plus moderne, aux réseaux d'aéroports qui fondent les lignes aériennes aujourd’hui.

Il doit y en avoir d'autres, probablement. Constatons que le réseau n'est pas un schéma qui appartient au combat ou au soutien : les deux peuvent l'utiliser.

Quels sont les avantages du réseau ?

  • il compense l'absence d'obstacle : il donne donc de la profondeur
  • a priori, il paraît plus économique qu'un front continu. C'est bien tout l'enjeu du combat lacunaire, où la technologie vient compenser l'impossibilité de disposer des ressources le long de la ligne de front ou sur le terrain pour contrôler la zone.
  • la plasticité : un réseau paraît, par construction, plus adaptable à l'imprévu.

Quels sont ses inconvénients ?

  • Il ne permet que rarement la concentration des efforts (contre partie de sa plasticité) : quand on concentre, c'est qu'on affaiblit la structure réticulaire.
  • il est peu accroché au terrain : le réseau dépend du nombre de nœuds.
  • Si le réseau est simple, casser un ou deux nœuds permet de l'affaiblir sensiblement. Mais augmenter le nombre de nœuds revient à étoffer le réseau, au point d'en faire une structure continue.

Z'en pensez quoi ?

O. Kempf

Commentaires

1. Le mardi 30 avril 2013, 21:58 par Colin L'hermet

Bonjour à tous !

Sympa votre questionnement, la lecture des réponses va pouvoir nous éviter de venir à votre colloque...
lol.

I)
Je n’ai jamais rien compris au concept du situationnisme, mais l’idée d’avant-garde m’a toujours bien plu.
Aussi, à la croisée de G.Debords et de D.Rumsfeld, je serais d’avis que :
a) c’est la mission qui fait le réseau (la mission fait la coalition) ;
b) et qu’un réseau doit savoir disparaître une fois sa tâche menée ;
c) donc que la mission confiée à un réseau doit être localisée et simple, ce qui contribue à en faire un dispositif segmentaire
localisée car par exemple le pré carré n’avait pas vocation à défendre tout le territoire français mais seulement une pseudo-ligne ;
simple car par exemple le dispositif US de balises sousmarines early warning ne savait mener que de l’écoute sonore ;
d) c’est là qu’apparaîtraient les notions de subréticulation et de sousréseau
c’est l’articulation-réticulation puis l’empilement de plusieurs réseaux qui doit fournir la complexité et doit permettre la mise en œuvre de dynamiques intersectorielles
Historiquement, les réseaux stay behind US ont progressivement modifié leur mission de résistance armée ou de frappe derrière les lignes une fois les soviétiques en Europe en une mission activiste contre l’influence politique communiste, dès lors que l’influence politique communiste s’est révélée pouvoir être un préalable à une prise de contrôle militaire sans heurt frontal.
Aussi la complexification de leur mission a-t-elle causé leur perte, en ce qu’elle a nécessité qu’il se muent en SAC et autres loges politiques actives au lieu de rester dormants-en veille.
On pourra relever 2 décisions stratégiques qui se sont révélées contreproductives : i) mener une activité dans des secteurs pour lesquels ils n’étaient pas initialement équipés, et ii) une inadéquation de leur dimensionnement pour la mission choisie de tenir un territoire et des esprits (un tel maillage sociétal contredit toute possibilité de clandestinité sauf à reposer-fusionner avec l’appareil étatique-gouvernemental sous peine de concurrence-lutte dont le réseau ne saurait être assuré de sortir vainqueur, car le réseau ne peut ETRE l’Etat).

Une première conclusion, en somme empruntée à GW.Leibniz et G.Debords, serait que :
. dans nos système politiques centralisés et centralisateurs,
. le réseau est une aberration qui permet du saut dans des milieux linéaires
. aussi doit-il être vu et mené comme une avantgarde,
. dimensionnée en deçà d’une taille critique qu’il sera toujours malaisée de fixer
. et doit disparaître-s’effacer une fois cette mission atteinte.

II)
1) Sur une constitutivité du réseau.

Le point a vocation à débuter et terminer tout parcours, comme une simple extrémité de ligne.
A contrario, le réseau, interviendrait au long du segment. Ce qui ne peut que faire (me) penser à la notion de pli. Que l’on pense GW.Leibniz, G.Deleuze ou F.Herbert (guild navigator’s capability to fold the space and time, in Dune).
Chez G.Deleuze, l’idée de discontinuité aboutirait non sur des points proches "comme le sable fluide en grains" mais "comme une étoffe (...) qui se divise en plis à l'infini"
(Gilles Deleuze, in Le pli, 1986 et 1988)
Ce pli devient un élément primordial de tout labyrinthe et donc de toute complexité.
Il induirait la notion de dynamique jusque dans l’apparente immobilité.
A titre de curiosité, une telle dynamique de l’immobilité est illustrée mathématiquement par :
. les dérivées dans le calcul différentiel ;
. et les figures fractales.
[Bien que cela paraisse marginal à notre propos, ce pourrait probablement se retrouver au cœur du prochain palier d'évolution scientifique en cosmologie. Enfin passons.]

2) Partons du principe qu’il existe distinctement :
. des réseaux stratégiques (au sens de "grande stratégie")
. et tactique-opératique (illustrant un débordement local de la seule approche sectorielle pour tenir compte d’une relative globalité (ce dernier oxymore ne peut qu’interpeller, mais il correspond à une lecture personnelle de ce que serait l’opératique).)

Dans un tel contexte bassement dichotomique, le réseau d’échelle stratégique reposerait sur la causalité finale, une vision architecturale du monde, centrale chez Leibniz.
Tandis que les réseaux de portée tactique ou opératique reposeraient sur une causalité efficiente, plus propre aux thèses de B.Spinoza.
Cette césure se théorise chez Leibniz comme une contradiction entre :
. la nécessité, incontournable car incluse dans tous les possibles du monde ;
. et la contingence, limitée, tout futur contingent étant prévu mais non nécessaire.
L’articulation entre réseau stratégique et réseau tactique passerait donc par la discrimination entre nécessité et contingence.

Hypothèse de conclusion :
. un réseau stratégique doit répondre à une nécessité ;
. un réseau qui ne répondrait qu’à une contingence serait un réseau tactique-opératique.
(truisme tellement évident que je crains que plus personne ne l'énonce clairement]

3) En terme de société, la totalité de nos systèmes de relations serait emplie-animée d’une profusion de plis. Que l'on pense au téléviseur qui vous projette au loin, ou qui vous apporte le lointain, sans passer par la case "proximité". Du saute moutons avec le réel.

