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Une armée sans défense aujourd'hui, pour une défense sans armée demain ? (G2S)

Le G2S réunit les officiers généraux en deuxième section. Ayant eu des responsabilités, ils connaissent les affaires de défense et ont en même temps une plus grande liberté de ton. Depuis quelques mois, je vois passer les exemplaires de leur "lettre du G2S". La dernière en date (n°82 de mars 2014) présente un diagnostic (je laisse l'adjectif au lecteur : lucide ? sévère ? alarmiste ?) de la défense française. Une première mouture préliminaire avait été diffusée (fuitée) en janvier sur le site de la Saint-Cyrienne. Cela avait suscité l'agacement de certains. J'ai reçu récemment la deuxième mouture. Voici un texte qui me semble argumenté et raisonnable, loin du ton polémique qu'on trouve malheureusement trop souvent dans les "débats" français. C'est ce qui le rend intéressant. Je n'en publie que la synthèse.

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SYNTHÈSE DU DOSSIER

La politique de défense suivie depuis 1996 - date de la professionnalisation des armées - peine à stabiliser un appareil militaire qui connaît des réformes permanentes depuis plus de vingt ans. Si les armées ont pu absorber les chocs successifs de la disparition du Pacte de Varsovie et du passage à l’armée de métier, il en va bien différemment de ceux provoqués par la révision générale des politiques publiques et accentués par la crise économique depuis 2008.

Le constat d’un malaise existentiel au sein de la communauté militaire n’étonne pas dans ce vent de réformes qui souffle depuis 1996. En effet, il ne s’appuie sur aucune prospective concernant notre politique de défense, les enjeux stratégiques, les menaces et les missions des forces. La réalité impose de dire que notre système de défense ne répond plus à l’ensemble du spectre des scénarios d’emploi possibles. Si bien que pour le militaire, la perception d’un fossé grandissant entre l’analyse de la situation mondiale actuelle et la réalité des capacités militaires en Europe et en France, se fait chaque jour plus crue. Pour cette communauté, les capacités opérationnelles ont atteint le seuil bas de la crédibilité pour deux raisons : d’une part, la modestie du contrat opérationnel dans sa révision issue du Livre blanc de 2013, présenté comme celui de l’engagement majeur, et, d’autre part, la difficulté pressentie à l’honorer dans le contexte économique de la loi de programmation militaire 2014-2019. Par ailleurs, les hommes et les femmes de la défense s’estiment malmenés par les réformes structurelles qui leur sont imposées dogmatiquement, qui obèrent la cohérence de l’institution et portent atteinte à leurs spécificités. Le rendement des bases de défense alimente ce sentiment, comme l’incapacité d’une administration qui calque ses modes de fonctionnement sur ceux - inadaptés pour elles - des entreprises du secteur économique. Cette situation ne semble plus de nature à permettre aux armées de répondre à une surprise stratégique - retenue pourtant par le Livre blanc - par une remontée en puissance dont les conditions initiales sont mises à mal par des mesures d’organisation qui semblent irréversibles. Enfin, l’effort financier réel au profit de la défense apparaît volontairement surestimé dans le discours politique, alors que la défense ne représente que 3,2 % de la dépense publique annuelle.

Les causes de cette situation sont multiples. Les causes premières relèvent de la responsabilité d’une classe politique qui méconnait les questions de défense et laisse l’administration civile de l’Etat tenir en la matière une place indue. La hiérarchie militaire, de son côté, éprouve des difficultés croissantes à assumer sa fonction naturelle de conseiller doté de compétences propres et reconnues. D’autres causes, secondes, en découlent naturellement. L’absence de prospective ne permet plus d’orienter la réflexion de défense et se fait sentir dans les mesures d’organisation ou les arbitrages sur les moyens. Aucun scénario d’emploi des forces n’est étudié pragmatiquement pour les définir et les dimensionner. A la tête de l’administration de l’Etat, le primat de l’économie prévaut sur toute autre considération et prend le pas sur la décision politique. Parallèlement, une entreprise de désinformation, nourrie à la base par l’appareil administratif et relayée par les faiseurs d’opinion discrédite une hiérarchie militaire soupçonnée d’incompétence et qui reste inaudible pour nos concitoyens comme pour sa propre base. L’effort de défense, autant intellectuel que matériel, reste notoirement insuffisant ; financièrement, il n’a jamais été aussi bas depuis la fin de la 2ième Guerre mondiale. Sur la pente budgétaire acquise depuis 2008 et poursuivie avec obstination, il n’est plus en mesure de répondre au niveau requis au renouvellement des équipements, à leur entretien, au bon fonctionnement courant des forces ni à un niveau satisfaisant de leur préparation opérationnelle. Un taux « plancher » de ponction sur la richesse nationale demanderait d’être restauré, selon les normes définies par l’OTAN, à hauteur de 2,5 % du PIB. Tout ceci résulte, en fait, d’une forme de négation de la spécificité de la défense et des armées.

