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Intéressant débat sur le nucléaire français

La RDN a organisé hier soir un intéressant débat sur le débat nucléaire français. Nous avons entendu E Malet, J. Dufourcq, M. Drain, l'amiral Lozier (patron de la division Forces Nucléaires à l'EMA), Ph. Wodka-Galien, Monseigneur Stenger, Alain Joxe, E. Nal et votre serviteur. Des approches complémentaires puisqu'il fut question d'économie, de philosophie, d'éthique, de géopolitique et de stratégie. Je reviens sur ces deux derniers aspects à partir des notes que j'ai prises.

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Les intervenants ont ainsi évoqué la fragilité européenne à la suite des dernières tensions, mais surtout la tension en extrême Orient et les ambiguïtés demeurant au Moyen Orient. Plusieurs caractéristiques à cette situation plus fragile, probablement, qu'il y a quelques années :

  • Une incertitude intra-européenne mais aussi transatlantique
  • la montée en puissance de la Chine, qui procède à une prolifération verticale, une montée en puissance conventionnelle et la mobilisation tactique de micro-incidents (Senkaku, Spratleys) afin d'une part de regagner une certaine maîtrise sur ses marches maritimes, d'autre part affaiblir l'endiguement américain.
  • face à cela, si la Corée du nord demeure l'épine que l'on sait, la vraie inquiétude vient de la Corée du sud et du Japon qui pourraient envisager de développer une arme nucléaire, face à cette affirmation chinoise. Cela a été relevé par plusieurs orateurs.
  • en Asie du sud, la situation paraît plus stable même si le Pakistan comme l'Inde poursuivent leur prolifération verticale.
  • Au Moyen-Orient, l'Iran qui est devenu de facto un pays du seuil a compris qu'il n'avait pas intérêt à le franchir : ceci explique les négociations actuelles car l'Iran a un voisin nucléaire, le Pakistan et ne tient pas à en avoir un second, l'Arabie Saoudite
  • Le point commun à tous ces théâtres réside dans l'incertitude de la garantie nucléaire américaine. Certes, les Européens ont craint le découplage tout au long de la guerre froide. Il reste que des mécanismes de liaison stratégique avaient été mis en place. Aujourd'hui, l'incertitude américaine inquiète tous les bénéficiaires potentiels du parapluie nucléaire (Corée du sud, Japon, Arabie Saoudite) ce qui explique leur embarras actuel. Et leurs pensées les plus secrètes.

A l'issue, j'ai quant à moi évoqué la question du contournement de l'arme nucléaire : non d'un point de vue légal mais techno-stratégique

  • En effet, à supposer que tous désarment, les anciens EDAN demeureraient forcément des pays du seuil. L'incertitude persisterait puisqu'on ne saurait jamais rien des intentions. La nouvelle opacité, ainsi créée, susciterait une nouvelle course aux armements conventionnels. Autrement dit, la dénucléarisation ne garantit pas un monde plus sûr, même d'un point de vue théorique.
  • Il n'en reste pas moins que l'arme nucléaire est artificielle et a créé une sphère stratégique propre (cf. mon Introduction à la cyberstratégie)
  • Or, pour suivre Christian Malis dans son dernier ouvrage (Guerre et stratégie au XXIe siècle, Fayard), il faut apprécier le monde en trois catégories : westphalien, pré westphalien (pour faire simple, les États faillis) et post-westphalien (pour faire simple, les démocraties européennes). Or, le monde pré westphalien a contourné l'arme nucléaire par l'asymétrie : face à lui, l'arme n'est d'aucune utilité. Le monde post -westphalien est fragile (les élections de dimanche le suggèrent abondamment) : parier sur sa stabilité est, à proprement parler, un pari. Enfin, le monde westphalien est là et c'est celui de tous les émergents. Or, ce monde est nucléaire, qu'on le veuille ou non. Bref, le contournement du nucléaire ne peut s'effectuer que par un pré ou un post westphalisme. Il n'est pas évident d'articuler les deux.
  • Un autre contournement est celui non de la DAMB (le bouclier sera toujours perçable par l'épée) mais par les Armes de précision conventionnelles (Prompt Global Strikes). Ayant des effets destructeurs aussi importants et précis que le nuc, utilisant une partie de ses technologies (le spatial), il permet d’obtenir les effets guerriers sans franchir le seuil nucléaire, et donc le tabou qui l'accompagne.
  • Enfin, face à la pulvérisation de la guerre, on peut assister à une pulvérisation des armes grâce à la micro robotique qui s'annonce et le combat en essaim. La multiplication des micro robots permettrait de répondre à l'asymétrie et la pulvérisation du combat qui la caractérise.
  • Je vous accorde que ces trois dernières idées méritent d'être travaillées : il s'agissait d'émettre des hypothèses de contournement stratégique du statu quo actuel. A affiner...

Il ne s'agit là que de quelques prises de notes qui ne retracent pas l'ensemble des débats mais illustrent quelques points qui m'ont paru importants.

Parmi les points notés que je dois encore approfondir, qq idées ou expressions prises au vol :

  • L'affaire ukrainienne va renforcer la méfiance entre les États
  • Hypersonique manœuvrant
  • La dissuasion fonctionne à deux : avec la fin de la Guerre froide, il y a disparition de l'effet réciproque.
  • Comment penser la complexité, dans le cas nucléaire ?
  • Peut-on dissuader un voisin géographique, sachant que les retombées radioactives vont se rabattre chez moi ?
  • Le nucléaire est structurant du modèle d'armée : sans lui, pas de Rafale, de rens, de spatial, de FREMM, d'Atlantique 2, autant de fonctions qui contribuent au combat des trois milieux. En fait, le politique accepte de payer ces armes structurantes à cause du nucléaire : la dissuasion permet l'expéditionnaire (cf. Suez en 56 où le manque d'autonomie stratégique à conduit à l'échec stratégique d'une mission réussie sur le plan opératif).

O. Kempf

Commentaires

1. Le jeudi 29 mai 2014, 17:45 par Roland Pietrini

Je vous rejoins sur de nombreux points. Mon interrogation est plus celui du contournement que celui de la prolifération. Certes l'asymétrie en est un, ( contournement ) mais il en existe beaucoup d'autres possibles, dont la cyberguerre qui est l'un des sujets de vos préoccupations. C'est pour cela que je reste convaincu que le fait de posséder une capacité de riposte nucléaire, en tout cas dans l'intention avouée est un leurre si nous devions par cette cause diminuer notre capacité de dimentionnement classique. A cet égard le livre blanc est passé à côté, je ne suis pas certain que cela suffise à structurer un modèle d'armée,
puisque la lutte contre les détournements asymétriques et dissymétriques en imposent un autre en complément, tout aussi indispensable. Le débat est passionnant, mais je crains, qu'à part quelques retraités sympathiques et chenus qui s'y intéressent, ce débat utile n'en restera pas moins surfait, les priorités ne situent aujourd'hui ailleurs, dont celui de maintenir un outil de défense à sa juste crédibilité. ATHENA DEFENSE

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