Si l’on anachronise Leibniz pour qui le monde était un système de substances régies par les monades et se répondant sans pour autant interagir, on pourrait considérer qu’une telle description colle à la vision égoïste et égocentrique à l’ œuvre dans les sociétés dites occidentales (définition, par défaut, d'un Occident pour ceux qui se pensent ne pas en être].
Le retour sociétal de l’individu comme centre et terminaison de toute chose vient nourrir l’idée du réseau, sans pour autant qu’il soit la monade, mais seulement une substance parmi les autres.
Cela viendrait relativiser la question du réseau : si on le met au service de l’individu, on ne développe aucun finalité stratégique.
Si on le met au service d’autre chose que de l’individu, on développe une finalité systémique, donc potentiellement stratégique.
Donc en apparente contradiction :
. contre E.Kant, l’individu dans le réseau doit être pris comme un moyen, et non un but ;
. et avec E .Kant et G.Orwell, l’HOMME doit être le but du réseau, et non son moyen.

Seconde conclusion : tout réseau qui ne sépare pas l’individu de l’Homme, et qui se met au service de l’idée de l’individu est par essence contreproductif.

Troisième conclusion : un réseau fait lien entre des lieux, pas entre des personnes. Lieux territoriaux-territorialisés au premier sens, ou lieux symboliques-paradigmatiques comme une idéologie ou un concept (lieu de pouvoir, champ de connaissance, affinité émotionnelle, etc).

Conclusion :
NOS réseaux demeurent des réseaux artificiels, au sens qu'ils ne découlent pas de la Nature et des lois naturelles ou du Réel.
A une telle échelle ils sont anomiques et atéléologiques et ne peuvent trouver de place dans un monde réellement globalisé-interdépendant. L'interdépendance causale est en effet en contradiction avec le pli affinitaire que constitue le réseau.
En outre, la finitude redécouverte du monde devra nous conduire à ramener-recentrer sur un long terme nos dispositifs au sein de cette finitude.
Dans le cas des réseaux, leur étendue supposée ou souhaitée et leur centralité, contemporaines, fait entrer en contradiction :
. cet horizon de finitude et de causalité ;
. et le mouvement de flux et reflux entre fragmentation et affinité, qui semble inhérente à la gestion politique du bien commun ;
. or le politique demeure pour l'heure au centre du fonctionnement de nos sociétés.
Les réseaux, tels la langue chez Esope sont donc le meilleur et le pire des objets philosophiques.

Faute de pouvoir les fusionner au réel linéaire, il convient donc de les employer intelligemment, et donc prudemment, comme la bulle temporaire qu'ils sont dans l'ordre inéluctable des choses./.

Bien à vous,
Cl'H./.

égéa: je retiens notamment : "un réseau fait lien entre des lieux, pas entre des personnes". En revanche, je demeure circonspect (je ne dit pas "pas d'accord") sur " le politique demeure pour l'heure au centre du fonctionnement de nos sociétés". Je crois que c'est réellement le débat contemporain...

2. Le mardi 30 avril 2013, 21:58 par Colin L'hermet

Bonjour Dr Kempf,

Quoiqu'éloigné de notre sujet "réseau", sur votre pertinente remarque du débat contemporain autour de la place laissée au politique.

L'étude du rapport de force fait clairement apparaître :
. certes la diminution d'une hégémonie de ce politique,
. mais la maintien d'une supériorité.

Les forces de maintien de l'ordre et la légitimité de l'usage de la violence (retournement de la proposition consacrée) demeurent entre ses mains.
Dans l'acception commune, toute contestation se doit de demeurer nonviolente, seule sa masse devant lui apporter une (la) victoire en atteignant un seuil critique ; les mouvements radicaux violents ne sont pas encore, ou plus (cf ActionDirecte, RAF, BR et années de plomb dans certaines démocraties) considérés comme adaptés-appropriés-pertinents.
(cf votre colloque l'an passé sur les typologies de révoltes]
Donc à cette heure, en relative application de Locke, nous sommes encore dans un système constitué politique soumis à la question de la relégitimation (refondation du trust) avant éventuelle implosion (Liv.2, de mémoire).
Toute la question réside dans l'amoindrissement de la différence de potentiel de pouvoir entre :
. les éléments détenant-convoitant les organes-leviers de gouvernement
. et les éléments constitutifs d'une société qui considère qu'elle les subit.
Y.Cadiou ou M.Gauchet évoqueraient le très grand décalage entre société française et des élites par définition aristoi.
Une aspiration de délégation de kratos au demos, mais au sein d'un système accepté-vanté comme méritocratique, finalement élitiste, qui débouche sur une aristocratie, notamment en raison de la caisse de résonnance de notre système représentatif biaisé.
Mais le politique, quoique contesté, demeure aux commandes.
Et il va résister, même mal, à cette contestation :
. par le dédain et l'ignorance ;
. ou par un meilleur "accompagnement de l'opinion".
Sans un choc exogène, le rapport de force resterait en sa faveur.
ce choc, peu souhaitable, peut néanmoins intervenir ; ce serait probablement celui de l'hallali économique sur notre dette (encore grimpée de 89,3 à 90,2 % du PIB).
En outre, certains, conscients de l'effacement de la culture d'exemplarité (qui définissait un horizon moral en magnifiant notamment des modèles héroïques d'incarnation d'une moralité incontestable), estiment que cette vacuité nécessite d'autant un retour du politique. Ce seraient les modalités de ce politique régénéré qui resteraient alors à affiner voire refonder.

Donc, rituel de la dévolution : le politique est mort, vive le politique ?
Sinon, on est mal !
./.
Bien à vous,
Colin./.

égéa : mais oui, la question est celle de la légitimité de la violence, versus l'efficacité politique. Or, aujourd'hui, le pouvoir (en France, en Europe, aux États-Unis, au Japon, bref, dans tous les systèmes démocratiques) démontre surtout son inefficacité. Sa légitimité fond, même s'il a encore le monopole. Il a le monopole de la violence légale, la légitimité demeurant celle de l'habitude. Le choc dont vous parlez, exogène ou endogène, risque de rompre cette habitude. D'où la hantise de fraternisation des forces de police. Le politique est mort, paix à son âme, inventons autre chose, qui soit en phase avec deux symptômes contemporains : l'individu, et le présent.