Les solutions devront être énergiques ; elles ne sont pas insurmontables. En premier lieu, il s’agit pour la classe politique de se réapproprier les questions de défense en restaurant l’Etat dans son rôle régalien. Cette action passe par une prospective enfin active sur tous les domaines qui mettent en jeu l’avenir de la Nation. Ensuite, il faut exiger l’implication des responsables militaires dans l’organisation des armées pour garantir le respect du caractère singulier de l’institution, rendu nécessaire par son rôle exorbitant dans les temps d’épreuve. Cette spécificité impose de restaurer la hiérarchie militaire à la place qui est la sienne sous l’autorité politique et de lui reconnaître sa compétence et sa légitimité dans tous les domaines qui conditionnent l’efficacité opérationnelle des forces. Enfin, l’organisation à finalité opérationnelle des armées devra résulter d’un nouvel équilibre entre les moyens de la dissuasion nucléaire et ceux de l’action conventionnelle quotidienne, entre ceux de la projection de puissance et ceux de la projection de forces, entre les interventions extérieures et les impératifs de sécurité et de défense sur le territoire national. Les choix technologiques devront être arbitrés au regard du besoin réel et de leur impact sur une industrie de défense indispensable à l’exercice de la souveraineté nationale.

Dans le cas de la France, la restauration d’une défense forte est d’autant plus impérieuse qu’il n’existera pas avant longtemps la garantie d’une Europe de la défense en mesure de répondre aux menaces qui montent et qui pèsent sur le continent.

G2S

Commentaires

1. Le dimanche 4 mai 2014, 09:54 par yves cadiou

Commençons par une évidence : les officiers supérieurs en retraite (dont les G2S font partie, grosso modo) présentent tous la caractéristique de n'avoir jamais été civils.
De ce fait ils n'ont pas conscience d'avoir passé leur vie dans un ghetto statutaire qui les coupe totalement du monde politique auquel ils tentent de s'adresser. Que l'on m'excuse de parler ci-après à la première personne, c'est indispensable pour la démonstration.

Chaque année je participe à la réunion de ma promo de Saint-Cyr. C'est une réunion purement amicale. “Purement” est l'adverbe exact : elle est exempte d'arrière-pensées, on y parle librement. Ainsi j'ai découvert qu'à la fin de ma deuxième carrière dans la fonction publique territoriale (FPT) j'étais mieux payé qu'aucun militaire de ma promo, qui comportait pourtant un CEMAT, un GMP et un DGGN.

Certes, au seul regard de l'échelon de rémunération j'étais moins payé. Mais si l'on y ajoutait les primes et les avantages en nature (qui n'apparaissent jamais en totalité sur les documents utilisés pour faire des comparaisons officielles), la différence était à mon avantage. Mes multiples primes et fonctions annexes ajoutaient 75% à ma paie de base ; en plus de ces primes j'utilisais en toute légalité mon véhicule de fonction pour mon usage personnel et familial, y compris pour emmener ma famille en vacances à l'étranger (carburant payé en bons d'essence fournis par l'administration); ayant droit à un logement de fonction, j'étais logé gratuitement dans une maison de location que j'avais choisie (j'ai découvert trop tard que certains de mes collègues, de façon parfaitement légale, étaient propriétaires du logement qu'ils occupaient et touchaient ainsi en plus le loyer versé par la collectivité pour les loger). Ces pratiques sont coutumières et normales dans la FPT : ni le contrôle de légalité effectué par les préfectures, ni la Cour des Comptes n'y objectent jamais ; les services fiscaux sont clairement informés lors des déclarations de revenus, il n'y a pas de dissimulation mais seulement de la discrétion.

Tout ceci pour dire que les élus locaux quand ils deviennent ministres, habitués d'être entourés par des hauts fonctionnaires de la FPT, sont stupéfaits de découvrir la frugalité des officiers supérieurs et généraux. Stupéfaits de découvrir des gens qui se contentent de primes aussi rares que minimes et surtout de ce fameux “quart de place” qui ne permet même pas d'emmener gratuitement la famille à Marbella.

Dans un monde où le principe est “dis-moi combien tu gagnes, je te dirai qui tu es à mes yeux”, le militaire est par conséquent quelqu'un qui n'a aucun prestige et que l'on n'écoute pas.
Alors du fond de leur ghetto statutaire les G2S peuvent scander en chœur et en cadence “des sous pour la Défense ! Des sous pour la Défense !” personne ne les écoute. Bien sûr le Chardon nous dit que “ça suscite l'agacement de certains” mais cet agacement n'est qu'une feinte pour donner l'impression qu'on a un peu entendu.

Cependant ma conclusion est optimiste : nous sommes à la fin d'une époque. La multiplication des carrières courtes et les liens forts qui subsistent entre Cyrards civils et militaires (quitter l'armée n'est pas se désintéresser de l'armée ni oublier ses camarades) va susciter, et suscite déjà, une prise de conscience chez les militaires. Ceux-ci, qui ont en maintes occasions démontré leur capacité d'évolution, vont évoluer, comprendre enfin le fonctionnement de la société politique qui les tient soigneusement à l'écart, et s'y imposer. Pour ma part j'ai compris trop tard et désormais je ne peux que m'employer à faire comprendre afin que la pression des militaires sur les décideurs politiques soit enfin efficace dans l'intérêt du Pays. Afin que les officiers supérieurs en retraite cessent de croire qu'ils font leur devoir en se contentant de donner des coups d'épée dans l'eau.

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