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Nucléaire : contre-idée reçue n° 3

Suite de ma série sur les contre contre idées reçues (voir ici et ici). Aujourd'hui, Idée reçue 3 : « Le bouclier antimissile est un bon complément à la dissuasion ». Dénoncée par P. Quilès. Examen de ses critiques.

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On est surpris de trouver cet argument en tant qu’une idée reçue en faveur de la dissuasion, comme si les auteurs n’avaient pas perçu le débat auquel tentait de répondre la formule. Selon eux, la formule serait le fait des Américains qui voulaient plaider en faveur de la mise en place de ce bouclier antimissile, à la fin des années 2000. Il y a ensuite beaucoup de confusions, entre d’une part le projet américain (dans sa dernière version, celle d’approche adaptative phasée) et d’autre part la décision alliée (OTAN) prise au sommet de Lisbonne de 2010. Confondre le projet américain et sa composante alliée est déjà malvenu (passons sur l’erreur suggérant que la phase 3 vise des missiles intercontinentaux qui ne sont en fait pris en compte que par la phase 4, celle-ci ayant d’ailleurs été récemment annulée par Washington).

Dire ensuite qu’il y a une sorte de contradiction entre la dissuasion nucléaire et la lutte antimissile, tous les experts l’ont signalé et notamment les experts français. Ceci a d’ailleurs suscité l’opposition initiale de Paris à la DAMB. En effet, l’enjeu est double d’un point de vue théorique. Soit l’antimissile remplace la dissuasion, et alors pourquoi conserver celle-ci ? C’était la position allemande, et cette proposition est à peine signalée par une note de bas de page (p. 135). Or, ce débat est central et provoqua une quasi brouille entre Paris et Berlin en 2010. Cela mena justement à expliquer que la DAMB ne peut remplacer la dissuasion et que l’arme nucléaire demeure au fondement de la posture stratégique de l’Alliance, ce qu’énonce explicitement le concept.

Dès lors, pourquoi opter pour un bouclier antimissile? Effectivement, celui-ci est une demande américaine, de longue date. Ce n’est pas une demande européenne car au fond, l’Europe ne se sent pas menacée par des missiles venant de pays voyous. Il y eut donc un compromis pour céder aux demandes américaines, compromis qui fut résolu par la notion d’arme complémentaire.

Stratégiquement, elles sont bien complémentaires, nous y reviendrons. Cela suppose en effet de regarder d’un peu près les caractéristiques techniques d’éventuels missiles agresseurs et celles des réponses possibles. Dans cette gamme, dissuasion et antimissile constituent des réponses différentes. Elles sont donc bien complémentaires. Après, est-il nécessaire de se doter « en plus » d’un bouclier est une question pertinente. Mais elle ne remet pas en cause par elle-même, la dissuasion. Ou alors, cela suppose de la part de nos critiques qu’ils soutiennent l’idée qu’un bouclier antimissile assure autant d’assurance de sécurité que la dissuasion : pourquoi pas ? (toutefois, tous les spécialistes expliquent le contraire). Mais cela suppose un argumentaire qui n’est pas effectué par les auteurs.

Autrement dit, la DAMB peut tout à fait être critiquée, mais il s’agit d’un débat distinct de celui touchant à la dissuasion. Se prévaloir des faiblesses théoriques de l’antimissile pour mettre en cause la dissuasion est une technique rhétorique connue mais qui ne doit pas abuser. Surtout que paradoxalement, les faiblesses de l’antimissile, justement soulignées, amènent en fait à perpétuer la dissuasion.

Vous avez dit cohérence ?

O. Kempf

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