3. Le mardi 30 avril 2013, 21:58 par yves cadiou

Je voudrais, mais je ne peux pas et j’en suis désolé, apporter des idées géniales à votre réflexion sur les réseaux. Le sujet est vaste parce que toute organisation est réseau.
Chaque élément de l’organisation se positionne par référence aux autres éléments en recherchant la position qui lui est le plus favorable. Chaque élément participe, volontairement ou non, à un résultat collectif. C’est valable pour un réseau de places fortes, pour un banc de poissons ou un vol d’oiseaux migrateurs en formation. Valable aussi pour nous, modestes egeablogueurs qui sur de nombreux sujets prenons part à une pensée collective où chacun donne, ou ne donne pas, son point de vue, chaque lecteur ou commentateur étant là pour ses propres motifs. Nous avons déjà souvent abordé cet aspect des choses sur ce blog.

Mais j’interviens parce que je voulais surtout réagir à votre récente affirmation (à la fin du commentaire n°2) : « le politique est mort » selon vous. Non : pas exactement. Ce qui est mort, c’est seulement un système politique en vigueur chez nous, celui de la Démocratie représentative. Tué par l’abus qu’en ont fait ceux qui étaient supposés représenter le Peuple souverain, ceux qui se chargeaient de traduire notre pensée collective. Vous voyez que je reste dans le sujet.
On est passé de la représentation à la confiscation pure et simple. Récemment le refus de soumettre à referendum une question de société qui divise profondément les Français, l’affirmation selon laquelle on est un « ennemi de la démocratie » si l’on réclame un referendum, ce sont des symptômes de cette confiscation devenue tellement systématique que le personnel politique lui-même n’en est plus conscient. Certes le système politique coupable de cette confiscation n’y survivra pas longtemps mais on ne peut pas dire que « le politique est mort ».
La démocratie représentative est en passe d’être remplacée par la démocratie directe où des machines à voter (qui sont déjà installées dans certains bureaux de vote en dépit de la réticence de beaucoup d’élus) seront mise en réseau et permettront la consultation facile des citoyens sur les questions importantes. Vous parliez des aspects opérationnels des réseaux : mais « hors du cyber », disiez-vous d’emblée. Pourtant le cyber, on est obligé d’y revenir car c’est le fait majeur de notre époque.
Le changement de siècle, c’est maintenant.

égéa : oui, vous avez raison. Mais on ne peut pas dire que toute organisation est réseau. Ou plus exactement, il faut préciser l'ordonnancement du réseau. Un système hiérarchique est une organisation, et usuellement, on ne l'assimile pas à un réseau. La démocratie représentative est la traduction de cette organisation hiérarchique. Et en cela, je suis assez d'accord avec votre diagnostic. C'est cela que signifiait le "politique est mort" : il est victime d'une organisation dépassée, et donc d'être devenu, comme tant de structures, une affaire de notable. Il n'y a plus de militants, il y a des permanents ans les partis. Même chose, au passage, chez les syndicats. Que le nouveau leader de la CGT ait passé toute sa carrière professionnelle comme permanent du syndicat démontre son professionnalisme, mais aussi les failles d'un système. Au fond, notre système manque d'amateurisme ...

4. Le mardi 30 avril 2013, 21:58 par Colin L'hermet

Bonsoir Dr Kempf,

Sur les réseaux, je repense à mes vagues cours de cristallographie.
Je crois notamment me souvenir que la forme extérieure du cristal est entièrement héritée de la maille initiale (mono ou triclinique, orthorhombique, rhoboedrique, cubique, etc), elle-même fixée par le type de liaison interatomique mise en oeuvre (angle, longueur, affinité électronique).
Un peu comme la figure fractale globale est héritée de la figure de base qui s'y répète à l'infini.

Et donc, nos réseaux : leur caractéristique méta ou macro n'est-elle pas également héritée des liaisons micro ?
Un réseau est-il catégorisé-sérié à l'échelle macro ou selon ses constituants micro ?
Qu'est-ce qui distingue finalement le réseau de l'assemblage organisé, lorque vous estimez que toute toute organisation ne fait pas réseau pour autant ?
Car un cristal complexe ne comporte pas qu'un type d'atomes, mais une (très petite) variété, dûment hiérarchisée, et cependant ordonnancée en réseau à l'infini.

(egea : idée intéressante, mais qui utilise implicitement une hypothèse : celle de la reproduction du schéma de base. Or, bon nombre de réseaux me paraissent avoir des structures diverses, justement et tout d'abord parce qu'ils s'appliquent à des territoires, forcément variables, discontinus, non symétriques.) 

Plus orthogonalement, pour rester sur le sujet du politique dans sa contemporaine mutation forcée, je vous fais passer infra une petite note d'un entretien de Marcel Gauchet en avril dernier dans les soubresauts politiques d'alors (transparence, transparence).
Inutile de la publier dans votre fil, mais j’en retiendrais que l’ingouvernabilité que l’on prête à notre démocratie proviendrait :
. d’une relative désaffection des institutions dédiées à recueillir le sentiment politique des citoyens, accentuant la professionnalisation de la politique ; tandis que la démocratie dite d'opinion relaie et amplifie les attentes insatisfaites et de plus en plus fortes de ces citoyens apparemment dépolitisés ;
. d’une élévation, pourtant, de la conscience politique, non encadrée par le politique qui y a perdu l’autorité de la parole publique ;
. et de l’incapacité politique à faire face à une situation que nous avons mondialement laissé se développer en dehors du politique (le modèle de l’emprise hégémonique et acceptée de l’économie) rendant de facto inopérant les outils politiques classiques.

Aussi, les mesures proposées paraissent-elles dérisoires et inefficaces à mesure qu'elles se succèdent assorties d'un discours répétitif qui ne les explicite pas clairement, discréditant doublement les gouvernants.
L'un des derniers points porte sur l'aberration que continue de constituer le mode de fonctionnement du Parlement en ses deux chambres./.

Bien à vous,
Cl'H./.

Egea: le diagnostic de Gauchet me semble dire l'essentiel. Quant à refuser deux chambres, c'est ne pas comprendre l'utilité de la deuxième, qui est de représenter les territoires (le grand conseil des communes de France, disait on autrefois). Cette déviation pose aussi problème, car la réunion de tous les pouvoirs politiques par la majorité actuelle démontré l'impuissance du politique. Ce qui renvoie à la deuxième partie de la démonstration, celle de l'acceptation d'un ordre économique supérieur, et qui en plus n'est pas régulé. Il reste que le pouvoir à le monopole de la violence, et que le jour ou le pouvoir se réveillera, l'économie tremblera...

