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Dissuasion et DOM COM

Traditionnellement, le discours sur la dissuasion nucléaire française ne mentionnait pas les DOM-COM (je mets ici de côté le cas de Mururoa qui nécessiterait un billet particulier). Il y avait plusieurs raisons à cela.

source

Tout d'abord, une ambiguïté rhétorique instrumentalisée et permettant de conserver dans l’incertain la situation de ces territoires périphériques. Bien sûr, la doctrine des trois cercles suggérait le contraire (leur exclusion du parapluie) mais la question n'avait jamais été vraiment discutée.

Ensuite, une raison pratique : vouloir protéger l'ensemble des territoires extérieurs nécessitait des moyens qui étaient hors de portée. Avoir des installation portuaires nucléaires est déjà hors de prix en métropole, vouloir établir un dispositif mondial aurait incontestablement dépassé les moyens, tant en infrastructures qu'en matériels militaires et équipages associés. Toutefois, en tant que de besoin, il serait toujours possible d'envoyer quelques avions avec des missiles et en cas d'extrême besoin, un SNLE aurait pu élargir sa zone de patrouille, du moins théoriquement.

Enfin et surtout, la principale menace se situait sur le territoire européen qui concentrait l'attention et les efforts.

Les choses sont-elles en train de changer ?

Si l'ambiguïté demeure de mise, les deux autres facteurs peuvent évoluer. D'une part, la portée des missiles embarqués augmente l'allonge et permet donc d'inclure des puissances régionales menaçantes qui étaient autrefois hors de portée. D'autre part, la menace tend à se déplacer. Certes, la zone Antilles Guyane d'un côté et la zone Pacifique ne sont heureusement pas concernées (si on exclut la question des deux mers de Chine). Il n'en est pas de même de l'océan Indien. En effet, les acteurs de la région s'arment. L'Inde augmente ses capacités (voir ce papier qui suggère que l'Inde s'engage dans la construction d'une bombe H, ce qui est éminemment proliférant), chacun sait désormais que l'Iran est un pays du seuil, le Pakistan va réagir aux efforts indiens et Diego Garcia (île britannique devenue un appendice américain et le centre de gravité opératif de leur influence militaire dans la région) est à portée de croiseur.

Certes, tous ces efforts se concentrent dans la partie septentrionale de l'océan et la Réunion est donc en bordure de cet espace conflictuel. Toutefois, la France a des intérêts et notamment deux bases militaires, celle de Djibouti et celle d'Abu Dhabi. On est alors beaucoup plus proche du cœur de conflit. Il est peu probable qu'on puisse assimiler ces bases au rang des "intérêts vitaux". Autrement dit, la question ne se pose pas encore telle quelle.

Mais le propos de ce billet vise seulement à décentrer le regard. Seul moyen d'éviter les surprises.

O. Kempf

Commentaires

1. Le lundi 7 juillet 2014, 23:04 par Ph Davadie

Et cette intéressante question est-elle prise en compte par nos anciens "hauts responsables" qui sont pris d'une frénésie de désarmement, critiquant le catéchisme et ses dogmes nucléaires ?

égea : ben.... je n'en sais rien, très cher !

2. Le mardi 8 juillet 2014, 18:42 par yves cadiou

Le concept de dissuasion du faible au fort fut pendant plus d'un quart de siècle le dogme incontournable justifiant l'arme nucléaire française. C'est le Livre Blanc de 1972 qui transforma en dogme le concept de dissuasion du faible au fort, essayant à cette occasion de justifier le maintien d'un service militaire obligatoire qui n'avait plus lieu d'être. Ce dogme de la dissuasion du faible au fort, confortable pour les stratégistes patentés qui se régalaient à faire l'exégèse de tous les textes oraux ou écrits le confortant, ne pouvait pas couvrir les DOM-TOM parce qu'il se référait aux intérêts vitaux.

