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Islam et Révolution

Beaucoup de commentateurs s'inquiètent de la montée de l'islam politique dans la rive sud de la Méditerranée, à la suite du "printemps arabe". Un peu de comparaison historique aiderait peut-être à comprendre le mouvement en cours.

source

1/ De ce point de vue, l'expérience française est utile. En effet, nous ne voyons que notre laïcité, sans voir que la culture politique française est le confluent de deux sources, une royale, l'autre républicaine. L'une catholique, l'autre non (agnostique ou athée, selon). La France passa le XIX° siècle et une partie du XX° à inventer le modèle politique permettant de réunir ces deux sources. On inventa le mot "laïcité", étendard de cette transaction, sans voir d'ailleurs à quel point les laïcistes récupéraient un mot venant du vocabulaire de l’Église.

2/ Mais les révolutionnaires, ou républicains, eurent le sentiment de devoir en permanence lutter contre la "Tradition" : c'était elle l'entrave, et eux étaient le mouvement. Or, nous comprenons les autres révolutions selon ce schéma : 1830, 1848, 1871, 1917, 1949 :en France, en Russie, en Chine, la révolution est forcément "laïque" et progressiste. Ce qui nous empêche de comprendre ce qui se passe dans le Maghreb car nous croyons qu'il devrait en être de même. Selon nous, une révolution est forcément "laïque" et démocratique

3/ A-t-on remarqué que tous les partis islamistes ont le mot "justice" dans leur intitulé ? Et que rares sont les partis qui revendiquent le mot de démocratie. Les révolutions arabes se font d'abord contre la corruption : là est le ressort fondamental de la réunion de la société contre les régimes en place. Mais les islamistes ont un avantage: cela fait dix ans, quinze ou trente qu'ils s'élèvent contre lesdits régimes. Or, ceux-ci n'ont eu de cesse de se présenter comme progressistes et démocratiques. Ainsi s'explique le succès des islamistes : ils sont "intègres" puisqu'ils ont lutté depuis "toujours" (ou du moins, depuis mémoire d'homme puisque sous l'effet de la transition démographique, plus de la moitié de la population a moins de vingt ans).

4/ Cette question de génération est d’ailleurs importante, puisqu'elle relativise la notion de "tradition" telle qu'on l'entend si souvent en Occident. Or, comme en Occident, la Tradition constitue une réinvention permanente,et donc une création. Par là, elle est l'effet de la modernité.

5/ Par conséquent, le rapport à la révolution est inversé : au fond, il faut se séparer d'un régime oppressant qui se présentait "progressiste" : la libération passe par l'opposé de ce modèle. L'aile marchante de la révolution est donc "religieuse". Elle mettra du temps à se réconcilier avec l'autre face qui l'équilibrera, l'agnostique ou laïque. Il y aura convergence, mais selon un chemin différent du nôtre.

6/ On peut juste espérer que l'équilibre sera atteint plus rapidement, et en évitant les épisodes et les à-coups de notre propre chemin. Même s'il est plausible que cela passe par des oppressions : de ce point de vue, l'expérience iranienne de la "révolution islamique" n'est pas des plus rassurantes. Mais le pire n'est pas toujours sûr, et on ne peut qu'être surpris par l'ouverture en cours en Birmanie, régime le plus fermé de la planète il y a encore trois ans.

O. Kempf

Commentaires

1. Le samedi 3 décembre 2011, 21:06 par

Bien vu, Olivier, la laïcité plaquée de façon artificielle (le laïcisme) n'est pas la solution unique. Elle l'a été en Europe à cause des guerres de religions et ce n'est pas un hasard si mon illustre homonyme le philosophe Pierre Bayle, l'un des premiers penseurs des "Lumières", est né de l'affrontement catholiques-protestants. Autre exemple a contrario, et qui va dans ton sens, le FLN algérien qui est aujourd'hui laïc ET réactionnaire...
Sur le thème de la montée de l'islam politique dans le monde arabe, que tu évoques en introduction, on continue à mélanger en France islam et islamisme (voir les dernières déclarations caricaturales de Jeannette Bougrab). J'apporte ma petite pierre en analysant l'approche américaine, risquée mais beaucoup plus clairvoyante: http://pierrebayle.typepad.com/pens...
Cordialement.

2. Le samedi 3 décembre 2011, 21:06 par yves cadiou

Plan en deux parties : 1 le dessin qui illustre votre billet ; 2 le commentaire de P Bayle. Il s’agit, dans les deux cas, du sens des mots (disons « de sémantique »).

1 Comme souvent, l’illustration de votre billet contient des idées à creuser. Cette fois, il faut remonter à la source où l’on trouve quelques commentaires. L’un des commentaires précise que le troisième mot sur le mur n’est pas « fraternité » mais « dignité ». J’ai essayé de vérifier par google-traduc et effectivement, il semble que ce soit « liberté-égalité-dignité ». A mon avis ça tombe bien parce que justement ce mot de « fraternité » nous a toujours posé un problème d’interprétation : fait-il référence à des chromosomes communs, même si l’on ignorait l’existence des chromosomes à l’époque où fut créée la devise de la République, et dans ce cas c’est une référence raciale (pour faire plus chic, on peut dire « ethnique » ou même « ethniciste ») ; ou fait-il référence à la fraternité des enfants-de-la-Patrie. Je préfère cette deuxième interprétation qui permet d’intégrer les enfants adoptifs mais la question reste posée, d’ailleurs inutilement, par le mot fraternité. Elle se trouve judicieusement évacuée si l’on remplace « fraternité » par « dignité » comme le fait ce graffiteur arabophone.
La question de la fraternité est inutile parce qu’elle n’est pas dans le principe fondateur de 1789 alors que la liberté et l’égalité y sont explicitement : « tous les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». La fraternité s’y trouve seulement suggérée en parlant de la naissance mais c’est pour aussitôt récuser le droit d’aînesse, inégalitaire, qui était un des fondements de l’Ancien Régime. Par conséquent « liberté-égalité-dignité » est plutôt un progrès, caché à première vue mais bien présent dans le dessin que vous nous montrez.