==

1789, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen
proclame que tous les citoyens doivent bénéficier des droits à la "liberté, propriété, sécurité et résistance à l’oppression"
(Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, adoptée par l’Assemblée constituante)

1989, triomphe du principe démocratique planétaire
cumulant le bicentenaire de l’entrée en scène de la démocratie et sa confirmation 2 siècles après

2004, Marcel Gauchet publie Un monde désenchanté ?
2007, Marcel Gauchet publie La démocratie d'une crise à l'autre

A la suite de ses ouvrages, on prête à Marcel Gauchet une inquiétude face à :
. la montée des droits ;
. la dissolution du corps social ;
. et une possible ingouvernabilité de la démocratie.

Mais plus qu’une ingouvernabilité, il y croit percevoir une carence constitutive du politique devant ce qui est le déterminant de la vie collective.

I) La société serait en attente de "discours politique en mesure de dessiner une réponse [plus] constructive" et moins réactive, dans un contexte de multiples tensions.

1) cadre européen perçu de plus en plus comme une contrainte privant de toute marge de manoeuvre

2) crise de confiance profonde dans les possibilités nationales

Les Français étaient potentiellement "des veaux" en regard du cadre référent et transcendant qu'était la nation, aujourd'hui estompé par un effet ciseau :
. des fragmentations communautaires domestiques dues à la striction économique
. et l'essoufflement de la dynamique européenne un temps mue par le questionnement post guerres mondiales et continentales sur le risque nationaliste.

En 2012, l'élection présidentielle porte un candidat au pouvoir, au moment où la société prend tardivement conscience de la crise et de sa nature lourdement systémique.
Progressivement, se font jour :
. le sentiment inquiet que la France ferait partie "des perdants de la mondialisation dont nous devions tirer des bénéfices"
. et la probable nécessité d'un changement assumé d'orientation sociétale
. tandis qu'un tel point d'inflexion-retournement n'était pas spontanément pris en compte dans le logiciel de la gauche lors de son accès au gouvernement

3) insuffisant "accompagnement de l'opinion" au sens de Paul Thibaud

Apparaissent désormais des contraintes spécifiques pour pouvoir s’adresser efficacement à une société, contraintes par lesquelles les médias devraient idéalement jouer un double rôle :
. démystifier l’action du pouvoir par exemple afin d’éviter la démagogie ;
. "mais aussi faire comprendre les contraintes qui sont celles d’un homme de pouvoir en exercice".
Néanmoins, ces rôles sont insuffisamment joués, aussi l’hystérie politique répond-elle à l’hystérie médiatique.
On ne peut que constater une contamination des organes de presse et d’information par le ton de la dérision et de la perte complète d’autorité.
Lequel ton s’adresse à la chose publique en général par l’éventail élargi de la communication.
Donc se produit un changement profond du mode d’adresse entre gouvernants et gouvernés.

4) s’ensuit un double malentendu :
. un très grand décalage "dans la perception de l'inquiétude profonde qui traverse la société française [par] ses gouvernants" ;
. et l’inquiétude de l'opinion sur une possible déconnexion de la réalité chez les gouvernants.

5) faute de solution collective satisfaisante, tentation de repli sur les solutions individuelles
alors même que la gravité des enjeux commanderait une "mobilisation des énergies collectives"

II) crise de l’autorité de la parole publique et parallèlement, élévation de la conscience politique

1) érosion de la confiance autrefois automatique-systématique des français envers les gouvernants

Moment paradoxal :
. constat de dépolitisation
qui accentue mécaniquement la professionnalisation de la politique reposant sur l'éloignement-indifférence des citoyens
. démocratie d'opinion
où les attentes de plus en plus fortes des citoyens dépolitisés génèrent une pression équivalente par tous les moyens sur les hommes politiques professionnalisés

Nous serions "face à un approfondissement des démocraties dont le mouvement de nos sociétés témoigne".
Ce même mouvement de nos sociétés apporte une gamme de problèmes jusqu’alors inconnus dont nous n’avions pas idée, au point de nous constituer des défis.

L’essoufflement du modèle de l’emprise hégémonique de l’économie
plaide pour une redécouverte du sens du gouvernement politique.

2) ce vide appelle d'autant à la nécessité de retour du politique, dans son double rôle :
. son rôle fonctionnel de cohésion de la société, somme toute encore rempli, puisque nos sociétés tiennent encore très fortement ensemble en dépit des fragilisations avérées ;
. et son pouvoir d’entraînement, aujourd’hui défaillant, qui vise à permettre le dessin du mouvement, fût-il rétrospectif afin d’offrir l’impression d’une prise sur ce qui s’est passé.

La situation du décideur glisse donc d'une posture de guide per se à un rôle relégitimé :
. de curateur de la situation
. ayant établi et fait connaître un diagnostic préalable
. puis un horizon vers lequel gouverner.

or, les mesures proposées paraissent dérisoires et inefficaces à mesure qu'elles se succèdent assorties d'un discours répétitif

Le sentiment d’impuissance découle donc de l’incapacité politique à faire face à une situation que nous avons laissé se développer en dehors du politique, rendant de facto inopérant les outils politiques classiques.

Car "que signifie la démocratie si nous ne pouvons rien sur ce au milieu de quoi nous vivons ?"

3) dans nos sociétés, effacement de la culture d'exemplarité qui définissait l'horizon moral en magnifiant notamment des modèles héroïques d'incarnation d'une moralité incontestable

Pourtant, la politique serait un dilemme permanent entre :
. une vision ;
. et la détermination des moyens à se donner afin de mettre en oeuvre son programme.

"Le goût du pouvoir, c'est le goût d'exécuter ce qui paraît important, ce qui paraît indispensable pour le pays à un moment donné, (...) pas uniquement être salué par des huissiers à chaîne et avoir une automobile à cocarde"
(Pierre Mendes-France, 15/05/1977)
Pierre Mendes-France rejette une dichotomie de la morale vantant une utilité publique-politique de l'emploi de la rouerie et blâmant néanmoins le mensonge dans la sphère personnelle.

Or Pierre Mendes-France est un homme occupant une place particulière dans l'imaginaire national :
. grande aura découlant de son vertueux moralisme en politique digne du plus grand respect ;
. et pourtant symbole de l'échec en politique de par son poids somme toute faible sur le destin du pays.
. Paradoxe illustré par la longévité de son rival Edgar Faure rarement cité en dépit de la 30aine de postes ministériels qu'il a occupés.
En conclusion, voilà un homme qui refusait les moyens de son ambition.

La reconnaissance-conscience "de ce qu’est la politique et des exigences du travail politique" font que cette crise systémique pourrait être le moment "où un vrai progrès de la démocratie serait concevable"
car l’on pourrait y être "honnête dans le maniement de moyens qui ne le sont pas" afin de poursuivre et atteindre des buts nobles.