On évitait de parler des DOM-TOM parce qu'ils étaient difficilement assimilables à des intérêts vitaux pour la France. Mais au fond le dogme ne pouvait pas non plus couvrir la Corse, ou l'Alsace-Lorraine, ou le port du Havre, ou la Corrèze, ou la préfecture de Quimper ou la sous-préfecture de Saint-Flour : ces régions, infrastructures, départements, villes ou bourgades n'étaient pas non plus, tout bien considéré avec cynisme, absolument nécessaires à la survie de la France.

Le sujet était d'autant plus délicat que quinze ou vingt ans plus tôt Guy Mollet, maire d'Arras devenu président du conseil, avait dit “l'Algérie c'est la France”. C'était idiot mais les stratèges ne voulaient pas voir (et l'on était mal venu de leur faire observer) que la France survivait désormais sans l'Algérie, et même assez bien car elle en pompait les ressources humaines sans pourtant y avoir la charge du maintien de l'ordre, de la santé, de l'entretien des routes et réseaux, des écoles, etc...

Que déduire aujourd'hui de ces constatations ? D'abord que nos vieux schémas sur “les intérêts vitaux” étaient déjà périmés quand ils étaient neufs. Ensuite et surtout que les moyens qui ont été entretenus en application de ces vieux schémas existent et que leur valeur devient enfin claire alors qu'ils ont été longtemps mal compris. On ne dira jamais assez (mais les historiens le diront, j'en suis sûr) la crasse épaisse que fut la pensée stratégique française à la suite du Livre Blanc de 1972. L'incompétence du personnel politique était confortée par l'excès de discipline (excès joliment qualifié de “discipline intellectuelle”) des militaires, compétents mais n'osant pas affirmer des points de vue susceptibles de déplaire au pouvoir politique.

Depuis les années soixante nous possédons l'arme nucléaire et ses moyens de lancement. Depuis lors notre doctrine, non dite mais réelle, c'est : “tout conflit grave que nous ne parviendrons pas à régler par la négociation ou par nos armes classiques (qui sont relativement faibles) deviendra nucléaire et concernera donc toute la planète ; par conséquent tout le monde a intérêt à éviter qu'on nous chatouille”.

Ce raisonnement, trop clair pour être poliment présentable, n'est cependant pas totalement tabou : en juin 1978 le Premier ministre français l'a dit officiellement. Mais sa déclaration contredisait tellement le dogme que, trop embarrassante, elle fut peu reprise : “rien ne dit que nous n'emploierons pas l'arme nucléaire outre-mer” (je cite de mémoire un discours prononcé le 18 juin par Raymond Barre au camp de Mourmelon, discours cité seulement par le mensuel “armées d'aujourd'hui”). On était alors en pleine opération Tacaud au Tchad et cette déclaration n'arrivait pas par hasard : elle couvrait ceux qui étaient sur le terrain, notamment contre l'éventualité d'une attaque chimique qui aurait pu venir de Libye.

Par conséquent notre arme nucléaire couvre aussi les DOM-TOM, d'autant mieux que depuis les années 80 nous disposons de l'ASMP transportable partout, et peut-être aussi d'autres vecteurs équipés de tête de même puissance que l'ASMP (je dis “peut-être” mais on n'en dira pas plus, laissant chacun imaginer à sa guise).

Si l'on veut bien oublier, parce qu'ils étaient périmés dès leur apparition, les concepts de “dissuasion du faible au fort” et "d'intérêts vitaux" pour les remplacer par la réalité, c'est-à-dire par la menace tous azimuts que sont réellement nos armes, alors les choses deviennent plus claires et nos compatriotes ultramarins peuvent être sûrs qu'ils resteront français aussi longtemps qu'eux et nous le voudront-s d'un commun accord.

D'ailleurs l'illustration de ce billet rappelle que l'on fait référence à une doctrine qui était celle d'une autre époque : le dernier essai aérien dans les Tuamotou date de 1973. Cette doctrine était erronée, l'on a raison de la mettre en doute pour que soient enfin résolues les mauvaises questions qu'elle suscite et pour que soit enfin reconnue sur de solides bases conceptuelles la pertinence de notre armement nucléaire.

