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Frontière et guerre, demain

C'était un colloque organisé il y a de cela deux ans, sur le thème de la frontière, à Strasbourg. J'y avais participé (voir ici) à l'invitation de J.-P. Rioux, l'historien français bien connu. J'avais traité le sujet de "La frontière et la guerre demain". Les actes de ce colloque viennent de paraître aux éditions Canopé. Mon texte également (pp. 173-194). J'en donne ci-dessous l'introduction, le plan (un 3-3, j'étais devant des historiens...) et la conclusion. (NB, pour acquérir le livre, contacter les éditions Canopé).

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O. Kempf

 

Le débat public contemporain évoque la frontière de deux façons : soit en constatant leur « disparition », soit en rappelant le principe de leur « intangibilité ». Pourtant, des événements récents viennent contredire cette perception commune : dispute sino-japonaise sur les îles Senkaku ou sino-vietnamienne sur les îles Spratleys, persistance d’un différend indo-pakistanais autour du Cachemire, construction d’un mur séparant Israël et la Cisjordanie, dispositif européen Frontex, rattachement de la Crimée à la Russie … Autant d’exemples qui nous disent que la frontière n’est pas aussi apaisée que nous en avons le sentiment en passant, sans nous apercevoir, de France à Allemagne ou Belgique grâce à l’autoroute ou au Thalys. Au fond, la frontière serait un attribut encore un peu barbare dont on s’étonne qu’il puisse encore susciter des frictions.  

Pourtant, force est de constater que ces frontières sont de plus en plus contentieuses. En Grande-Bretagne, les partis politiques disputent farouchement de la nécessité de renforcer les contrôles aux frontières. L’Italie constate la multiplication des drames de l’immigration illégale au large de ses côtes. Des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants meurent chaque année en voulant gagner l’Europe ou les États-Unis. Enfin, une des plus graves crises de l’espace européen depuis quinze ans se déroule au sujet de frontières changeantes, aux confins de l’Ukraine et de la Russie où les armes parlent. Autant dire que la frontière n’est pas cet objet aussi apaisé que nous le croyons. La frontière redevient de plus en plus l’enjeu de contentieux, parfois armés. Les rapports de la frontière et de la guerre n’appartiennent pas qu’au passé, en Europe comme dans le vaste monde : il est probable qu’il en soit de plus en plus question, dans un avenir prévisible dont il faut dire quelques mots.

Chacun connaît, depuis Clausewitz, les rapports de la guerre et de la politique. Chacun voit bien que la frontière est un objet structurellement politique. Aussi ne sera-t-on pas surpris que cette étude sur les rapports entre la guerre et la frontière emprunte, régulièrement, à l’analyse politique et géopolitique, autour de notions comme celle de l’État, de la souveraineté ou du monopole de la violence. De même, l’indication temporelle « demain » a l’avantage d’être dynamique et de nous pousser à envisager l’avenir. Toutefois, le lecteur ne sera pas surpris si cette étude se réfère à l’histoire : tout d’abord pour observer les continuités (il y en a) mais surtout pour tenter de saisir les discontinuités. C’est ce rapport entre ce qui demeure et ce qui est déjà en train de changer qui nous permettra, je l’espère, de ne pas trop nous tromper dans l’ébauche de l’avenir. Pour cela, nous proposons une articulation en trois temps, exposant tout d’abord les rapports classiques de la guerre et de la frontière, constatant ensuite qu’aujourd’hui la guerre augmente quand la frontière faiblit, ce qui conduit à envisager un chaos prévisible qui devrait bousculer certaines frontières existantes.

I Les rapports classiques de la guerre et de la frontière

A/ Frontières linéaires et non linéaires

B/ Souveraineté, enveloppe et guerre civile

C/ Voulant geler la guerre, on a gelé les frontières

II La guerre augmente quand la frontière faiblit

A/ La transformation récente de la guerre

B/ Simultanément, l’État s’affaiblit

C/ Nouvelles Dynamiques

III Un chaos prévisible qui devrait bousculer les frontières

A/ Un chaos qui s’étend

B/ Un équilibre instable

C/ Comment réinventer le politique ?

Conclusion

La coexistence de trois modes politiques (pré-westphalisme, westphalisme et post-westphalisme) entraîne des rapports différents à l’organisation du territoire et aux rapports entre entités politiques constituées. Partant, la guerre comme mode d’action et la frontière comme expression de ce mode politique sont soumises à des tendances différentes selon les grandes régions.

Dans certaines zones, on peut prévoir une « extension du domaine de la guerre ». Surtout, la plus grande faiblesse d’un ordre mondial organisé et maîtrisé par l’Occident entraîne en fait une compétition des visions de l’ordre mondial (Kissinger). Enfin, la contiguïté de ces zones soumises à des régimes différents suscite une friction générale le long de ces lignes de contention qu’on pourrait dé »signer par « méga-frontières ».

On le comprend, ce rapport tumultueux entre la guerre et la frontière n’est pas près de s’éteindre. Il s’agit désormais de réfléchir à de nouveaux schémas :

Quelle régulation politique organiser ? L’élection au suffrage universel, symbole de la démocratie, constituerait-elle la bonne formule universellement adaptée ? Comment concilier des droits individuels et des droits collectifs qui seraient porteur du « bien commun » ? Comment concevoir un régime universel qui ne soit pas une « occidentalisation » du monde et qui donc relativise le message et les valeurs occidentales ? Un régime universel qui ne soit pas unifiant et qui prennent en compte les disparités ?