4) "un représentant doit des comptes à ceux qu’il représente, (…) principe inscrit dans les textes et contourné de toutes les façons. Aujourd’hui les moyens existent de le faire exister réellement"

le régime présidentiel serait le cheval de Troie de la démocratie d’opinion au sein du système parlementaire
(Jacques Juillard, in revue Le Débat 174, 02/2013)

"c’est un sujet qui n’a pas encore émergé, mais qui est inexorable : la manière dont fonctionnent nos assemblées, Assemblée nationale et Sénat, va tomber un de ces jours dans le scandale public ; les moeurs parlementaires demeurent marquées d’un sceau d’Ancien régime qui est insupportable quand il est vu de près. Alors ça reste encore une affaire d’initiés, de temps en temps ça sort timidement."
cf Bruno Botella, auteur de Petits secrets et grands privilèges de l'Assemblée nationale, 01/2013
(Marcel Gauchet, 11/04/2013)

Est rendue nécessaire une "réflexion systématique sur les conditions nouvelles dans lesquelles fonctionne le système politique à l’heure de l’information"

mais tout en se gardant des "dangers considérables de confusion" :
a) un suffrage censitaire inversé qui exclurait les citoyens dotés au-dessus d’une certaine somme ;
b) le trouble jeu de l’appel à la transparence qui peut induire une société de la suspicion, de la surveillance et de la délation-dénonciation
"quand les uns jouent le jeu de la transparence, les autres sont ipso facto accusés d'avoir quelque chose à cacher" ;
c) la délégation progressive aux fonctionnaires des responsabilités politiques pourrait être une conséquence induite par ces mesures mécaniques et non réfléchies prises pour répondre automatiquement à une émotion ressentie. Les fonctionnaires n’ont pas à se saisir du pouvoir du politique.

Jacques Julliard propose pour sa part, de façon un peu vague, de "combiner les organes de la démocratie représentative d’hier avec les courants de la démocratie d’opinion d’aujourd’hui".
Et d’ajouter "pour que la démocratie devienne quelque chose pour tous, il faut qu'elle cesse d'être tout pour quelques-uns".
(Jacques Juillard, in revue Le Débat 174, 02/2013)

(Marcel Gauchet, 11/04/2013)

5. Le mardi 30 avril 2013, 21:58 par Colin L'hermet

Bonjour Dr Kempf,

I) Oui, vous avez raison.
L'aberration du réseau qui se répèterait à l'infini sans trop de hiérarchie, c'est l'unique Facebook à son démarrage.
. A son démarrage, car il ne tarde pas à parvenir à une finitude ou à un plateau où le remplacement des sortants n'est pas assuré par les entrants. La constitution exponentielle du réseau a fait le réseau. Les mouvements ultérieurs ne font que l'entretenir.
. Sans trop de hiérarchie, bien qu'il en existe une explicite : les gens sont massivement l'ami de quelqu'un, c'est ce dernier qui détient la tête de ce sousréseau, qui alloue les droits sur son espace qui est alors celui de référence. La technique lui a alloué un rôle hiérarchique sur son espace, qu'il n'aurait ni imaginé ni revendiqué spontanément.
Pourtant, nulle autre hiérarchie que celle des rapports humains, en ce que l'amitié est censée être une relation bidirectionnelle, dont tous membres égaux. Pourtant dans les faits, la dissymétrie demeure, certains tenant les rôles d'alpha et publiant unilatéralement, certains de bêtas, les autres la meute.
. Les autres réseaux qui viennent à l'esprit (résistance, renseignement, lobbying, veille sanitaire) comportent une hiérarchie, des coupecircuits, des fusibles, etc. Ces formes sont dictées par leur stratégie, qui se nourrit des contraintes inhérentes à leur milieu de déploiement. Aberrant, le réseau Fcbk existerait pour sa part sans hiérarchie ?
Ce serait en raison de sa non stratégie : créée pour faire réseau, l'application a ensuite subi une cotation économique. La finalité originelle se satisfaisait de la mainmise divine de son créateur-développeur, i.e. créer une centralisation-nodalisation de proche en proche ; la surcouche ultérieure de stratégie économique ne dépendait que du poids final, pas de la réticulation : c'était de la vente de réseau au kilo ou à la louche.

Nous avons donc là, étonnamment, le contrexemple du réseau : Fcbk est dans son acception mondiale actuelle le produit d'une vente de réseau clef en main ; la constitution et l'animation réticulaires ont été antérieures à cette taille critique qui en fait désormais un objet commercial, nécessité financière pour permettre son maintien (énergie, infrastructures pour data et appli, etc).

Fcbk est donc l'exception qui tend à confirmer votre lecture.

II) Sur M.Gauchet : il ne remet nullement en cause le bicamérisme et les champs dévolus à chaque assemblée, non, non !
(Vous aurez probablement achoppé sur l'expression d'Ancien régime).
Il pointe juste l'existence-maintien d'une ribambelle de privilèges octroyés aux élus, qui se justifieraient d'autant moins que a) une crise budgétaire et financière est à l'oeuvre (130 M € de dotation budgétaire pour le chap.122 de la réserve parlementaire, retenue à la source séparément sur chacun des divers mandats, etc) et que b) l'élévation de la conscience politique et le tintamarre médiatique donnent l'illusion de réduire le gap de compétence entre professionnel de la politique et citoyen gouverné (moi, à leur place, je).
C'est en cela que le système apparaît clairement soit injuste soit bien difficile à défendre.
Rien de plus dans le constat de M.Gauchet.

III) "Il reste que le pouvoir à le monopole de la violence, et que le jour ou le pouvoir se réveillera, l'économie tremblera".
Vous évoquez ici une possible sortie par le haut : on pourrait lire Etat où vous écrivez pouvoir.
Or vous écrivez pouvoir, pas Etat, c'est significatif. Ce pouvoir est protéiforme.

Certains lecteurs évoquent parfois une sortie par le bas, dans laquelle c'est une portion de la base populaire qui se réveillerait, se saisissant d'une large part du droit de violence jusqu'à la reformation du pouvoir selon ses volontés, et où la structure étatique, peu modulable, tremblerait (là encore, je crois paraphraser Locke).
J'observe que dans ce dernier cas, l'économie aura un boulevard pour elle, sauf à ce que le pouvoir reformé puisse-sache peser sur l'économie./.

Bien à vous,
Colin./.

égéa : III ) oui, c'est l'alternative, rarement évoquée dans les prospectives post-chaotiques que nous entendons en ce moment... Tout le monde se réfère au modèle révolutionnaire, celui de l'insurrection qui met à bas le pouvoir en place, trop faible (1789 ou février 1917). Il peut y avoir un modèle terroriste, au sens premier de la terreur : la terreur d'Etat. Mais en 1793 ou 1919, il y avait une idéologie révolutionnaire !