Egea : 1/ Vous n'êtes pas gentil avec Poirier. 2/ Je ne connaissais pas cette citation de Raymond Barre : elle mériterait, à coup sûr, d'être retrouvée exactement... Un lecteur fera-t-il cette recherche ? Elle serait utile y compris pour les débats actuels (car vous aurez remarqué, cher lecteur, qu'il y a qq débats qui pointent autour de cette question nucléaire). En tout cas, moi, j'en serai redevable...

3. Le mercredi 9 juillet 2014, 09:48 par yves cadiou

Réponse à égéa (comm' n°2).
1) Lucien Poirier ne mérite aucun opprobe. C'est le Livre Blanc de 1972 qui transforma en dogme le concept de dissuasion du faible au fort. Ce concept, inventé par Poirier, avait initialement pour finalité de faire taire, dans les salles de rédaction et autres “milieux autorisés”, les ricanements suscités par la bombinette. Pour ça il fallait un raisonnement simple expliquant que nous ne participions pas à “la course aux armements” et que la faiblesse relative de nos armes n'était pas un problème.
Malheureusement la simplicité du raisonnement déclencha l'enthousiasme des stratégistes clausewitziens et binaires : ils y ajoutèrent à qui mieux-mieux des notions annexes et parasites qui obscurcissent encore aujourd'hui la question : “intérêts vitaux”, “arme de non-emploi”, “sanctuarisation du territoire” (ceci pour les missiles du Plateau d'Albion), “frappe en second (pour les SNLE), “dernier avertissement” (pour le Pluton) et même “arme pré-stratégique” !
Poirier, en faisant taire les ricanements d'un côté, déclencha d'un autre côté des avalanches d'approbations inopportunes et inappropriées : il n'y est pour rien. Un monceau de balivernes recouvrit ce qui était le véritable fondement de notre armement, pas du tout clausewitzien et trop discrètement énoncé par Alexandre Sanguinetti, en substance : “un conflit grave que nous ne parviendrions pas à régler par la négociation ou par nos armes classiques deviendrait nucléaire et concernerait donc toute la planète ; par conséquent tout le monde a intérêt à éviter qu'on nous chatouille trop”. Sanguinetti ajoutait, iconoclaste : “les Etats-Unis d'Amérique, qui pourraient être tentés de déclencher un nouveau conflit en Europe, n'ont pas intérêt à le faire car nous ferons franchir à ce conflit le seuil nucléaire et cette fois le territoire américain ne sera pas épargné.” C'était clair mais largement ignoré, recouvert par l'avalanche de balivernes clausewitziennes involontairement déclenchée par Lucien Poirier.

Aujourd'hui le monceau de balivernes d'antan n'est pas déblayé. Des ex-, que Ph Davadie regroupe ci-dessus comme “anciens hauts responsables", tentent de revenir sur le devant de la scène en s'appuyant sur ce monceau stabilisé par le temps. Ils s'écrient “arrêtez la bombe”.
Je viens de découvrir qu'Alain Juppé, “le plus intelligent d'entre eux” paraît-il, s'y met aussi. Pour être crédibles ces ex- devraient d'abord démontrer avoir compris la situation à laquelle ils prétendent aujourd'hui mettre fin.
Ils montrent seulement qu'ils n'avaient déjà pas compris la situation quand ils étaient aux affaires. Heureusement ils n'y sont plus : “la grande immoralité c'est de faire un métier qu'on ne sait pas”.

2) La citation de Raymond Barre que je mentionne dans mon commentaire précédent, je ne l'ai pas retrouvée sur la Toile. Je suis cependant sûr de n'avoir pas rêvé, frappé à l'époque par l'importance de la déclaration, pourtant peu reprise. Je me souviens avec certitude d'en avoir parlé à quelques camarades. Il faudrait retrouver des éditions-papier du mensuel “Armées d'aujourd'hui” : c'était un 18 juin pendant l'opération Tacaud, c'est-à-dire en 1978 ou 79.

