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Nucléaire : contre-idée reçue n° 5 : « L’arme nucléaire assure l’indépendance de la France »

Je poursuis ma discussion des arguments de P. Quilès dans son dernier livre dénonçant la dissuasion française. Billet précédent ici. Aujourd’hui, "L'arme nucléaire assure-t-elle l'indépendance de la France" ?

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D’emblée, l’auteur pose un principe qui mérite discussion : « Cet argument majeur des souverainistes de tout bord fait l’impasse sur la réalité de la notion d’indépendance dans un monde où tout est devenu interdépendant ». Passons sur l’accusation polémique désignant de « souverainiste » quiconque utilise le thème de l’indépendance de la France. A ce compte-là, cela fait beaucoup de monde puisque deux Livres Blancs successifs écrit l’un par un Président de la République de droite, l’autre par un Président de gauche, on retenu cette notion d’indépendance de la France et de souveraineté.

Celui de 2013 énonce ainsi, dès son chapitre 2 (Les fondements de la stratégie de défense et de sécurité nationale) et sa première section (Préserver notre indépendance et notre souveraineté), que « Attribut essentiel de la Nation, la souveraineté est un fondement de la sécurité nationale. En affirmant dans son article III que « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément », la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen souligne que le maintien de la souveraineté nationale est une responsabilité essentielle du pouvoir politique ». Dès lors, « La stratégie de défense et de sécurité nationale contribue à garantir la capacité de la Nation à décider de son avenir dans le cadre du jeu des interdépendances auxquelles elle a librement consenti ». Et immédiatement, les auteurs précisent : « La dissuasion nucléaire est l’ultime garantie de notre souveraineté » (p. 20).

Ce passage montre bien que la souveraineté est première, qu’elle est le fondement de la Nation et qu’elle est associée dans son principe aux Droits de l’Homme et du Citoyen. Autrement dit, la souveraineté est constitutionnelle. Les « souverainistes » ne sont qu’une faction politique qui propose un projet politique d’articulation de cette souveraineté avec d’autres (alliés, partenaires, voisins européens). Par conséquent, se prévaloir de la souveraineté ne signifie pas que l’on soit souverainiste. Rappelons au passage que la souveraineté est au fondement du système des Nations-Unies, et que toute la construction européenne n’est fondée que sur des transferts de souveraineté et pas encore sur l’abdication de celle-ci. Quand bien même y aurait-il fusion des souverainetés nationales dans une souveraineté européenne, il ne s’agirait que d’un déplacement : le nouvel objet politique aurait les attributs de la souveraineté et agirait comme tel dans l’ordre international.

La souveraineté constitue l’autre nom de l’indépendance de la France. La France choisit certaines interdépendances, ce qui répond à l’affirmation « du monde où tout est interdépendant ». Non, tout n’est pas interdépendant et les Etats souverains ont encore des décisions souveraines. Ou encore, l’interdépendance ne signifie pas qu’il y a une souveraineté mondiale qui déciderait de tous les problèmes. Quelle que soit l’interdépendance, elle s’articule avec la souveraineté des Etats souverains.

Constater la persistance de la souveraineté pose alors la question des moyens de garantir celle-ci. On peut estimer que l’arme nucléaire n’est pas nécessaire pour cela, mais le débat est dans ce cas légèrement différent. En effet, l’affirmation initiale suggérait que l’on n’avait pas besoin de défendre la souveraineté puisque celle-ci n’existait plus vraiment. Ce fatalisme erroné concluait sur l’inutilité de l’arme nucléaire. Les choses sont plus compliquées.

Le texte évolue très rapidement vers la question de l’OTAN, sujet que je connais un peu pour y avoir consacré l’écriture de quelques centaines de pages (voir par exemple ici). L’auteur explique en effet que pour manifester l’indépendance de la France, le général De Gaulle avait quitté le commandement intégré de l’Alliance. Puisque le président Sarkozy l’a réintégré 42 ans plus tard, « cela signifie-il que le concept est à géométrie variable suivant les époques ? » font semblant de s’interroger les auteurs. Remarquant que la France l’a pas rejoint le Groupe des Plans Nucléaires, il explique que « cependant, selon le sommet de l’Otan de Chicago, « elles contribuent à la dissuasion globale et à la sécurité des Alliés », ce qui signifie que cette indépendance n’existera plus en cas d’attaque de pays membres de l’OTAN, ses forces devant se mettre pleinement à son service » (p. 141). Voici une belle accumulation d’inexactitudes et d’erreurs d’interprétation. Tout d’abord, se référer au sommet de Chicago est curieux car l’essentiel du débat allié sur l’Otan a eu lieu au moment du sommet de Lisbonne de 2010, comme on l’a déjà signalé. La déclaration de Chicago n’a fait que reprendre les termes de Lisbonne. A cette occasion en effet, les Alliés ont réaffirmé le caractère nucléaire de l’Alliance. La décision était importante car certains Alliés, à la suite du discours de B. Obama à Prague en avril 2009, avaient cru que son appel à un monde sans armes nucléaires entrainerait la fin du caractère nucléaire de l’Alliance. Il n’en était pas question et les Américains ont, à Lisbonne, confirmé que l’Alliance était une alliance nucléaire.