2 Islam ou islamisme, la question est soulevée, à juste raison, par P Bayle. J’espère ne pas vieuconner en disant que la question ne se serait pas posée à l’époque où l’on apprenait le français dans les livres et non en regardant la télé. Celle-ci préfère les mots volumineux qui font du temps de parole mieux que les mots exacts mais trop brefs. Dans le cas du mot « islamisme » mis pour « islam », l’avantage du volume sonore se double de l’avantage de la simplicité : l’islamisme est pratiqué par l’islamiste mais, complexité de notre langue, l’islam est pratiqué par le musulman. C’est ainsi qu’une sorte de paresse intellectuelle produit un oxymore, « l’islamisme modéré » et qu’on ne sait plus de quoi l’on parle. Pour moi, Breton baptisé qui ai un peu fréquenté des pays musulmans, l’islam modéré est une évidence mais l’islamisme modéré un contresens.
Dans le cas évoqué ci-dessus, la confusion des mots résulte de la paresse intellectuelle. Malheureusement il existe aussi des cas où l’utilisation de mots voisins résulte d’une malhonnêteté qui permet un glissement plus ou moins discret d’une notion vers une autre : ce fut le cas du discours sur l’Afghanistan où l’argument de la « lutte contre le terrorisme » a été subrepticement remplacé par celui de la « lutte contre l’obscurantisme », ce qui n’est pas du tout la même chose. Dans le langage de notre République, qui se veut laïque mais fut souvent anticléricale, l’obscurantisme a toujours une connotation religieuse et l’on peut donc imaginer l’étape suivante du glissement. Il faut se poser la question des erreurs de langage comme le fait ici P Bayle parce qu’elles ne résultent pas toujours du verbiage ni de la paresse intellectuelle.

3. Le samedi 3 décembre 2011, 21:06 par Fab

Article très intéressant.
Par curiosité: pourquoi n'intervenez-vous pas dans des journaux? Parce que vous laissez ça à un spécialiste de la question (ici les pays arabes) et que vous êtes plutôt un généraliste?

égéa : question intéressante. 1/ Parce qu'ils ne me le demandent pas 2/ Parce que je ne leur propose pas 3/ Parce que le format blog me convient pour l'instant 4/ Parce que le modèle des journaux n'est plus forcément le lieu où les débats s'expriment.

Regardez le succès de BHL ou de Claude Allègre : par eux-mêmes, ils suscitent l'émotion, quelles que soient les âneries qu'ils peuvent proférer. Donc, ils drainent par leur seul nom de l'audience : le public les connaît et on n'a pas besoin de les présenter. Bref, les "journaux" ont perdu la tâche qu'ils avaient de faire réfléchir. Ils communiquent. La réflexion ne se situe plus là, à mon sens. Sinon, pourquoi allez vous sur des blogs?

Je reviens à votre question : ai-je intérêt à aller dans les journaux, dans les médias ? je ne sais pas. La vraie question est celle de l'utilité. Je prends un autre exemple : je ne lis plus le blog de Merchet alors pourtant que c'est devenu "le" blog de référence : ou plus exactement, parce que c'est devenu le journal officiel, jouant à la communauté militaire le rôle du canard enchainé ds la communauté politique. Il est victime de son succès.

4. Le samedi 3 décembre 2011, 21:06 par

@ Yves Cadiou
Il ne faut pas voir dans la conception de fraternité une histoire de génétique, mais plus une conception romaine (l’enfant d’une femme mariée est réputé être du mari, ce qui n’empêche pas l’exposition) et kantienne de la paternité et de la famille (l’enfant naît à la mairie). Tout le monde sait à Rome que Scipion Emilien est le fils de Paul-Emile Macedonicus et pourtant son adoption fait de lui le petit fils de Scipion l’Africain.
Pour la fraternité, je vois plus cela comme le compromis des deux principes précédents, le point de rencontre de la Liberté et de l’Egalité, entre le libre-arbitre et la solidarité qui naît des égaux (homoioi spartiates réunis en syssities). Est-ce là une tentative de sortir par le haut de la période révolutionnaire (avec l’Empire et les Restaurations) quand en 1848 Lamartine en fait la devise de la République ? Je considère cela comme possible (je viens de voir que je rejoins une analyse de Renouvier).

Pour ce qui est du droit d’aînesse, il n’est pas exactement une marque de l’Ancien Régime.
Seule la noblesse y était astreinte pour d’évidentes questions ayant attrait au démembrement des seigneuries, le reste de la population étant soumise à une règle égalitaire de succession (ce qui est le cas à Rome et limitée aux descendants mâles chez les Mérovingiens, les filles étant dotées chez les libres). Mais il y a sous cette règle des disparités géographiques (c’est le cas aussi pour les formes d’unités familiales et les dotations). Tel château dans les Vosges se retrouve avec des dizaines de propriétaires après plusieurs successions, signe qu’il y de nombreux héritiers, même pour un château fort. Houleuses réunions de copropriété ! Scission en deux du château ou abandon en résulte.

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