Aujourd'hui pour comprendre notre arme nucléaire, il faut se référer à Alexandre Sanguinetti : ses écrits sur le sujet, comme la déclaration de Raymond Barre un 18 juin, étaient contraires au dogme et passèrent quasi-inaperçus.

Alors avec les bonnes références on comprend que certes oui, les DOM-COM sont couverts par notre arme nucléaire indépendante. De la même façon que tous ces lieux que l'on pourrait considérer comme pas vraiment "vitaux" : par exemple la minuscule île de Sein qui est "le quart de la France".

égéa : un petit commentaire quand même. L'essentiel de l’œuvre de Poirier est postérieur au Livre Blanc... Vous êtes provocateur, ce que j'apprécie (beaucoup) mais (fichtre, me voici prudent) cela verse ici dans l'outrance. Dans votre liste, je garde donc quand même la notion "d’intérêts vitaux" (à condition qu'ils ne soient pas définis, nous en sommes d'accord) et "frappe en second". Le premier permet l’ambiguïté, le second la crédibilité, les deux carburants du moteur rhétorique de la dissuasion nucléaire. Ceux-là, il faut les garder. Le reste... Je crois avoir dit et répété et même publié et pas seulement sur égéa que l'arme nucléaire est une arme d'emploi. On ne l'emploie pas grâce au moteur rhétorique. Le non emploi est un résultat. Pas une caractéristique.

Quant aux hommes politiques, ce sont les mêmes qui chantent, à rebours de toute expérience, l'Europe de la défense, sorte d'alléluiah rituel qui marque les temps forts de la cérémonie. Je crois même me souvenir que l'un deux se crut intelligent (ils se croient tous intelligents, je sais) à proposer une "dissuasion concertée" avec l'Allemagne, prouvant d'un coup 1/ qu'il ne comprenait rien à la dissuasion 2/ qu’il ne comprenait rien à l'Allemagne. Mais c'est un homme sérieux, grave, important, diplômé "des meilleures écoles de la République" et toujours habité d'un destin. Mais voilà : vous m'entraînez sur la pente de la raillerie, je me laisse aller, ce n'est pas bien.

4. Le lundi 14 juillet 2014, 23:50 par yves cadiou

A la suite des observations faites par egea au comm' n°3, je rectifie : j'ai peut-être attribué à Lucien Poirier des mérites qu'il n'avait pas. Et je complète, en essayant cette fois de n'être pas provocateur ni outrancier (mais désol' : “chassez le naturel, etc.”).

Ce qui importe maintenant au sujet de l'armement nucléaire français c'est d'examiner, plus que les ratiocinations du passé qui se situaient dans un environnement géopolitique très différent de ce qu'il est aujourd'hui, sa pertinence actuelle et future.

Pour ce faire il faut constater que les choix matériels majeurs ont été faits dans les années soixante et peut-être avant. Constater surtout que la rhétorique est apparue seulement par la suite.

Les choix matériels majeurs ont été faits avec une intention qui existait depuis 1945 au moins, perçant sous la création du Commissariat à l'énergie atomique. La dernière décision d'équipement est probablement celle du missile Pluton en 1966.

Aujourd'hui ce qu'il faut se demander, c'est si l'intention originelle reste encore valable et non le flot de commentaires théoriques qui suivit la création de l'arsenal, le justifiant a posteriori dans les années soixante-dix.

Trois notions datent de l'origine et non des commentaires a posteriori : la notion de “tous azimuts”, la notion d'indépendance, la notion de “moyens de frappe en second”. En revanche sont postérieures, secondaires et contestables d'autres notions qui fragilisent notre doctrine par leur seule existence : la notion d'intérêts vitaux, la doctrine des trois cercles et plus généralement “le discours traditionnel sur la dissuasion”.

La notion de “frappe en second” date des années soixante, avec la décision de construire les SNLE. Elle reste valable aujourd'hui. L'existence des SNLE est à préserver alors pourtant qu'un ancien ministre de la défense, Hervé Morin (“ancien ministre de la défense” : que voilà un titre qui n'est pas un brevet de compétence !) préconise de faire l'économie d'une de nos deux composantes nucléaires. Sans préciser laquelle, toutefois, ni comment il compte conserver la cohérence de l'ensemble.

