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Attentats de Bruxelles : une première analyse

Comme toujours avec ces attentats en Europe (car en Europe, personne ne fait beaucoup attention aux très nombreux attentats en Afrique, au Moyen Orient ou en Asie centrale, bien plus massifs cependant), le commentateur se doit d’être prudent face à la vague d’émotion et de commentaires. La poussière est un peu retombée, on commence à avoir quelques indications de ce qui s’est passé et des zones d’ombres qui demeurent. Sans entrer dans ces détails de spécialistes de l’anti-terrorisme (ce que je ne suis pas), le stratégiste peut tout de même dire quelques mots.

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Tout d’abord pour constater une accélération du phénomène. Si jusqu’à 2014, on parlait encore des « loups solitaires » (M. Merah à Toulouse en 2012, M. Nemmouche à Bruxelles en 2014, Saint-Quentin Fallavier en juin 2015), l’année 2015 voit apparaître des attentats organisés en bande : aussi bien les attentats de Charlie (janvier 2015) que de Paris (13 novembre 2015) ou de Bruxelles (22 mars 2016). Non seulement le nombre d’agressions simultanées augmente (2 en janvier, 4 en novembre, 2 en mars 2016), mais aussi (corrélativement) le nombre d’attaquants et celui des victimes (désormais par dizaines). Enfin, le rythme s’accélère incontestablement, indiquant une dynamique. Or, rien n’indique un quelconque ralentissement. Le phénomène va nous occuper encore de longues années et impose donc de le penser en termes stratégiques, puisqu’il s’agit de violence armée soutenant une cause politique.

Sur le détail des attentats de Bruxelles, constatons un lien direct (à l’heure de l’écriture de ces lignes) entre la filière Abdeslam (celle des attentats de Paris) et celle des hommes-suicide de Zaventem et Maalbeek. Il semble que l’organisation de l’attentat lui-même ait été rapidement décidée par les frères el Bakraoui (qui auraient constitué le groupe de soutien logistique d’Abdeslam). Toutefois, lancer une telle opération signifie qu’ils disposaient par avance du matériel explosif : cela suggère une anticipation plus longue que le délai de quatre jours entre l’arrestation d’Abdeslam et les attentats. L’artificier probable demeure toujours en fuite.

Autrement dit, il y a bien des « réseaux » qui sont continus. La règle du cloisonnement qui prévaut normalement en pareil cas n’est pas observée. Soit par manque de professionnalisme, soit par la nature du recrutement qui se fait dans un milieu (au sens quasi écologique du terme) ne permettant pas ce cloisonnement : vivier géographique et familial, habitué à fonctionner en vase clos, ce qui rend difficile sa pénétration par les services de police mais permet aussi, une fois l’intrusion effectuée, de progresser dans les enquêtes. Ceci explique ainsi que le filet policier se resserre peu à peu, sans avoir toutefois la garantie de tout tenir, puisqu’à chaque fois on découvre de nouvelles ramifications.

Le lien avec l’État Islamique demeure évidemment une question centrale. Constatons qu’il y a encore une certaine initiative locale, puisque le communiqué de revendication de l’EI évoque des imprécisions dues aux premières déclarations sorties dans la presse, le soir des attentats : l’EI a appris comme tout le monde l’attentat et ses « détails ». Autrement dit, dans le cas de Bruxelles, l’EI central ne semble pas (j’insiste : ne semble pas) avoir directement organisé l’opération, même s’il l’avalise, conformément à une stratégie globale de diffusion du combat.

Cependant, cette opération sert l’EI qui accumule beaucoup de revers sur le terrain. Ayant perdu 14% de son territoire en 2015, certains experts notent qu’il a encore perdu 8% dudit territoire depuis le début de l’année. Autrement dit, la stratégie d’enracinement territorial marque le pas. Or, l’EI capitalise ses ressources militaires par l’afflux de combattants étrangers, qui ne viennent que s’ils ont la certitude de rejoindre « le bon camp » (à leurs yeux), celui qui mène au succès. En « continuant le combat » au moyen de ces attentats, l’EI pérennise son image de jusqu’au-boutiste auprès de sa cible de recrutement. Ce faisant, il polarise aussi l’attention de l’Occident qui le désigne comme l’ennemi numéro 1. Accessoirement, cela facilite la résilience d’Al Qaida qui continue son action plus discrètement et légitime son discours (« déclarer le califat est prématuré, mieux vaut une stratégie progressive ») et demeure actif au Yémen, en Syrie ou au Sahel.

La multiplication des attentats entraîne cependant un autre risque, celui de la crispation des sociétés visées. Les émotions successives laissent peu à peu place à une sourde hostilité envers l’islam, malgré le mot d’ordre du « pas d’amalgame ». En cela, l’EI risque de gagner son pari, celui de répandre la discorde chez l’ennemi.

D’autant que malgré les déclarations de solidarité, malgré le ciblage de l’UE, il est peu probable que la dernière attaque suscite une véritable unité parmi les Européens. Les uns se concentrent toujours sur la question des réfugiés, les autres sur la Russie, les derniers sur leur exit. Quant aux Américains, ils sont en pleine campagne électorale ce qui ne favorise pas les décisions stratégiques fondamentales.

Surtout, personne n’est vraiment d’accord sur une stratégie globale : faut-il continuer le combat en Syrie Irak ? Faut-il au contraire favoriser rapidement un processus de paix (et comment) ? Que faut-il faire au niveau européen pour empêcher ces jeunes de se radicaliser ? Que ce soit au niveau national ou au niveau européen, personne n’a de réponse. L’appel à un FBI européen revient comme une chimère, tout comme l’appel au fichage des passagers aériens (quel lien ici avec les attentats de Bruxelles ?). Au fond, l’Europe paraît impuissante, condamnée à subir, espérant que le feu s’éteigne de lui-même.

O. Kempf

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