6. Le mardi 30 avril 2013, 21:58 par Ph Davadie

Du réseau à la politique...

Les places-fortes du pré carré ne me semblent pas être représentatives d'un réseau dans la mesure où elles constituent davantage une ligne de front.
En 1636, l'année de Corbie (certes antérieure aux places-fortes du pré carré), la chute de celle-ci a entraîné une panique à Paris (et plus tard Le Cid de Corneille...). Et ce ne sont pas d'autres places-fortes qui l'ont secourue, mais une "levée en masse" opérée par Richelieu. Nul doute que le même schéma se serait reproduit avec les places-fortes du pré carré si l'une d'elles était tombée de la même manière qu'en 1636.
J'en déduis qu'un réseau doit pourvoir se régénérer lui-même, qu'il est temporaire (car quand il est entièrement connu, il devient inutile) et que, s'il ne permet pas la concentration des forces amies, il permet la dilution de celles de l'ennemi. forcé de combattre plusieurs adversaires simultanément.

Par définition, l'État détiendra toujours le monopole de la violence légale, car c'est lui qui légifère. Quant à la violence légitime, c'est une autre affaire puisqu'il faut définir ce qui est légitime. Or, l'auto définition de Weber (l'État a le monopole de la violence légitime) est perverse car elle revient à admettre que l'État est lui-même source de la légitimité par laquelle il se définit. "Au commencement, l'État créa etc." ? Douteux...
Et la même remarque vaut pour l'exemplarité. Être exemplaire, la belle affaire ! Car sur quoi fonde-t-on l'exemplarité, qui décide de ce qui est exemplaire, et si je m'estime exemplaire, qui peut alors me contester ?

7. Le mardi 30 avril 2013, 21:58 par Ph Davadie

Concernant le pré carré, en lisant "Tactique théorique" du général Yakovleff, je suis tombé sur l'exemple de la bataille de Denain (23 et 24/07/1712, victoire du maréchal-duc). Sa relation conforte mon idée que ce n'était pas un réseau au sens actuel du terme, puisque Le Quesnoy se rend le 03/07, et que le prince Eugène peut s'en aller menacer Landrecies dans la foulée.
La victoire qu'exploite Villars lui permet de reprendre dans la foulée Douai (08/09), Le Quesnoy (04/10) et Bouchain (19/10).
Il n'y a pas eu de secours d'une place-forte à l'autre comme cela aurait dû être le cas si elles avaient constitué un réseau au sens où nous l'entendons.
Mais on peut considérer que le réseau en était à son stade embryonnaire.

égéa : merci de ta conclusion, qui sauve la mise de mon exemple. Cela étant, tu auras remarqué que c'était le plus ancien de la série, et que les autres sont plus récents. Peut-être est-ce d'ailleurs une conclusion partielle : le développement du réseau accompagne l'évolution historique et tend à succéder (plutôt que remplacer) au territoire.

8. Le mardi 30 avril 2013, 21:58 par Ph Davadie

L'exemple était effectivement ancien, mais il m'a incité à fouiller encore plus avant dans l'Histoire et m'a conduit à une réflexion que je t'expose ci-après.

La limite du pré carré est un réseau matériel alors que les autres exemples sont des réseaux humains.

D'où, première question, mis à part les réseaux naturels (non voulus par l'homme donc, tels que fluviaux, marais, etc.), l'homme peut-il en construire d'autres ?
Bien sûr me dira-t-on, les réseaux informatiques. Certes, mais ils sont récents. Existe-t-il des réseaux plus anciens, matériels et faits de main d'homme ? Je n'en sais rien. Et le réseau routier ? J'aurais tendance à croire qu'il n'a pas été voulu en tant que réseau, mais qu'il s'est révélé tel.

De là se pose ma deuxième question, les réseaux voulus par l'homme sont-ils nécessairement humains ?
En replongeant dans l'Histoire, avant la célèbre victoire du maréchal-duc, on peut estimer que les réseaux humains existaient déjà. Les Hébreux du temps de l'exil en Égypte qui se passent le mot pour mettre le sang de l'agneau sur leurs portes afin que leurs premiers-nés ne soient pas touchés par l'ange exterminateur ; du temps du grand Roi les réseaux de camisards qui donnaient l'alerte, etc., les exemples doivent abonder.

Peut-on alors, par induction, postuler que les réseaux humains sont construits en réaction à, ou pour se protéger de quelque chose ?
Ainsi les réseaux de partisans ("ami, si tu tombes, un ami sort de l'ombre..."), les réseaux de voisins vigilants en France qui ont pour but de lutter contre ou de se protéger de quelque chose.
De même les réseaux d'alerte.

Peut-on alors pousser le raisonnement plus loin, en estimant que les réseaux sont de nature défensive, et que s'ils peuvent aider à prendre un pouvoir quelconque, ils ne peuvent se maintenir en état une fois qu'ils l'ont pris, car un pouvoir établi a toujours tendance à se structurer pour durer : il ne fédère plus autour d'une résistance à une menace, mais il doit fédérer autour de lui (ce qui pour nous, Gaulois, est particulièrement difficile).

S'ensuit qu'un pouvoir, même issu d'un réseau a tendance à ne plus accepter le fonctionnement en réseau, car il privilégie la structure qu'il met ou veut mettre en place.
Ce qui expliquerait que les pouvoirs établis sont incapables de comprendre correctement l'internet, donc la cyber, et y voient davantage une menace que des opportunités.

egea : plusieurs réactions : 1/ Souviens toi des faubourgs et zones urbaines, au cours des années 90 : ces réseaux fabriqués étaient d'incontestables obstacles, d'où tout le développement sur le combat zone urbaine (dont on ne parle plus trop en ce moment  passé de mode). Mais ils étaient artificiels, pas simplement "humains". 2/ Réseau, structurellement défensif ? oui, c'est intuitif. Toutefois, un réseau log peut servir l'offensive. 3/ Un pouvoir privilégie la structure qu'il a mise en place : mais ça, c'est eut-être l'ancien monde, et la cause de la faillite du politique... Pas seulement un cas français, d'ailleurs...

9. Le mardi 30 avril 2013, 21:58 par Ph Davadie

D'accord avec tes remarques, quelques interrogations résiduelles cependant.