La notion de “tous azimuts” , elle aussi, était déjà présente dès les années soixante. Non que nos missiles fussent braqués dans toutes les directions mais parce qu'une guerre qui menacerait la France risquait (chacun était libre d'évaluer le niveau de risque mais en aucun cas il n'était nul) de devenir une guerre nucléaire. De ce fait un tel conflit menaçait tout le monde. Notre menace planétaire, tous azimuts, reste valable aujourd'hui.

De même la notion d'indépendance date des origines et reste valable aujourd'hui.

Suis-je provocateur voire outrancier si je dis que ces notions de “tous azimuts” et d'indépendance sont précisément ce qui gène le plus à l'étranger et que là réside peut-être la véritable motivation des “anciens hauts responsables" qui retournent leur veste ?
Le prestige de notre personnel politique est si bas que désormais l'on peut tout imaginer et même ouvertement mettre en doute le loyalisme de ces gens-là, ce que je fais ici sans vergogne.

L'on peut (et doit) d'autant plus mettre en doute l'honnêteté des critiques contre notre arsenal nucléaire qu'elles ne sont justifiées par aucun élément nouveau : l'argumentaire qui les accompagne reprend seulement un débat qui a déjà eu lieu depuis longtemps et qui, déjà à l'époque, était un débat d'arrière-garde.

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Mais je reviens à la question des DOM-TOM, couverts par la dissuasion nucléaire française bien que le discours traditionnel ne les mentionnait pas. Et peut-être justement parce que le discours traditionnel ne les mentionnait pas.

Ils sont couverts encore aujourd'hui. Pour le démontrer j'imagine un scenario.
L'un de nos îlots inhabités et lointains éveille la convoitise d'une puissance étrangère pour la zone économique exclusive (ZEE) qui l'entoure. Ce pourrait être Tromelin ou un autre (Eiao, Hatutu, Motu Oné, l'île Saint-Paul...).

Une colonie étrangère débarque un jour sur cet îlot et revendique la souveraineté sur ce territoire, en déshérence selon elle et qu'elle occupe désormais.
Décision est alors prise à Paris (nonobstant le billet suivant d'égea “surtout ne rien décider”) de les déloger car ils sont, au regard de nos lois, des immigrants illégaux. Lors de cette opération d'expulsion, ils accueillent à coups de kalachnikov nos Gendarmes et l'Infanterie-de-Marine qui les escorte. Ils deviennent ainsi, juridiquement, d'abord des délinquants car la détention d'armes de guerre est un délit sur le territoire national. Ensuite ils deviennent des criminels, au regard de nos lois, aussitôt qu'ils font usage des armes. Nous les désarmons donc (on sait faire) et amenons les survivants devant un tribunal, correctionnel ou d'assises selon les cas. Mais aussitôt après arrive une deuxième vague de gens qui s'installent à leur tour sur le même îlôt (ou un autre), toujours au prétexte qu'il est en déshérence mais en fait pour s'emparer de la ZEE qui l'entoure.

On s'apprète donc à refaire la même opération d'expulsion. Notre personnel politique tergiverse et se laisse impressionner par les protestations de la “communauté internationale” mais heureusement les ressortissants des DOM-TOM, qui se sentent en première ligne face à une atteinte au territoire national, prennent l'affaire au sérieux et parviennent à convaincre l'opinion publique métropolitaine de tenir bon.

“Quel rapport avec la dissuasion nucléaire ?” me demanderez-vous. Attendez : après, ça se gâte parce que cette colonie, qui se prétendait autonome, est soutenue par une puissance étrangère qui comptait lui acheter ses droits sur la ZEE. Alors décision est prise à Paris (oui, je sais...) de procéder à un avertissement sans frais. L'on fait appareiller deux SNLE supplémentaires de l'île Longue, ostensiblement (ils passent devant les fenêtres des Brestois, comme toujours, et cette fois FR3-région est là mais relayé par satellite et sur la Toile), insistant ainsi sur nos moyens de frappe en second.