Simultanément, comment concevoir des frontières poreuses, non-linéaires, adaptées au nomadisme et aux mouvements de population tels que nous les observons aujourd’hui ? Peut-on envisager des appartenances politiques multiples ?

Autant de questions qui semblent nécessaires et productrices d’ordre politique : la pensée politique constitue alors un moyen de prévention des conflits et des guerres qui s’annoncent.  

Commentaires

1. Le mardi 30 août 2016, 17:12 par Yves Cadiou
« Des frontières ! Qu'est-ce que vous nous avez encore inventé ? Il y a seulement deux genres de territoires : les secs et les humides. Pas besoin de frontière pour faire la différence. » Ainsi vient de me répondre mon copain le héron de l'Erdre à qui j'ai posé, trouvée sur egeablog, la question des frontières. Il est planté, vertical et immobile au bord du toit de sa péniche habituelle, à l'affût de la grenouille ou du goujon de passage. Son poste d'observation (et d'observationS car nous échangeons facilement nos points de vue) se situe non loin du petit pont qui enjambe l'Erdre à cet endroit. Je lui ai posé la question en m'accoudant à la rambarde du pont, presque à la même hauteur que lui : c'est une discussion d'égal à égal bien que, comme toujours, je devine le mépris un peu apitoyé qu'il ressent pour les êtres comme moi, les êtres humains. . C'est ainsi qu'il ajoute : « les frontières, c'est encore une invention de TGC ! C'est comme ça qu'on vous surnomme chez nous : les Trop Gros Cerveaux. A vrai dire le Grand Patapon n'a pas été sympa avec vous quand il a créé le monde : il ne vous a pas donné de plumes, ni de bec, mais une trop grosse tête d'où sortent des questions qui ne servent à rien. » Je connais déjà son refrain sur les TGC, alors je reviens au sujet qui m'intéresse : « seulement deux genres de terrains, disais-tu ? -- Oui : les terrains secs où l'on vole facilement parce qu'on y trouve des vents qui nous soulèvent... -- On appelle ça des vents ascendants. Ils sont créés par la chaleur. -- Si tu veux. Ça te fait plaisir de connaître le pourquoi du comment, hein ? -- Ben oui, c'est à cause de mon TGC. Et les terrains humides ? -- C'est plus difficile d'y voler parce qu'il n'y a pas de vents ascendants. -- Parce que l'humidité absorbe la chaleur. -- Ah bon, c'est pour ça ? Je me demandais pourquoi il n'y a jamais de vents ascendants sur les terrains humides. -- Tu te demandais ? -- Mais non : j'rigole ! Je ne suis pas un TGC. Et j'ai observé quelque chose de curieux : on trouve à manger seulement sur les terrains où il est difficile de voler. Le Grand Patapon a voulu que ce soit comme ça. -- Plus exactement les hérons ne trouvent à manger que sur les terrains humides. Mais les oiseaux granivores trouvent à manger sur les terrains secs. Les charognards aussi, les fructivores aussi. -- Oui : des fois on pourrait se poser des questions. Pourquoi le Grand Patapon a-t-il voulu que ce soit plus difficile pour nous les hérons qu'il a pourtant créé à son image ? » En entendant ça je me demande si le héron est capable de ressentir un doute métaphysique. Pourquoi pas, après tout. . J'essaie de le rassurer car c'est quand-même mon copain : « sûrement parce que le Grand Patapon a voulu que les hérons soient plus forts que les autres : il oblige les hérons à fréquenter des endroits difficiles pour manger. -- Oui, c'est sûrement pour ça. Et de cette façon on n'a pas besoin de frontières pour séparer nos territoires. » Il réfléchit un instant et il ajoute : « quoique... -- Oui ? -- On a parfois quelques explications un peu musclées avec les goélands parce qu'ils fréquentent parfois les mêmes territoires humides que nous. -- Pourquoi des "explications un peu musclées" avec les goélands spécialement ? J'ai vu qu'il n'y a jamais de problème avec les cormorans, ni avec les canards, ni avec les cygnes, qui pourtant fréquentent eux aussi les mêmes territoires que vous. -- Les goélands, si on les laissait faire, ils mangeraient nos œufs, c'est pour ça. -- Donc votre problème ne concerne pas vraiment les territoires et les frontières mais plutôt le comportement des individus qui vivent sur ce territoire. -- Oui, on n'a pas vraiment besoin de frontière : il suffit que les goélands sachent qu'ils n'ont pas le droit de bouffer les œufs quand les hérons sont dans le secteur. Le meilleur moyen pour qu'ils ne bouffent pas les œufs, c'est qu'ils aient peur des hérons et n'approchent pas. Tes frontières ne servent à rien s'il n'y a personne qui est capable de donner des coups de bec aux goélands. égéa : mille mercis au héron, cela faisait si longtemps qu'il ne nous avait pas donné ses grands aphorismes nécessaires et géopolitiques. Je ne désespère pas dans constituer un recueil...

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