Je précise mon interrogation 1. L'homme peut effectivement construire des réseaux, mais depuis quand les construit-il en tant que tels ? Les routes ont été tracées pour aller le plus vite possible d'un point à un autre, l'archétype étant les voies romaines, et de moyen de rallier Rome le plus vite possible, elles sont devenues réseau routier. Mais était-ce l'intention initiale ?
J'aurais tendance à penser que les réseaux artificiels modernes (mais quand commence cette modernité ?) sont conçus ab initio en tant que tels car leurs avantages ont été constatés depuis...le début de cette modernité.

La remarque 3 incite à se demander si on peut gouverner en s'appuyant uniquement sur un réseau et non sur une structure établie. Les exemples militaires inciteraient à répondre "ça dépend". Si l'on veut juste se défendre, un réseau armé suffirait, mais il serait inopérant en cas de conquête.
Et l'exercice est difficile à envisager dans notre État jacobin.
Faut-il alors trouver un nouveau modèle d’État, ou retrouver dans notre Histoire un tel modèle qui fonctionnerait via des réseaux et serait donc mieux à même de comprendre le fonctionnement du réseau des réseaux ? Qui laisserait donc une plus grande autonomie aux individus et n'agirait uniquement lorsqu'on le lui demande. Un État subsidiaire, par exemple ?

égéa : des États comme Venise ou Gênes autrefois, comme Singapour aujourd’hui, sont des États réseaux, qui optimisent les réseaux. Peu de territoires, mais la maîtrise des liaisons. Il reste qu'entre les réseaux, il y a des territoires.... Peut-on contrôler un territoire comme on contrôle un réseau ? voici, je crois, la question politique et stratégique du moment.

10. Le mardi 30 avril 2013, 21:58 par Colin L'hermet

Rebonjour,

Faire réseau : les dynamiques qui interviennent entre éléments constitutifs d’un réseau découlent de leur hétérogénéité primale(I). C’est pourquoi cette construction dépend autant de contraintes extérieures que de l’affinité élective (II). Néanmoins les types apparemment nouveaux de réseaux permis par le progrès technologique interrogent sur leur capacité de contribution au progrès humain (III).

I) Quelles dynamiques interviennent entre éléments homogènes ou hétérogènes d’un réseau ?

I.1) "Qui se ressemble s’assemble" ?

Adage reposant sur un truisme au sens de étymologie, mais qui ne saurait que partiellement illustrer la logique à l’œuvre dans la constitution de réseau.

Certes, dans le cas d’un réseau naturel fluvial, il y a regroupement selon :
. l’application commune et incontournable de la loi de la gravité ;
. et la convergence de courbes de niveau.

Ensuite, la vie-animation-dynamique de ce réseau se met en œuvre notamment selon :
. les densités respectives des liquides se rejoignant ;
les matières en jeu peuvent évoluer sur la densité, qui vient nécessairement modifier les équilibres de mélange ;
. et la pression relative à chacun des cours d’eau ;
que l’on songe aux assèchements d’affluents, inversement, aux grossissement par afflux de matière, ou encore, aux surpressions effectuées en estuaire par les marées océaniques.

Nous sommes donc bien en présence d’un réseau naturel constitué par le rassemblement de choses semblables (l’eau) et animé de proche en proche par plusieurs différences de potentiel, entre caractéristiques externes dont l’altitude, et dans le même temps entre caractéristiques internes.

Pourtant, intuitivement, on pourra objecter par exemple que les eaux ne possèderaient pas les mêmes densités, donc ne seraient plus si semblables en observant un niveau infra fluvial. Et que l’eau du fleuve peut charrier d’autres choses, rendant bien dissemblables les constituants du réseau.

I.2) La ressemblance ne semble donc pas être la valeur centrale de l’assemblage.

Car un parfait asocial aura-t-il envie de se joindre à un autre asocial sur la simple base de leur commune détestation de la société ou du genre humain en général ?
Il y aurait dans ce cas au moins nécessité de ce que nous appellerons connivence avant même d’envisager l’affinité.
J’ai vu des grand-messes de service où des protagonistes, prononçant, à voix basse après une proposition audacieuse d’un pair, "surtout ne pas péter", se sont soudainement reconnus comme lecteurs de Franquin (in Idées noires, 198xxx). L’étincelle d’estime mutuelle soudain mobilisée entre ces garnements -t-elle pour autant débouché sur un travail en réseau au sein des liens fonctionnels déjà entretenus ? Eux-seuls sauraient le dire. J’aurais pour ma part tendance à penser qu’ils se sont perçus sous un autre point de vue, pas qu’ils se sont rapprochés.

Toujours dans l’idée de la dissemblance, on remarquera que les réseaux cristallins sont constitués d’atomes différents qui viennent à se lier entre eux.

I.3) Constitution et constitutivité d’un réseau cristallin.

Tentons de procéder par analogie en alignant quelques observations sur la maille cristalline qui est caractérisée notamment par une distance interatomique et un angle.
Or ces deux caractéristiques sont héritées de l’affinité électronique interatomique.
Laquelle affinité repose elle-même sur la valence de l’atome qui découle des répartitions des orbitales de Bohr (s, p, etc).
Un phénomène que l’on pourra qualifier de disponibilité électronique intervient donc dans la constitution du lien interatomique. Ce lien est qualifié d’hybridation d’orbitale. La disponibilité est une donnée intrinsèque.
Par ailleurs, la constitution d’une maille fait également intervenir une opportunité : la proximité d’un atome présentant une valence exploitable. Cette opportunité est un fait extérieur.
La pression étant une grandeur destinée à rendre la mesure d’une force sur une unité de surface, donc du poids d’une quantité de matière sur cette unité surfacique, on déduit une proportionnalité entre pression et densité atomique. Donc la pression réduit la distance entre éléments atomiques ; selon la disposition des orbitales et leur spin, la pression favorise l’hybridation électronique.

En résumé, la possibilité de lien dépend :
. d’une proximité héritée de la contrainte extérieure ;
. d’une capacité à l’affinité entre les éléments.

Mutatis mutandis, on pourrait observer que les assemblages-maillages humains semblent connaître la même logique

Rq : il faut admettre que cette proposition est biaisée par l’anthropocentrisme dont n’a pu s’abstraire réellement l’observation de la maille cristalline. Exemple : l’angle de maille, non transposable de prime abord, a été laissé de côté dans la réflexion menée. Ce bémol apporté, poursuivons notre raisonnement biaisé.

II) Le réseau humain doit-il répondre à des finalités précises ?

II.1) "Nécessité fait loi"… de regroupement ?