En même temps nous faisons exploser une arme nucléaire de faible puissance (comme sur la photo qui illustre ce billet, tir sur barge ou sous ballon) au large des côtes de la puissance étrangère que je mentionnais quelques lignes plus haut. Explosion hors des eaux territoriales et qui ne fait aucun dégât parce que nous avons veillé à ce qu'il en soit ainsi, mais explosion qui ne passe pas inaperçue. Aussitôt tout le monde se calme (l'on peut imaginer une autre hypothèse, mais je n'y crois pas : notre coup de semonce est suivi d'une riposte puis de contre-ripostes et c'est ainsi qu'encore une fois dans l'histoire de la Terre plusieurs espèces vivantes sont éliminées, dont la nôtre cette fois).

En calmant tout le monde par un coup de semonce, ce n'est pas un morceau de ZEE que nous avons protégé : ce sont surtout, et c'est ce qui importe, quelques hectares de territoire national. De plus nous avons confirmé l'exception française c'est-à-dire, en premier lieu, notre indépendance.

Mais mon scenario, on n'est pas obligé d'y croire. D'autant que tout repose sur l'aptitude de certains responsables à prendre des responsabilités en dépit des pressions internationales.

égéa:

Oui, cela suppose que les "responsables" se prennent à décider, ce qui n'est pas b...lé.

Juste une précision : la notion d'intérêts vitaux date de très très longtemps, comme par exemple dans le décret du 28 octobre 1913, "généralités sur la conduite de la guerre", dont l'article 1 énonce que "Le gouvernement qui assume la charge des intérêts vitaux du pays a seule qualité pour fixer le but politique de la guerre". Je sais, je suis un peu pédant, parfois. Mais pour le reste, je suis très d'accord avec votre développement.

5. Le mercredi 16 juillet 2014, 10:00 par YC

Intérêts vitaux. Ces mots n'ont pas du tout la même signification en 1913 ou lorsque l'on parle d'armes nucléaires.

En 1913, le décret que vous citez a pour objet de confirmer qu'en situation de guerre le gouvernement continue de gouverner parce qu'il a la charge des intérêts vitaux de la Nation : le personnel politique rappelle par conséquent aux généraux, à une époque où la méfiance réciproque est profonde, qu'ils n'auront pas le droit de profiter d'une situation de guerre pour se substituer au gouvernement.

Soixante ans plus tard l'on dispose des moyens de déclencher l'apocalypse et l'on évoque les “intérêts vitaux” non pour réaffirmer ses propres responsabilités mais plus probablement pour se disculper d'avoir l'audace de penser à faire un jour usage de ces armes que l'on préférerait “de non-emploi”.

En 1913, l'explosif le plus puissant dont on dispose c'est la poudre B et l'on n'imagine même pas encore l'aviation de bombardement. Peu d'années plus tôt, le directeur de l'Ecole de Guerre a pu dire “l'aviation, c'est bien pour le sport mais ça ne vaudra jamais rien pour la guerre”. Confirmation en septembre 1913 : lorsque Roland Garros parcourt 800 km en aller-simple de Fréjus à Bizerte, c'est un exploit sportif incontestable mais on est loin d'Hiroshima.

Après que nous avons disposé d'armes nucléaires les “intérêts vitaux” ont été substitués très maladroitement aux “intérêts supérieurs de la Nation”. L'on a alors affaibli la dissuasion en la précisant, oubliant que le suffrage universel ne donne pas la compétence universelle. La notion d'intérêts vitaux lorsque l'on parle d'armes nucléaires est surtout une occasion perdue de se taire.

Quant à moi blogueur de base, parce que je n'ai pas d'autre responsabilité que celle de mon bulletin de vote (1/45 000 000ème de la Nation, si on se limite au temps présent en oubliant qu'elle est éternelle), je n'hésite pas à courir le risque de perdre une occasion de me taire.

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