Cela explique la formulation qui a été choisie : « Aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires, l’OTAN restera une alliance nucléaire » (§ 17 du concept). Ceci explique aussi le paragraphe suivant : « La garantie suprême de la sécurité des Alliés est apportée par les forces nucléaires stratégiques de l’Alliance, en particulier celles des États-Unis ; les forces nucléaires stratégiques indépendantes du Royaume-Uni et de la France, qui ont un rôle de dissuasion propre, contribuent à la dissuasion globale et à la sécurité des Alliés ». Certains commentateurs s’étaient à l’époque offusqués de cette formulation, qu’ils voyaient comme une subordination de la dissuasion nucléaire française. Ces commentateurs ne savaient pas que la formulation reprenait le « compromis d’Ottawa », adopté en 1974, et qui reconnaissait justement l’indépendance de la dissuasion française mais aussi sa contribution à la dissuasion globale de l’Alliance. Ce qui était valable en plein Guerre Froide, en 1974, le demeure donc en 2010 comme en 2014. Notre critique se trompe donc radicalement quand il interprète le texte et affirme que « cette indépendance n’existera plus en cas d’attaque de pays membres de pays de l’Otan, ses forces devant alors se mettre pleinement à son service » (p. 141). Faut-il lui rappeler qu’en 1966, la France est restée membre de l’Alliance atlantique mais n’a quitté que le commandement intégré (au sens propre, l’Otan). La réintégration du commandement intégré n’emporte donc pas la fin de l’exception nucléaire française.

Se pose alors la question de l’interdépendance et de la complexité. Oui, un président français pourrait prendre seul cette décision (p. 142). Oui, la France pourrait se défendre seule contre une attaque nucléaire. Justement à cause de son indépendance.

Quant aux aspects techniques, l’auteur confond bien des choses. La coopération des Américains a permis de concevoir la force nucléaire ? Cela est probable mais cela fait plus de cinquante ans. Les Américains « permettent-ils encore de maintenir cette force » (p. 142) ? Voici qui est une affirmation très surprenante, corroborée par aucune déclaration ni indice en ce sens. Voici une grande nouveauté assénée sans frémir et qui mérite des éléments de preuve. A défaut, il s’agit d’accusations gratuites. L’auteur passe ensuite à la coopération sur le laser mégajoule, programme clef de simulation des essais nucléaires, ou aux avions ravitailleurs C135 nécessaires pour faire fonctionner la composante aérienne : deux exemples peu probants qui ne convainquent pas de la perte d’indépendance alléguée. Quant à la coopération avec les Britanniques (p. 143) il faudrait expliquer à l’auteur qu’elle vise surtout à aider les Britanniques à demeurer une puissance nucléaire et qu’elle porte également sur un programme de simulation. Autrement dit, aucune de ces coopérations techniques ne touche à la maîtrise indépendante de l’outil nucléaire. L’accusation est faible mais elle n’hésite pas à en tirer des conclusions définitives : « en l’absence d’une maîtrise industrielle complète, l’indépendance ne reste qu’un mythe » (p. 143). Cette conclusion illustre surtout le manque de profondeur de la critique.

La conclusion que l’on peut aujourd’hui tirer est différente. Oui, la France conserve la maitrise indépendante de l’arme nucléaire. Oui, elle a veillé à ne pas lier sa dissuasion (malgré des velléités des uns et des autres, soi-disant intelligents et grands politiques mais piètres stratégistes, « d’étendre » la dissuasion aux voisins européens, ce qui a toujours été refusé par ceux-ci, d’ailleurs). Celle-ci est donc le signe stratégique et politique de l’indépendance de la France.

O. Kempf

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