Les ensembles humains connaissant leur propre "pression" que l’on pourrait assimiler aux contraintes sur l’individu sociabilisé.
On pourrait donc postuler que l’accroissement des contraintes sur l’individu tend à le rapprocher géographiquement des autres individus. Une société soumise à une difficulté de survie connaît un maillage interindividuel plus fort qu’une société confortable… dont les individus s’éloignent relativement les uns des autres (métrage d’habitation supérieur, distanciation géographique des zones de logement, distances culturelles dont linguistique et comportementale, etc., les formes de distanciation pouvant fort bien être distinctes ou entretenir des liens entre elles, en dehors du propos).
Un réseau devrait donc pouvoir apparaître au sein de l’ensemble humain, sur la simple base de contraintes particulières sur les individus qui composent l’ensemble initial : que l’on pense à l’évident "réseau des solidarités", au réseau qualifié de "communautaire" ou communautariste lorsque la contrainte est ressentie sur l’identité, ou encore au réseau de la logistique militaire (dans ce dernier cas, la contrainte qui se manifeste étant celle de l’attrition).

Rq : pour exister, ces fameuses contraintes particulières potentiellement génératrices de réseau doivent :
. certes se manifester ;
. mais également être ressenties ;
. ce dernier point pouvant déboucher sur l’existence de contraintes particulières objectivement inexistantes, et purement subjectives.

II.2) De l’affinité électronique à l’affinité élective : la volonté de discriminer.

On a pu voir que le réseau naturel hydrographique connaît sa constitution selon :
. l’application de la loi de la gravité (contrainte globale) ;
. les courbes de niveau (opportunité de convergence des potentiels gravitaires) ;
. et homogénéité de substance de l’eau (semblance moléculaire).

On a également pu voir précédemment que les atomes différents se liaient :
. opportunément selon leur proximité ;
. et systématiquement sous l’effet de l’affinité découlant de la valence.

Or le lien humain interindividuel est autrement plus complexe. Car les potentiels pris en compte, et leurs différences mises en jeu, ne sont pas nécessairement quantitatifs. Ils sont même bien souvent qualitatifs, car empruntant au champ du logos ou de la sémantique.

Une telle différence de potentiel peut se renommer discrimination.
Elle procède d’une démarche volontaire, au contraire des réseaux naturels.

Il y aurait donc dans les réseaux artificiels et humains la manifestation de la volonté :
. à l’échelon stratégique puisque le réseau anthropogène poursuit nécessairement un objectif ;
. et à l’échelon des constituants puisque l’affinité y est mue par la volonté.

De cela découle que le réseau connaîtrait 2 dynamiques :
. une dynamique globale, centrifuge ;
puisque le réseau a vocation à s’étendre et à mailler un espace territorial (matériel) ou symbolique-sémantique (virtuel) ;
. et une dynamique interne centripète ;
puisque les composants ont tendance à se rapprocher à mesure que la pression s’accroît.

III) La globalisation du monde a pu conduire à aborder de manière inadéquate l’une des deux dynamiques contradictoires à l’œuvre dans le concept du réseau.

III.1) L’élongation technologique du lien du réseau a manifestement contribué à l’émergence d’une nouvelle lecture du concept de réseau.

Les télécommunications, comme leur appellation l’indique, proposent et permettent toujours plus de capacité d’élongation des liaisons sans risquer de les amoindrir pour autant. Ce phénomène n’est pas nouveau.
De ce fait, les réseaux dits sociaux pourraient n’être qu’une n-ième manifestation de la capacité et de la volonté de faire lien dans la communauté humaine.

Pourtant, les plus fameux de ces réseaux recèlent une double particularité :
. dans l’échelle de cette mise en réseau ;
. et dans la relative absence de contrainte objective pesant sur leurs constituants humains.

En effet, une contrainte totalement subjective est à l’oeuvre dans le schéma de ces réseaux : la nécessité d’en faire partie.
Il convient ici de faire une nouvelle fois le distinguo entre sociétés que nous appellerons par facilité société de confort et société de survie (césure caricaturale et forcément inexacte mais qui permet de poser le terme des enjeux pour l’individu).
Dans ces dernières, l’appartenance à un réseau virtuel dit social vient doubler les liens interindividuels qui président à la survie (sociale, économique voire au sens premier i.e. pour ne pas mourir de la violence létale d’un adversaire).
En revanche, dans des sociétés de confort, l’appartenance à un réseau virtuel dit social vient compenser la dissolution du lien affinitaire primal.
Or si la télécommunication est censée pouvoir passer outre les recompositions géographiques, elle vient également, par le biais de l’incomplétude de l’identité présentée par les individus composant ce réseau, donner l’illusion d’un lien affinitaire.

Rq : il est intéressant de noter que ce sont les sociétés qui sont à la source du développement technologique qui présentent au niveau global le maillage le plus lâche entre individus ; en revanche elles mettent en œuvre ces maillages artificiels entre individus qui viennent resserrer le maillage affinitaire de sous-groupes de ces sociétés, fragilisant d’autant l’idée de groupe global. La notion apparemment agrégatrice de réseau vient au contraire saper l’idée du vivre ensemble.

La problématique du réseau apparaît ainsi en toute lumière : la confiance.

III.2) Une évidence : au coeur de l’affinité et de la discrimination, se trouve la confiance.

Les dérivés du terme de "confiance" demeurent la foi, la crédulité ou la fiducie.

Cette confiance, dont pourra découler l’affinité, se retire d’ordinaire soit de la proximité et de l’expérience (école de St-Thomas), soit du credo (d’aucun pourront choisir d’évoquer le dogme).

Il faut convenir que faute de proximité et d’expérience, la plupart des usagers de réseaux s’en remettent au dogme. En effet, l’incertitude est l’un des plus inconfortables sentiments. De ce fait, le renoncement à toute forme de confiance est quasiment interdit à l’Homme.

Le dogme ayant cours actuellement dans la thématique des réseaux consiste en une mesure scientiste de leur robustesse, de leur étanchéité, ou de leur résilience.

Paradoxalement, cette approche tendrait à attester d’une impossibilité à déterminer clairement la confiance à porter à la formation de ces réseaux à la fois artificiels et virtuels qui mettent en chaîne humain et matériels.
L’horizon Kantien est nié par l’acception postmoderne de réseau virtuel : l’humain y est un composant, un moyen. A l’échelle stratégique, l’idée de l’Homme doit en demeurer en but, sous peine d’aller contre l’espoir de progrès.

Les réseaux de résistance, réseaux de réaction à la contrainte exercée sur l’Homme, étaient et demeurent donc moralement supérieurs aux réseaux de réaction à la contrainte ressentie par l’individu. C’est selon cette typologie qu’il conviendrait de les aborder./.

Bien à vous,
Colin./.

égéa : excellent, surtout le 2, puis le 3.... Je médite.

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